• Aucun résultat trouvé

I - NEUTRALITE CAMBODGIENNE ET JEU DES FORCES INTERNATIONALES

LA MODERNITE DANS LA “NEUTRALITE”

I - NEUTRALITE CAMBODGIENNE ET JEU DES FORCES INTERNATIONALES

A - La pacifique “Croisade Royale pour l'indépendance”

La Seconde Guerre mondiale et la défaite française de 1940 annoncent l'indépendance cambodgienne. L'occupation japonaise de l'Indochine, avec l'accord du gouvernement de Vichy, se transforme en un coup de force en mars 1945. La présence des troupes nippones est éphémère mais elle encourage néanmoins les nationalistes locaux à se libérer de la tutelle française.

Le Cambodge, contrairement au Viêt Nam, obtient son indépendance totale de manière pacifique. C'est là le terme d'une série d'accords khméro-français qui

1954 mettant fin à la première guerre du Viêt Nam et prévoyant le transfert des institutions indochinoises dans les territoires souverains. Il n'existe pas, alors, de grave contentieux avec l'ancien colonisateur, ni de sentiment anti-français exacerbé. Cela n'empêche pas l'existence de mouvements nationalistes, de droite comme de gauche, et le plus souvent assez éclatés, qui connaîtront des fortunes diverses, certains se ralliant au gouvernement royal, tandis que d'autres prennent le maquis.

Pendant les quinze années suivantes, le personnage qui domine la vie publique cambodgienne – et particulièrement la politique étrangère – est le roi Sihanouk. En 1941, à la mort du roi Monivong, Norodom Sihanouk, arrière petit-fils du roi Norodom, est placé sur le trône par les Français. Ses ascendances paternelles et maternelles lui donnent une certaine légitimité à la succession, parmi d'autres prétendants considérés par les protecteurs comme moins malléables. Le nouveau roi est alors un tout jeune homme de dix-huit ans qui fait ses études au lycée Chasseloup-Laubat de Saigon et mène ensuite au palais une vie insouciante et dorée. Le coup de force japonais et l'espoir d'une indépendance à négocier l'amèneront à la tête du gouvernement, pour laquelle il quitte le trône en 1955 au profit de son père.

Pour l'heure, il entreprend avec fracas une “croisade royale pour l'indépendance” qui le mène – sans grand succès car les priorités de ses hôtes sont ailleurs – à Paris, au Canada, aux Etats-Unis puis à Bangkok, laissant planer la menace d'une alliance avec le Viêt-minh. Cela lui vaudra de récolter auprès du peuple les bénéfices du succès des négociations avec la France. Il semble en fait que celle-ci ait eu peur de voir s'ouvrir au Cambodge un nouveau front qui lui donne déjà du fil à retordre au Viêt Nam ; peur dont le roi Sihanouk tire parti avec le brio qui fera sa renommée par la suite.

Les analystes politiques de l'époque voient en Norodom Sihanouk un jeune prince qui se passionne pour les réformes démocratiques de son pays mais qui hésitera toujours entre le rôle de leader proche du peuple, tenant son pouvoir de lui, et celui de monarque héritier des prestigieux rois d'Angkor, devant lequel tous se

prosternent et tremblent1. Après l'indépendance, l'invention de la “Communauté Socialiste Populaire” (Sangkum Reah Niyum, sg<mraRsþniym) est une tentative de conciliation entre ces aspirations.

B - Le rassemblement national dans la “Communauté Socialiste Populaire”

Le Sangkum n'est pas à proprement parler un parti politique. Il se réclame d'une idéologie aux contours flous, celle du “socialisme bouddhique”, dont le prince souhaite qu'elle soit une démocratie compréhensible par le peuple. “[Il est] le symbole des aspirations du petit peuple qui est le vrai peuple du Cambodge (...) pour la communion du peuple avec ses deux protecteurs naturels : la religion et le trône”, proclame un document officiel2. Ce socialisme à la khmère, selon un sympathisant français, “fait de l'Etat, non plus l'instrument d'une classe dirigeante, mais le garant du bien commun national et le coordinateur de toutes les initiatives, énergie et activités individuelles”3 car il vise à transposer, “sur le plan politique, économique et social, des enseignements de la morale bouddhique”4 : justice, compassion pour tous les êtres, paix.

Ce programme est suffisamment vaste pour susciter l'adhésion collective de principe, sans pour autant supprimer les rivalités de clans.

