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1,11 LE NOIR DANS LES SCIENCES DE LA NATURE (XVIIIe fin des années 1930)

LE NOIR DANS L'ANTHROPOLOGIE DES NATURALISTES

1,11 LE NOIR DANS LES SCIENCES DE LA NATURE (XVIIIe fin des années 1930)

1,111 -Les sciences naturelles et la connaissance du monde au XVIIIe siècle

Avant le XVe siècle, les sources écrites sur l'Afrique sont le fait d'auteurs arabes ; les Européens les connaissent peu et indirectement6. Le

monde, au sud, s'arrête aux frontières de l'Atlas, à l'ouest dans l'océan. Le monde non européen le mieux connu de l'Occident était alors l'Asie, mais les routes qui y menaient étaient coupées par les Mongols et les Turcs qui inspiraient aux voyageurs une véritable terreur, sauf durant une brève période au cours du XIIIe siècle jusqu'au milieu du XIVe siècle, pendant laquelle des voyageurs et des missionnaires s'aventurèrent à l'est en Perse, en Inde et jusqu'en Chine. Ils rapportèrent de leurs explorations des récits dont une caractéristique majeure, d'après Delacampagne7, était de décrire un univers

mythique porteur "de toutes les contradictions propres au sacré" : un monde d'ambivalence où le merveilleux intégrait le monstrueux, où le mal côtoyait le

6Voir MEDEIROS F.(de) L'Occident et l’Afrique, XIIIe - XVe siècles, Karthala/CRA, Paris,

1985.

bien, mais toujours dans des proportions hors de l'ordinaire. Nous trouvons convaincante l'analyse que réalise l'auteur de la notion de monstre au Moyen Age et de l'assimilation, faite à l'époque, des hommes peuplant les mondes lointains avec ces monstres de la littérature et de l'art médiévaux :

"Si les monstres, en effet, peuplent la littérature européenne d'exploration, s'ils fourmillent dans l'imaginaire médiéval, s'ils pullulent aux tympans et sur les chapiteaux de nos cathédrales (...), ce n'est pas par l'effet d'une série de hasards. L'importance prise par les monstres à la fin du Moyen Age ne s'explique que parce qu'ils jouaient déjà, depuis longtemps, un certain rôle dans la représentation chrétienne du monde."

Quel est donc le rôle des monstres ?

"Au départ, les choses semblent relativement simples: les monstres suggèrent une interrogation sur la finalité de la Création et donc sur le combat que s'y livrent les forces du bien et du mal. Un texte célèbre contient en germe les principes de cette analyse: celui dans lequel saint Augustin, frappé par une mosaïque vue dans le port de Carthage et figurant ces êtres étranges qu'on rencontre outre-mer (...) s'interroge: "ou

ce qu'on raconte de ces races est faux; ou ce ne sont pas des hommes; ou, s'ils sont des hommes, ils viennent d'Adam", écrit saint Augustin...)8"

L'extrait tiré de saint Augustin contient, résumée, toute la problématique sur les origines de l'Homme et des races, dont les siècles suivants se sont fait l'écho sous d'autres formes. On peut résumer cette problématique à deux questions, l'une concernant la nature : jusqu'à quel point la nature de l'Autre est-elle identique à la mienne (l'Africain ou l'Asiatique de l'Européen) ?, et l'autre concernant la généalogie : jusqu'à quel point sommes- nous parents ? Avec cette relation implicite : c'est de la nature de l'autre, de l'étude de ses ressemblances et de ses dissemblances, que je déduirai la proximité de sa race (au sens initial de race = lignage) avec la mienne. De la Genèse à la phylogenèse, le problème posé est resté le même.

Comment les Noirs se sont-ils inscrits dans cette généalogie biblique avant le XVIIIe ?

Depuis le Moyen-Age existait une association entre les peuples noirs et la descendance de Cham, troisième fils de Noé, maudit par son père pour avoir

8SAINT-AUGUSTIN (354-430) : La Cité de Dieu, Livre XVI, chap. 8, 2. in

vu sa nudité9. Cette association daterait du VIe siècle dans les écrits

talmudiques10et se serait perpétuée dans la tradition médiévale11. Léon

Poliakov12 signale qu'elle a été réactivée par les exégèses de la Réforme au

XVIIe. Un siècle plus tard elle était devenue “ une sorte d’évidence qui permet[tait] de justifier de façon conjointe l’esclavage et l’évangélisation ”13.

