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Facteurs expérimentaux influençant la stabilité des émulsions de Pickering

II.1 Etude bibliographique

II.1.2 Emulsions de Pickering

II.1.2.4 Facteurs expérimentaux influençant la stabilité des émulsions de Pickering

Plusieurs facteurs expérimentaux peuvent influencer la position de particules solides aux interfaces, et par conséquent la stabilité des émulsions de Pickering. Parmi ces facteurs, les plus importants sont la mouillabilité des particules, l’état de dispersion des particules, et la concentration en particules.

II.1.2.4.1 Mouillabilité des particules

Le traitement chimique de surface peut changer la mouillabilité. Par exemple, dans le cas de la silice, le traitement de la surface avec des chaînes hydrocarbonées la rend hydrophobe [25]. Selon le taux de substitution de groupements hydrophobes, il est possible d’obtenir toute une gamme de silices, hydrophiles, partiellement hydrophobes ou totalement hydrophobes. Par conséquent, l’angle de contact varie et influence la position des particules à l’interface et donc le type d’émulsion. Plusieurs exemples sont présentés dans le Tableau II-3.

Tableau II-3 : Relation entre la valeur de l’angle de contact et le type d’émulsion (rapport huile : eau égal à 1) pour différents types de particules de silice et d’huiles [25].

Type de particules Huile Θhe (°) Type d’émulsion

Silices hydrophiles

Dodécane 38 H/E

Cyclohexane 37 H/E

Myristate d’isopropyle 32 H/E

Undécanol 38 H/E

Silices partiellement hydrophobes

Dodécane 83 H/E

Cyclohexane 87 H/E

Myristate d’isopropyle 101 E/H

Undécanol 110 E/H

Silices hydrophobes

Dodécane 135 E/H

Cyclohexane 135 E/H

Myristate d’isopropyle 175 E/H

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Pour des phases aqueuses et huileuses données, les propriétés hydrophobe-hydrophile de la silice déterminent la stabilité de l’émulsion formée. Une stabilité optimale à l’échelle d’au moins trois ans est surtout obtenue en utilisant des particules ayant une hydrophobie « intermédiaire » (Tableau II-4). Des particules de silice hydrophiles ou très hydrophobes ne stabilisent pas efficacement les émulsions qui coalescent rapidement.

Tableau II-4 : Stabilité à la coalescence et taille moyenne des gouttelettes d'émulsion eau-toluène (1:1) stabilisées par des particules de silice de caractère hydrophobe différent. La concentration en silice est de 1% en poids. Adapté de Binks et Lumsdon[65].

% Si-OH Taille des gouttelettes

d’émulsion (μm) % de coalescence Temps de coalescence 100 150 90 2 min 79 120 5 8 min 76 75 0 3 ans

La modification de la surface des particules peut aussi avoir lieu par adsorption de molécules amphiphiles à longues chaînes [34, 66-68]. Par exemple, en modifiant la surface de particules minérales par adsorption de molécules amphiphiles in situ, Akartuna I et al. [69] ont stabilisé des émulsions H/E en introduisant jusqu’à 40 vol% de particules inorganiques. Dans ce cas, différents oxydes métalliques ont été employés (Tableau II-5).

Tableau II-5 : Conditions utilisées pour fabriquer des émulsions H/E en présence de différentes particules inorganiques [69] Oxyde métallique Diamètre des particules (d50) (nm) pH Quantité de particules (Vol%) Amphiphile (mmol.L-1) Quantité d’huile (Vol%)

α-Al2O3 200 4,75 35 Acide propionique 131 70-80

α-Al2O3 200 9,9 35 Propyle gallate 100 72,2

δ-Al2O3 65 4,75 20 Acide butyrique 85 81,9

δ -Al2O3 65 9,9 20 Propyle gallate 70 81,9

SiO2 80 10,4 35 Hexyle amine 60 72,2

Fe3O4 40 9,9 10 Octyle gallate 44 79,4

d50 = diamètre pour lequel 50% en masse des particules ont un diamètre supérieur équivalent, et les 5 autres % ont un diamètre inférieur équivalent.

Par exemple, dans le cas de l’alumine, des molécules à base d’acide carboxylique contenant entre deux et cinq atomescarbones peuvent d’un côté s’adsorber à pH 4,75 sur la surface des nanoparticules par interactions électrostratiques entre les groupements acide carboxylique et la surface métallique, et d’un autre côté augmenter l’hydrophobie des particules grâce à leur chaîne hydrocarbonée. La solubilité importante et la concentration micellaire critique élevée de ces molécules dans l’eau permettent la modification d’une concentration élevée de

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nanoparticules de tailles submicroniques pour la stabilisation des émulsions. L’adsorption de ces acides sur les nanoparticules entraîne une diminution de la tension interfaciale H/E qui est encore plus prononcée que la longueur de la chaîne hydrocarbonée et la concentration en composés amphiphiles introduits augmentent. En effet, lorsque la longueur de la chaîne alkyle augmente, les composés amphiphiles deviennent plus hydrophobes et auront davantage tendance à s’adsorber aux interfaces des gouttelettes ce qui entraîne une diminution de la tension interfaciale. De même, lorsque des concentrations plus élevées en composés amphiphiles sont introduites, une quantité plus importante est adsorbée aux interfaces ce qui se traduit par une meilleure stabilisation des émulsions et une diminution de la tension interfaciale H/E.

