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I - PREMIERE RUPTURE, L'ENTREE DANS LA GUERRE (1970-1975)

LE TEMPS DES RUPTURES. MÉDECINE DE GUERRE (1970-1975) ET MÉDECINE RÉVOLUTIONNAIRE

I - PREMIERE RUPTURE, L'ENTREE DANS LA GUERRE (1970-1975)

A - La fin de la neutralité du Cambodge

En 1969, espérant trouver une solution au marasme économique du Cambodge, le prince Sihanouk tente de se rapprocher des Etats-Unis. Il forme à ce moment un “gouvernement de sauvetage” dans lequel entre une majorité d'hommes de la droite pro-américaine. Mais par diverses maladresses et une absence d'acuité politique inhabituelle chez cet “homme d'Etat qui si longtemps avait devancé l'événement”1, il laisse le pouvoir réel lui échapper, tandis que le soutien populaire dont il disposait les premières années s'épuise. Si son prestige reste considérable dans les campagnes, en dépit de soulèvements sporadiques contre les exactions d'administrateurs ou de militaires agissant à son insu, un mécontentement discret mais assez général a grandi dans les villes. L'étouffement des libertés, des scandales financiers couverts2, la mauvaise réputation dont jouit la famille de sa dernière épouse, des mesures dérisoires comme l'ouverture d'un Casino d'Etat pour renflouer les caisses publiques, le temps et l'argent que le chef de l'Etat consacre à sa passion de cinéaste, tous ces sujets parmi bien d'autres alimentent les conversations privées des citadins et, en particulier, des intellectuels.

C'est toutefois dans la rupture de l'équilibre neutraliste, jusque-là préservé par le prince, qu'il faut probablement voir les raisons profondes de la chute de ce dernier. Il reste en effet, malgré une image ternie, un personnage charismatique,

1 Charles MEYER, Derrière le sourire khmer, Paris : Plon, 1971, p. 323.

2 Il est très généralement admis que le prince Sihanouk ne dispose pas d'une fortune personnelle mais qu'il était enclin à fermer les yeux sur certaines malversations pratiquées dans son entourage.

craint, même, par les conjurés qui préparent sa perte. Mais le Cambodge est entraîné dans la guerre du Viêt Nam. Depuis plusieurs années déjà, et, semble-t-il, sans l'accord du gouvernement cambodgien, l'aviation américaine multiplie les raids aériens aux frontières de l'Est. Ils sont censés détruire un hypothétique quartier général du Viêt-cong, base supposée de ses opérations au Sud-Viêt Nam1. Les bombardements, qui n'épargnent pas les populations civiles, ont pour résultat d'enfoncer la guérilla viêt-cong plus avant à l'intérieur du Cambodge2, créant l'inquiétude à Phnom Penh.

La présence vietnamienne sur le sol cambodgien est un argument de choix pour les adversaires de Sihanouk. Alors que celui-ci est parti en voyage exposer ses griefs aux alliés communistes des Viêt-cong et obtenir leur retrait, des manifestations, organisées avec son accord par le Premier Ministre Lon Nol, dégénèrent. Les locaux des ambassades de la République Démocratique du Viêt Nam (Nord-Viêt Nam) et ceux du Gouvernement Révolutionnaire Provisoire du Sud-Viêt Nam (opposants communistes et nationalistes au gouvernement pro-américain du Sud-Viêt Nam) sont saccagés à Phnom Penh, les tensions atteignant un point de non-retour quand le secrétaire général des Affaires Etrangères cambodgien fait parvenir un ultimatum aux deux ambassades pour réclamer le retrait des troupes vietnamiennes.

Parallèlement à cette mise en condition de l'opinion publique, les opposants à Sihanouk s'emploient activement à rallier les “tièdes”, les opportunistes et les hommes de gauche hostiles au Sangkum. Sa destitution est votée par les députés à l'unanimité des voix, le 18 mars 1970, alors qu'il s'apprête à quitter Moscou pour Pékin.

Les cinq années qui suivent sont marquées par l'extension des combats à l'ensemble du pays, provoquant la destruction d'une grande partie des infrastructures et des services publics, dont le système de santé. L'entrée dans la seconde guerre

1 Il semblerait que ce fameux Central Office For South Vietnam, caché à la frontière entre le Cambodge et le Sud du Viêt Nam, n'ait pas existé. Voir Jean-Claude POMONTI et Serge THION, Des courtisans aux partisans. Essai sur la crise cambodgienne, Paris : Gallimard (Coll. “Idées”), 1971, p. 209.