Le symbolisme de la pigmentation noire, associé à la malédiction de Noé, autorisait une vision péjorative des qualités morales et intellectuelles de ces peuples.

Dans la première moitié du XVe siècle, les Portugais ont exploré le littoral occidental de l'Afrique ; la taille réelle du continent se laissait progressivement deviner. A la fin du XVe siècle l’Amérique s'ouvrit à

9Il est intéressant de noter la distorsion que la tradition fait subir au texte biblique puisqu’elle

fait de Cham un maudit, alors que la Genèse établit clairement cette malédiction sur Canaan,

fils de Cham : “ Maudit soit Canaan, il sera serviteur des serviteurs de ses frères ” (Genèse,

IX, 25). Les frères de Canaan étant Cus, Mitsraïm et Put, c’est-à-dire respectivement l’Ethiopie, l’Egypte et la Corne de l’Afrique, il s’ensuit que Canaan aurait dû être considéré comme le réservoir d’esclaves de pays africains. Mais l’exégèse post-médiévale en a jugé autrement.

10CHRETIEN J.P. "Les deux visages de Cham", in : L’idée de race dans la pensée politique française contemporaine. Editions du CNRS, Paris, 1977 (pp.171-199), p.174.

11MEDEIROS F. (de) L’Occident et l’Afrique..., opus cité p. 121-132. De Medeiros mentionne

le double rattachement à la lignée d’Adam (dans la tradition médiévale des Pères de l’Eglise) : 1) de l’Afrique par l’étymologie d’Africa: Afer, de la lignée d’Abraham (bien que cette mention soit absente de la Genèse) se retrouve dans des versions différentes, notamment celle de Flavius Josèphe reprise par Isidore de Séville.

2) des Africains à la lignée noachide puisque le verset 6 de la Genèse, chapitre IX, “ Et les

enfants de Cam sont Cus, Mitsraïm, Put et Canaan ” attribuerait l’Afrique (l’Afrique

“ éthiopienne ” ici, par opposition à l’Africa qui est l’Afrique du Nord) aux fils de Cham. Telle est l’opinion de Vincent de Beauvais et Pierre d’Ailly.

Il est intéressant de constater, à la suite de De Medeiros, que dans l’esprit des Pères de l’Eglise, le moment du rattachement (Noé ou Abraham) n’est pas neutre. La question est de savoir s’il s’agit d’une branche de la lignée d’Adam avant ou après la promesse faite à Abraham : le rattachement de l’Aethiopia à Noé rejette symboliquement ses noirs habitants du côté de l’Inconnu, de l’étrange, de l’inhumain; le rattachement de l’Africa à Abraham intègre les Africains du Nord au monde civilisé de la Méditerranée. On constate la pérennité des mécanismes mentaux : le procédé du rattachement généalogique est utilisé de la même façon au XIXe et au XXe par les évolutionnistes, s’agissant de déterminer le moment de la divergence des races : avant ou après l’apparition de l’intelligence, du langage, du feu... selon le critère retenu pour caractériser l’essence de l’humain.

12POLIAKOV L. Le mythe aryen. Paris, Ed. Complexe, 1971, p. 138,cité par J.P. Chrétien, opus cité p. 174.

l'Occident. Il a incombé aux hommes du XVIe siècle d'explorer ces terres nouvelles et de décider des relations qu'ils auraient avec les peuples qui les habitaient. Or ces hommes européens du XVIe siècle sont aussi ceux de la Renaissance, de l'humanisme, de la contestation religieuse. Ce sont des esprits plus inquiets peut-être (Delacampagne), plus sceptiques en tout cas à l'égard de l'explication religieuse du monde et soucieux de sciences. On assiste à un développement considérable des sciences naturelles : plusieurs milliers d'espèces de plantes sont déjà décrites et individualisées à la fin du XVIe, lorsque commence la grande époque des voyageurs naturalistes (1700-1852).