Mais si l'idéologie reste secondaire, le pouvoir s'affirme. Pratiquement en effet, le Sangkum vise au rassemblement national autour de la personne du prince et, dans les faits, la fidélité à la monarchie tient lieu de doctrine5. La Communauté Socialiste Populaire met fin à l'activité politique qui avait fleuri sous la forme de multiples petits partis, au moment de l'instauration d'une monarchie parlementaire

1 La personnalité du prince, dont les vire-voltes, les qualités de tribun, l'imagination débordante ont fasciné, amusé ou exaspéré, selon les cas, est décrite avec beaucoup de finesse dans la pièce d'Hélène CIXOUS (Théatre du Soleil. L'histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, Roi du Cambodge, Paris : Théatre du Soleil, 1985, 432 p.) jouée en 1985 à la Cartoucherie de Vincennes. Avec moins d'empathie, Jean-Claude POMONTI et Serge THION en peignent également un portrait dans Des courtisans aux partisans. Essai sur la crise cambodgienne, Paris : Gallimard (Coll. “Idées”), 1971, pp. 64-73.

2 Cité par Marie Alexandrine MARTIN, Le mal cambodgien. Histoire d'une société traditionnelle face à ses leaders politiques, 1946-1987, Paris : Hachette, 1989, p. 72.

3 Achille DAUPHIN-MEUNIER, Le Cambodge de Sihanouk ou de la difficulté d'être neutre, Paris : Nouvelles Éditions Latines, 1965, p. 160.

4 Ibid., p. 160.

5 Charles MEYER, Derrière le sourire khmer, Paris : Plon, 1971, p. 133.

135

inscrite dans la Constitution de 1946. La plupart de ces partis fusionne dans le Sangkum. C'est le cas du Parti Démocrate qui, dès 1946, avait rassemblé un groupe d'étudiants progressistes de Paris ainsi que des intellectuels formés au Cambodge ou à Hanoi, avec le soutien de moines, de lycéens et de fonctionnaires. Quant au Parti du Peuple (le Pracheachun) qui représente la gauche marxiste cambodgienne, il soutient la politique étrangère du prince tout en restant très discret à l'intérieur du pays pour éviter les mesures répressives qui, à intervalles réguliers, s'abattent sur ses partisans. Evanouis dans les maquis, selon une tradition bien ancrée de la politique intérieure cambodgienne, ils formeront les futurs “Khmers Rouges”, terme inventé par le prince Sihanouk pour fustiger ses adversaires.

La monarchie parlementaire mise en place après l'indépendance dérive ainsi, dès les années 1960, vers un pouvoir personnel qui double ou annule la souveraineté de l'Assemblée Nationale : aux élections législatives se présentent les candidats agréés par le Sangkum ; le Congrès national semestriel, qui permet à chacun de venir exprimer ses doléances devant le prince Sihanouk, prend le pas sur l'Assemblée Nationale et se transforme en simple approbation de ses décisions.

Jusqu'à la fin des années 1960, la structure politique au Cambodge, dominée par le rassemblement national dans le Sangkum, est donc celle d'une majorité paysanne traditionnellement fidèle au prince ; de parlementaires et hommes politiques ralliés, par conviction réelle ou forcée et dont beaucoup se désintéressent d'une vie publique où ils ne peuvent guère s'exprimer ; d'une minorité d'opposants discrets mais actifs que le prince s'efforce à certains moments de se concilier en leur proposant des postes au gouvernement ; et, enfin, d'une génération montante de jeunes diplômés qui ne gagnent guère la confiance du prince, lequel préfère se fier à ses propres idées1. La prédominance du prince s'exprime de façon plus évidente encore en politique extérieure car son inlassable travail médiatique fait vite connaître le royaume dans le monde.

1 Voir notamment Jean-Claude POMONTI et Serge THION, op. cit., pp. 71-72 et 94-95.

C - Neutralisme et aides étrangères : l'ouverture d'un nouveau type de négociations

L'indépendance replace le Cambodge sur l'échiquier géopolitique de l'Asie du Sud-Est avec, cette fois, l'arrière-plan de la guerre froide dont l'Indochine est un lieu stratégique. Les Accords de Genève en 1954 ont en effet entériné la séparation en deux du Viêt Nam. Le régime de Ngô Dinh Diêm, au Sud, est appuyé par les Etats-Unis, tandis que le Nord est contrôlé par le mouvement communiste et nationaliste du Viêt-minh, dirigé par Ho Chi Minh. Celui-ci est soutenu par la Chine Populaire et l'Union Soviétique. La Thaïlande, enfin, se trouve elle aussi dans la zone d'influence américaine.

