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L’indispensable articulation avec le terrain

Dans le document Réseaux sociaux numériques : (Page 111-116)

COMMENT RENFORCER L'ENGAGEMENT CITOYEN ?

E. L’indispensable articulation avec le terrain

Si l’on a pu constater le rôle qu’ont tenu les réseaux sociaux dans un certain nombre de mouvements politiques et/ou sociaux comme les « révolutions arabes », Zeineb Touati121 a souligné que le mouvement était d’abord parti d’un événement dramatique, le suicide

119 Audition du 13 avril 2016.

120 Audition du 3 mai 2016.

121 Audition du 13 avril 2016.

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES d’un jeune homme, dans une ville du centre du pays, une zone peu touristique et peu

couverte par Internet et par la téléphonie mobile en 3G. Et il s’est agi avant tout d’une

« révolution populaire ». Facebook, qui était auparavant utilisé essentiellement à des fins de divertissement, a joué un rôle central à cause du contexte particulier de censure des médias mais aussi de l’intervention de la diaspora tunisienne : il a permis la diffusion de vidéos et d’informations sur ce qui se passait justement dans la région où la révolte a débuté et a joué un rôle de démultiplicateur. Mais, Zeineb Touati a tenu à souligner que s’il n’y avait pas eu d’interaction avec le terrain, le mouvement n’aurait sans doute pas abouti. « Il a fallu la mobilisation du terrain avec les organisations militantes classiques. Dans le cas tunisien, c’était l’Union générale des travailleurs tunisiens et quelques composantes de la société civile comme les juges, les avocats, le corps des enseignants et les différents corps de médecine (…) qui ont rejoint le mouvement de protestation et aidé à l’appuyer en janvier, soit 15 jours après le début des manifestations ». Selon elle, c’est ce qui a manqué en 2008 (grève des mineurs de Gafsa).

De son côté, le président du Conseil National du Numérique Mounir Mahjoubi, dans son audition, a évoqué un séminaire récent en Roumanie, où s’exprimaient des ONG qui cherchent à promouvoir la démocratie dans certains pays aux régimes autoritaires  ; il a rapporté les propos tenus : « on n’envoie pas des gens dans un pays où il n’y a pas déjà une opposition ; on « spot » dans le monde entier les pays où il y a une opposition émergente et où on se dit que la technologie et les réseaux sociaux pourraient faire la différence ; et là, on prend la décision d’envoyer et de financer pour huit mois deux experts »122.

D’ailleurs, un constat exposé par Antonio Casilli corrobore cette analyse : si l’on compare le taux de couverture Internet des pays où ont eu lieu des mouvements sociaux qui ont abouti à des changements profonds en matière politique et sociale et ceux où de tels mouvements ont eu lieu sans aboutir, on constate qu’il n’y a pas vraiment de lien entre ce taux et ces résultats123.

122 Entretien avec les rapporteur.e.s du 3 mai 2016.

123 Audition du 23 mars 2016.

Rapport

Schéma n° 20 Le taux de pénétration d’Internet n’est pas corrélé avec l’efficacité des mobilisations

Source : Audition d’Antonio Casilli du 23 mars 2016.

Tout cela n’invalide pas les constats faits dans les chapitres précédents mais montre que si les réseaux sociaux constituent des outils offrant des possibilités considérables en matière d’engagement et de citoyenneté, il ne peuvent pas, comme le dit Zeineb Touati124 être une fin en soi et il est indispensable, lorsqu’on entend les utiliser d’avoir conscience de la réalité sociale et des pratiques qu’ils recouvrent mais aussi de les articuler avec le terrain. C’est ce que confirme Dominique Cardon lorsqu’il souligne qu’une technologie en elle-même ne fait rien : c’est un outil qui favorise les coordinations mais pour qu’elles se concrétisent il faut qu’il y ait des accroches sociales et institutionnelles125.

VI. AVOIR CONSCIENCE DES RISQUES

Les réseaux et médias sociaux constituent donc des outils qui offrent des possibilités de susciter et développer l’engagement que l’on ne saurait ignorer ou sous-estimer aujourd’hui. Pour autant, ils peuvent se prêter à des usages délibérément contraires à ces objectifs d’engagement, de citoyenneté et de lien social. Leur fonctionnement même peut être source de biais qui ne manquent pas de poser problème. Ces risques sont inhérents

124 Audition du 13 avril 2016.

125 Entretien avec les rapporteur.e.s du 16 mars 2016.

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES à l’utilisation des réseaux et médias sociaux. Nous les examinerons au regard des besoins

et des finalités de l’engagement mais nous verrons également combien lutter contre ces risques peut être un motif d’engagement de la part des utilisateur.rice.s des réseaux.

