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I.5 Suspensions colloïdales de l’oxyde de cérium

I.5.2 Nature des groupes de surface

Les propriétés physico-chimiques de suspensions colloïdales de nanoparticules de CeO2 issues du procédé de synthèse mis au point par Rhodia ont été étudiées par Nabavi et al. [48] et Spalla et al. [49]. Ces nanoparticules se présentent sous la forme de monocristallites de forme ellipsoïdale avec des surfaces hydratées et chargées d’ions.

I.5.2.1 Différenciation des faces

La chimie de surface de ces nanoparticules est complexe et inhomogène. Les cristaux sont constitués de plans cristallographiques simples dont les plus importants (c'est-à-dire ceux qui possèdent la plus grande densité atomique) sont les plans d’indices 111 (7,9 Ce.nm-2), 110 (4,8 Ce.nm-2) et 100 (6,8 Ce.nm-2). L’hydratation des différentes faces n’est pas la même. En effet, les atomes de cérium et d’oxygène se trouvant en surface d’une face cristallographique donnée ont une coordinence insaturée. L’hydratation consiste à compléter la coordinence à l’aide de molécules d’eau. L’eau s’adsorbe à la surface, l’oxygène se lie au métal, alors que l’hydrogène se lie à l’oxygène de surface. Il s’ensuit une rupture de la liaison O-H dans la molécule d’eau : Ce O Ce O Ce O H H Ce O Ce O Ce O H H

Figure I-1 : Hydratation d’une face cristallographique.

Sur les faces cristallines (100), les atomes de cérium ont une coordinence huit respectée. L’oxygène a une coordinence de deux seulement et peut donc capter un ou deux hydrogènes (Schéma I-3-a). Ces hydroxyles sont reliés à deux atomes de cérium et seront donc notés par la suite : Ce2-OH. Le plan 100 hydraté présente donc une densité de 6,8 hydroxyles par nm2. Tandis que sur les faces (111), les cériums ne sont cette fois qu’heptacoordinés et par cérium de surface, il y a un oxygène tricoordiné (Schéma I-3-b). Le plan hydraté présente une densité de 7,9 hydroxyles par nm2. On attribue l’OH au cérium et l’hydrogène à l’oxygène pontant. Après hydratation, la surface porte donc deux types d’hydroxyles en quantité égale, un hydroxyle relié à un atome de cérium noté Ce-OH et un hydroxyle relié à trois atomes de cérium noté Ce3-OH. Enfin, sur les faces (110), les cériums sont hexacoordinés et par cérium de surface il y a deux oxygènes tricoordinés (Schéma I-3-c). On trouve sur cette face après

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hydratation une densité de 9,6 Ce3-OH par nm2 et 9,6 Ce-OH par nm2. Les hydroxyles tricoordinées de cette face sont, au premier ordre, les mêmes que ceux de la face (111) c'est-à-dire qu’ils sont reliés à un même nombre d’atomes de cérium. Cependant, les cériums auxquels ils sont reliés ont des environnements différents.

a) b) Ce O O O O

O Oxygène au-dessus du plan des cériums Ce Plan des cériums

O O O Ce O O O

O Oxygène du plan extérieur

O Oxygène du plan intérieur

Ce Plan des cériums

c) O O Ce O O O O O O O Ce O O O Ce O O O Ce Ce Ce Ce Ce Ce O O

Ce Cérium du plan intérieur

Oxygène du plan intérieur Cérium de surface Oxygène de surface

Schéma I-3 : Schéma montrant les plans ; a) (100) ; b) (111) et c) (110) avant hydratation [49] .

I.5.2.2 Adsorption de protons

Les sites de surface étant très différents, le comportement acido-basique diffère d’une face à une autre. A la surface du CeO2, le comportement acido-basique des groupements hydroxyle de surface peut être prédit par le modèle de complexation multisites (MUSIC) (MUlti SItes Complexation) développé par Van Riemsdijk et al. [50]. Ce modèle repose sur la coordination des hydroxyles et permet de prévoir les constantes d’acidité théoriques de chaque site grâce à

