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Une nouvelle sociabilité

Dans le document Réseaux sociaux numériques : (Page 74-77)

COMMENT RENFORCER L'ENGAGEMENT CITOYEN ?

D. Une nouvelle sociabilité

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES C’est mécanique : plus Facebook grossit, plus il s’enrichit. En 2015, son chiffre d’affaire était de

5,84 milliards de dollars, dont plus de 80 % provenant de ses recettes publicitaires. Les réseaux français Viadeo, Copains d’Avant accessibles sur abonnements ont été supplantés en une décennie par leurs concurrents américains qui avaient choisi l’accès gratuit dès leur lancement de leur site traduit en langue française. Fin 2015, souligne la journaliste, 19,6 % des internautes français se déclaraient membre de Copains d’Avant contre 62,9 % pour Facebook d’après Médiamétrie.

Ce taux était respectivement de 49 % et 37 % en 2009 ».

En conséquence, ce modèle économique leur impose de viser dans leur domaine une situation de quasi-monopole. Comme l’indiquait Dominique Cardon, on remarque que dans presque tous les pays où existait un réseau dominant de type « clair-obscur » Facebook a absorbé ce réseau30. Toutefois il faut noter que subsistent, non sans difficulté, des réseaux sociaux de « niche » qui offrent des finalités spécifiques, telles qu’organiser des sorties entre voisins ou connaître les habitants de son quartier, comme par exemple Peuplade.

L’irruption du net dans le champ de l’espace public et son essor fulgurant ont provoqué de profonds bouleversements en transformant chaque internaute de récepteur.rice de l’information en contributeur.rice ou émetteur.rice à l’échelle planétaire et ce dans une temporalité où domine l’instantanéité.

Les bouleversements induits par cette révolution numérique sont comparés à ceux engendrés par l’invention de l’imprimerie et par les révolutions industrielles.

Cette révolution du digital pose selon Dominique Cardon « des défis redoutables aux producteurs d’information, aux détenteurs de la propriété intellectuelle, aux politiques de communication des entreprises, des institutions et des partis. Car elle invente des formes inédites de partage du savoir, de mobilisation collective et de critique sociale »31.

Rapport

chose. Donc je me tiens au courant si jamais un ami a une grande nouvelle à partager et sinon c’est quand même vachement pratique pour organiser un événement ou pour entretenir des groupes réguliers ».

Au début des années 2000, fleurissait l’idée d’un déclin de sociabilité où la sociabilité en face à face ferait place à une sociabilité à distance via les échanges téléphoniques, SMS, courrier électronique. Dix ans plus tard, la donne est radicalement différente avec l’avènement d’une «  nouvelle sociabilité  » (Antonio Casilli)32 générée par l’explosion des réseaux sociaux via Internet.

Les recherches sur l’étendue réelle des réseaux personnels des internautes ont souvent souligné que les contraintes cognitives imposaient une limite au nombre d’individus avec lesquels on peut se lier, autant en ligne que dans la vie réelle.

En 1992, l’anthropologue Robin Dunbar fixait cette « limite cognitive » d’un individu à établir des relations stables à 148 personnes33. Le nombre de Dunbar est monté en flèche lorsque Peter Killworth, analyste des réseaux sociaux, a observé en 1998 que les réseaux personnels comportaient en moyenne 290 individus34. Puis, en 2010, ce nombre a doublé à son tour, selon les estimations d’un sociologue de Princeton, Matthew Salganik, qui estimait à 610 le nombre moyen de liens sociaux personnels35.

S’il convient de s’interroger sur la force de ces liens et sur leur homogénéité, nous pouvons nous accorder sur un constat : Internet nous expose à une surenchère de connexions qui permettent de vérifier le paradoxe de Milgram ou phénomène du « petit monde » (Small World)36. En 1967, le psychologue Stanley Milgram établit que deux personnes, choisies au hasard parmi des citoyen.ne.s américain.e.s, sont reliées en moyenne par une chaîne de six relations ou degrés de séparation. En novembre 2011, une étude publiée par Facebook en partenariat avec l’Università degli Studi di Milano, révélait que sur l’échantillon de ses 721 millions de personnes inscrites sur son réseau social, chaque utilisateur.rice était relié.e en moyenne par une chaîne de 4,74 relations37. Une nouvelle étude en 2016 par Facebook réduit le degré de séparation à 3,538.

