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L'EVOLUTIONNISME EN OCCIDENT A L'EPOQUE DE LA CONQUETE COLONIALE

B 2 Loi de l'hérédité ancestrale

Cette loi a été abondamment commentée (cf. bibliographie mentionnée sur Galton). Son appellation est en fait due à Karl Pearson qui lui donna un contenu différent, mais Galton avait parlé d'une loi générale de l'hérédité qui a émergé de sa pensée comme un approfondissement de la loi de réversion. Sa définition, tant verbale que mathématique, a évolué de 1865 où elle est déjà contenue en germe, à 1897 où elle est en dernier formulée et commentée. Nous nous bornerons à cette conception finale. Il s'agit d'évaluer la contribution de chaque ancêtre à l'hérédité de l'individu. Depuis le début de ses investigations, Galton semble s'être figuré que les contributions ancestrales se répartissaient selon une série géométrique dont la somme est égale à un106. Ainsi qu'il est

désormais connu, la "loi" est formulée deux fois dans le même texte, de manière très différente et à quelques pages d'intervalle. Galton semble n'avoir pas perçu les sens divergents que ces deux formulations supposaient:

La première se présente ainsi :

« Soit M la valeur moyenne à partir de laquelle tous les écarts sont calculés, et D1, D2, etc., les moyennes des écarts des ancêtres de 1er, 2ème, etc., degré, en tenant compte du signe de l'écart. On a :

1/2(M+D1) + 1/4(M+D2) + etc.. = M + D1 + 1/4 D2 etc107»

106"Le père transmet, en moyenne, une moitié de sa nature, le grand-père un quart, l'arrière- grand-père un huitième; la contribution décroît étape par étape selon une raison géométrique, avec une grand rapidité". GALTON F. "Hereditary Talent and Character",

1865. Macmillan's Magazine, 12, p.326. cité par GAYON J. opus cité p.144.

107GALTON F. "The Average Contribution of each several Ancestor to the Total Heritage of

the Offspring", 1897, Proceedings of the Royal Society of London, 61, 401-413, p.402 cité par GAYON, opus cité p.145.

99 Dans cette équation, chacun des membres de l'équation exprime la constitution de l'héritage de la progéniture, ce qui signifie que chaque ancêtre moyen lègue une fraction de sa propre particularité.

La seconde formulation est reproduite ci-dessous :

« Les deux parents contribuent à eux deux à la moitié (0,5) de l'héritage total de l'enfant; les quatre grand-parents contribuent au quart, soit (0,5)2; les huit arrière-grands-parents contribuent à un-huitième, soit (0,5)3 et ainsi de suite. Ainsi la somme des contributions ancestrales est exprimée par la série [(0,5)+(0,5)2+(0,5)3+ etc.] »108.

Ce qui signifie que chaque ancêtre moyen contribue à proportion de 1/2, 1/4, etc., à la particularité de l'enfant.

La loi de l'hérédité ainsi conçue, voulait illustrer en les expliquant les phénomènes de réversion qui représentaient le schème principal de la pensée galtonienne sur l'hérédité. Le paradoxe est que, issue du désir de conforter le darwinisme, la pensée de Galton débouchait sur une contradiction majeure de l'hypothèse centrale de Darwin, la sélection naturelle. Celle-ci se trouvait incapable d'affranchir l'individu biologique des caractéristiques propres à son type ou à sa race109. L'évolution devait donc trouver d'autres moyens pour cela.

B3) Ebauches du "saltationnisme"

Galton imagina une théorie des "sports" par analogie avec l'équilibre mécanique d'une pierre : de même que de légères poussées font osciller une pierre autour d'une de ses positions d'équilibre sans la renverser, de même de minimes variations n'affecteront pas le destin d'une espèce. Par contre une poussée plus brutale retournera une pierre aux formes assez accidentées pour posséder plusieurs positions d'équilibre stable110. Ceci inaugurait une théorie

108Ibid cité par GAYON J., opus cité p.145.

109Le langage statistique de Galton traduit du reste le langage courant de l'époque sur les

croisements interraciaux: les éleveurs parlaient de pur-sang, de demi-sang etc... De même dans le langage des métissages humains parlait-on de terceron, quarteron, quinteron...

110Analogie retenue par Galton dans Natural inheritance (1889) selon THOMAS J.P. ibid p.