2 William SHAWCROSS décrit en détail l'opération militaire secrète commencée en 1967 (baptisée Menu) et l'organisation des raids au Cambodge (nommés Petit-Déjeuner, Déjeuner, Dîner, Dessert et Souper), décidés par Nixon et son conseiller Kissinger, à l'insu du Congrès américain, dans le cadre de leur politique d'escalade au Viêt Nam. Le but était de pousser le Cambodge dans le conflit en l'amenant à prendre position contre les communistes vietnamiens, tout en “vietnamisant” la guerre afin de pouvoir retirer les troupes américaines dont les pertes suscitaient l'émoi dans l'opinion publique des Etats-Unis.

Telle était, selon les termes mêmes du président américain, la “doctrine Nixon”. Voir Une tragédie sans importance. Kissinger, Nixon et l'anéantissement du Cambodge, Paris : Balland, 1979, 438 p. [1ère éd.

américaine 1979].

d'Indochine s'accompagne d'une dépendance accrue vis-à-vis de l'aide américaine – essentiellement militaire puis économique et, pour une faible part, humanitaire.

B - L'inconsistance de la République Khmère et la main-mise américaine L'annonce de la destitution du prince provoque immédiatement l'enthousiasme de tous les mécontents du Sangkum. Si sa politique extérieure a fait l'unanimité, les jeunes intellectuels espèrent la démocratisation intérieure et la fin d'une monarchie désuète. Ce vent de liberté est perceptible dans le milieu médical comme dans tous les autres milieux citadins éduqués1. Pourtant, le programme politique de la nouvelle équipe au pouvoir s'avère rapidement peu consistant et déçoit tous ceux qui avaient espéré un changement. Pour l'essentiel en effet, hormis un hymne national et un drapeau nouveaux, il s'inscrit dans la continuité du Sangkum. Au point que l'accord sur la forme du régime elle-même n'est pas réalisé avant octobre, date à laquelle la République Khmère est instaurée, tandis qu'il faut attendre mai 1972 pour voir promulguer une nouvelle Constitution. L'avènement de cette jeune république se résume donc surtout à l'“assassinat politique du père”2 Sihanouk et ne tient pas ses promesses d'un nouveau mode de fonctionnement de la chose publique, où les jeunes intellectuels formés dans les universités cambodgiennes auraient trouvé un espace d'action.

Très rapidement, il devient clair en effet que la liberté n'est pas au rendez-vous. Un état-major spécial dispose de pouvoirs illimités3 puis, après 1973, un Haut Conseil Politique, sous l'égide de Lon Nol, se substitue au gouvernement. Des clans se font, se défont et s'affrontent à l'intérieur du gouvernement4, rendant l'instabilité

1 Un médecin militaire français ayant quitté le Cambodge peu avant la chute du prince nous raconte que son épouse, revenue en visite dans le pays, a été frappée par le changement d'attitude des anciens collègues cambodgiens de son mari. Extrêmement réservés et peu diserts sous le Sangkum, ils étaient devenus plus expansifs, joyeux et communicatifs ensuite ; modification qu'il attribuait à la nouvelle liberté d'expression.

2 Charles MEYER, op. cit., p. 352.

3 ROS Chantrabot, La République Khmère, Paris : L'Harmattan, 1993, p. 36.

4 Les personnages principaux de la République Khmère sont le général Lon Nol, son frère cadet, le lieutenant de police Lon Non et le prince Sisowath Sirik Matak. Le premier, chef du dernier gouvernement Sihanouk, est décrit comme un personnage effacé, médiocre et à l'esprit confus. Son ami d'enfance, le prince Sisowath Sirik Matak est le cousin du prince Sihanouk. On lui attribue un désir de revanche sur son parent dans la mesure où il est issu de la branche cadette de la famille royale (les Sisowath), frustrée du pouvoir par le Protectorat français qui lui préféra les Norodom. Le prince Sirik Matak s'oppose à l'avènement d'un régime républicain, souhaitant peut-être secrètement monter sur le trône. Enfin, Lon Non poursuit ses propres ambitions après être resté dans le sillage de son frère aîné. Il se heurte en particulier à Sirik Matak et s'allie à d'anciens“Khmers Libres”(Khmer Serey), groupe de

ministérielle plus grande encore qu'elle ne l'avait été sous l'“ancien régime” – comme l'on prend l'habitude d'appeler le Sangkum. Chacun de ces clans dispose de “sa”

jeunesse – manifestant sur demande et contribuant au renversement des rivaux – ainsi que de “ses” commerçants et de “ses” hommes d'affaires, bénéficiant de portefeuilles ministériels juteux et du produit de trafics divers, dont l'aide militaire américaine fournit l'essentiel (licences d'importation, ventes d'armes à l'ennemi, trafics de soldes des hommes de troupes).