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Encadré 1 : L’engagement et la citoyenneté face à la collecte des données

Antoine, 19 ans : « Je compare l’utilité que va m’apporter le site ou l’application dans laquelle je mets mes données, aux données que je fournis. Si par exemple, c’est rare, mais si je dois mettre mes données de santé ou mes données bancaires, l’utilité a intérêt à être importante car je n’ai pas envie qu’on connaisse mes données bancaires ou mes données de santé. C’est un peu pareil que les bracelets électroniques qui prennent votre pouls. Ça va être donné à votre mutuelle après et on va vous faire payer plus cher parce que vous êtes en mauvaise santé ».

Le sujet a fait l’objet d’une analyse approfondie dans l’avis Les données numériques : un enjeu d’éducation et de citoyenneté126 ; il est également traité dans le rapport et l’avis La coproduction à l’heure du numérique. Risques et opportunités pour la.le consommateur.rice et l’emploi127. Sans développer outre mesure les analyses détaillées et argumentées déjà issues du travail du CESE, il importe cependant d’en rappeler les enjeux.

Si les « données » ne sont pas une nouveauté dans l’histoire de l’humanité, le numérique a transformé radicalement le rapport à l’information, en réduisant drastiquement les coûts du stockage et du traitement des informations, ainsi que le temps nécessaire pour y accéder.

Il a produit un changement de dimension tel qu’il modifie totalement la nature et le rôle des informations collectées. Les données numériques sont maintenant mises en forme et exploitées dans des architectures logicielles qui leur permettent d’être intelligibles à l’ensemble des usager.ère.s d’Internet et donc de « prendre du sens » pour eux. Des « métadonnées » structurant et suivant la vie numérique des informations, permettent de les retrouver mais aussi de produire à partir de là d’autres données, par exemple sur les goûts, les préférences voire la vie des utilisateur.rice.s. D’une manière générale, ce qui est en jeu, c’est la capacité de chacun.e d’entre nous d’être librement ce qu’il souhaite être, dans toute sa complexité, sans se voir réifié en un jeu de données qui constituent un profil. C’est aussi le droit à disposer d’une vie privée : certain.e.s acteur.rice.s du net théorisent en effet l’idée que la vie privée ne serait qu’une parenthèse dans l’Histoire, et que la norme sociale est la vie publique.

Or, les réseaux sociaux, dont le modèle économique est d’abord fondé sur la collecte et l’utilisation des données et des métadonnées, ont contribué de façon considérable à l’accroissement de la masse des données circulant sur le net. Le souci d’exposition de soi motive en effet nombre d’utilisateur.rice.s, tout comme la volonté d’utiliser les réseaux sociaux pour s’exprimer, partager, construire avec d’autres, les rendant bien plus facilement « consentant.e.s » à cette collecte. Lorsqu’elles.il.s sont conscients de risques, ce qui est loin d’être toujours le cas, elle.il.s sont malgré tout tenté.e.s de les accepter comme la contrepartie des avantages qu’elle.il.s trouvent à l’utilisation des réseaux et à la gratuité de celle-ci. Or au-delà de l’utilisation commerciale, le risque d’une surveillance généralisée est bien présent et peut particulièrement peser sur tou.te.s celles.ceux qui souhaitent s’engager via les réseaux. L’avis Les données numériques : un enjeu

L N o u

126 Rapporteur Éric Pérès, 13 janvier 2015.

127 Rapporteure Martine Derobert, 25 octobre 2016.

Rapport

de citoyenneté et d’éducation consacre un développement aux révélations sur le programme Prism censé contribuer à la lutte contre le terrorisme qui ont mis à jour la collecte et l’analyse par la National Security Agency (NSA) et le Federal Bureau of Investigation (FBI) des données en ligne de millions de citoyen.ne.s aux États-Unis et dans le monde. Et la presse nous apprend tout récemment que les États-Unis envisagent d’exiger des touristes sollicitant un visa de déclarer leurs comptes sur ces réseaux : se verra-t-on refuser un visa parce que sur son compte Twitter on a pris fait et cause dans un débat polémique ?

