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Cette demande correspond à une poursuite du processus d‟institutionnalisation, autrement dit une institutionnalisation après coup comme la dénomme Perrin-Glorian (1992). Les différents types de nombres ont été rencontrés tout au long du collège, la classe de seconde offre une organisation plus théorique de cette diversité et une classification.

La difficulté provoquée par le changement d‟établissement est prise en compte comme une contrainte mais des appuis sont donnés aux enseignants pour résoudre ce problème de mise en lien, de tissage entre les deux institutions. Il est clairement affirmé que les programmes apportent des éléments « pour aider les enseignants de 2de à réaliser au mieux cette continuité ».

5.2 Le niveau pédagogique

L‟organisation des séances est décidée à ce niveau. Conformément aux directives ministérielles le cours de mathématiques est décomposé en quatre heures en classe entière, une heure de module (l‟effectif est la moitié de l‟effectif total), une heure d‟aide individualisée (effectif maximum de huit élèves). Le lycée dans lequel j‟ai fait les observations de Mathieu et de Clotilde a fait le choix de coupler le module de mathématiques avec un module dans une autre discipline, ce qui supprime pour les professeurs la possibilité de choisir les élèves en fonction de besoins particuliers. Je m‟intéresserai à la façon dont les deux professeurs gèrent ces différents temps de travail avec les élèves, en lien avec les gestes professionnels d‟enseignement du numérique.

5.3 Le niveau de la discipline

5.3.1 Organisation du numérique { l’intérieur de la discipline des mathématiques

Je reprends l‟échelle pour les niveaux correspondant à la discipline des mathématiques pour décrire une hiérarchie visible dans l‟écriture des programmes officiels. Chevallard (1999) précise à propos de ces niveaux que :

La hiérarchie des niveaux ainsi ébauchée, qui va des sujets d‟étude à la discipline en passant par les thèmes, les secteurs, les domaines, a pour principal mérite […] de permettre un premier tri dans les paquets de contraintes présidant à l‟étude scolaire en évitant un déséquilibre trop flagrant entre ce qui serait pris en compte et ce qui serait laissé pour compte.

Je prends l‟exemple du type de tâches T: Déterminer à quel ensemble appartient un nombre1.

T correspond à un sujet d’étude, qui est l‟unité minimale de découpage des contenus. En lien

1

Ce type de tâches apparaîtra dans des séances observées et jouera un rôle important dans ce travail comme étant emblématique des organisations mathématiques ponctuelles du domaine numérique. .

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avec T une organisation mathématique ponctuelle va être développée dans la classe. Ce type de tâches T fait partie des tâches prescrites par le curriculum officiel sous l‟intitulé « les élèves devront savoir reconnaître à quels ensembles appartiennent les nombres rencontrés »

(Accompagnement des programmes de seconde). Cette prescription officielle fait partie d‟un

thème d’étude, présent dans le programme sous la dénomination « Nature et écriture des nombres ». Ce thème correspond à une organisation mathématique locale, elle même plongée dans une organisation mathématique régionale qui correspond au secteurd’étude

« nombres ». Au niveau supérieur se trouve une organisation mathématique globale sous la dénomination d‟un domaine dénommé « calcul et fonctions », et le dernier niveau des organisations mathématiques ce sont les mathématiques elle mêmes, qui se situent au niveau de la discipline d’étude. On peut remarquer que le niveau du domaine correspond à ce que le programme de seconde appelle chapitre, terme qui est également très employé spontanément par les professeurs, mais qui désigne alors plutôt au sens de Chevallard (1999a) une organisation régionale correspondant au niveau des secteurs1. Dans la suite de ce travail le terme de chapitre sera utilisé dans « la sémantique familière de l‟action » (Sensevy, 2007), c'est-à-dire au quotidien dans le métier. Le tableau suivant est un résumé des éléments précédents :

Niveau Organisation

mathématique

Niveau de codétermination

didactique Exemple

1 Discipline Les mathématiques en seconde

2 Globale Domaine Calcul et fonctions

3 Régionale Secteur autour d‟une même

théorie  Nombres

4 Locale Thème autour d‟une même

technologie  Nature et écriture des nombres 5 Ponctuelle Sujet relatif à un type de

tâches Déterminer la nature d‟un nombre

Tableau 3 : extrait des programmes de seconde de 2000

1

Le terme de chapitre désigne en fait dans le programme de seconde soit un domaine (« Le programme qui suit est écrit dans le cadre d'une seconde de détermination. Il est composé de trois grands chapitres : statistique, calcul et fonctions, géométrie. ») soit un secteur (« Le calcul numérique et le calcul algébrique ne doivent pas constituer un chapitre de révision systématique, mais se retrouvent au travers des différents chapitres. En particulier, ils seront traités en relation étroite avec l‟étude des fonctions. »)