Le Cambodge perdant de facto son indépendance au profit d'une puissance jouissant du monopole de la présence, de l'influence et de l'aide étrangères, de nouveaux rapports se mettent en place, que l'on peut, à nouveau, analyser comme un type de négociation spécifique. En échange de la main-mise sur le Cambodge et de la participation de ce dernier à la guerre du Viêt Nam, les Etats-Unis se trouvent en effet soumis à une surenchère de demande d'aide. Ils distribuent celle-ci massivement, en se montrant peu regardants sur la tenue des comptes de dépense, alimentant la spirale des détournements de plus en plus importants et de moins en moins discrets.

Le gouvernement cambodgien, sentant menacée une identité nationale qui ne peut plus s'appuyer sur le symbole royal, favorise, par le moyen de la propagande, le dispositif traditionnel de la méfiance, vite transformée en haine, à l'égard du voisin vietnamien, cause de tous les maux. Les soldats gouvernementaux se livreront ainsi, dans les premiers mois du nouveau régime, à des massacres de migrants vietnamiens civils installés au Cambodge. Par ailleurs, sous la houlette de Lon Nol, se développent des travaux sur la “civilisation khmère-môn”1 et la “race khmère-môn”, dans une quête éperdue et peu crédible de la pureté des origines. On raconte ainsi que la première mission envoyée à l'étranger avait pour but de rechercher, en Birmanie, berceau des Môn, le costume originel “khmer-môn”. Telles sont les tentatives, futiles mais désespérées, pour construire un discours identitaire face aux menaces qui pèsent

guérilla nationaliste anti-communiste puis anti-monarchiste soutenu par les Américains et dirigé par Son Ngoc Thanh. Ce dernier sera un temps Premier Ministre sous la République Khmère.

1 La langue khmère est classée dans la famille linguistique “môn-khmère”, du nom de ses deux langues les plus importantes. L'expression “khmère-môn” entend signifier la prédominance du premier élément sur le second. Sur le néo-khmérisme mis à l'honneur par Lon Nol, lequel entend également lancer une

“guerre de religion” – étrangère à l'histoire cambodgienne – voir Marie Alexandrine MARTIN, Le mal cambodgien. Histoire d'une société traditionnelle face à ses leaders politiques, 1946-1987, Paris : Hachette, 1989, pp. 132-133.

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sur le pays. Mais, plus que l'incohérence gouvernementale, c'est l'entrée dans la guerre qui déstructure profondément la société cambodgienne, animant la population d'un sentiment général de “sauve-qui-peut” dont on trouve l'empreinte dans le système de santé.

C - Le système de santé dans la logique de guerre

Face à l'attitude des nouvelles autorités de Phnom Penh, les mouvements de troupes viêt-cong se multiplient sur le territoire cambodgien1 et suscitent la riposte de la nouvelle armée républicaine. Au début de la saison sèche (avril-juin) de 1970, les forces terrestres et aériennes américaines et sud-vietnamiennes attaquent en masse2, toujours à la recherche du quartier général secret du Viêt-cong, à l'Est (région de Mimot). Les combats s'étendent ensuite à la plus grande partie du pays entre, d'une part, Américains, Sud-Vietnamiens et armée républicaine cambodgienne et, d'autre part, Viêt-cong, Nord-Vietnamiens et troupes communistes cambodgiennes. Les Sud-Vietnamiens multiplient pillages, viols et violences en représaille aux massacres de mars 1970 tandis que leurs alliés cambodgiens forment un groupe militaire faible malgré la mobilisation générale et l'aide matérielle américaine, peu entraîné, mal dirigé, et de moins en moins convaincu3. Quant aux communistes cambodgiens, leurs hommes sont au contraire de plus en plus nombreux, disciplinés et habités de la rage de vaincre.