Le rôle joué par les sciences de la nature et la systématique dans la genèse des théories évolutionnistes est depuis longtemps connu. Les historiens ont tous insisté sur ce que ces théories devaient à la classification des espèces effectuée par Linné de 1745 à 1758. On connaît un peu moins l'apport de la géographie, de la géologie et de la biogéographie à la réflexion sur l'origine des espèces : Georges Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788), avait énoncé le principe selon lequel les causes en action au présent avaient aussi joué dans le passé du globe terrestre, façonnant le monde dans un processus très lent dont la chronologie établie par les exégèses de la Bible ne pouvait rendre compte14. Ce

principe dit "des causes actuelles" fut repris, après Lamarck et d'autres, par le géologue anglais Charles Lyell dans ses Principes de géologie15. Ce n'est pas

coïncidence si cet ouvrage était le livre de chevet, tant de Charles Darwin que d'Alfred Russel Wallace16. Quant à la biogéographie, il s'agit des efforts

réalisés par les naturalistes voyageurs, dont Darwin et Wallace eux-mêmes,

14Dans Les Epoques de la nature (1778), il suggérait que la vie était plus ancienne que les

6 000 ans bibliques et proposait une période de 70 000 ans. Après lui, Lamarck a parlé de millions d'années.

15Rédigé de 1830 à 1833, l'ouvrage de LYELL a pour titre complet : Principes de géologie. Tentative d'explication des modifications de la surface de la Terre par référence aux causes agissant actuellement.

16BUICAN D. Darwin et darwinisme, « QSJ » n°2386, 2è éd. corrigée, PUF, Paris, 1994,

pour relier la distribution dans l'espace des nouvelles espèces découvertes aux conditions du milieu et du climat -Drouin se dit frappé par l'importance des notations biogéographiques du journal de voyage de Darwin sur le Beagle17. Or

ce travail de recensement a commencé avec le premier voyage scientifique à l'aube du XVIIIe, celui de Joseph Pitton Tournefort qui explora de 1700 à 1702 une partie du pourtour méditerranéen, s'est poursuivi par celui de Carl von Linné en Laponie en 1732, de Michel Adanson, botaniste français qui résida au Sénégal comme employé de la compagnie des Indes de 1749 à 1754... Dans la seconde moitié du XVIIIe, de grandes expéditions scientifiques furent organisées et financées par les Etats, avec des objectifs commerciaux ou politiques, quand ce n'était pas militaires (comme l'expédition d'Egypte, sous Bonaparte). La concurrence entre les Européens, notamment franco-anglaise, s'est s'affirmée, contexte dans lequel se sont inscrits les voyages de Cook, Bougainville et La Pérouse. Mais les voyages de naturalistes solitaires n'ont pas cessé pour autant : les carnets de voyages d'Alexander von Humboldt, physicien et géographe allemand qui partit avec le botaniste Aimé Bonpland en Amérique latine de 1799 à 1804, firent également partie des lectures attentives du jeune Darwin. Le nom de Humboldt figure souvent, du reste, dans les controverses de l'époque sur la transformation des espèces.

1,112 - La classification des espèces et les problèmes soulevés par la géographie botanique

Le botaniste suédois Linné, à qui l'on doit l'invention du système binominal de classification des espèces, entreprit cette tâche à l'issue du voyage en Laponie qu'il effectua en 1732. Il faut s'imaginer l'effervescence que

17DROUIN J.M. "De Linné à Darwin: les voyageurs naturalistes", In : Eléments d’histoire des sciences (sous la direction de Michel Serres), Bordas, « Cultures », Paris, 1990, pp. 321-336.

provoquait l'arrivée de nouvelles collections d'espèces dans les jardins botaniques et les musées créés à cet effet, et le titanesque travail de recensement accompli : le nombre d'espèces de plantes connues s'est accru de plusieurs milliers en quelques décennies18. Or aucun progrès n'aurait été