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5.3.2 Des reprises du numérique qui ne sont pas des révisions systématiques

Des instructions sont données dans le programme de mathématiques de seconde concernant les domaines numérique et algébrique et disent clairement qu‟il s‟agit de faire des reprises en lien avec du nouveau et non pas des révisions systématiques. Je rappelle cette citation des programmes de seconde1 déjà en partie citée en page 5 :

Le calcul numérique et le calcul algébrique ne doivent pas constituer un chapitre de révision systématique, mais se retrouvent au travers des différents chapitres. En particulier, ils seront traités en relation étroite avec l‟étude des fonctions. Comme la géométrie, les activités de calcul doivent être l‟occasion de développer le raisonnement et l‟activité de démonstration.

Une autre recommandation est lisible dans cet extrait : la démonstration qui est la signature de l‟activité mathématique est à développer aussi dans le domaine numérique. Ainsi la rationalité mathématique doit s‟exercer dans tous les domaines des mathématiques avec les mêmes règles du jeu.

La prescription précédente fait écho à une autre qui est dans l‟introduction générale pour le collège du BO hors série du 9 septembre 2004 :

Il convient de faire fonctionner les notions et « outils » mathématiques étudiés au cours des années précédentes dans de nouvelles situations, autrement qu‟en reprise ayant un caractère de révision. En sixième, particulièrement, les élèves doivent avoir conscience que leurs connaissances évoluent par rapport à celles acquises à l‟école primaire.

Dans les programmes actuellement en vigueur au collège depuis la rentrée 2009 cette phrase a été conservée intégralement2. La même préoccupation est explicitement exprimée pour le domaine de la géométrie en classe de seconde3 :

Proposer aux élèves des problèmes utilisant pleinement les acquis de connaissances et de méthodes du collège. Pour dynamiser la synthèse et éviter les révisions systématiques, trois éclairages nouveaux sont proposés : les triangles isométriques, les triangles de même forme et des problèmes d'aires.

Un élément de technique apparaît concernant un geste professionnel d‟élaboration d‟une situation de synthèse : il est possible de réaliser une synthèse en la reliant avec du nouveau. C‟est à l‟occasion de l‟avancée du temps didactique et la découverte de nouveaux apprentissages que les élèves vont de nouveau rencontrer des acquis du collège et ainsi les revisiter sans que le processus de chronogenèse ne soit arrêté. La synthèse n‟est donc pas un préalable avant la rencontre avec de nouvelles notions. Elle constitue en fait une nouveauté, elle offre un nouveau regard sur des apprentissages en évolution.

1

programme de seconde paru au BO hors-série n° 6 du 12 août 1999 et applicable à la rentrée 2000 puis de nouveau paru dans le BO hors série n°2 du 30 août 2001, programme resté en vigueur jusqu‟en 2008-2009.

2

B.O. spécial n° 6 du 28 août 2008.

3

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5.3.3 La dialectique outil/objet et les jeux de cadres

5.3.3.1 Le jeu de cadres dans les programmes

En lisant encore davantage entre les lignes, les dialectiques outil/objet et ancien/nouveau, les

jeux de cadres décrits par Douady (1986) ainsi que la théorie des situations didactiques de Brousseau (1998) sont en arrière plan des raisons d‟être des prescriptions du curriculum officiel citées dans la section précédente (Cf. 5.3.2). Le caractère d‟outil des notions est affirmé ainsi que le rôle essentiel de la résolution de problèmes. La logique qui sous-tend les programmes est basée sur des résultats de la recherche en didactique des mathématiques : privilégier les activités de démonstrations, la résolution de problèmes où les notions apparaissent comme outils, les jeux de cadres qui favorisent les changements de points de vue nécessaires dans l‟activité mathématique. Elle est également basée sur des conceptions des apprentissages : les élèves doivent être placés dans de véritables situations de résolution de problèmes qui permettent d‟engendrer une dynamique, une motivation personnelle, au lieu d‟être enfermés dans une répétition ennuyeuse. Cette conception évoque évidemment le processus de dévolution au sens de Brousseau (1998b) qui ne peut pleinement se dérouler que dans des situations didactiques et adidactiques au sens fort du terme.

