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II.1 Etude bibliographique

II.1.2 Emulsions de Pickering

II.1.2.3 Mécanisme de stabilisation des émulsions de Pickering

II.1.2.3.1 Le mouillage et la position desparticulesà l’interface

L’adsorption de nanoparticules à l’interface d’une émulsion de Pickering est due selon Hildebrand [30] au fait que les nanoparticules sont partiellement mouillées par les deux phases. L’adsorption est caractérisée par l’angle de contact θ qui détermine le positionnement des

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particules à l’interface (Figure II-4). Pour obtenir une stabilisation optimale de l’émulsion, sa valeur doit être proche de 90° (mesuré du côté de la phase aqueuse). Si les particules sont trop mouillées par l’une des phases, la stabilisation n’est pas efficace [30, 31].

En présence de tensioactifs moléculaires, la règle empirique de Bancroft [32] permet de prévoir le type d’émulsion (H/E ou E/H) en fonction de la solubilité du tensioactif utilisé : « la phase continue de l’émulsion sera celle qui solubilise préférentiellement le tensioactif ». Plus tard en 1949, Griffin [33] a introduit la notion debalance hydrophile-lipophile (ou HLB, de l’anglais Hydrophilic-Lipophilic Balance) du tensioactif utilisé. La HLB est un nombre qui caractérise la solubilité préférentielle des molécules de tensioactif dans l’eau ou dans l’huile et qui permet donc de prévoir le type d’émulsion (H/E ou E/H). Dans le cas des émulsions stabilisées par des particules colloïdales, Finkle [30] fut, le premier en 1923, à essayer d’établir une relation entre la nature des particules colloïdales et le type d’émulsion obtenu préférentiellement. Finkle et al. ont conclu que, dans une émulsion dePickering, la phase qui « mouille le moins bien » les particules solides sera la phase dispersée. Récemment, Binks et

al. [34, 35] ont approfondi et généralisé ces résultats. Les auteurs ont montré que la valeur de l’angle de contact est le paramètre correspondant au HLB du tensioactif qui permet de prévoir le type d’émulsion (Figure II-4). Selon eux, en présence de volumes d’eau et d’huile égaux, si les particules sont hydrophiles telles que des oxydes métalliques, l’angle de contact θ est inférieur à 90°; la particule est majoritairement mouillée par la phase aqueuse et l’émulsion formée est de type H/E. En revanche, pour des particules hydrophobes, θ est supérieur à 90°; la majeure partie de la particule sera au contact de la phase huileuse et l’émulsion sera de type E/H. Pour des particules d’hydrophobie « intermédiaire », les deux types d’émulsions sont stables à l’échelle d’au moins trois ans. Il est donc possible de stabiliser avec un même type de particules à la fois des émulsions directes et des émulsions inverses.

65 Huile Eau θ<90° θ=90° θ>90° θ θ θ

Figure II-4 : Configuration d’une particule sphérique adsorbée sur une interface eau/huile plane pour un angle de contact θ inférieur à 90° (à gauche), égal à 90° (au centre) et supérieur à 90° (à droite) [25].

II.1.2.3.2 Les aspects énergétiques

La mouillabilité des particules (exprimée par la valeur de l’angle de contact) influence la quantité d’énergie nécessaire pour enlever une particule de l’interface. En faisant l’hypothèse qu’une particule solide sphérique est de petite taille (submicronique) et que l’effet de la masse est donc négligeable, l’énergie nécessaire pour déplacer une particule de rayon r de l’interface H/E vers l’une ou l’autre des deux phases est donnée par l’équation II-7 : [36-38].

) cos 1 ( / / 2 E H E H r E

S J

r

T

' II-7

Avec γH/E la tension interfaciale entre la phase aqueuse et la phase huileuse et θH/E l’angle de contact formé entre l’huile et la particule.

Le signe positif dans l’équation correspond à l’extraction vers la phase huileuse et le signe négatif à l’extraction vers la phase aqueuse. Cette équation montre qu’en fonction de l’angle de contact, l’adsorption d’une particule à la surface peut être élevée ou faible. Elle est faible (10 kT) pour des angles compris entre 0° et 20° ou 160° et 180° et maximale pour des angles proches de 90° [36]. Pour un angle proche de 90°, l’énergie nécessaire pour enlever une particule de l’interface est de l’ordre de 1000 kT. Ainsi, l’adsorption peut être considérée comme irréversible. L’énergie nécessaire pour détacher une particule de l’interface dépend aussi de sa taille. La Figure II-5 représente l’évolution de l’énergie ∆E nécessaire pour

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désorber une particule de l’interface. Les paramètres choisis pour la figure sont γH/E = 50 mN.m-1 et θ = 90°.