Dans ce contexte instable et tendu, le prince Sihanouk tente, avec une habilité et un sens de l'improvisation qui ont fait la joie des chroniqueurs d'alors, de maintenir le Cambodge à l'écart de la guerre d'Indochine et de l'occupation militaire étrangère. Son souci majeur est de conserver l'intégrité du territoire national, préoccupation qui fait l'unanimité chez les Cambodgiens, toutes tendances idéologiques confondues. Le prince inaugure alors une politique extérieure neutraliste, où le recours à des puissances adverses permet de contrebalancer à tout moment leurs pressions respectives. Il recueille, ce faisant, un héritage diplomatique pré-colonial qui, depuis l'affaiblissement du royaume, privilégie les stratégies d'évitement à la confrontation directe, au-dessus de ses possibilités.

Les Etats-Unis et la Chine représentent les principales forces antagonistes que le prince essaie de contenir car elles relaient des menaces locales plus directes.

1 - La protection américaine, généreuse mais conditionnelle

Dès les premières années de l'indépendance, Sihanouk se rapproche des Etats-Unis, qu'il perçoit comme les plus aptes à assurer au Cambodge une protection de ses frontières et une modernisation de son économie. L'aide américaine, pour être considérable et bien supérieure à ce qu'offrent la France ou même la Chine (voir tableau IV, page suivante) est assortie, contrairement aux autres contributions, de restrictions non moins importantes.

137

Tableau IV - Aide étrangère reçue par le Cambodge sous le Sangkum (Estimations en millions de dollars pour les principaux donateurs)

TOTAL Etats-Unis 1955-63 (1) 350 Chine Populaire (2) 25 (4) France 1956-62 (2) 25 (3)

URSS (2) 15

Japon (5) 4,28

(1) Rémy PRUD'HOMME, L'économie du Cambodge, Paris : PUF, 1969, p. 232. Un quart de l'aide est militaire selon cet auteur. Selon Achille DAUPHIN-MEUNIER (op. cit., p. 102), 51% de l'aide entre 1956 et 1962 est militaire.

(2) Achille DAUPHIN-MEUNIER, ibid, p. 102.

(3) Et environ 1 240 000 000 riels (plus de 35 millions de $ au taux officiel) pour 1960-1970, sans compter l'aide militaire d'environ 1 milliard de riels (plus de 28 millions de $). Selon Charles MEYER, op. cit., p. 221.

(4) Ce montant n'inclut pas une aide consistant en une livraison de matériel militaire, importante mais non chiffrée, d'après Charles MEYER, op. cit. p. 219.

(5) Charles MEYER, op. cit., p. 221 (soit 150 millions de riels convertis au taux officiel).

Elle s'applique en effet essentiellement au domaine militaire et exige en la matière l'exclusivité du bloc occidental. L'aide civile, quant à elle, ne doit profiter qu'aux entreprises privées et bannit les industries à capitaux d'Etat, créées par le Sangkum1. Enfin, les Etats-Unis se font de jour en jour plus insistants pour amener le Cambodge à adhérer à la Southeast Asia Defense Treaty Organization (S.E.A.T.O.), alliance anti-communiste regroupant notamment, en Asie, le Pakistan, la Thaïlande et les Philippines.

Diverses raisons parmi lesquelles une opposition interne à l'“impérialisme américain” dans la gauche et la jeunesse, des maladresses de l'ambassadeur2 et le bombardement de villages frontaliers du Sud-Est, proches du Viêt Nam, seront l'occasion pour Norodom Sihanouk de rejeter, en 1963, cette aide encombrante et de rompre les relations avec les Etats-Unis, deux ans plus tard.

2 - La Chine et le Viêt-minh

Il semble que les négociations officieuses reprennent assez promptement avec les Etats-Unis3 tandis que le neutralisme de Sihanouk l'amène à ne pas négliger la Chine Populaire. Dès la conférence de Bandung fondant les Etats non-alignés en 1955, le prince avait en effet pris contact avec les dirigeants chinois. Les relations restent bonnes par la suite, d'autant que Pékin se montre moins pressant que Washington. Après la rupture avec les Etats-Unis, le Cambodge se rapproche donc naturellement de la Chine.