possible sans une mise en ordre qui permît aux futurs voyageurs et naturalistes de profiter de l'apport de leurs prédécesseurs : il fallait rédiger des flores permettant aux botanistes d'identifier sans ambiguïté les espèces déjà connues, sans quoi les savants risquaient de refaire sans cesse le même travail. Il s'agissait aussi d'instaurer un classement permettant la comparaison des espèces entre elles, donc un système logique de rassemblement et de présentation des collections. Linné n'acheva sa classification qu'en 1758, date de parution de la dixième édition de son Systema naturae, édition dans laquelle il généralisait au monde animal le système instauré pour le règne végétal. Ce système organise les espèces en six classes subdivisées en ordres, genres et espèces. A ces dernières est attribuée une appellation "binominale" comprenant un nom générique et un nom spécifique. Cette classification, fondée sur la morphologie des espèces, fut bien accueillie. Mais elle laissait nombre de questions en suspens : des espèces voisines, classées comme telles, se trouvaient habiter des continents différents, certaines espèces rangées côte à côte dans les jardins n'avaient aucune chance de se rencontrer dans la nature. Un ordre plus géographique, ou encore climatique, n'aurait-il pas mieux répondu aux attentes ? Et comment expliquer cette étrange distribution ? On pensait que certaines espèces ne se rencontraient qu'en un lieu donné parce qu'elles y étaient particulièrement "acclimatées". On privilégiait notamment la question des températures, donc des latitudes, mais on observait pourtant que la distribution des espèces était plus géographique que climatique ; les mêmes milieux n'abritaient pas forcément les mêmes espèces. La pratique de

l'acclimatation en Europe des plantes exogènes soulevait les mêmes questions. En cas d'acclimatation réussie, "comment expliquer l'absence initiale d'une plante dans la flore locale alors que leur naturalisation prouvait à l'évidence que le milieu leur convient ?19". Cette question resta en suspens plus d'un

siècle. C'est à elle que les évolutionnistes ont entrepris de répondre par l'origine et l'histoire particulière des espèces.

1,113-Fixisme et transformisme

Les questions résumées au paragraphe précédent étaient pour les hommes du XVIIIe siècle d'ordre ontogénétique. On le comprend aisément : le monde chrétien n'avait jamais été dans un contact aussi étroit et effervescent avec le reste de la Création. Les découvertes des voyageurs l'obligeaient à s'interroger sur le sens et les modalités de la création du monde vivant, en somme sur les desseins de Dieu, dans des sociétés qui n'avaient pas consommé la rupture du politique et du religieux. Et sur l’origine du monde vivant, la Bible offrait le récit intangible de la Genèse.

Néanmoins la cosmogonie chrétienne chancelle au moment même, ce n'est pas une coïncidence, où des systèmes scientifiques sont construits dans toutes les grandes disciplines, notamment en mathématiques, physique et astronomie. Les deux grands modèles de l'époque sont la Mécanique

analytique de Joseph-Louis Delagrange (1788) -qui déduit d'un seul principe,

celui des vitesses virtuelles, l'ensemble des disciplines du repos et du mouvement, statique et dynamique, pour les solides, les liquides et les gaz- et l'Exposition du système du monde (1796) suivi de la Mécanique céleste (1798- 1825) de Pierre-Simon Laplace, pour qui le monde constitue un système en ce que toutes les figures et tous les mouvements réels ou apparents observables se

déduisent sans exception de la loi des forces centrales, dite de Newton. Le monde est un système par unicité, déduction, cohérence : il découle d'un grand principe20. Au XVIIIe, chaque discipline tend à édifier un grand

système découlant de la même façon d'un principe simple, cohérent, universel. L'idée que les espèces ne sont pas fixes depuis l'aube de la création (fixisme) mais se transforment graduellement de génération en génération (transformisme) se trouve inégalement développée chez Maupertuis, Antoine- Nicolas Duchesne (qui aurait observé la première mutation, avant Hugo de Vries, sur une variété de fraises, en 1761), Diderot, Buffon, et Geoffroy de Saint-Hilaire. Jean-Baptiste de Monet de Lamarck, puis Charles Darwin se sont inscrits dans cette continuité. Le premier, auteur de la Philosophie zoologique (1809), considéré comme le premier vrai théoricien du transformisme et le fondateur de la biologie (on lui doit la création du mot), a pensé, lui aussi, que la vie se déroule selon un plan d'ensemble :

“ Irréversiblement, le temps compose, complique, perfectionne, fait admirer un progrès. Mais ça et là des causes étrangères ou aberrantes traversent, sans le détruire, l'exécution de ce plan (...) Ces causes résident dans les circonstances: climats, milieux, sols et météores, pour tout dire le concret qui résiste à la manière d'un chaos feuillu à l'irrésistible avancée du plan unique...21.”

