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Quelle configuration organisationnelle pour les friches culturelles ?

1.1. Les friches culturelles comme collectifs créatifs

De par leur rejet des formes dominantes instituées, leur prise de position sociale et leur volonté de mettre en place un espace de création (physique aussi bien qu’intel- lectuel), les groupes d’acteurs qui investissent les friches culturelles fonctionnent sur la même logique que les collectifs créatifs identifiés par Simon (2009). Dans son article sur les différents niveaux de développement de la créativité, l’auteur propose de défi-

nir les collectifs créatifs comme une forme qui n’est ni un réseau, ni une communauté, mais plutôt « une forme hybride, proto-communauté épistémique et forme véritable- ment communautaire de la communauté de création » (p. 41). Ces collectifs créatifs regroupent des individus qui ont pour projet de créer ensemble ; c’est un regroupe- ment volontaire où il n’existe pas d’appartenance de fait et qui n’est pas constitué par une hiérarchie : « l’appartenance au collectif se fait sur la base d’une affinité autour d’un projet cognitif » (p. 41), ledit projet étant lié à une production artistique inédite ou à une prise de position sur un sujet culturel ou sociétal en tant qu’artiste. En effet, ce projet est souvent présenté en opposition à une forme dominante ou instituée qui impose- rait selon les individus participants un discours unique : « Dans ce sens, les membres du collectif ne décident pas nécessairement de collaborer à un projet commun, mais de défendre une vision commune présentée comme une alternative créative » (p. 41).

C’est bien le cas des groupes que forment les acteurs qui investissent les friches culturelles, qu’Aubouin et Coblence décrivent dans leur étude des friches culturelles comme des « collectifs d’artistes » (2013, p. 93). Ces collectifs ont pour volonté « de construire une nouvelle esthétique qui s’incarne dans la revalorisation des lieux investis et la mise en place de projets en rupture avec les modes classiques de production et de diffusion de l’art » (p. 93). Le projet cognitif des collectifs peut être associé au projet de développement culturel et artistique des friches, la vision commune étant – pour ces types de rassemblement – garant de leur cohésion. Dans les deux cas, les acteurs ont pour projet de créer ensemble, par le biais d’un regroupement volontaire non hiérar- chique où les valeurs communes sont essentielles.

Pour Aubouin et Coblence (2013), les collectifs d’artistes se caractérisent par une autonomie de gestion des projets vis-à-vis des pouvoirs publics et par une collégialité dans les modes de direction et la polyvalence des équipes. Les auteurs rapprochent leur description de la configuration organisationnelle des friches culturelles du modèle adhocratique (Mintzberg, 1982). Ces éléments n’apparaissent pas forcément dans les autres études des friches culturelles. Particulièrement pour l’autonomie de gestion face aux pouvoirs publics, cette caractéristique ne peut s’appliquer qu’à cer- tains types de friches, comme les friches rebelles ou les friches tolérées à leur début.

Pour ce qui est des friches institutionnelles, cette affirmation serait à nuancer compte tenu du financement et de la cogestion du lieu avec les gouvernements locaux.

Deux observations émergent dans le rapprochement entre friche culturelle et col- lectif créatif. La première est que les collectifs créatifs sont compris comme rassem- blant des individus et non des organisations. Alors que les collectifs créatifs (Simon, 2009) et collectifs d’artistes (Aubouin et Coblence, 2013) sont en tout point semblables, les auteurs ne semblent pas spécifier la composition des collectifs, autre que rassem- blant divers individus. Il faudrait alors comprendre la friche culturelle comme animée par un collectif d’organisations créatives.

La seconde est qu’une friche doit se doter d’un projet commun de développement culturel. Sans l’implication de chaque individu participant dans ce projet urbain, poli- tique, économique, la survie de la friche culturelle peut s’avérer difficile (Andres et Grésillon, 2011). Au-delà de la vision commune, le collectif créatif est centré sur la création artistique et apparaît comme non engageant pour ses membres, ce qui ne permet pas de comprendre l’implication dans le projet de développement culturel, et donc par ce biais la solidité de la structure interne et l’implication de longue durée des membres des friches institutionnelles, comme celle que nous étudions. Cela signifie que les collectifs créatifs ne répondent pas intrinsèquement au besoin de maintenir une structure interne du système d’acteurs solide.

Nous comprenons que les friches culturelles semblent bel et bien portées par des collectifs créatifs. Cependant, ces collectifs et leur fonctionnement ne suffisent pas à comprendre la configuration des friches culturelles sur le long terme, notamment lorsqu’elles fonctionnent en tandem avec les gouvernements locaux pour réhabiliter leur lieu et participer au développement territorial. Nous supposons que ces collec- tifs de départ évoluent dans leur fonctionnement et se dotent de modes de gestion pour gérer le projet de réhabilitation. Cette proposition est soutenue par Aubouin et Coblence (2013) qui, du point de vue organisationnel, notent que la rencontre entre les occupants de la friche culturelle et les autorités légitimantes (ex : les gouvernements locaux) mène à une progressive rationalisation de l’activité du lieu. Nous supposons

que cette structuration se ferait au troisième temps (Ambrosino et Andres, 2008) de réhabilitation de la friche cultuelle. On voit alors apparaître la mise en place de normes et d’outils « pour répondre aux pressions coercitives (règles juridiques et comptables) et normatives (standards et croyances collectives au sein du secteur) de l’environnement institutionnel (DiMaggio et Powell, 1983) mais également pour permettre un meilleur fonctionnement interne (évaluer et contrôler les flux de trésorerie, éviter les conflits, jus- ti�er les choix). » (p. 96). Cette rationalisation ne mène pas toujours à une reconnais- sance institutionnelle, et peut aller du rachat au bail précaire, jusqu’à l’expulsion. Cela signifie que l’élément de structuration en relation avec les pouvoirs publics se fait par le biais d’autres systèmes d’acteurs que le seul collectif créatif.

Le collectif créatif est intéressant pour arriver à cerner le regroupement humain au départ des friches culturelles, mais ne répond pas en soi aux exigences organisa- tionnelles pour le développement du projet de friche culturelle. Le collectif créatif permet d’établir une vision commune mais doit s’accompagner d’une autre confi- guration organisationnelle pour établir une relation avec les gouvernements locaux et pour solidifier sa structure de gestion interne. Nous proposons de voir alors une autre configuration organisationnelle qui, elle, s’accommode de la rationalisation des friches culturelles permettant le lien avec les gouvernements locaux, puisqu’issue d’une réflexion commune : le cluster créatif.