Tout comme les Etats-Unis mais avec une discrétion appréciée, contrastant avec l'ostentation américaine, celle-ci consacre son effort aux projets de développement cambodgiens qui lui sont idéologiquement acceptables : la construction d'usines, dans le cadre de la politique d'industrialisation légère du Cambodge, destinée à réduire la part des importations4. Mais cette amitié n'est guère plus sereine que la

1 Marie Alexandrine MARTIN, op. cit., p. 95.

2 Il indispose en particulier par sa méconnaissance, perçue comme méprisante, des règles de courtoisie cambodgiennes.

3 Charles MEYER, op. cit., p. 242.

4 En 1986, le prince Sihanouk déclarait à Marie Alexandrine MARTIN (op. cit, p. 85) : “Chou-En-lai était derrière moi dans la politique d'industrialisation du pays [...], je n'avais aucune expérience de l'industrie (...). Il m'a dit : 'Votre pays est un pays agricole riche. Vous devez profiter de la richesse de votre agriculture pour avoir une industrie mais se basant raisonnablement sur l'agriculture. Ne cherchez pas à faire de l'industrie lourde (...), pas de prestige, une industrie pratique qui profite au petit peuple'”. Les

139

première car elle menace le pays des incursions des combattants du Viêt-minh. Leur passage sur les bandes frontalières est tolérée. L'inquiétude monte toutefois de voir le Cambodge précipité dans une guerre qu'il ne veut pas. A partir de 1969, Sihanouk entreprend de dénoncer publiquement les “sanctuaires” viêt-minh et de solliciter les Chinois pour qu'ils fassent pression sur les Vietnamiens. D'autant que le prince craint par ailleurs la contagion de la Révolution Culturelle chinoise au Cambodge qui séduit une partie de la jeunesse scolarisée. Il réagit en ordonnant la dissolution de l'Association d'Amitié Khméro-Chinoise, dissolution qui refroidit quelque peu les rapports avec la Chine Populaire.

Outre le maintien de l'indépendance et de la paix, la politique neutraliste permet d'attirer une aide étrangère dont le pays a besoin pour alimenter ses finances publiques et, partant, son système de santé. Un nouveau système de négociations s'ouvre alors, dans lequel intervient la concurrence internationale.

3 - Un nouvel espace de négociation : le jeu de la concurrence dans l'aide internationale

Le Cambodge neutraliste a su attirer une aide internationale d'une extrême diversité. “Certains pays ont reçu [...] un volume d'aide plus élevé que [lui], mais il n'en est probablement aucun qui puisse se flatter d'en avoir reçu d'un aussi grand nombre de pays”, écrit un économiste1, ajoutant que cette aide a davantage suscité des réactions favorables – invoquant le “devoir de solidarité humaine” – ou hostiles – fustigeant le “gaspillage des deniers publics”, l'“instrument du néo-colonialisme”2 – que des études. Certains des pays donateurs n'ont pas de visée stratégique directe, d'autres, au contraire, choisissent avec soin les domaines où s'appliquent leur générosité.

Côté occidental, l'Australie, le Canada, la Grande-Bretagne, Israël, les Pays-Bas, l'Allemagne de l'Ouest, financent des projets d'importance réduite. Le Japon offre, dès 1959, une aide en remerciement de la renonciation cambodgienne aux

coupures entre parenthèses sont faites par l'auteur cité. La coupure entre crochets est faite par moi.

1 Rémy PRUD'HOMME, L'économie du Cambodge, Paris : PUF, 1969, pp. 230-231.

2 Ibid., p. 230.

dommages de guerre (centre agricole, centre d'élevage et centre de santé rural). Comme la plupart des autres coopérations, elle se double de conditions intéressant également le donateur. Ainsi, la construction d'un pont sur le Tonlé Sap à Phnom Penh est confiée à une entreprise japonaise. Dans ce jeu de la générosité internationale, personne n'est vraiment dupe. Les spécialistes khmers travaillant sur le pont, plaisantent en se demandant qui, du Japon ou du Cambodge, aide l'autre1.

La France demeure très engagée dans la coopération avec le Cambodge, pour lequel elle dégage un budget comparable à celui de la Chine Populaire. Outre une aide militaire d'environ un milliard de riels (soit vingt-huit millions de dollars au taux officiel2), l'aide économique, massive jusqu'en 1959, est ensuite remplacée par une assistance technique plus limitée3. Dans un premier temps, elle porte sur l'amélioration de grands ouvrages d'infrastructure (port de Sihanoukville, désenclavant le Cambodge en lui donnant un accès à la mer ; aéroport de Phnom Penh, centre hospitalier) qui, à l'exception des routes comme on l'a vu, avaient été quelque peu négligés sous le Protectorat. La formation constitue le second point fort des accords franco-cambodgiens (techniciens français4 concourant à divers projets de développement agricoles ou miniers ; expert-conseils dans les administrations ; octroi de bourses d'études en France5). Enfin, le nouveau concept de la francophonie, outil de propagation de la culture et de la langue françaises, commence à prendre forme. Deux cent quatre-vingts professeurs de français sont ainsi envoyés au Cambodge chaque année, tandis que sont poursuivis les travaux de recherche et de restauration à Angkor où les chercheurs français s'étaient distingués.