Dès la fin juin 1970, le gouvernement républicain a perdu le contrôle de la moitié du territoire national et la situation ne fera qu'empirer avec le temps. L'encerclement des villes, tactique des guerilleros communistes, entraîne rapidement la coupure des voies de communication, mise à part celle qui rejoint Phnom Penh à Saigon.

Dès lors, les réfugiés fuyant les combats, affluent en Svay Rieng, enclave gouvernementale frontalière du Sud-Viêt Nam puis vers Phnom Penh. Ils sont déjà

1 Soit 50 000 Viêt-cong (révolutionnaires du Sud-Viêt Nam) et Nord-Vietnamiens, d'ap. Charles MEYER, op. cit., p. 341.

2 30 000 G.Is et 40 000 Sud-Vietnamiens lancent l'offensive, d'ap. David P. CHANDLER, The Tragedy of Cambodian History. Politics, War and Revolution since 1945, New Haven : Yale Univ. Press, 1991, p. 204.

3 La condition des hommes de troupe, accompagnés dans leur campagne par femmes et enfants, est misérable et contraste avec la vie de leurs commandants “qui se comportaient en seigneurs de la guerre mais qui demeuraient à Phnom Penh, bien en sécurité. Ces derniers devinrent les nouveaux riches du régime ; ils menaient une vie luxueuse dans l'inconscience et la débauche, sans même qu'il leur vînt à l'idée de sauver les apparences”, écrit un ancien militaire républicain. Voir ROS Chantrabot, op. cit., p.

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plusieurs centaines de milliers en août 1970, s'entassant dans les bidonvilles construits à la hâte à la périphérie de la capitale ou dans les camps gouvernementaux. En 1975, Phnom Penh, petite ville de 600 000 à 700 000 habitants avant la guerre, abrite deux ou trois millions1 de personnes sur les sept millions que compte le Cambodge. Une activité de survie remplace le cours normal des existences à mesure que les produits alimentaires se font rares. Dès juin 1972, Phnom Penh manque de nourriture tandis que les prix flambent2, la spéculation aggravant l'inflation. Des potagers de fortune sont plantés sur les balcons, les trottoirs et dans les jardins publics de cette ville jadis coquette car les surplus de l'armée américaine remplacent, sur les marchés, les étals de légumes et de viandes. Un rapport de l'O.M.S de 1974 fait état de nombreux cas de malnutrition grave3, dans un pays où les problèmes nutritionnels étaient rares et souvent bénins4. Nombre de paysans ont en effet abandonné leurs rizières et l'insécurité des routes complique l'approvisionnement de la capitale, ainsi que les échanges entre provinces.

L'aide américaine se substitue peu à peu à l'ensemble des revenus publics car les exportations cambodgiennes de riz et d'hévéa qui alimentaient les caisses publiques cessent. Moins d'un an après la chute du prince Sihanouk, à la fin de 1970, le gouvernement dépense cinq fois son revenu5. Les salaires de la fonction publique ne pouvant être relevés, les bureaux sont désertés par de petits et moyens fonctionnaires aux abois, lancés dans des activités parallèles susceptibles de leur procurer quelque revenu. Pourtant, les villas et les Mercédès neuves de quelques hauts fonctionnaires, chefs militaires et riches commerçants n'ont jamais été aussi luxueuses qu'en cette époque de pénurie. Cette différenciation sociale accrue est durement ressentie et alimente la propagande khmère rouge dans les villages “libérés” et collectivisés.

Le système de santé, à l'image de l'ensemble de la politique gouvernementale, n'est l'objet d'aucun remaniement en profondeur après l'avènement de la République Khmère. Le ministère de la Santé Publique, dont l'organigramme est

1 William SHAWCROSS, op. cit., p. 183.

2 De 100 en 1949, l'indice des prix passe à 523 fin 1970 et à 11 052 fin 1974. Ibid., pp. 222-223.

3 William SHAWCROSS, op. cit., p. 350.

4 UNG Teng, Place des problèmes de nutrition dans la Santé Publique au Cambodge, Rennes, mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique, section médecins, 1967-1968, p. 53.