En résumé les raisons qui amènent les concepteurs des programmes à faire ces recommandations apparaissent implicitement :

raison épistémologique : les activités de calcul sont au service d‟un aspect essentiel et spécifique de l‟activité mathématique à savoir le raisonnement et la démonstration, elles n‟ont pas de raison d‟être travaillées pour elles-mêmes (Cf. rapports de la commission Kahane, 2002 ; 2004) ;

raison pédagogique : dans le passage d‟une classe à l‟autre il faut que les élèves aient le sentiment d‟évoluer et non pas de recommencer ce qui a été fait au niveau précédent en prenant le risque de les lasser ;

raison didactique : l‟enseignement doit être dynamique et des situations nouvelles, des éclairages nouveaux sur des notions déjà connues, vont permettre ce processus d‟avancée du temps didactique.

J‟identifie deux logiques différentes du côté des concepteurs des programmes et du côté des enseignants. La logique des enseignants correspond à des normes du métier : il faut refaire les bases ; il faut que les élèves aient acquis de l‟aisance dans les calculs avant d‟aborder des problèmes ; le niveau des élèves est tellement bas qu‟il est impossible de démarrer un nouveau programme sans faire de révisions ; etc. Ces constats viennent étayer la première hypothèse en révélant des éléments technologiques du côté des professeurs non partagés avec la noosphère et qui conditionnent les gestes professionnels.

5.3.3.2 Proposition d’un changement de cadre dans le curriculum officiel

Pour le thème « fonctions de référence », le document d‟accompagnement propose un regard nouveau relatif à des « pièges classiques » des domaines numérique et algébrique, revisités dans le cadre fonctionnel :

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Il est souvent utile aux élèves de revoir, à l‟éclairage des propriétés de linéarité (l‟image d‟une somme est la somme des images ; l‟image de k fois un nombre est k fois l‟image du nombre), les pièges classiques que constituent la somme de deux carrés, de deux inverses, de deux racines ou encore 2 2

b a .

On trouve donc là une suggestion d‟un type de tâches permettant de faire vivre un point de vue nouveau sur une erreur comme : (a + b)2 = a2 + b2 . Il s‟agit de regarder cette égalité comme exprimant une propriété d‟une fonction linéaire, ce qui est faux pour cette fonction de référence, la fonction carré. Ainsi le programme donne des exemples de praxéologies mathématiques à développer pour un travail relatif à des erreurs classiques. Il s‟agit d‟une reprise en lien avec du nouveau grâce à un changement de cadre. L‟égalité précédente n‟est plus considérée comme une identité (objet du numérique ou de l‟algébrique selon la présence ou non de lettres) mais comme la traduction d‟une propriété supposée de linéarité de la fonction carré.

5.3.4 Une véritable activité mathématique

L‟expression de véritable activité mathématique amène à se demander ce que serait une activité mathématique qui ne serait pas véritable. La réponse est en creux dans la définition suivante :

À travers la résolution de problèmes, la modélisation de quelques situations et l‟apprentissage progressif de la démonstration, les élèves prennent conscience petit à petit de ce qu‟est une

véritable activité mathématique1 : identifier et formuler un problème, conjecturer un résultat

en expérimentant sur des exemples, bâtir une argumentation, contrôler les résultats obtenus en évaluant leur pertinence en fonction du problème étudié, communiquer une recherche, mettre en forme une solution.

Cette citation est extraite du « Préambule pour le collège » du programme de mathématiques2 qui sera en vigueur à partir de la rentrée 2009. Elle était déjà inscrite dans les programmes antérieurs depuis la rentrée 2005. Elle a un écho dans le document d‟accompagnement du programme de seconde dans un paragraphe consacré à « L'organisation de l'activité mathématique dans la classe » :

L'organisation de la classe doit permettre aux élèves d'expérimenter les diverses facettes de l'activité mathématique décrites dans l'introduction du programme. Certaines ("chercher, trouver des résultats partiels, se poser des questions, expliquer oralement une démarche, rédiger au brouillon puis au propre, (…), accéder au plaisir de la découverte et à l'expérience de la compréhension") renvoient à l'étude de situations et à la résolution de problèmes : le choix de ces situations et de ces problèmes doit être fait avec attention ; ils déterminent la qualité de l'activité scientifique menée dans la classe, légitiment l'introduction de nouveaux contenus et

1

Mis en gras dans cet écrit

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justifient ensuite leur efficacité. D'autres ("appliquer des techniques bien comprises, étudier une démonstration qu'on n'aurait pas trouvée soi-même, (…), bâtir un ensemble cohérent de connaissances") relèvent de la découverte puis de l'assimilation d'un savoir dont les élèves doivent pouvoir sentir la cohérence et l'harmonie.