Les pays socialistes ne sont pas en reste. Outre l'action chinoise déjà évoquée, l'URSS, la Corée du Nord, la Pologne, l'Allemagne de l'Est, la

1 Charles MEYER, op. cit., p. 221.

2 Le riel est resté très stable jusque dans les dernières années du Sangkum, en raison d'une politique monétaire rigoureuse. Au taux officiel, le franc français vaut dix riels et le dollar trente-cinq riels ; taux très inférieurs à ceux du marché noir et qui, en outre, n'établissent pas une parité correcte entre le franc et le dollar. Sur les marchés, ces taux sont en réalité variables par le recours aux taxes d'importation, de montants différents selon le pays exportateur.

3 Ministère des Affaires Etrangères (M.A.E.), Archives Diplomatiques, Série Cambodge-Laos-Viêt Nam, Sous-série Cambodge, “Extrait du rapport de l'Attaché Financier pour le Cambodge, le Laos, et le Viêt Nam”, 4 nov. 1961, Carton 36.

4 Quatre-vingts experts en 1966.

5 Cent vingt bourses en 1966.

141

Tchécoslovaquie, la Yougoslavie investissent au Cambodge. L'URSS s'illustre par la construction de grands établissements à l'architecture d'une austérité caractéristique (un grand hôpital à Phnom Penh, un Institut Technologique avec des enseignants soviétiques et du matériel pédagogique). Elle accompagne son action, comme la plupart des autres pays, de bourses d'études pour les étudiants cambodgiens et d'envoi d'experts au Cambodge. La Tchécoslovaquie et la Yougoslavie financent quant à elles la construction de quatre usines et d'un barrage hydro-électrique. Ces aides socialistes prennent la forme d'un emprunt à long terme et à faible taux d'intérêt, par l'inscription au compte clearing du pays donateur (accords d'exportation de produits cambodgiens vers le pays donateur).

Comme le note Rémy Prud'homme1, le montant et l'impact des aides étrangères au Cambodge, durant la période sihanoukiste, est difficile à évaluer. En premier lieu, parce qu'elle prend des formes variées : dons (en argent ou en nature), prêts remboursables, ou encore personnel technique expatrié. Dans la mesure, par exemple, où l'aide fournie par les experts étrangers est comptabilisée d'après leurs salaires, une coopération comme celle des Etats-Unis est plus “chère” que l'aide soviétique, pour des résultats que l'on peut estimer identiques.

Il semble toutefois que les effets directs sur l'économie cambodgienne aient été faibles. En effet, elle a peu porté sur l'agriculture, principale ressource du pays.

Et l'augmentation de la production agricole est imputable pour l'essentiel aux Cambodgiens eux-mêmes – par l'extension des surfaces cultivées plus que par l'amélioration des rendements, d'ailleurs. Les usines, aux coûts de production élevés, sont souvent restées déficitaires. Si les travaux d'infrastructure et les bourses d'enseignement ont été utiles sur le long terme, ils ont été sans retombées immédiates.

D'autant que, concernant l'infrastructure, les coûts de fonctionnement sont souvent supportés par le Cambodge lui-même. Les fonds étrangers ont certes permis au Cambodge, pendant un temps, d'équilibrer son budget (un quart des recettes publiques en 1962-63) mais il est tout aussi vrai qu'ils ont servi à combler un déficit commercial qu'ils avaient contribué à créer ; certaines des importations du Cambodge n'ayant été réalisées que parce qu'elles étaient financées par l'étranger.

1 Rémy PRUD'HOMME, op. cit., pp. 237-239.

A l'observation des aides étrangères, on conçoit donc que c'est moins en termes uniquement économiques qu'il convient d'analyser les rapports, instaurés à l'indépendance, entre étrangers et Cambodgiens, qu'en termes de définition d'un nouvel espace macrosocial de relations, sur le mode de la négociation. Du point de vue des donateurs, cet espace prend des formes assez nettement compétitives, chacun tentant

A l'observation des aides étrangères, on conçoit donc que c'est moins en termes uniquement économiques qu'il convient d'analyser les rapports, instaurés à l'indépendance, entre étrangers et Cambodgiens, qu'en termes de définition d'un nouvel espace macrosocial de relations, sur le mode de la négociation. Du point de vue des donateurs, cet espace prend des formes assez nettement compétitives, chacun tentant