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Je m‟intéresse de façon plus précise au thème « Nature et écriture des nombres ». Qu‟est-ce qui est ciblé précisément comme contenus à enseigner dans ce thème ? Quelle est la technologie qui sous-tend l‟unité de ce thème ? Voilà les deux questions que je vais travailler.

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Les savoirs à enseigner sont précisés dans le curriculum officiel, je rappelle l‟essentiel des demandes :

un objectif général du programme est le suivant : « Approfondir la connaissance des différents types de nombres » ;

une demande du document d‟accompagnement est de faire « une synthèse des connaissances rencontrées jusque là par les élèves » et d‟introduire « les notations usuelles des différents ensembles » ;

un lien numérico-géométrique est à réaliser conformément au programme : « L‟ensemble des réels est l‟ensemble des abscisses des points d‟une droite (admis) ».

5.5.1 Le lien entre nature d’un nombre et écriture d’un nombre

Les savoirs à institutionnaliser sont répertoriés dans le tableau suivant (Cf. Tableau 5) dans lequel sont synthétisés tous les critères de reconnaissance des différents types de nombres à travers les diverses écritures les caractérisant. Des éléments du tableau sont surlignés en gris ce qui signifie qu‟ils ne sont pas conformes au programme. Cependant pour un nombre : être réel mais ne pas être rationnel, cela le définit comme un irrationnel (ce qui est dans le programme) et la notation de cet ensemble sous la forme -est intéressante comme représentation pour désigner cet ensemble. De la même façon l‟opposition décimal/idécimal est à développer comme étant une problématique centrale dans l‟enseignement secondaire (Bronner, 1987), et la notation -exprime cet ensemble des réels privés des décimaux. Bronner dans sa thèse a créé les nombres idécimaux, c'est-à-dire non décimaux, en reprenant l‟opposition décimal/idécimal sur le modèle de rationnel/irrationnel et a montré un vide didactique à propos de l‟étude des décimaux. Le terme idécimal n‟est pas à utiliser avec les élèves, un synonyme de idécimal est non décimal.

Dans ce tableau, les critères de reconnaissance des types de nombres suivent en particulier une proposition qui se trouve dans un thème optionnel du programme de seconde et qui est la suivante : « Caractérisation des éléments de et de , soit en terme de développement décimal fini ou périodique, soit comme quotient irréductible d‟entiers (le dénominateur étant ou non de la forme 2p× 5q

). » Il est à remarquer que la distinction entre etn'estpas claire dans cet énoncé dans lequel il faut implicitement reconnaître ce qui caractérise un élément de ou de.

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Ensemble de nombres

Écriture décimale sans aucun zéro inutile

Exemple d‟écriture décimale Écritures caractéristiques Exemple  Entiers naturels

Une partie entière, sans virgule et sans partie

décimale 2009  Entiers relatifs un signe + ou – suivi d‟une partie entière,

sans virgule et sans partie décimale

–2009

Le nombre est composé d‟une valeur absolue1 qui est un entier, et d‟un signe qui est soit + ; soit -



Décimaux

La partie décimale contient un nombre fini

de chiffres (éventuellement nul) –2009 –23,015 𝑎 × 10−𝑛 (𝑎 ∈) (𝑛 ∈) –23015× 10−3 𝑎 10𝑛 (𝑎 ∈) (𝑛 ∈) −23015 1000 𝑎 2𝑝× 5𝑞 (𝑎 ∈) (𝑝 ∈) (𝑞 ∈) – 4603 23× 52  Rationnels

La partie décimale peut être finie, ou être infinie

et périodique –425,6138 𝑎 𝑏 (𝑎 ∈) (𝑏 ∈*) – 708647 1665  Réels

La partie décimale peut être finie, être infinie et

périodique ou non –23,015 –425,6138 5,101001000… - Idécimaux

La partie décimale est infinie

–425,6138…

5,101001000…

-

Irrationnels

La partie décimale est infinie et non périodique

5,101001000…

Tableau 5: les ensembles de nombres et les écritures associées

L‟importance de l‟écriture décimale apparaît clairement dans ce tableau. L‟écriture décimale d‟un réel existe quel que soit ce réel et ce tableau synthétise les différentes caractéristiques de

1

La valeur absolue peut être désignée par distance à zéro, notion travaillée au collège. Elle peut également être introduite, ou reprise, à ce moment de l‟enseignement

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ces écritures en fonction de la nature du nombre. Une question comme « quelle est la partie décimale de 1329 » est donc légitime et devrait pouvoir être posée en classe de seconde. Un parallèle est à faire avec la recherche de la partie entière d‟un réel qui est une question qui se pose dans certains problèmes.