100 de l'évolution par sauts brusques sensiblement différente de la théorie continuiste de Darwin : Galton ayant contesté que la sélection naturelle ait quelque prise sur les petites variations individuelles soumises à la loi de la régression à la moyenne, ce processus ne pouvait s'envisager que sur des variations brusques et de grande amplitude. Cette hypothèse, dite encore "saltationniste" inaugure un débat, crucial jusque dans les années 1930 mais qui parcourut en fait tout le siècle et demeure ouvert jusqu'à nos jours. Mais ceci explique, comme le souligne Jean Gayon, que Galton "ait eu une égale influence à la fois sur les premiers mendéliens, tous fermement mutationnistes et anti-darwiniens, et sur les darwiniens orthodoxes de l'école biométrique, car la représentation statistique de la variation fournissait l'image la plus suggestive qui soit des "petites différences" de Darwin"111.

Mais sans anticiper sur le développement de ces controverses, il demeure qu'à la fin du XIXe, après la mort de Charles Darwin, la doctrine d'un de ses principaux défenseurs et continuateurs, Francis Galton, débouchait sur des contradictions fondamentales entre diverses notions : l'évolution et la réversion (rebaptisée régression dans la suite des travaux de Galton)112, la

sélection et la variation graduelle.

111GAYON J. opus cité p.157.

112En outre ce principe débouchait sur une difficulté pour le programme eugéniste : si

l'essentiel de l'évolution repose sur des "sauts", on ne peut guère attendre de bons résultats d'un programme d'unions fondé sur la prise en considération de variations légères, jugées positives certes mais soumises à la loi de la régression.

101 1,212 - Contributions de la génétique à la théorie de l'évolution par

la sélection naturelle.

1,212 -A) Weismann (1883)

Ce qu’il est convenu aujourd'hui de nommer “ néo-darwinisme ” est une version expurgée et enrichie de la théorie de Darwin sur l’évolution et la sélection naturelle. L’expurgation concerne les aspects relatifs à l’hérédité des caractères acquis ; l’enrichissement est apporté par les progrès de la biologie expérimentale sur l’hérédité. Ceci s’est effectué en plusieurs étapes, à partir de Weismann qui fut qualifié ainsi de "néo-darwinien" ou "d'ultra-darwinien" par la critique de l'époque113:

Auguste Weismann (1834-1914), naturaliste et zoologiste allemand, défendit une théorie de l’hérédité reposant sur une conception corpusculaire du patrimoine héréditaire, incompatible avec « l’hérédité des caractères acquis »114. Cette théorie, qui préfigure la théorie chromosomique de l’hérédité,

reposait sur l’idée que les caractères héréditaires sont contenus dans un tissu particulier, le “ plasma germinatif ” ou “ germen ” et que seul ce tissu peut être sujet à des variations héréditaires. Le reste, le corps de l’individu (comme celui de la cellule) peut se modifier sous l’action du milieu mais ces variations ne sont alors pas transmissibles. Il supposait également que le principe déterminant de la cellule se situe dans le noyau, ce qui anticipe la découverte de l’ADN. On doit aussi à Weismann une expérience célèbre et spectaculaire contre la théorie néo-lamarckienne ; il coupa les queues de souris de laboratoire sur plusieurs générations afin de démontrer que cette opération était

113GAYON J. Darwin et l'après-Darwin..., opus cité p.156.

114WEISMANN A. "La continuité du plasma germinatif comme base d’une théorie de

102 sans incidence sur la progéniture : les souris naissaient toujours avec des queues.

Selon Jean Gayon, le refus intransigeant de Weismann en regard de l'hérédité des caractères acquis était étroitement lié à sa conviction de la suffisance explicative de la sélection naturelle comme moteur de l'évolution. On conçoit qu'il ait été qualifié "d'ultra-darwinien", quoique sa vision des processus conjoints de l'hérédité, de la sélection et de l'évolution ait en cela profondément divergé de Darwin, pour des motifs du reste opposés à ceux de Galton. Darwin et Galton voyaient en effet dans l'hérédité une disposition du vivant capable de conserver les caractéristiques propres du type ou de l'espèce. Pour Weismann, c'est à la sélection naturelle que revient la responsabilité de conserver aussi bien que de modifier : dans une situation d'arrêt de la sélection sur un caractère donné, ce caractère dégénérerait (théorie de la panmixie). "Une espèce stable en un point du temps doit donc être vue comme une mosaïque de caractères tous soumis à l'action de la sélection constante et normalisante de la sélection naturelle"115. Jean Gayon a signalé que la réflexion sur la panmixie

est directement liée à la réfutation du principe lamarckien du non-usage, autrement dit à l'hérédité de l'acquis. On comprend dans cette perspective comment la théorie de Weismann alimente les craintes du siècle sur la dégénérescence de la race dans des sociétés civilisées où la sélection opérée par l'impitoyable nature se trouve contrecarrée. Nous retiendrons ceci pour la suite.

