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La divergence des caractères à l’intérieur d’une espèce est, en conséquence, un acquis positif dans la lutte pour l’existence,

1,12 LE NOIR, DARWIN ET L'EVOLUTION

4) La divergence des caractères à l’intérieur d’une espèce est, en conséquence, un acquis positif dans la lutte pour l’existence,

ainsi qu'un signe d'évolution supérieure: Mais les progrès de l'organisation sont difficiles à définir: "[... Pour tous les vertébrés, il

s'agit évidemment d'un développement intellectuel et d'une conformation approchant de ce qu'ils sont dans l'homme64".

5) La sélection naturelle est un mécanisme second par rapport à la variation : "sans ces variations avantageuses, la sélection naturelle ne

peut rien (p.96)". Elle n'agit que par conservation et accumulation des

variations avantageuses dans une même direction, au fil des générations.

5) La concurrence vitale entre les individus est "plus sérieuse

entre les individus et les variétés de la même espèce" car "ils

62Notion préfigurant celle de “ gènes neutres ” et la théorie neutraliste de Kimura ? 63DARWIN C. opus cité p.94.

64BUICAN D., Darwin et le darwinisme, p.52. Si l'on ne peut parler de “ finalisme ” chez

Darwin, il y a quand même l’idée que l’évolution a un sens, celui vers lequel tend le mécanisme de la sélection, vers des être de plus en plus complexes ; l’Homme est l’aboutissement (mais non la fin) de ce processus.

fréquentent le même district, exigent la même nourriture, sont exposés aux mêmes dangers." Elle est aussi plus sérieuse entre les espèces du

même genre qu'entre des espèces d'un genre voisin, pour les mêmes motifs. En conséquence, la lutte à l'intérieur de l'espèce est la base de la sélection, davantage que la lutte entre les espèces.65.

6) Les variations étant accidentelles et la sélection agissant de manière empirique dans des conditions données d'existence, il n'existerait aucune nécessité consubstantielle à l'évolution, aucune tendance de la nature vers le perfectionnement ou le progrès, aucun destin à la transformation des espèces. En ceci Darwin romprait66peut-

être avec certaines conceptions antérieures, notamment avec l'idée d'une finalité.

Certains auteurs voient dans cette dernière affirmation, en rupture avec toute téléologie, l'aspect le plus "révolutionnaire" de la pensée darwinienne67.

65DARWIN C., opus cité p.89. Cette notion en particulier a beaucoup gêné les marxistes. 66Le conditionnel vient du fait que sur le sujet de Dieu comme sur celui d'une finalité dans la

nature, Darwin semble avoir tergiversé. Les positions laïques sont plus nettes vers la fin de sa vie. Par ailleurs Darwin est toujours extrêmement prudent sur les aspects métaphysiques de la théorie, questions qu'il semble se poser souvent mais au sujet desquelles il n'ose jamais vraiment conclure. Ainsi dans la 6e édition anglaise qui a fourni le texte de la seconde

traduction, il explique que les variations se font "par hasard" et aussitôt il ajoute "nous voulons dire par là que nous n'en connaissons pas la cause". Pourtant il n'a pas parlé d'emblée de "variations de cause inconnue". Aucun lecteur ne peut s'empêcher d'aller plus loin sur une pensée que Darwin peinait visiblement à exprimer. Mais il apparaît certain qu'au sein d'un débat entre hasard et nécessité, Darwin fournissait au hasard des arguments incontournables. Le transformisme de Lamarck, dont le mécanisme est physiologiste, à la différence de celui de Darwin qu'on qualifiera, à la suite d'autres auteurs, de probabiliste, faisait état d'un "plan" et d'une disposition consubstantielle au vivant à la complexification croissante.

67Notamment PROVINE W. "Mécanisme, dessein et éthique ; la révolution darwinienne

inachevée", in : De Darwin au darwinisme. Science et idéologie, VRIN, Paris, 1983, pages 113-121.

On ne prendra pas parti. De fait il est moins intéressant, pour le sujet de ce travail, de savoir si Darwin avait une pensée "révolutionnaire" ( au sens où la révolution scientifique servirait la cause d'une révolution philosophique ou politique) mais qu'on l'ait jugée telle à l'époque (Marx lui-même -cf. § 1,23) et encore en 1982, rétrospectivement. On songera que ce qui touche à Darwin, touche aux soubassements des constructions idéologiques majeures du XIXe et du XXe siècles, que cela est toujours sensible aujourd'hui. Par ailleurs la pensée d'auteurs comme Darwin n'est pas toujours aisée, sur ce sujet et sur d'autres, à saisir :

1,121- B) Les variations individuelles, le mécanisme biologique de l’évolution

1) Il existe des variations à l’intérieur d’une espèce, qui sont héréditairement transmissibles et conduisent à la spéciation sous l'action de la sélection naturelle. Les espèces dérivent donc les unes des autres à partir d’une origine commune.