Figure II-5 : Evolution de l’énergie nécessaire pour détacher une particule sphérique de rayon r adsorbée à une interface H/E (γH/E = 50 mN.m-1)dans le cas où l’angle de contact est de 90°C (T = 298 K) [39].

Il apparaît que pour r = 10 nm, il faut mettre en jeu 1000 kT pour désorber une particule de l’interface. Dans ce cas, l’adsorption des particules est irréversible. Ceci constitue une différence majeure avec les tensioactifs moléculaires, qui s’adsorbent ou se désorbent de façon réversible. Pour des particules très petites, de diamètres inférieurs à 0,5 nm (c'est-à-dire de taille similaire à la taille des molécules de tensioactifs), l’énergie d’adsorption est très faible (inférieure à 7 kT) [36]. Le détachement de l’interface est alors facile et ces particules ne sont pas efficaces comme émulsifiants.

II.1.2.3.3 La structure de l’interface et les mécanismes de stabilisation de l’interface

Les expériences montrent que les particules aux interfaces peuvent adopter quatre types de configurations différentes afin d’empêcher la coalescence et stabiliser les gouttelettes d’émulsion [40]. Les particules peuvent former une mono- ou multicouche dense autour des gouttelettes d’émulsion recouvrant ainsi complètement l’interface [41-45] (Figure II-6-a). L’énergie d’adhésion latérale très forte entre les particules entraîne la formation d’une barrière rigide qui empêche stériquement la désorption des particules de l’interface vers le volume et donc la coalescence des gouttelettes (Figure II-6-i). Ce mécanisme de stabilisation est nommé « stabilisation bicouche ». Cette barrière a des propriétés viscoélastiques dont la composante élastique croît quand la concentration en particules augmente [46].

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Une autre configuration est la formation d’une monocouche de particules entre deux gouttelettes (Figure II-6-b). La stabilisation est assurée par la fusion des deux couches de particules en une seule et la formation d’un pont entre les deux gouttelettes qui peuvent rester intactes. Ce phénomène s’appelle pontage [47-49]. Pour que le phénomène de pontage puisse avoir lieu, il faut d’abord que les particules soit plus mouillées par la phase continue et que l’énergie d’adhésion soit suffisamment importante pour que les particules ne soit pas expulsées de l’interface.

Dans les deux cas de configuration mono et bicouche, l’encombrement stérique empêche la désorption des particules de l’interface dans le volume et le déplacement latéral à l’interface (Figure II-6-ii). Un autre mécanisme qui conduit aussi à la stabilisation des gouttelettes en empêchant leur coalescence est la formation d’un film de phase continue entre les gouttelettes. Le film peut être stabilisé par des forces capillaires (Figure II-6-iii) qui empêchent sa rupture et/ou par les propriétés rhéologiques de l’interface elle-même (Figure II-6-iv) qui empêchent le drainage du film [50-52].

D’autres configurations ont été aussi observées dans les expériences comme la formation de domaines denses à l’interface et ne couvrant pas complètement la surface des gouttelettes. Par exemple, Tarimala et Dai [53] ont observé ce type d’arrangement, pour des particules de polystyrène (1 μm) formant des structures hexagonales et ne couvrant pas complètement la surface des gouttelettes, bien que la quantité de particules dans le système soit suffisante. De même Gautier et al. [48] et Vignati et al. [54] ont obtenu des émulsions stabilisées par des clusters d’agrégats 2D lorsque le taux de recouvrement de l’interface est faible comme illustré sur la Figure II-6-c. Le mécanisme de stabilisation dans le cas des interfaces non complètement couvertes est peu compris. Il peut être d’origine stérique: l’énergie d’adsorption des agrégats sur la surface est élevée ce qui limite leur désorption de l’interface vers le volume. Selon Vignati et al. [54] c’est la formation de ponts de particules entre les gouttelettes qui est responsable de la stabilisation des gouttelettes lorsque la surface n’est pas complètement couverte. Dans ce cas, les mêmes mécanismes de stabilisation illustrés sur la Figure II-6-(i-iv) peuvent être à l’origine de la stabilisation des émulsions. Enfin, Arditty et

al. [55] ont attribué la stabilisation des interfaces non complètement couvertes à un phénomène de coalescence des gouttelettes, jusqu’a ce que la nouvelle interface résultante soit complètement recouverte. L’adsorption des nanoparticules étant irréversible, la coalescence réduit la quantité d’interface et s’interrompt lorsque la densité de particules adsorbées devient suffisante pour stabiliser les gouttelettes.