1,212-B) Mendel (1865, 1900) et les lois de l’hérédité

Les résultats de Mendel étaient disponibles dès 1865, mais alors ils furent ignorés. Cette absence de réaction du monde scientifique devant les

103 expériences de Mendel est toujours expliquée par le fait “ qu’elles ne se rattachaient à rien ”, comme s’il avait fallu Weismann pour que Mendel donne un sens à Darwin. Ces résultats auraient été "redécouverts" en 1900. Nous questionnerons cette explication plus loin (cf. § 1,133). Il est remarquable aussi, du point de vue de l'histoire des sciences, que les lois de Mendel soient parfois livrées par une certaine vulgarisation scientifique comme une confirmation des théories de Darwin116, ce qui pourrait masquer que la

majorité des pionniers du mendélisme les ont perçues comme une contradiction : dans leur perspective, la nouvelle science expérimentale de l'hérédité constituait une nouvelle théorie de l'évolution, non darwinienne, la théorie dite "mutationniste".

Johan Mendel (en religion Gregor Mendel) naquit en 1822 en Silésie117,

de paysans aisés. Il fut ordonné prêtre en 1847 et étudia les sciences physiques et naturelles de 1851 à 1853, puis retourna à son monastère. Là, durant 8 années consécutives, il observa la transmission de plusieurs caractères génétiques sur des petits pois et en déduisit les lois statistiques qui régissent l’hérédité de caractères appelés depuis “ mendéliens ”. Ces observations suggéraient que, dans le cadre d’une reproduction sexuée, les éléments héréditaires en provenance des deux géniteurs sont redistribués au hasard dans la progéniture, mais sans se mélanger, de façon indépendante et même juxtaposée, susceptible de s’associer ou de se dissocier à chaque fécondation. Mendel n’avait aucune idée sur la nature des éléments en question, qu’on appela plus tard “ gènes ”. Ces résultats furent publiés dans les Comptes-

116Voir par exemple le résumé qu'en a fait Denis BUICAN dans le "QSJ ?" déjà cité. Par

ailleurs nous nous souvenons de certains cours de génétique ou d'histoire des sciences, au lycée puis plus tard à l'université, ou les choses étaient ainsi présentées. Aussi la lecture de Jean Gayon a été pour nous une surprise.

117Les éléments biographiques sont empruntés à William BOYD. Génétique et races humaines. Introduction à l'anthropologie physique moderne. Payot, Paris, 1952 qui lui-même

104

rendus de la Société d'histoire naturelle de Brunn118, une revue distribuée dans

différentes parties du monde. Les observations de Mendel furent "redécouvertes", donc, simultanément par Hugo de Vries en Hollande, Correns en Allemagne et Tschermak en Autriche. Le premier d’entre eux est l’auteur du “ mutationnisme ”.

118MENDEL G. Versuche über Pflanzen-Hybriden. Verhandlungen des naturforschenden

Vereines in Brünn, 1865, 4, 3-47. Il existe une traduction française de 1907 : "Recherches sur les hybrides végétaux". Bulletin scientifique, 41, 371-419.

105 1,212 -C) Hugo de Vries et la question des mutations

Bien que Hugo de Vries ne fut pas le premier à observer une mutation, il théorisa ce fait et imposa le mutationnisme au monde scientifique. Son apport à la théorie de l’évolution fut d’avoir réintégré, au moins virtuellement, le rôle des macro-évolutions dans le processus évolutif (variations de grande amplitude produites par de brusques mutations chromosomiques susceptibles de rendre compte du passage d’une espèce à une autre). Nous avons vu plus haut que Darwin avait décrit la transformation des espèces comme un processus graduel, les macro-mutations ayant peu de chances selon lui d’être retenues par la sélection naturelle. Cependant la paléontologie ne rendrait pas compte d’un tel processus : il manquerait alors bien des maillons fossiles à la chaîne de l’évolution. Pour de Vries et pour d’autres, les micro-mutations ne pourraient rendre compte que des variations à l’intérieur d’une espèce, mais pas de la production d’espèces nouvelles, ni des grandes transformations biologiques, comme le passage des reptiles aux oiseaux, de l’émergence des mammifères etc... Ce problème n’est pas encore résolu à l’heure actuelle. On reviendra plus loin sur ce problème, parmi d’autres controverses sur la question de l’évolution.

1,22 - DESTIN DU DARWINISME DANS LA PENSEE SCIENTIFIQUE DES