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c) L’éducation au développement durable au cœur de la culture scolaire

Le développement durable est défini en 2007 comme un savoir à enseigner prescriptible dans les programmes disciplinaires. Il devient donc possible de fragmenter la notion et tous les savoirs qui lui sont aliénés entre les différentes disciplines, à charge ensuite à l’élève de recoller les différents morceaux du puzzle cognitif. L’approche disciplinaire est prioritaire. La première finalité de la circulaire est d’ailleurs « dinscrire plus largement l’éducation au développement durable dans les programmes d’enseignement ».

Les approches inter et pluridisciplinaires et le partenariat, ne sont pas absents des prescriptions, ce qui donne une apparente continuité avec la circulaire précédente. Les

1 En 30 ans, de nombreuses circulaires portant sur différentes éducations à particules ont été mises en place entre 1977 et 2004, éloignant l’éducation à l’environnement des priorités éducatives.

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établissements scolaires deviennent néanmoins le terrain privilégié des expériences et des études de cas. Les sorties en dehors du cadre scolaire passent au second plan. Certes les partenaires sont encore associés à l’EDD mais leur place est restreinte.

L’initiative de l’EDD revient aux équipes éducatives. Le partenaire est relégué aux tâches que le système scolaire veut bien lui confier et sa participation se réalise sur le terrain scolaire. Les projets d’établissement en démarche de développement durable « permettront de construire avec les partenaires, à l’initiative des équipes éducatives, des conventionnements adaptés à chaque cas afin que soient assurés la répartition des responsabilités et des engagements ainsi que la cohérence des processus éducatifs associés. » On pourrait penser que l’instauration des établissements en démarche de développement durable (E3D) favorise la mise en place de projets pédagogiques autour de l’environnement et du développement durable et fait émerger une pédagogie de projet et des initiatives en décalage avec la culture scolaire. Les résultats des analyses de dossiers pédagogiques et mon expérience professionnelle en tant qu’enseignante et formatrice sur cette thématique me permettent de répondre malheureusement par la négative. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement.

Pour résumer, l’éducation à l’environnement était un objet en décalage avec la culture scolaire, partagé par d’autres acteurs éducatifs que les acteurs scolaires : éducateurs à l’environnement, éducateurs de l’éducation non formelle … Mais l’éducation à l’environnement s’est ensuite transformée sous l’écriture des différentes circulaires, pour devenir un objet de nature différente, formulé dans un vocabulaire proche, d’où l’apparente continuité entre 1977 et 2007. Sous les apparences, émerge une rupture réelle et importante. L’éducation au développement durable n’est plus comme l’éducation à l’environnement aux marges du système scolaire, en dehors de sa culture organisationnelle. C’est un pur produit de la culture scolaire.

Les orientations institutionnelles sont motivées par la volonté de généraliser une éducation en lien avec l’environnement et le développement durable, conformément aux engagements signés par la France dans ce domaine et à la demande sociale. L’école ne peut rester étrangère à un domaine perçu par l’opinion publique comme un des défis de demain. Sous la pression sociale, l’Ecole a dû introduire au sein du système scolaire, quelque chose qui puisse répondre de manière globale à cette demande. Cette généralisation n’était possible qu’en faisant de l’éducation à l’environnement un élément du système. Tant que l’éducation à l’environnement restait en décalage avec la culture scolaire, il n’était pas possible de la diffuser au plus grand nombre. Elle restait l’apanage des enseignants en marge du système, ayant des pratiques innovantes. Il était nécessaire de faire de l’éducation à l’environnement un objet digérable par le système scolaire, praticable par le plus grand nombre d’enseignants et donc, de le conformer à la culture organisationnelle. Or la colonne vertébrale de la culture scolaire est constituée par les disciplines. Pour intégrer le système, l’environnement et le développement devaient devenir des savoirs à enseigner qu’il était possible d’introduire dans des programmes scolaires, de mettre en exercice et d’évaluer.

Cela ne signifie pas que toutes les pratiques enseignantes en matière d’EDD ou plus largement d’ERE, se situent en adéquation avec la culture scolaire. En revanche, les prescriptions institutionnelles le sont. Les enseignants disposent néanmoins d’une marge de liberté, qui peut leur permettre de mettre en place des projets à la marge du système. On pourrait disserter longuement sur cette fameuse liberté et émettre des nuances voire des réserves. La liberté de pratiques est souvent plus grande sur le terrain que ce que laissent penser les autorités institutionnelles parce que l’enseignant est seul maître dans sa classe. C’est cette liberté qui permet l’émergence notamment d’innovation au sein du système scolaire, par ailleurs assez rigide.