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La dernière configuration que les particules puissent adopter est la formation d’une multicouche qui se répand dans la phase externe en formant un réseau tridimensionnel (Figure II-6-d). Dans ce cas, la stabilisation des émulsions est assurée par la gêne stérique issue d’un réseau 3D empêchant le contact mutuel des gouttelettes [56] ainsi que par les mécanismes de stabilisation reportés sur la Figure II-6-(i-iv).

(a)

ii iii iv

Energie d'adhésion Proximité entre les particules Pression cappilaire Pc = P2-P1 Propriétés rhéologiques de l'interface P1 P2 (b) (c) (d) (i)

Figure II-6 : Représentation schématique des différentes configurations que peuvent adopter les particules à la surface des émulsions de Pickering, (a)-(d) et les mécanismes responsables de la stabilisation des émulsions (i)-(iv) [40].

Enfin Leunissen et al. [57] ont souligné que la stabilisation des émulsions de Pickering pouvait également provenir uniquement d’effets électrostatiques entre particules, même si ces dernières sont complètement hydrophobes. Les interactions électrostatiques entre les particules sont très fortes et conduisent à la formation d’une « surface cristalline » hexagonale à la surface des gouttelettes à l’origine de leur stabilisation Figure II-7.

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Figure II-7 : Image d’une gouttelette d’eau stabilisée par un réseau hexagonal de particules de PMMA (rayon 1,08 μm). a) Vue d’une coupe effectuée au centre de la gouttelette et b) vue de surface.

II.1.2.3.4 Morphologie des gouttelettes

Dans la majorité des exemples cités ci-dessus, la morphologie des gouttelettes d’émulsion est sphérique. Néamoins, des morphologies non sphériques ont été reportées dans la littérature. Par exemple, Bon et al. [58] ont synthétisé des émulsions de type H/E non sphériques et stabilisées par des particules hybrides polystyrène/Laponite Figure II-8.

Figure II-8 : Images FE-SEM d’une émulsion de poly-(diéthoxysiloxane)/hexadécane/eau

stabilisée par des particules hybrides polystyrène/Laponite synthétisées par polymérisation en miniémulsion Pickering (barre d’échelle = 2 μm) [58].

Pour expliquer le mécanisme de stabilisation des morphologies non sphériques, Anand Bala Subramaniam et al. [59] se sont intéressés à la formation de gouttelettes et de bulles d’air stabilisées par une couche dense de particules de polystyrène. Dans leur article, les auteurs ont démontré que la fusion de deux bulles de gaz stabilisées par une couche dense de particules par compression entre deux lames de verres conduit à une forme ellipsoïdale stable qui ne

a

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relaxe pas en une gouttelette sphérique même en relargant les nanoparticules de la surface (Figure II-9).

Figure II-9 : a) Deux bulles de gaz stabilisées par une couche dense de particules de polystyrène b) Compression des bulles de gaz entre deux lames de verres et coalescence c) Morphologie ellipsoïdale maintenue stable même après avoir retiré les lames de verre [59].

Pour expliquer ce phénomène, les auteurs se sont basés sur la loi de Laplace. La loi de Laplace appliquée à des gouttelettes non sphériques caractérisées par deux rayons de courbures R1 et R2, est donnée par la relation suivante :

2 2 1 1 R R P

V



V

' II-8

Avec ∆P la différence de pression entre le milieu intérieur et extérieur de la gouttelette, σ1 et σ2 les tensions de surface de la gouttelette et R1 et R2 les rayons de courbure.

L’interface d’un liquide ou d’un gaz à l’équilibre dans une émulsion H/E ou gaz-dans-eau (G/E) ne peut pas supporter des tensions de surface inhomogènes existant lorsque la morphologie des émulsions n’est pas sphérique. Cependant, lorsque les émulsions non sphériques sont stabilisées par une couche dense de particules, l’encombrement des particules aux interfaces peut vaincre la différence de tension de surface entre les parois des gouttelettes et les stabiliser. Dans ce cas, les auteurs ont attribué le comportement des nanoparticules denses recouvrant la surface à celui d’un « solide ».

Ce phénomène d’encombrement stérique est très répandu et a lieu avec des particules de latex ou d’oxyde de zirconium et s’étend jusqu’à quatre ordres de grandeur dans le cas des gouttelettes nano- et micrométriques. Son origine reste le sujet d’un débat intense. Selon Binks [60], il est dû à la présence de forces capillaires latérales causées par la déformation du fluide aux interfaces suite à l’effet de gravité (poids des particules et force d’Archimède). Dans ses travaux, Binks [60] a attribué aussi le genre de morphologies obtenues dans le cas des émulsions stabilisées par une couche dense de particules à une ondulation au niveau de la ligne de contact entre les trois phases due au mouillage non uniforme des particules. Une

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autre suggestion est que la déformation est due à des forces d’origine électrostatique poussant les particules vers la phase aqueuse.