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des considérations électrostatiques. L’adsorption des protons a lieu sur plusieurs sites différents. Pour cette raison, le modèle a été appelé MUSIC. Selon cette définition, un atome au cœur d’un cristal ionique compense sa charge en donnant un nombre d’électrons égal à v = Z/N où Z représente le degré d’oxydation du cation (ZCe = 4) et N sa coordination au sein d’une structure (N = 8 puisque chaque atome de cérium est coordiné à huit atome d’oxygène). La valence formelle est donc v = 4/8 = 0,5. Dans l’eau, la coordination de l’atome métallique est complétée par les oxygènes adsorbés et une surface porte des hydroxyles différemment coordinés. Un hydroxyle coordiné à n métaux s’écrit Cen-OH. En surface la coordination des métaux est toujours satisfaite (après hydratation) et ces métaux mettent toujours en jeu une charge formelle v dans leur liaison avec un oxygène de surface. Cependant, pour des groupes hydroxyles de surface, leur charge négative n’est pas toujours compensée par les cations et il en résulte une charge formelle δ = nv-p où v est la valence formelle de liaison, n le nombre de cations auxquels le ligand OH est coordiné et enfin p le nombre d’hydrogène du ligand de surface. Si on ajoute un hydrogène, la charge du site remonte d’une unité. Pour chaque site, on peut préciser les équilibres acido-basiques :

Cen OH2nv Cen OHnv-1+ H+ Cen Onv-2+ 2H+

Kn,2 Kn,1

I-1

Les constantes Kn,1 et Kn,2 sont appelées constantes de première et deuxième protonation. Le groupe de surface est d’autant plus acide que sa charge formelle δ est positive.

Maintenant on va examiner la coordination du cérium avec les atomes d’oxygène sur chaque face cristalline. Les plans (100) ne comportant que des groupements dicoordinés Ce2-OH, ces derniers peuvent adsorber un proton et l’équilibre suivant va s’établir :

Ce2 OH2+1 Ce2 OH0 + H+ Ce2 O-1 + 2H+

pK2,2=1 pK2,1=14,8 I-2

Les faces de ce plan sont presque non chargées dans la zone de pH accessible et le point de charge nulle (p.z.c.) est la moyenne des deux valeurs de pK, soit 7,9.

Concernant les groupements chargés monocoordinés, Ce1OH-1/2 et tricoordinés, Ce3O-1/2 stabilisés sur les plans (111) et (110). Les équilibres pour chaque site sont :

Ce1 OH2+0,5 Ce1 OH-0,5+ H+ Ce1 O-1,5+ 2H+

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Ce3 OH2+1,5 Ce3 OH0,5+ H+ Ce3 O-0,5+ 2H+

pK3,2=-8.3 pK3,1=5,5

I-4

Les faces cristallines des plans (111) et (110) seront chargées positivement pour un pH inférieur à 5,5, zwittérioniques entre pH 5,5 et 10,4 et chargées négativement au-delà de pH 10,4. Leur p.z.c. est égal à 7,9. La seule différence entre les deux plans est que la densité des groupements est plus élevée (9,6 groupes.nm-2). Le p.z.c pour chaque type de phase cristalline est de 7,92 ce qui est proche de la valeur prédite par De Faria et al. [51]. Enfin, selon le procédé de synthèse et l’état d’hydratation de surface, le p.z.c peut varier de 6,75 à 8,1 [52]. En dehors des protons et des hydroxyles, d’autres ions comme les ions nitrate, acétate, les ions ammonium et les ions Ce3+ peuvent également s’adsorber à la surface des particules. Ces derniers proviennent d’une faible dissolution-réduction des ions Ce4+. Lorsque le précipité est dissout dans l’eau pendant l’étape de synthèse, 2% du cérium est présent sous forme d’ions Ce3+. Ces ions peuvent subir des hydrolyses ou modifier la chimie de surface des dispersions. Afin de les éliminer, les dispersions sont dialysées contre de l’acide nitrique à faible pH jusqu’à ce que la concentration de ces ions devienne inférieure à 0,1% de la quantité totale de cérium.

