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Cadrage épistémologique de la recherche

1.2. Notre ancrage dans le constructivisme pragmatique

Afin de satisfaire l’importance d’un positionnement épistémologique clair pour la cohérence et la validité de notre recherche, nous inscrivons cette recherche dans le paradigme épistémologique constructiviste pragmatique (PECP), dont la philosophie pourrait être résumée par cette phrase de Bachelard : « S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scienti�que. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. » (1938).

Le PECP est aussi connu sous le nom de paradigme constructiviste « radical » (Glasersfeld, 2001) ou paradigme constructiviste « téléologique » (Le Moigne, 2012). À l’instar d’Avenier (2011), nous lui préférons le terme « pragmatique » car ce para-« pragmatique » car ce para-pragmatique » car ce para- » car ce para- car ce para- digme s’inscrit dans les philosophies pragmatiques au sens de William James et de John Dewey. Ce paradigme a été quasi institutionnalisé par Piaget en 1967 dans sa conclusion de l’Encyclopédie Pléïade et s’est développé depuis – grâce au travail de conceptualisation de Glasersfeld (2001) et Le Moigne (2012) – comme un paradigme à part entière dans l’univers scientifique. Il s’éloigne des paradigmes post-positivistes et réalistes critiques adoptés par une grande partie de la communauté scientifique par la teneur de ses hypothèses fondatrices (Avenier et Thomas, 2012 ; Le Moigne, 2012 ; Glasersfeld, 2001). En premier lieu, il est important de noter que le PECP ne pose pas d’hypothèse fondatrice ontologique : le statut du réel n’est pas considéré comme connaissable par le chercheur (Glasersfeld, 2001). Seule l’expérience humaine d’un réel – dont on ne postule ni l’existence ni la nature – est connaissable. Ce positionne- ment est en opposition avec la vision positiviste du réel comme vérité. De cette façon, le critère de définition du vrai retenu par le PECP est le principe pragmatique du Verum et Factum de Vico (Le Moigne, 2012), qui signifie « le vrai est ce qui est fait ».

Partant du positionnement par rapport au statut du réel, Le Moigne (2012) répond à la question gnoséologique en explicitant les hypothèses fondatrices du PECP. La

première hypothèse est phénoménologique. La connaissance nait de l’expérience humaine active, de l’observation et la compréhension des phénomènes. Cela signifie que la connaissance que le chercheur tire du phénomène dépend de sa propre expé- rience active. La seconde hypothèse est téléologique. Elle postule que le chercheur a toujours une motivation dans son travail de recherche et que la finalité qu’il souhaite atteindre influence son expérience du phénomène – et ainsi la connaissance engen- drée. Il existe donc une interdépendance entre le sujet connaissant, le phénomène étudié et la connaissance constituée.

Dans le PECP, l’élaboration des connaissances (question méthodologique) se fait par deux principes : la modélisation systémique et l’action intelligente (Le Moigne, 2012). Par le principe de la modélisation systémique, l’élaboration des connaissances est décrite comme un processus intentionnel d’élaboration de constructions symbo- liques (représentations) ; par celui de l’action intelligente, le but des représentations ainsi obtenues est d’être fonctionnellement adaptées et viables pour cheminer le monde (Avenier, 2011 ; Glasersfeld, 2001). Ce paradigme dit pragmatique se doit d’être au service de l’action, de la pratique ; le but de la connaissance est de « construire de l’intelligibilité dans le flux de l’expérience à �n d’action intentionnelle » (Avenier et Tho- mas, 2012, p. 27).

En ce qui concerne la question éthique, les connaissances élaborées dans le cadre du PECP sont légitimées dès lors qu’elles répondent à la « critique épistémologique interne du processus de recherche et des produits de ce processus » (Avenier et Gavard- Perret, 2012, p. 28). Les exigences de cette critique concernent l’explicitation des hypo- thèses et du processus d’élaboration des connaissances, l’argumentation des décisions épistémiques, méthodologiques et techniques dans la recherche et la justification des inférences effectuées sur la base des connaissances préalables et des matériaux empi- riques mobilisés (Avenier, 2011 ; Avenier et Gavard-Perret, 2012 ; Le Moigne, 2012). De cette façon, le PECP considère comme valables les connaissances élaborées dans les autres paradigmes, dès lors que les critères de la critique épistémologique interne sont respectés. L’inverse n’est pas possible, compte tenu de l’absence d’hypothèse ontologique positive de la part du PECP.

Cette recherche s’inscrit dans la discipline des sciences de gestion, discipline qui découle du grand groupe des sciences de l’artificiel. C’est Simon qui a conceptualisé ces dernières en 1969 (Avenier et Gavard-Perret, 2012) ; elles désignent les disciplines dont l’objet d’étude est créé par l’homme, et non pas issu de la nature. Elles com- prennent donc plus généralement les sciences de la cognition, de la décision, et les sciences de gestion. Considérant que tout objet d’étude est construit par un sujet, le constructivisme permet aux sciences de l’artificiel d’être considérées comme telles. Faire le choix du PECP, c’est avant tout se positionner dans un cadre qui soutient épis- témologiquement le caractère scientifique de notre discipline de recherche.

De plus, cette recherche s’intéresse aux caractéristiques d’une méta-organisation territorialisée qui agissent sur les facteurs favorisant la créativité organisationnelle des organisations créatives en faisant partie. Or, les organisations tout comme les méta- organisations sont considérées comme des artefacts – des objets créés par l’homme – au sens de Simon. Ces objets sont mouvants et actifs, car ils sont mis en forme par des individus : « les phénomènes organisationnels sont façonnés, au sens d’influencés plutôt que déterminés, par les actions d’êtres humains capables de concevoir des actions intelligentes pour tenter d’atteindre leurs objectifs » (Avenier et Gavard-Perret, 2012, p. 17). Le positionnement constructiviste permet de saisir toute la complexité des méta- organisations en tant qu’artefacts en évolution constante, car l’objectif constructiviste n’est pas d’établir des lois figées et universelles mais bien des représentations menant à des connaissances actionnables qui ont fait l’expérience du terrain.

Pour cette raison, cette recherche s’appuie principalement sur des travaux s’inscri- vant également dans le PECP, mais aussi sur des connaissances issues d’autres para- digmes épistémologiques, également valables dès lors qu’elles respectent l’hypothèse éthique établie par la critique épistémologique interne (Avenier, 2011 ; Avenier et Gavard-Perret, 2012 ; Le Moigne, 2012).