Anand Bala Subramaniam et al. [61] ont pu mettre aussi en évidence ce phénomène dans le cas de gouttelettes dégonflées en comprimant une goutte de bulles de gaz stabilisées par une couche dense de particules de polystyrène (Figure II-10). Suite à la compression, la bulle de gaz libère une certaine quantité de gaz et adopte une morphologie dégonflée stable. Ce résultat suppose que les particules stabilisantes se comportent comme un solide puisque la stabilité des bulles en présence de tensions de surface anisotropes est impossible dans le cas des émulsions conventionnelles. Ensuite, les auteurs ont pu démontrer que cette morphologie est sous tension puisque la morphologie sphérique a pu être reconstituée en introduisant un tensioactif anionique à une concentration proche de sa cmc.

Figure II-10 : Gouttelettes de bulles de gaz stabilisées par une couche dense de particules de polystyrène. a) Schéma du dispositif expérimental, une gouttelette de bulles de gaz est placée sur une lame et visualisée par un microscope inversé. b) Les bulles de gaz montent à la surface de la gouttelette et se déforment en formant une face plane à l’interface. c et d) Les bulles de gaz libèrent une certaine quantité de gaz et adoptent une morphologie dégonflée avant de se déstabiliser. La capacité des gouttelettes à maintenir une forme non sphérique est typique d’un comportement de type « solide ». c) Vue de dessus (barre d’échelle = 16 μm) et d) vue de dessous, (barre d’échelle = 48 μm) [61].

La rigidité des interfaces dans les émulsions de Pickering a été également démontrée par Arditty et al. [62] en cisaillant une émulsion inverse E/H stabilisée par des particules de silice hydrophobes dans l’entrefer d’un rhéomètre en géométrie cône-plan en présence de particules en excès dans la phase continue. Lorsque le cisaillement est stoppé, l’émulsion est prélevée et observée au microscope optique. Le cisaillement a permi de fragmenter les gouttelettes primaires en des gouttelettes de diamètre inférieur. Des gouttelettes de morphologie ellipsoïde prolate ont été ainsi obtenues. Les gouttelettes, étirées par le cisaillement et stabilisées par les

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particules ne relaxent pas la forme (Figure II-11). De plus, la surface des gouttelettes présente une texture rugueuse. Les particules adsorbées à l’interface forment une « couche » rigide.

Figure II-11 : Image de microscopie optique d’une émulsion de Pickering E/H cisaillée en présence d’un excès de particules dans la phase continue. Après arrêt du cisaillement, les gouttelettes ne relaxent pas la forme [62].

Afin d’étudier les propriétés mécaniques de surface d’une émulsion de Pickering, Datta et al. [63]

ont développé une technique qui consiste à réduire le volume de la phase dispersée, ou autrement dit le volume des gouttelettes, de façon contrôlée. Pour ce faire, ils ont employé une phase dispersée dont la solubilité dans la phase continue est supposée égale à ~ 0,17 vol%. Lorsque celle-ci est mélangée avec une phase continue insaturée, une certaine quantité du liquide constituant la phase dispersée est pompée par osmose vers la phase continue jusqu’à ce que la solubilité limite de cette dernière soit atteinte (Figure II-4). Suite à ce pompage, une surface importante de la gouttelette se déforme et celles-ci adoptent une morphologie dégonflée ou froissée (« bucklée » en Anglais).

Schéma II-4 : (A) Schéma illustrant la réduction contrôlée du volume des gouttelettes d’une émulsion de Pickering stabilisée par des particules de silice enrobées par une couche d’alcane (B) image de microscopie optique d’une gouttelette dégonflée dont la phase dispersée est marquée par fluorescence (barre d’échelle 5 μm) [63].

Lorsque la quantité de liquide expulsée dans la phase continue augmente, la morphologie évolue de la forme « bucklée » vers une forme complètement froissée développant plus de zones de dépression. Les auteurs ont remarqué aussi que les gouttelettes qui sont de grosse

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taille sont plus couvertes et se déforment plus facilement que celles qui sont plus petites [64]. Ces observations suggèrent que les nanoparticules colloïdales aux interfaces liquide/liquide se comportent comme un solide. En particulier, les contraintes capillaires associées aux morphologies complètement déformées adoptées par les gouttelettes sont contrebalancées par des contraintes en tension localisées assurées par les grains solides constituant l’écorce.