I.5.2.3 Interprétation du rôle du nitrate

Les contre-ions nitrates sont présents en forte concentration et peuvent influencer les équilibres de surface. L’adorption de ces ions contrôle la charge acquise par les nanoparticules en dispersion aqueuse. Sur la surface des nanoparticules, les ions nitrates ne sont pas liés de la même manière sur tous les sites. De même, l’adsorption de ces ions peut être sélective sur certaines faces et même sur certains sites. Il existe deux types de sites : x Des sites où les ions sont liés par adsorption ; dans ce cas, il existe deux genres de

contre-ions :

- Les anions électrostatiques qui n’ont aucune affinité pour la surface ou même pour la structure locale de l’eau au voisinage de la surface et qui présentent avec la surface une interaction purement électrostatique quand celle-ci est chargée (Schéma I-4-a).

- Les contre-ions adsorbés d’une manière spécifique et qui présentent une affinité particulière avec la surface lorsque celle-ci est chargée de signe

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opposé. Il s’agit d’une adsorption faible due à la structure particulière de l’eau au voisinage de la surface (Schéma I-4-b). En termes de distance à la surface, ce type de contre-ion vient plus près que le contre-ion électrostatique.

x Des sites ou les ions sont complexés chimiquement sur la surface, il s’agit d’une véritable liaison chimique établie entre le cérium et l’anion nitrate (Schéma I-4-c). La liaison se forme lorsque l’ion est présent au moment de la synthèse des particules. La réaction chimique est la suivante :

    o  OH NO M O NO OH M 3 2 I-5

Le Schéma I-4 suivant illustre les trois types d’adsorption des contre-ions nitrates sur les faces cristallines des nanoparticules de CeO2.

Ce O H + Ce O a) b) Ce O H O H O N O O c) H N O O H O N O O

Schéma I-4 : Adsorption des contre-ions nitrates sur la surface des nanoparticules de CeO2 [49]

.

A pH très acide (< 3), l’interface est bien chargée et attire les contre-ions liés par adsorption. Quand les particules viennent au voisinage l’une de l’autre, la double couche de contre-ions les protège d’un collage irréversible. Cependant, le sol n’est stable que dans une fenêtre très étroite de pH autour de son point initial (pH < 3) et précipite dès qu’on s’éloigne de ce pH et qu’on se rapproche du point isoélectrique. En effet, quand on augmente le pH, la charge positive est progressivement éliminée par l’enlèvement d’un proton ce qui va entraîner la perte des contre-ions. Jusqu’à pH 4, ce sont seulement les nitrates liés par liaisons électrostatiques qui sont relâchés. Seules de faibles liaisons non spécifiques entre les surfaces

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comme des liaisons de Van der Waals peuvent être formées. Lorsqu’on repasse à pH acide, on arrive à réadsorber les nitrates enlevés et par la suite à redisperser le sol floculé. Au-delà de pH 4, on commence à relacher les contre-ions liés par adsorption spécifique et ainsi, si deux faces viennent au contact, elles peuvent se coller par une réaction de condensation de deux fonctions Ce-O-H selon la réaction I-6, ce qui entraîne une agrégation irréversible de la dispersion.

Ce OH + OH Ce Ce O Ce + HOH I-6

A un pH > 6, les particules sont toujours précipitées quelle que soit la force ionique. A ce pH, on commence à relarguer quelques nitrates liés par complexation par une réaction de type I-7. Il s’agit d’une hydroxylation de la surface où un hydroxyle remplace un nitrate lié de manière covalente suivant la réaction suivante :

Ce ONO2 + OH- Ce OH + NO3- I-7

Ces nitrates sont natifs et ne peuvent pas recomplexer la surface une fois déplacés par un hydroxyle et ce sont surtout les sites tridentés qui sont complexés par ces ions. Ces derniers ne sont pas tous réadsorbés lorsqu’on passe à pH acide à cause de la perte de certains sites actifs par une réaction de type I-6 ce qui entraîne une agrégation irréversible de la dispersion.

Entre pH 7 et pH 10, l’agrégation est irréversible, les groupes de surface ont perdu tous les nitrates liés fortement mais ils possèdent toujours des sites actifs qui, à faible pH, réadsorbent le nitrate. Dans cette gamme de pH, des liaisons fortes entre les surfaces se sont formées, et une réorganisation de la surface entraîne une agrégation irréversible. A pH > 10, le nombre de sites accessibles à l’hydroxylation est stabilisé, les sites responsables de la liaison nitrate forte ont disparu et la chimie de surface ressemble à celle du cérium pur.