La généralisation d’une éducation en lien avec l’environnement et le développement durable est un leurre, car la généralisation a changé la nature de cette éducation. Certes tous les élèves des générations à venir, bénéficieront d’enseignements disciplinaires portant

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sur l’environnement et le développement durable. Certains profiteront même d’un projet d’établissement orienté sur l’écocitoyenneté. Ces élèves seront-ils pour autant sensibles aux questions environnementales ? Adopteront-ils un comportement et une attitude respectueux du milieu et de l’environnement dans lesquels ils s’inscriront ? Rien n’est moins sûr. Nous ne reviendrons pas sur les théories de Festinger par ailleurs déjà mentionnées. S’il suffisait de savoir que prendre sa voiture en ville pollue, pourquoi le faisons-nous encore ? Pourquoi manger des fruits et des légumes pollués par les pesticides ? Boire de l’eau en bouteille ou utiliser des couches jetables pour nos enfants ? etc.… Toutefois la généralisation n’est pas un objectif Réalisable. L’éducation relative à l’environnement est, et restera, en marge du système parce qu’elle est fondée historiquement et par nature, sur une remise en cause du système. L’éducation au développement durable est différente. Elle est aujourd’hui au cœur du système et elle y restera tant que la demande sociale en matière d’environnement restera forte.

Pour valider ces hypothèses, nous avons mis en place un protocole de recherche permettant d’analyser les pratiques enseignantes en ERE et de les positionner par rapport à cette culture scolaire.

B. L’investigation méthodologique

Aborder au cours d’une recherche l’Ecole n’est jamais facile, que cette recherche soit de nature sociologique, psychologique ou éducationnelle. L’Education Nationale est une forteresse où il n’est pas facile de pénétrer à des fins heuristiques, même en étant enseignante. Mon poste de professeure relais EEDD auprès du GRAINE Rhône-Alpes Rhône m’a néanmoins permis de trouver une place singulière pour mener cette recherche.

1. Professeure relais EEDD

J’ai été recrutée pour être professeure relais au GRAINE Rhône-Alpes en septembre 2006. C’est une fonction que j’exerce encore aujourd’hui en 2009. A l’origine, mon poste n’était pas défini de manière figée ; le contexte de l’EEDD1 dans l’Académie est à l’origine de sa création. Les projets d’EEDD étaient financés de manière partenariale jusqu’en 2005 grâce à l’appel à projet « Mille Défis pour ma Planète » porté par la DIREN*. Tous les acteurs régionaux de l’EEDD participaient alors à ce dispositif. Ce dernier disparaissant, il était nécessaire de lui substituer un autre appel à projet. Le GRAINE Rhône-Alpes a initié un travail de réflexion pour tenter de trouver un nouveau dispositif partenarial. Dans la perspective de renforcer les liens avec le GRAINE Rhône-Alpes et de le soutenir dans ses projets, le Rectorat de Lyon a mis à disposition de l’association un enseignant six heures par semaine. Mon poste est bivalent. Il s’agit à la fois de faire l’interface avec l’Ecole et d’accompagner le GRAINE Rhône-Alpes dans tous les aspects de son activité qui sont en lien avec l’Education Nationale, et de participer aux actions mises en place par l’Ecole en matière d’EEDD. Concrètement, au sein du GRAINE Rhône-Alpes, j’ai participé aux commissions réfléchissant sur la formation professionnelle des acteurs, sur l’écocitoyenneté, sur les établissements éco-responsables. Je prends également part aux différentes journées de co-formation. Mon travail se centre aujourd’hui sur le dispositif Ekoacteur déjà évoqué antérieurement qui remplace l’appel à projet Mille Défis. Du côté de l’Education Nationale, je conseille les enseignants qui me sollicitent pour les aider à monter un projet. J’anime des formations et participe au groupe de formateurs EEDD de l’Académie. J’assiste également à des formations académiques et nationales.