Nous avons pu souligner dans le premier chapitre du présent rapport que les Français.es étaient particulièrement attentif.ve.s à la question de la protection des données personnelles et que c’est notamment le cas des utilisateur.rice.s des réseaux sociaux. Les entretiens réalisés avec le groupe témoin montrent d’ailleurs que les jeunes interrogé.e.s sont conscient.e.s du problème : même si elle.il.s n’en tirent pas nécessairement toutes les conséquences, elle.il.s semblent s’en accommoder tout en s’y adaptant et en faisant évoluer leur pratique, compte tenu de l’intérêt qu’elle.il.s voient dans l’usage des réseaux sociaux dans leur vie quotidienne. Cela signifie peut-être que progresse une prise de conscience citoyenne qu’appelait de ses vœux le CESE dans l’avis voté en 2015.

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Encadré 2 : Les risques environnementaux

Comme nous l’avons déjà dit le qualificatif de «  virtuel  » rend mal compte de la réalité d’Internet. Son fonctionnement et son développement reposent sur des infrastructures qui sont de plus en plus sources d’externalités négatives : du matériel, des câbles, des fibres, des bâtiments de plus en plus grands, généralement climatisés pour abriter serveurs et routeurs mais aussi une consommation toujours croissante d’électricité. L’avis Les données numériques : un enjeu d’éducation et de citoyenneté y avait déjà consacré un développement. En effet, cette question renvoie bien en elle-même à de tels enjeux.

On estime ainsi que les data center* dont la multiplication est liée à la croissance exponentielle des utilisations d’Internet peuvent avoir pour chacun d’entre eux une consommation équivalente à celle d’une ville de cinquante mille habitant.e.s ; et l’ensemble serait responsable de 2 à 3 % des émissions de CO2 dans le monde, autant que le trafic aérien civil. Par ailleurs, ils contribuent bien évidemment à l’artificialisation des sols de certaines régions où ils sont massivement implantés, les Appalaches par exemple.

C’est sans compter avec la consommation en électricité des différentes infrastructures et appareils permettant aux particuliers et entreprises d’accéder aux réseaux  : boitiers ADSL, émetteurs wifi, antennes relais… Sans compter non plus l’empreinte écologique globale de la production de ces appareils à la durée de vie de plus en plus réduite.

Selon une étude du cabinet Green IT d’avril 2016 chaque année, un.e salarié.e français.e émet l’équivalent de 514 kg de gaz à effet de serre, rien que par son activité numérique : l’équivalent d’un Paris-Moscou en voiture128.

128 Novethic, Pollution numérique  : l’impact sur l’environnement n’est pas virtuel, 20  mai  2016 (http://www.

novethic.fr/empreinte-terre/pollution/isr-rse/pollution-numerique-l-impact-sur-l-environnement-n-est-pas-virtuel-143921.html, consulté le 20 mai 2016).

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES En outre, si la question de la nocivité des ondes wifi ou téléphoniques en matière de santé

est encore discutée, il semble probable qu’elle ne soit pas sans effet en particulier pour les enfants.

En effet l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSES) vient de nouveau en juillet 2016 de faire le point sur ces dangers et, tout en reconnaissant la nécessité d’études complémentaires elle invite les parents à veiller à ce que les enfants n’aient pas d’utilisation intensive des téléphones portables.

Cependant, il faut bien voir que ces externalités négatives ne sont pas inéluctables.

En premier lieu parce que le développement du numérique peut permettre de rationaliser l’utilisation de l’énergie mais aussi de l’eau et donc produire d’importantes économies en la matière.

C’est le cas par exemple des « smart grids », des réseaux intelligents de distribution capables de tenir compte à la fois de la demande des utilisateur.rice.s et de l’offre de production.

Il est possible également pour les entreprises possédant les grands data center* de recourir de façon plus importante aux énergies renouvelables. Mais il est nécessaire en même temps d’agir sur la durée de vie des terminaux mobiles afin d’en limiter le renouvellement, en particulier via une éco conception des logiciels qui réduise leur consommation de ressources informatiques.

Enfin, c’est la pratique même des utilisateur.rice.s qui peut évoluer afin d’en limiter l’impact environnemental.

Là encore il est question de prise de conscience, d’éducation et de pratiques citoyennes.

Dans le document Réseaux sociaux numériques : (Page 111-116)