Je rappelle une définition1 de la partie entière et de la partie décimale d‟un réel dans le savoir de référence :

On appelle partie entière d‟un réel x et on note 𝐸(𝑥) ou 𝑥 le plus grand entier qui lui est inférieur ou égal. Il est caractérisé par 𝐸 𝑥 ∈ ℕ ∧ 𝐸 𝑥 ≤ 𝑥 < 𝐸 𝑥 + 1. 𝑥 − 𝐸(𝑥) est appelé partie décimale ou partie fractionnaire de x, et est noté [𝑥].

Il apparaît nécessaire de fixer des règles concernant le registre des écritures décimales à savoir :

Des pointillés après le dernier chiffre de la partie décimale traduisent le fait que la partie décimale est illimitée ;

Si l‟écriture décimale est infinie et périodique la période est soulignée (soit au dessus des chiffres, soit au dessous), ou alors elle est précisée en langage naturel. Les pointillés sont alors superflus.

5.5.2 Travail de la technique dans le thème « Nature et écriture des nombres »

5.5.2.1 Une praxéologie locale en lien avec une technologie

Je reviens à la deuxième question qui était de savoir quelle technologie commune sous-tend ce thème « Nature et écriture des nombres ». Pour répondre à cette question le tableau donne à voir le lien étroit pour un type de nombres entre sa nature et son écriture. À la question : « de quelle nature est ce nombre ? » la réponse générale est de reconnaître l‟une des formes d‟écriture décrites dans le tableau qui signe la nature du nombre, si cette reconnaissance n‟est pas possible alors un travail de transformation de l‟écriture du nombre est nécessaire pour obtenir l‟une des écritures caractéristiques (ou canoniques). La technologie sous-jacente est alors composée par les écritures canoniques des différents types de nombres et de l‟ensemble des règles de transformations des écritures des nombres pour parvenir à l‟une des écritures canoniques caractéristique d‟un type de nombre.

Des questions – et même des raisons d‟être – pour lesquelles cette technologie pourra être mise en œuvre peuvent être les suivantes (la liste n‟est pas exhaustive) :

Quelle est la nature de ce nombre ?

Est-ce que ces nombres sont égaux ?

Est-ce que ce nombre est la valeur exacte de cette expression numérique ?

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Quelle est la valeur exacte de cette expression numérique ?

Est-ce que la solution graphique de cette équation est la valeur exacte de la solution ?

Est-ce que la calculatrice donne la valeur exacte de ce nombre ?

Evidemment ces questions peuvent se poser au cours de la résolution d‟un problème dans tous les domaines des mathématiques. La praxéologie locale ainsi définie autour de cette technologie amène à développer des praxéologies ponctuelles relatives au travail de techniques pour réaliser des transformations d‟écriture des nombres.

5.5.2.2 Écritures canoniques des décimaux

Un type de tâches particulier en lien avec le problème plus général évoqué précédemment est de montrer qu‟un nombre est décimal en utilisant la technique suivante : le transformer sous la forme 𝑎 × 10−𝑛 avec (𝑎 ∈) et(𝑛 ∈ ). Les écritures canoniques du décimal sont au nombre de quatre dans le tableau précédent, ce qui nécessite un choix et va conditionner la technique en fonction du problème posé.

Mais ce tableau ne serait pas complet sans avoir ajouté une autre forme d‟écriture à répertorier comme étant caractéristique d‟un nombre décimal, à savoir l‟écriture scientifique très utilisée dans toutes les disciplines scientifiques et mentionnée dans le programme. Je rappelle sa règle d‟écriture pour un décimal non nul :

𝑎 × 10𝑛 (𝑎 ∈)et 1 ≤ 𝑎 < 10 et (𝑛 ∈)

Cette écriture est souvent utilisée pour l‟affichage de la calculatrice en mode approché. Elle peut être étendue à tout nombre réel non nul.

5.5.2.3 L’opposition décimal/idécimal

Le curriculum officiel propose des types de tâches comme la reconnaissance de la nature des nombres pouvant être décimaux ou idécimaux, rationnels ou irrationnels. A côté de l‟opposition rationnel/irrationnel, on voit apparaître des tâches de différenciation décimal/idécimal1 au sens de Bronner (1997). Ce type de tâches était au centre de l‟enseignement du numérique à l‟époque de la réforme des mathématiques modernes, et il a été ensuite totalement péjoré pour revenir timidement aujourd‟hui comme une proposition et non pas une prescription (Bronner, 2001). Cette proposition représente bien une reprise en lien avec du nouveau en donnant une représentation sémiotique d‟un décimal sous la forme d‟une écriture totalement nouvelle par rapport au collège. Cette nouvelle caractérisation du décimal permet d‟enrichir le concept de décimal au sens de Vergnaud (1990) ainsi que le rapport personnel des élèves à l‟objet nombre décimal. Elle devient également un élément technologique ou théorique permettant de développer de nouvelles praxéologies

1

Le terme idécimal n‟est pas utilisé dans les classes avec les élèves, il est synonyme pour eux de « non décimal ».

