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La fausse opposition entre virtuel et réel

Dans le document Réseaux sociaux numériques : (Page 104-107)

COMMENT RENFORCER L'ENGAGEMENT CITOYEN ?

A. La fausse opposition entre virtuel et réel

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES de la vidéo sur une nouvelle plateforme, l’afflux sur la page Facebook de l’entreprise de

messages des militant.e.s de l’ONG mobilisé.e.s par cette censure, les réponses maladroites voire agressives du community manager ont conduit au bout de trois jours Nestlé à adopter une démarche d’approvisionnement durable d’huile de palme.

En fait ce n’est pas l’outil qui est en question, c’est la motivation de l’action, « d’où l’importance de chercher à maîtriser finement le niveau d’identification de l’action »96. Et cela vaut pour toutes les formes d’engagement.

Qu’il s’agisse d’entreprises, d’associations, de syndicats ou de tout type d’organisation, quelle que soit la nature de l’engagement, il importe d’être attentif.ve.s tout autant aux potentialités qu’aux limites et faiblesses des réseaux sociaux.

V. NE PAS CÉDER AU DÉTERMINISME TECHNOLOGIQUE

Valérie Peugeot invite à ne pas céder à l’illusion du « déterminisme technologique », c’est-à-dire au sentiment d’une toute puissance de l’outil qui de par sa seule force transformerait les rapports sociaux, les engagements ou les modes d’action97.

En fait, il importe d’interroger et relativiser au moins deux autres idées répandues sur les réseaux et les médias sociaux et plus généralement sur Internet. La première est que les réseaux sociaux créeraient une sorte de société parallèle, enfermant leurs utilisateur.rice.s

« dans des formes de solitude socialisée » (A. Casilli)98, « une vie médiatisée par le numérique » séparée de la vie réelle, « le quotidien, le face à face, le présentiel ». La seconde postule que les médias sociaux et le Web 2.0 assureraient à tou.te.s une égalité en matière de prise de parole, assurant le triomphe d’une horizontalité démocratique.

Rapport

un peu bizarre et au final il n’y a pas vraiment de dialogue dans la classe parce qu’ils sont tous sur Facebook, c’est limite s’ils dialoguent via Facebook avec des gens qui sont dans la classe.

(…) Quand tu dis à n’importe quel jeune "oui, je n’ai pas Facebook" il te regarde et essaie de voir si t’es humain ».

Il convient tout d’abord de rappeler qu’employer le terme virtuel pour parler du numérique est fortement discutable : Internet et les réseaux sociaux reposent sur de lourdes infrastructures matérielles (data center*, câbles, serveurs,…) dont les conséquences sur l’environnement sont considérables et seront évoquées plus loin dans le présent rapport.

Mais l’idée force qu’il importe d’avoir à l’esprit est que «  les structures sociales sur Internet ne remplacent pas mais épousent celles en face à face » comme l’a fortement souligné Antonio Casilli99. Cela apparaît avec évidence lorsqu’on examine, comme l’a montré le même intervenant, le réseau d’un.e utilisateur.rice : on y retrouve des cohérences géographiques, culturelles, linguistiques, professionnelles, politiques mais surtout des cohérences avec les relations sociales, le parcours et la vie de l’utilisateur.rice.

Schéma n° 18 Les structures sociales sur Internet épousent celles en face à face

Source : Audition d’Antonio Casilli du 23 mars 2016.

Ce propos est confirmé par Dominique Cardon, affirmant lors de son entretien100 que, sur le nombre moyen d’ami.e.s qu’un.e utilisateur.rice a sur Facebook (133 en 2009, 229 en 2013), on n’échange réellement qu’avec une quinzaine d’entre elles.eux, généralement celles.ceux qui font partie du cercle de relations proches que l’on peut avoir dans la « vie réelle », celle du « face à face »101. Comme le dit également Antonio Casilli, « Facebook est une

99 Audition du 23 mars 2016.

100 Entretien avec les rapporteur.e.s du 16 mars 2016.

101 Souvent abrégé en F2F (face to face).

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES manière de représenter la même réalité sociale, les personnes avec qui j’interagis plus ou moins

tous les jours et qui représentent mon horizon social mais via un jeu de données différentes ».

Par ailleurs, des études sur les rythmes d’utilisation d’Internet, montrent que ceux-ci correspondent en fait aux rythmes de vie et de travail  : on communique en général sur Facebook dans les mêmes plages horaires que celles où on communique en face à face.

Schéma n° 19 On communique sur Facebook dans les mêmes plages horaires que celles où on communique en face à face

Source : Audition d’Antonio Casilli du 23 mars 2016.

Derrière les réseaux sociaux, il existe en fait une vie sociale analogue à celle pratiquée en face à face et des différences sociales que les réseaux n’effacent en rien, au contraire.

Comme le souligne Julien Boyadjian102, Twitter connait une utilisation bien moindre que celle de Facebook (17 % de Français.es disent être inscrit.e.s sur Twitter) et surtout, ses utilisateur.rice.s ont une sociologie bien particulière : « les utilisateurs de Twitter ne sont pas représentatifs du reste de la population. En réalité, c’est la fraction la plus politisée de la population qui s’exprime. Les réseaux sociaux, en tout cas Twitter, ne réduisent pas de façon significative les écarts de politisation entre groupes sociaux ». Outre les étudiant.e.s, dans le panel étudié dans sa thèse qui porte sur les utilisateur.rice.s de Twitter dans le domaine de la politique, on retrouve un fort pourcentage de cadres et de professions intellectuelles, et en particulier des professions en lien avec la communication. En revanche, les ouvrier.ère.s et les employé.e.s y sont très peu représenté.e.s. Ce constat converge avec le propos de Dominique Cardon

102 Audition du 1er mars 2016.

Rapport

soulignant que sur ce réseau social, 10 % des utilisateur.rice.s actif.ve.s produisent 90 % du contenu et ce sont généralement des gens dont le métier est de produire de l’information ou du sens, « des métiers qui ont un rapport avec la manipulation des symboles ».

Dans le document Réseaux sociaux numériques : (Page 104-107)