32 Antonio Casilli, Maître de Conférences en humanités numériques à Télécom Paritech. Audition du 23 mars 2016.

33 Robin Dunbar, Theory of Mind and the evolution of language, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.

34 Christopher McCarty, Peter D. Killworth, H. Russel Bernard, Eugene C. Johnsen, et Gene A. Shelley, Estimating the Size of Personal Networks, Social Networks, 12, 1990.

35 Tyler H. McCormick, Matthew J. Salganick, et Tian Zheng, How Many People Do You Know? Efficiently Estimating Personal Network Size, Journal of the American Statistical Association, 105, 2010.

36 Stanley Milgram, The Small World Problem, Psychology Today, 1/1, mai 1967, p. 60-67.

37 Lars Backstrom, Paolo Bodli, Marco Rosa, Johan Ugander, Sebastiano Vigna, Anatomy of Facebook, 22 novembre 2011 (https://www.facebook.com/notes/facebook-data-team/anatomy-of-facebook/

10150388519243859).

38 Serguey Edunov, Carlos Diuk, Ismail Onur Filiz, Smriti Bhagat, et Moira Burke, Three and a half degrees of separation, 4 février 2016 (https://research.facebook.com/blog/three-and-a-half-degrees-of-separation/).

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES Schéma n° 5 Illustration des six degrés de séparation de Milgram

par Laurens van Lieshout

Source : Wikipédia, Étude du petit monde.

Cette surenchère de connexions est causée en majeure partie par leur porosité.

La contextualisation géographique, linguistique et culturelle de ces liens sociaux numériques suit l’évolution personnelle de l’internaute durant son existence, ses mutations géographiques et sa carrière professionnelle mais également celle de ses groupes d’ami.e.s et de sociabilité, par réseaux « glocaux » c’est-à-dire globaux et locaux en même temps, dans lesquels les différentes communautés sont interconnectées.

La difficulté que cela entraine est que ces différentes communautés jusqu’alors séparées, se retrouvent aujourd’hui à partager un espace hybride de sociabilité dans lequel elles sont encouragées à créer des passerelles et donc à se confronter l’une à l’autre.

Les réseaux sociaux illustrent la force des liens faibles énoncée par Mark Granovetter39 en 1973 qui distingue deux types de relations pour un individu  : celles qui le relient à ses proches (famille, ami.e.s) qui constituent des liens forts et celles constituées par des passerelles d’un réseau plus vaste mais plus distant, les liens faibles. Ces derniers nous relient à des personnes évoluant dans un environnement très différent du nôtre, pouvant avoir accès à des informations différentes de celles distillées par notre entourage proche.

Selon Mark Granovetter  : «  les individus avec qui on est faiblement lié ont plus de chances d’évoluer dans des cercles différents et ont donc accès à des informations différentes de celles

39 Mark Granovetter, The Strength of Weak Ties, American Journal of Sociology, 78/6, mai 1973, p. 1360-1380.

Rapport

que l’on reçoit » (les liens faibles permettent de jeter des ponts locaux entre des individus qui autrement resteraient isolés).

Au terme de plusieurs enquêtes sur les cercles de contacts forts ou plus distendus tissés par les Américain.e.s interrogé.e.s, Mark Granovetter concluait que les liens faibles renforçaient la cohésion sociale et l’intégration au sein de la communauté américaine en raison des opportunités d’emplois, d’échanges qu’ils offraient à l’inverse des liens forts, causes de fragmentation sociale et de l’entre soi.

Antonio Casilli toutefois minore les effets de cette extension de la sociabilité produite par les réseaux sociaux qui paradoxalement « en raison de sa transitivité réduit en même temps le nombre de possibilités de connexion » et favorise la création de « chambres d’écho » dont nous traiterons plus longuement dans un autre chapitre.

Le baromètre annuel des usages des réseaux sociaux en France de l’institut Harris précédemment cité40, pointait cet usage conversationnel majeur des réseaux socio-numériques.

En agrégeant des individualités au sein de communautés numériques, les réseaux sociaux ont permis de démultiplier « la force des liens faibles  » énoncée par Mark Granovetter… Avec la massification du numérique, se sont tissées des relations de plus en plus interdépendantes entre le Web et les acteur.rice.s de l’espace public traditionnel (partis politiques, organisations, medias, entreprises). La puissance des réseaux sociaux repose sur cette capacité de l’information à circuler au sein des réseaux interpersonnels élargis.

III. LA FORCE DE COOPÉRATION DES « LIENS FAIBLES »

Espace d’expression, les réseaux sociaux ont généré des courants d’idées et des actions collectives, de nouvelles formes de production et de consommation collaboratives.

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