Ce poste a fortement contribué à faire évoluer ma posture de recherche. Mon regard était au départ proche de celui d’un anthropologue sur un peuple indigène, à savoir, distancié. Mon poste au GRAINE Rhône-Alpes m’a permis d’intégrer la tribu. Le terme n’est

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pas anodin. Les associations fonctionnent comme nous venons de le voir sur le mode de l’inter connaissance. Je suis devenue membre active du GRAINE Rhône-Alpes et j’ai noué des liens avec des éducateurs à l’environnement ou des bénévoles du GRAINE Rhône-Alpes. D’exogène, je suis devenue endogène. Le processus a été identique au sein du Rectorat. Je suis donc partie prenante de l’EEDD tant dans le champ scolaire que dans l’ associatif, à l’interface entre ces deux mondes.

Etre professeure relais m’a permis d’appréhender le milieu de l’ERE de l’intérieur et d’en avoir une vision d’ensemble. Organiser dans mon établissement scolaire des projets d’EEDD ne m’aurait pas permis d’avoir un tel panorama. J’ai identifié les parties prenantes en jeu et compris leurs contextes, leurs contraintes, leur position… Cela m’a permis de cerner la portée des informations relevées au cours des entretiens. J’ai également pu suivre l’évolution du milieu en temps réel. Enfin, j’ai eu accès à des informations que je n’aurais pas même soupçonnées si j’étais restée extérieure.

Le recueil de ces informations n’a pas été pensé et structuré en amont. C’est certainement un des manques de la méthodologie de cette thèse. Il aurait été intéressant d’avoir recours à des approches ethno-méthodologiques, notamment de tenir un carnet de bord retranscrivant le factuel et la réaction des différentes parties prenantes aux évènements de ces trois dernières années. Le changement de posture de recherche et mon recrutement au GRAINE Rhône-Alpes, intervenant en deuxième année de thèse, il n’a pas été possible de l’introduire. Cependant, je peux affirmer que le bénéfice de ma position de professeure relais pour ce travail de recherche est inestimable. Il présente néanmoins un inconvénient qu’il est nécessaire de mentionner.

Située à l’interface entre les associations et l’Education Nationale, je suis rémunérée par cette dernière et la représente dans ma fonction de professeure relais. Or il m’arrive de défendre des positions qui sont en porte-à-faux par rapport au discours officiel. Je ne peux les formuler que lorsque je m’exprime en mon nom propre et non en qualité de fonctionnaire de l’Education Nationale. Ma qualité de chercheure trouble encore un peu plus le tableau. Il est parfois difficile pour moi, mais aussi pour mes interlocuteurs de toujours identifier qui parle, l’enseignant, la militante associative ou la chercheure. Ma posture est parfois un peu schizophrénique, obligée de faire en désavouant intimement l’action ou de désavouer ce que mes convictions soutiennent. Je ne suis pas encore parvenue à résoudre cette tension entre mes différentes fonctions.

Cette difficulté exprimée, il est nécessaire de souligner que sans la DAAC* de l’Académie de Lyon et le GRAINE Rhône-Alpes, je n’aurais pas pu mener à bien mon investigation. Deux actions de recherche ont pu être mises en place grâce au soutien de ces deux partenaires : une enquête Internet menée auprès des enseignants et le recueil et l’analyse de dossiers pédagogiques d’ERE.

2. Enquête Internet

J’ai réalisé une enquête sur les pratiques des enseignants de l’Académie de Lyon en matière d’éducation à l’environnement et au développement durable. Cette enquête fut entreprise avec l’autorisation et le soutien de Monsieur Morvan, Recteur de l’Académie de Lyon, avec celui de Monsieur Ferreri et Mme Babin de la délégation académique à l’action culturelle (DAAC*) et du corps de l’inspection académique. Cette enquête est portée par le GRAINE Rhône-Alpes, réseau de structures d’éducation à l’environnement et au développement durable et entreprise par Caroline Leininger-Frézal, doctorante en géographie à l’université Lyon 2 sous la direction d’Isabelle Lefort. Elle est donc le résultat d’un partenariat entre l’Académie de Lyon, le GRAINE Rhône Alpes et une chercheure en géographie.

Elle reprend en partie la méthodologie et le questionnaire d’une recherche antérieure, entreprise à l’I.U.F.M* de Tours-Orléans par Muriel Feinard-Duranceau et Jean Marc Lange,

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au cours de l’année scolaire 2004-2005. Cette recherche initiale portait sur les pratiques des enseignants en éducation à l’environnement dans le département de l’Indre. Les résultats ont été présentés au colloque francophone de la Rochelle en juin 2005 et publiés dans les actes de ce même colloque1.