Une deuxième loi traverse donc la première loi (le plan) :

“ Il sera, en effet, évident que l'état où nous voyons tous les animaux, est, d'une part, le produit de la composition croissante de l'organisation qui tend à former une

gradation régulière et, de l'autre part, qu'il est celui des influences d'une multitude de

circonstances très-différentes qui tendent continuellement à détruire la régularité dans la gradation de la composition croissante de l'organisation22. ”

20Tous les éléments d'analyse des traités scientifiques contenus dans ce paragraphe sont

empruntés, littéralement à Michel SERRES, Paris, 1800, in : Eléments d'histoire des sciences.

sous la direction de Michel Serres, Paris, Bordas, coll. Cultures, 1990, pp. 337-361. 21SERRES, Paris, 1800, opus cité.

22LAMARCK JB, Philosophie zoologique ou Exposition des considérations relatives à l'histoire naturelle des Animaux; à la diversité de leur organisation et des facultés qu'il en obtiennent; aux causes physiques qui maintiennent en eux la vie et donnent lieu aux

mouvements qu'ils exécutent; enfin, à celles qui produisent les unes le sentiment, et les autres l'intelligence de ceux qui en sont doués. Germer Baillère, Paris, nouvelle édition, 1830. Chap

VII, p.221. Les mots en caractères gras reproduisent la mise en exergue que l'auteur a faite de ces mots en italiques dans le texte.

La transformation des espèces résulte des nécessités de l'adaptation aux changements du milieu :

"Mais de grands changemens dans les circonstances amènent, pour les animaux, de grands changemens dans leurs besoins et de pareils changemens dans les besoins en amènent nécessairement dans les actions. Or, si les nouveaux besoins deviennent constans ou très-durables, les animaux prennent alors de nouvelles habitudes, qui sont aussi durables que les besoins qui les ont fait naître. Voilà ce qu'il est facile de démontrer, et même ce qui n'exige aucune explication pour être senti. [...] Or, si de nouvelles circonstances devenues permanentes pour une race d'animaux, ont donné à ces animaux de nouvelles habitudes, c'est-à-dire les ont portés à de nouvelles actions qui sont devenues habituelles, il en sera résulté l'emploi de telle partie par préférence à telle autre, et, dans certains cas, le défaut d'emploi de telle partie qui est devenue inutile23."

A la différence de Buffon, qui faisait du milieu un acteur direct dans la transformation des espèces, Lamarck précise clairement que le milieu est la cause première de cette transformation mais que l'individu est un acteur essentiel, par les efforts qu'il fait pour répondre aux besoins nouveaux imposés par les changements du milieu.

"[Que] tout nouveau besoin, nécessitant de nouvelles actions pour y satisfaire, exige de l'animal qui l'éprouve, soit l'emploi plus fréquent de telle de ses parties dont auparavant il faisoit moins d'usage, ce qui la développe et l'agrandit considérablement, soit l'emploi de nouvelles parties que les besoins font naître insensiblement en lui, par des efforts de son sentiment intérieur ; ce que je prouverai tout à l'heure par des faits connus24."

Le besoin, donc, engendre des habitudes qui, insensiblement, avec le temps, sur un nombre considérable de générations, modifient la "forme" et la "nature" des "organes" ou des "parties" des individus, ainsi que leur "organisation" ou "l'état de composition de leur organisation". Ces modifications sont transmissibles à la descendance par "voie de génération25" :

23Id, p.222. 24Id, p.234.

25La pensée théorique de Lamarck est rendue malaisée par l'emploi de termes assez généraux,

et qui ne recoupent pas, bien sûr, les concepts en usage aujourd'hui dans les sciences de l'hérédité et de l'éthologie. Le terme habitude par exemple, paraît désigner l'ensemble des comportements propres à une espèce, sans que bien sûr une distinction soit faite (et pour cause en 1809) entre ce qu'on nomme aujourd'hui les comportements innés ou acquis. En tout état de cause, ce ne sont pas les comportements qui sont hérités mais les modifications produits par eux sur les corps par la persistance des ces "habitudes"sur un grand nombre de générations