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S’engager contre les propos de haine

Dans le document Réseaux sociaux numériques : (Page 120-123)

COMMENT RENFORCER L'ENGAGEMENT CITOYEN ?

B. S’engager contre les propos de haine

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES

Rapport

Si la presse se fait l’écho des cas les plus spectaculaires ou les plus graves, elle ne rend que très imparfaitement compte de l’ampleur de phénomènes que le nombre des messages échangés sur les réseaux rend difficile à mesurer. Dans un article récent du site du quotidien Les Échos145 nous pouvons ainsi apprendre que Facebook chiffre à huit milliards le nombre de vidéos visionnées chaque jour par ses membres.

Ces volumes rendent très difficile l’action de la justice alors que nombre de ces propos et de ces pratiques sont punis par la loi. D’ailleurs, Benoît Thieulin estime qu’ajouter des nouveaux textes répressifs serait peu efficace voire dévaloriserait la fonction de la loi en multipliant les injonctions de fait inapplicables. La CNCDH semble du même avis qui considère que l’arsenal judiciaire, et en particulier la loi sur la presse, est aujourd’hui suffisant sous réserve de quelques évolutions procédurales, sentiment que partage SOS Homophobie.

Cela ne signifie pas que la justice ne doit pas agir mais simplement que son action ne saurait seule venir à bout du problème.

On peut s’interroger sur l’anonymat ou plus précisément l’utilisation de pseudonymes toujours possible sur les réseaux sociaux  : la dissimulation de son identité ne facilite-t-elle pas les propos ou les actes malveillants voire n’incite-t-facilite-t-elle pas à enfreindre la loi et à abuser de la liberté ainsi offerte ? La question d’un identifiant unique est ainsi posée par certain.e.s. Outre le pouvoir, économique mais aussi politique, que sa détention conférerait à l’organisme qui aurait la responsabilité de l’attribuer se pose la question des conséquences en termes de libertés individuelles : le droit à protéger son anonymat s’articule avec celui de protéger sa vie privée : la CNIL d’ailleurs recommande dans une publication destinée aux jeunes146 d’utiliser des pseudonymes, y compris en recourant à des pseudonymes différents selon les services. En outre, il n’est pas nécessaire d’afficher tous les éléments de son identité pour toute utilisation d’Internet. Et si la justice veut poursuivre le responsable d’actes illégaux les moyens techniques existent de le retrouver via une enquête sous le contrôle d’un juge : les quelques « hackers » capables de se dissimuler et d’échapper à toutes les recherches ne doivent pas faire oublier que la plupart des utilisateur.rice.s d’Internet n’en ont pas les capacités.

Il faut ajouter qu’une étude récente de chercheur.euse.s de l’université de Zurich147 tend à montrer, sur la base de l’analyse de trois ans d’activité d’une plateforme allemande, que les internautes ne sont pas nécessairement plus agressif.ve.s lorsqu’elle.il.s sont anonymes : un.e utilisateur.rice anonyme risque en effet d’être moins crédible alors qu’afficher son identité lui donne plus de légitimité.

La problématique du chiffrement est de même nature. Les récents attentats ont mis en lumière le développement des systèmes de messageries cryptées qui assurent à leurs utilisateur.rice.s une protection, comme Telegram qui compterait déjà cent millions

145 Nicolas Rauline et Nicolas Richaud, Violences sur Facebook Live et Periscope : une course contre la technologie, 27  juin  2016 (http://www.lesechos.fr/27/06/2016/LesEchos/22221-043-ECH_reseaux-sociaux-et-violence---une-course-contre-la-technologie.htm, consulté le 27 juin 2016).

146 CNIL, Dix conseils pour rester net sur le net, 7 mars 2016 (https://www.cnil.fr/fr/10-conseils-pour-rester-net-sur-le-web, consulté le 7 mars 2016).

147 Katja Rost et Lea Stahel, Digital social norm enforcement  : online firestorms in social media, 7  juillet  2016 (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4912099/, consulté le 7 juillet 2016).

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES d’utilisateur.rice.s actif.ve.s mensuels, c’est-à-dire le tiers de Twitter. Et la question s’est posée

dans le débat de permettre aux autorités d’accéder plus aisément aux messages cryptés soit en disposant des clés de chiffrement soit via des « portes dérobées  ». Une tribune récente signée par nombre de personnalités spécialistes du numérique – parmi lesquelles le président du CNNum et la présidente de la CNIL – a dénoncé cette volonté en rappelant notamment que l’existence du chiffrement était un élément essentiel de la sécurité sur Internet et donc de la confiance des utilisateur.rice.s dans le réseau mais aussi en rappelant la nécessité de préserver le secret des correspondances : ouvrir des portes dérobées pour les autorités judiciaires remettrait en cause cette sécurité, y compris au profit de personnes mal intentionnées ou de régimes peu démocratiques148.

Ces questions sont en relation avec la problématique de l’engagement via les réseaux sociaux dans la mesure où la remise en cause de la garantie du respect de la vie privée et du secret des correspondances pourrait avoir un effet dissuasif. Il importe donc de préserver un équilibre entre d’un côté la nécessaire lutte contre les pratiques et les propos contraires à la loi et de l’autre le respect de la vie privée et des libertés individuelles des usager.ère.s des réseaux sociaux. Cela vaut autant pour les réseaux sociaux que pour les autres formes de communication plus traditionnelles.

En revanche, la lutte contre les propos de haine et tous les dérapages que permettent les réseaux sociaux passe sans doute par une plus grande prise de conscience et une intervention des usager.ère.s elles.eux-mêmes. Benoît Thieulin plaide dans ce sens lorsqu’il dit qu’il faut aussi qu’il y ait des internautes qui s’investissent de façon militante pour pacifier les prises de parole. Il souhaite dans cette perspective des formes de régulation à l’intérieur des plateformes par exemple en généralisant les boutons de signalement, en facilitant leur utilisation et en donnant des suites aux signalements lorsque c’est nécessaire, par exemple des réponses graduées (avertissement, puis coupure temporaire, puis coupure définitive de l’accès à la plateforme…).

D’ailleurs cette intervention existe : Amnesty International France constate par exemple que ses militant.e.s ou ses «  fans  » répondent souvent elles.eux-mêmes aux attaques contre l’organisation et rétablissent la vérité sans que l’association elle-même ait besoin d’intervenir149. De même, SOS Homophobie constate une meilleure compréhension des usager.ère.s vis-à-vis des mécanismes de signalement et une meilleure réaction vis-à-vis des discours homophobes, racistes etc. Selon l’association, se développent sur Internet des démarches positives  : les usager.ère.s répondent directement sans faire appel aux associations. Et les plateformes sont régulièrement saisies de signalements par les usager.ère.s.

148 Isabelle Falque-Pierrotin, Mounir Mahjoubi, et Gilles Babinet, Chiffrement et lutte contre le terrorisme : attention à ne pas se tromper de cible, 23 août 2016 (http://cnnumerique.fr/tribune-chiffrement/).

149 Entretien avec les rapporteur.e.s du 27 avril 2016.

Rapport

Dans le document Réseaux sociaux numériques : (Page 120-123)