2) Les variations peuvent être nombreuses; elles sont cependant de faible amplitude. “Ce n'est pas non plus qu'une variabilité considérable soit

nécessaire. [...] Je ne crois pas davantage qu'il faille nécessairement de grands changements dans le climat ou un isolement complet...]68". Seul un

temps extrêmement long explique l’évolution.

3) Les variations biologiques étant dues essentiellement "au hasard" (cf. note n° 66), le modèle évolutionniste de Darwin est en partie probabiliste, mais conçoit que le milieu peut produire certaines variations. Par exemple il admet que le défaut d’usage peut conduire à l’atrophie d’un organe et que celle-ci se transmette à la descendance. Il a du reste accordé de plus en plus de place à ce mécanisme avec le temps. Mais le milieu

1) L'homme a vécu et écrit longtemps. Son attitude et sa sensibilité ont donc, comme il est normal, varié au cours de son existence.

2) Des contradictions existent entre les textes (toutes les éditions ont été revues et augmentées), et souvent au sein d'un même texte.

3) Il n'est pas non plus facile de déterminer dans quelle mesure les propositions finalistes disséminées ici ou là dans l'oeuvre ou la correspondance, sont imputables au souci de ne pas choquer la sensibilité religieuse d'autrui (Emma Darwin, par exemple, souffrait beaucoup des positions agnostiques de son époux) ou à un souci de respectabilité. On pourrait faire des remarques de même nature au sujet des convictions réelles de Jean-Baptiste Lamarck, beaucoup plus menacé que Darwin par la censure. Sur ce point de la vie de Darwin, on peut lire dans le même ouvrage que le texte de PROVINE cité ci-dessus l'article de James R. MOORE: "Le profil de carrière de Darwin : son aspect ecclésiastique", pp.77-93. Toutefois il nous paraît nécessaire de distinguer les conceptions darwiniennes sur la transformation des espèces et la sélection naturelle, qui n'ont pas besoin de l'idée de Dieu pour se soutenir, des interrogations métaphysiques de l'homme Darwin. Ces deux aspects de sa pensée ne se confondent pas.

agirait d'une autre façon, rarement signalée par les "exégèses", en provoquant de la variabilité. En effet Darwin, se fondant sur la difficulté qu'il y a à faire se reproduire des animaux sauvages dans des conditions de captivité, croyait que les variations, dont il ne se prononce pas sur la cause organique ou ontologique, étaient engendrées par des modifications du "système reproducteur" sous l'action des modifications du milieu, généralement avant la conception :

"Mais je suis très-disposé à admettre que les causes de variabilité les plus fréquentes doivent être attribuées à ce que les organes reproducteurs du mâle et de la femelle ont été plus ou moins affectés avant l'acte de la conception69."

"Un changement dans les conditions de vie, en agissant sur le système reproducteur, cause ou accroît la variabilité; [...] ce serait donc un moment favorable à la sélection naturelle, puisqu'il y aurait plus de chances pour que des variations avantageuses se produisent...]70".

1,122- La Descendance de l’homme (1871) selon Darwin.

Il est significatif que Darwin n’a pas abordé la question humaine dans

l’Origine des espèces, bien que sa conviction fût faite depuis longtemps. En

1871 il osa71; c’est The Descent of Man, and Selection in Relation to Sex (l'ascendance de l’Homme et la sélection sexuelle72), publié douze ans plus

tard. Et pourtant, à la lecture, un certain nombre de passages semblent relever d'un niveau épistémologique antérieur à l'Origine des espèces. Nous tendons à accréditer l'analyse de Madame Yvette Conry73 faisant état d'une "régression

69id. p.16. 70id. p.97.

71Lamarck avait avant lui étendu ses convictions tranformistes jusqu'à l'Homme.

72Nous nous sommes servi de l'édition française de 1891 de la Descendance de l'homme et la sélection sexuelle, traduite par Edmond Barbier d'après la seconde édition anglaise revue et

augmentée par l'auteur (3e édition française, Reinwald et Cie, Paris, 1891, 721 pages). On note que le traducteur a traduit malheureusement the Descent par la Descendance.

73CONRY Y. "Le statut de la Descendance de l'Homme et la sélection sexuelle", in : De Darwin au darwinisme. Science et idéologie, VRIN, Paris, 1983, pp. 167-186.

philosophique", qui ressortirait de l'analyse comparative des positions épistémologiques des deux textes d'une part, d'autre part du cheminement intellectuel tel qu'on peut le suivre au long des carnets de notes de Darwin. Cette analyse nous semble pertinente pour la compréhension des ambiguïtés, lourdes de conséquences politiques et sociales, du darwinisme. Celles-ci résident à l'intérieur même de la pensée de Darwin qui, a étendu une théorie des espèces réellement scientifique à un champ d'application philosophique et sociologique d'où l'idéologie n'est pas absente.

Afin de faire ressortir ces ambiguïtés, leurs conséquences et les prolongements qu’elles ont eus dans l’érudition occidentale sur l'histoire de l'Afrique, il convient de résumer les conceptions principales de la pensée darwinienne dans la Descendance.

1,122-A) Présentation de l'ouvrage