5 William SHAWCROSS, op. cit., p. 221.

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modifié par décret du Chef de l'Etat en mars 1971, s'appuie sur les textes du Sangkum qui, eux-mêmes, se surajoutaient aux textes du Protectorat1, créant, selon les termes d'un responsable administratif, la “confusion” et “l'incertitude des interprétations”2. On note cependant une tentative de décentralisation des instances de décision, grâce à la création de six Directions Régionales des Services de Santé, regroupant plusieurs Directions Provinciales. Cela est d'autant plus nécessaire que la guerre paralyse les communications, donnant aux provinces une autonomie forcée. On relève aussi, dans les premiers temps, des vélléités de transformation de l'exercice médical par l'un des ministres de la Santé, lui-même agrégé de médecine3. Ces propositions sont intéressantes dans la mesure où elles sont typiques des processus de constitution des

“professions” observées par les sociologues dans des contextes occidentaux4 : fermeture de la profession par une sélection plus stricte des entrées (le ministre propose l'exclusion des étudiants échouant par deux fois aux examens) ; contrôle et “moralisation” du secteur sanitaire par l'élite médicale (responsabilités administratives confiées aux docteurs en médecine – et non plus aux officiers de santé5, surveillance plus stricte du dépôt pharmaceutique d'Etat afin de maîtriser les détournements, et, enfin – mesure plus originale mais qui provoque un tollé, instauration d'un impôt sur le revenu des médecins afin d'alimenter le budget hospitalier). Ces mesures s'inspirent d'un train de réformes entrepris par une ministre du Sangkum qui avait dû reculer, semble-t-il, face à l'opposition du Prince Sihanouk. Là s'arrêtent les essais de changement. Comme sous l'“ancien régime”, les moindres affaires sont traitées directement par le Chef de l'Etat ou le ministre. “Tous les pouvoirs sont accaparés entre les mains du ministre, dont le rôle n'est plus de définir une politique générale pour les actions sanitaires, mais de tout

1 Le préambule du décret N° 121/71-CE du 1er mars 1970 réorganisant le ministère de la Santé Publique reflète le flou politique général. Il commence ainsi : “Vu la loi constitutionnelle [...] du 8 octobre 1970, proclamant la République Khmère et maintenant en application l'actuelle Constitution, sauf en ce qui concerne les dispositions contraires à 'l'esprit et au régime républicains'”, etc. Rappelons que la Constitution républicaine ne sera promulguée qu'en mai 1972.

2 Kadeva HAN, Réflexions sur l'organisation actuelle du ministère de la Santé Publique au Cambodge, Rennes, mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique, section médecins, 1974-1975.

3 Information communiquée par une ancienne officier de santé.

4 Voir Eliot FREIDSON, La profession médicale, Paris : Payot, 1984, 363p. [1ère éd. am. 1970] ou Paul STARR, The social Transformation of the American Medicine. The Rise of Sovereign Profession and the Making of a vast Industry, New York : Basic Books Inc Publish, 1982, 514 p.

5 Cette division entre docteurs et officiers de santé n'apparaît pas dans les statistiques officielles et crée l'illusion d'un corps médical unifié.

contrôler, superviser et décider à la place de ses collaborateurs et subordonnés”, se plaint un médecin, chef de bureau1.

Si les espoirs discrets des médecins de voir leur autonomie s'affirmer sont vite déçus, l'heure n'est plus à ce type de débat entre confrères. La logique de guerre s'impose à eux comme à l'ensemble de la population. Elle se manifeste d'abord par une réduction drastique du budget alloué à leur ministère de tutelle (voir tableau VI, page suivante), tandis que la Défense Nationale accapare bientôt la plus grande partie des fonds publics, soit environ 60 % du budget national2 à partir de 1971, sans compter les multiples ministères directement liés à la guerre (ministères du Ralliement et de la Pacification, de la Sécurité Nationale, des Anciens Combattants, des Victimes de guerre, de la Mobilisation Générale) car, signe de l'éclatement des pouvoirs entre clans rivaux, les départements ministériels se sont multipliés au gouvernement pour atteindre la trentaine en 1973. Le Cambodge, qui importait 7,8 millions de dollars de médicaments en 1969, ne peut plus, l'année suivante, en acquérir que 4,1 millions3.

1 Ibid., p. 40.

2 D'après les chiffres de PEN Vano, Quelques réflexions sur le système hospitalier au Cambodge, mémoire de l'Ecole Nationale de Santé Publique, section administrateurs d'établissements sanitaires et sociaux, 1975, p. 37.

3 William SHAWCROSS, op. cit., pp. 226-227. D'après cet auteur, des fonctionnaires cambodgiens du

3 William SHAWCROSS, op. cit., pp. 226-227. D'après cet auteur, des fonctionnaires cambodgiens du