Dans cette citation les parties entre guillemets renvoient au programme lui-même, ce qui montre l‟insistance des auteurs pour que ces recommandations soient effectivement prises en compte dans les pratiques. Ainsi à travers l‟étude du curriculum officiel, il apparaît que l‟enseignement doit permettre à l‟élève de vivre une « véritable activité mathématique » dont les formes sont multiples et complémentaires et qui peuvent se résumer en : chercher, expérimenter, conjecturer, démontrer. Cette conception de l‟activité mathématique est donc au lycée dans la continuité de celle des programmes du collège.

L‟accompagnement du programme de seconde dénonce des gestes du métier repérables en particulier dans l‟étude des manuels scolaires : « Contrairement à l‟image que certains manuels scolaires relatifs aux programmes de 1990 ont pu laisser transparaître, l‟enseignement ne peut pas être réduit au simple énoncé de définitions et de propriétés admises, accompagné d‟exercices d‟applications très répétitifs. » Ce document met en garde contre des gestes professionnels élaborés par les enseignants et cautionnés par les manuels de seconde. Il invite à une vigilance épistémologique sur la nature même de la discipline des mathématiques.

De façon encore plus précise, une recommandation est faite dans cet accompagnement des programmes pour que les enseignants aient conscience de l‟importance d‟aborder chaque notion selon ses différents aspects :

Pour chaque notion, le programme invite à repérer la multiplicité et la complémentarité des points de vue (graphique, numérique, algébrique, géométrique) et rappelle l‟importance, lors de son approche et sa mise en place, d‟une démarche expérimentale. Dans chaque chapitre, l‟accent a été mis sur les activités faisant fonctionner les connaissances (thèmes y compris) et sur la résolution de problèmes.

On peut lire encore une fois à travers ces recommandations la nécessité de faire « fonctionner » les connaissances en tant qu‟outils avant de les intégrer comme objets

(Douady, 1986) dans les savoirs institutionnalisés, et l‟intérêt d‟utiliser des changements de cadres (Douady, 1986) et des registres de représentation sémiotique différents (Duval, 1993) pour construire des apprentissages solides à travers une « véritable activité mathématique ». Concernant la question des registres, Duval (1993) décrit une situation très classique du manque de flexibilité (au sens de Bosch et al., 2004) dans l‟activité mathématique des élèves :

Des élèves peuvent très bien effectuer l‟addition de deux nombres avec leur écriture décimale et avec leur écriture fractionnaire, et ne pas du tout penser à convertir, si cela s‟avère nécessaire l‟écriture décimale d‟un nombre en son écriture fractionnaire (et réciproquement), ou même échouer pour cette conversion. C‟est très souvent ce type d‟exemple qui est avancé, pour expliquer que les élèves arrivent en seconde et ne savent pas calculer ! C‟est oublier que l‟écriture décimale, l‟écriture fractionnaire et l‟écriture avec exposant constituent trois registres différents de représentation des nombres.

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Dans le curriculum officiel le chercheur peut lire entre les lignes des soubassements théoriques. Mais quelle est la lecture d‟un professeur qui n‟a peut-être jamais rencontré ces théories ? Identifier ce type de connaissances nécessaires au professeur est l‟un des objectifs de cette recherche en lien avec ce problème de la profession évoqué dans la quatrième hypothèse.

5.3.5 La place du secteur « Calcul et fonctions » dans la discipline

Le programme et son accompagnement donnent des indications générales pour l‟organisation de l‟enseignement sous la forme d‟un réseau qui privilégie les articulations entre les secteurs, mais aussi entre les différents cadres (Douady, 1994) et registres de représentation sémiotique (Duval, 1993). L‟extrait suivant donne une illustration de ces recommandations et montre encore une fois cette demande forte adressée aux professeurs : il faut proposer des problèmes aux élèves.

Figure 3 : extrait du document d'accompagnement de seconde

Je souligne cette recommandation dans le texte précédent : ce sont les « réels besoins des problèmes à traiter » qui vont motiver l‟apprentissage du calcul. Le programme explicite très clairement le choix de ne pas avoir fait figurer ni le numérique ni l‟algébrique en tant que domaines. L‟injonction est très claire, il n‟y a pas un travail préalable sur les objets du calcul numérique ou algébrique, mais un travail pour lequel ces connaissances fonctionnent comme outils de résolution de problèmes. Le modèle d‟enseignement, cours théorique sur les objets à enseigner et application du cours, est rejeté par les programmes, au niveau pédagogique et disciplinaire cette conception de l‟enseignement est dépassée. En d‟autres termes le curriculum officiel invite les professeurs à élaborer des organisations mathématiques locales et régionales et à rejeter la juxtaposition d‟organisations mathématiques ponctuelles en restant assujettis à une lecture linéaire du programme compris comme une liste de sujets à enseigner (Artaud & Menotti, 2008).

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