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mathématiques. Je montrerai plus loin comment cela peut ouvrir le champ des démonstrations en seconde concernant le type de tâches T.

5.5.2.4 Le cas des irrationnels

Pour démontrer qu‟un nombre est irrationnel il apparaît nécessaire que certaines connaissances soient institutionnalisées. En particulier j‟ai développé plus loin le fait que le nombre  a été obligatoirement rencontré au collège mais que son statut n‟est certainement pas clair en l‟absence de critères précis pour différencier les types de nombres (Cf. p. 100). En classe de seconde ce statut d‟irrationnel de  devrait être institué comme savoir à admettre. Il apparaît également nécessaire d‟institutionnaliser le théorème suivant :

« si 𝑎 est un entier naturelet si a n'est pas un carré parfait alors 𝑎 est un nombre irrationnel. »

Cela permettrait de développer de manière plus satisfaisante des démonstrations à propos du type de tâches T dans le cas de certains irrationnels. Ces connaissances feraient ainsi partie de l‟espace numérique en construction en classe de seconde.

5.5.3 Rôle de la droite graduée dans le thème « Nature et écriture des nombres »

Je m‟intéresse au statut et au rôle de la droite des réels dans le curriculum. Le programme de seconde précise ceci : « On admettra que l‟ensemble des réels est l‟ensemble des abscisses des points d‟une droite. » Par ailleurs le curriculum officiel donne un appui aux professeurs de seconde en faisant figurer un « rappel des programmes antérieurs » pour chacun des domaines. Ce qui concerne la droite graduée est rappelé dans le Tableau 6. L‟avènement de la droite graduée complète est la finalité d‟un processus de reprises successives commencé au début du collège. En effet la droite graduée apparaît en sixième, elle est enrichie en cinquième avec les nombres négatifs, elle est petit à petit complétée grâce aux nouvelles rencontres avec des rationnels et des irrationnels. Elle constitue un outil d‟unification des nombres qui permet de dépasser les différences dans leurs écritures et qui permet une représentation mentale de tout réel.

SIXIÈME CINQUIÈME QUATRIÈME TROISIÈME

Abscisses positives sur une droite graduée. Repérage dans le plan par des entiers relatifs.

Repérage sur une droite graduée et dans le plan.

Alignement de points et proportionnalité.

Coordonnées du milieu d‟un segment, d‟un vecteur ; distance de deux points à partir de leurs coordonnées.

Tableau 6 : programme de seconde, rappel des années antérieures

Dans l‟introduction des programmes du collège une mention particulière est inscrite pour souligner l‟importance de cette droite dans la rubrique Travaux numériques : « Se représenter la droite graduée complète, avec son zéro séparant les valeurs positives et négatives et apprendre à y localiser les nombres rencontrés » (p. 17). Dans l‟accompagnement des programmes du cycle central 5e- 4e se trouve également cette recommandation :

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Le souci de progressivité conduit à une évolution dans la manière d‟employer les coordonnées. Par exemple, on peut parler d‟un point d‟abscisse −43sur une droite graduée dès la classe de 5e, mais il sera alors situé grâce à une approximation du quotient ; le placement du point par une construction utilisant le résultat de Thalès est prévu en classe de 3e. (p. 62)

On a ici affaire à un type de tâches numérico-géométrique : « placer un point d‟abscisse un réel donné sur la droite graduée » qui peut se développer encore en troisième et en seconde avec des irrationnels écrits avec des racines carrées ou des fonctions trigonométriques. La droite graduée est finalement un outil qui permet la réification des nombres et de leurs relations grâce à l‟isomorphisme entre la droite affine et euclidienne et l‟ensemble des réels. Je termine ce regard sur la place de la droite des réels dans le curriculum officiel de la classe de seconde par la vision pour le moins originale et étrange de cette droite qui peut s‟enrouler ! C‟est effectivement l‟image qui est donnée dans le programme pour faire comprendre la fonction du cercle trigonométrique : « La définition de 𝑠𝑖𝑛 𝑥 et 𝑐𝑜𝑠 𝑥 pour un réel 𝑥

quelconque se fera en « enroulant ℝ » sur le cercle trigonométrique ».