La concentration de molécules nécessaire pour assurer la stabilisation des émulsions dépend de la longueur de la chaîne alkyle comme l’indique la Figure II-12. Lorsque la longeur de la chaîne alkyle augmente, une concentration plus faible sera necessaire pour stabiliser les émulsions et lorsque la concentration et la longueur de la chaîne hydrophobe devient très importante, les particules s’aggrègent par interactions hydrophobes entre les particules. Par conséquent, le potentiel zeta diminue et la viscosité du milieu augmente ce qui gêne l’homogénéisation et la rupture des gouttelettes d’huile par cisaillement mécanique. D’un autre côté, il faut une concentration minimale et une hydrophobie suffisante pour que le composé amphiphile complexé par les nanoparticules d’alumine puisse stabiliser des émulsions.

Figure II-12 : Diagramme indiquant en blanc les conditions nécessaires pour préparer des émulsions H/E stabilisées par des particules d’alumine modifiées par des acides carboxyliques à chaîne courte (72 vol% huile, 35 vol% alumine dans la phase aqueuse). Les symboles pleins font référence aux émulsions obtenues après 3 min de mélange et les symboles vides représentent des émulsions qui ont besoin d’un temps de mélange plus important pour que l’émulsion devienne stable [70].

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L’auteur a étudié aussi d’une manière plus détaillée l’influence de la concentration en acide propionique (AP) complexé sur la surface des particules d’alumine sur la stabilisation des émulsions. En effet, lorsque la concentration en AP est inférieure à 87 mmol.L-1, l’émulsion présente une distribution bimodale avec des pics principaux correspondant à des tailles égales à 16,3 et 30,9 μm (Figure II-13). Lorsque cette teneur augmente, la distribution de taille devient plus étroite et la taille moyennne des gouttelettes diminue jusqu’à 7 – 14 μm. La légère augmentation de taille observée à une concentraion élevée (236 mmol.L-1) est due à l’agrégation des particules par intéractions hydrophobes ce qui entraîne une augmentation de la viscosité du milieu puisque les charges de surface des nanoparticules sont écrantées. Ceci gêne l’homogénéisation et la rupture des gouttelettes d’huile par cisaillement mécanique entraînant une légère déstabilisation de l’émulsion.

Figure II-13 : Distribution de taille des gouttelettes (en haut) et images de microscopie optique (en bas) des émulsions H/E préparées en utilisant différentes concentrations en AP. Les émulsions ont été préparées en présence de 72 vol% d’octane avec un rapport H/E = 4 et 35 vol % d’alumine. Barre d’échelle : 100 μm [70].

77 II.1.2.4.2 L’état de dispersion des particules

Les colloïdes portent des charges situées à leur surface. Ces charges attirent les contre-ions en solution dans l'eau qui forment la couche liée ou de Stern. A son tour, cette couche attire des contre-ions accompagnés d'une faible quantité d’ions : c'est la couche diffuse ou de Gouy. Il y a donc formation d'une double couche ionique, l’une accompagnant la particule lors de ces déplacements, l'autre se déplaçant indépendamment ou avec un certain retard. Entre ces deux couches, il existe un potentiel électrostatique ou potentiel de Stern, qui varie en fonction de la distance à la surface du colloïde. Dans la couche liée, le potentiel de Stern décroît linéairement car les ions constitutifs sont empilés uniformément. En revanche, dans la couche de Gouy, le potentiel électrostatique varie de manière non linéaire, étant donné que la répartition ionique résulte d'un mélange aléatoire d’ions et de contre-ions. La valeur du potentiel à la surface de la couche de Stern est appelée potentiel zêta.

Les particules ayant un potentiel zêta supérieur à +30 mV ou inférieur à -30 mV sont stables du point de vue colloïdal. Ces valeurs sont les valeurs minimales pour lesquelles la répulsion électrostatique engendre une barrière d’énergie susceptible d’empêcher les particules de se rapprocher à une distance où les interactions attractives de Van der Walls prédominent. Pour qu’une particule colloïdale joue au mieux son rôle de stabilisant Pickering, la suspension colloïdale doit être à sa limite de stabilité c'est-à-dire que son potentiel zêta doit être compris entre -30 et +30 mV. Ainsi, les particules agrégées s'adsorbent plus fortement à l'interface et assurent une meilleure stabilisation des émulsions. Des particules qui ne sont pas floculées ont plus de mobilité à l’interface que des particules floculées [46]. Dans ce cas, la coalescence sera plus facile.

Dans leurs premiers travaux, Briggs et al. [71] ont montré que des particules faiblement floculées par du sel stabilisent efficacement des émulsions de type H/E. L’ajout de chlorure de sodium (NaCl), dans les émulsions stabilisées par des particules de silice hydrophobes, réduit le potentiel de surface et entraîne l’agrégation des particules de silice à cause de la diminution de la portée des forces de répulsion électrostatiques entre les particules. A faible concentration, la stabilisation de ces émulsions est assurée par la formation d’une couche dense et rigide de particules agrégées autour des gouttelettes, les empêchant de coalescer. Tandis qu’à forte concentration en NaCl, des agrégats plus grands et plus rigides se forment au sein de l’émulsion, entraînant la formation d’un réseau de plus en plus difficile à rompre. La formation d’un réseau tridimensionnel de particules dans la phase continue, conduit au piègeage des gouttelettes et les empêche d’entrer en contact. Cette dernière explication a été

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proposée notamment pour des systèmes à base d’argiles, dans lesquels les gouttelettes sont immobilisées à cause de la forte viscosité de la phase aqueuse [72].

Dans certains systèmes, la structure des particules à l’interface des gouttelettes est influencée par le pH du milieu.Par exemple, un optimum de stabilité a été obtenu pour une émulsion stabiliséepardesparticulesd'hydroxydedemagnésiumetd’aluminium par ajustementdupH [73]

.

II.1.2.4.3 La concentration des particules

Dans la plupart des émulsions stabilisées par des particules solides, une couverture complète de la surface est nécesssaire pour assurer la stabilisation des émulsions. Lorsque la concentration en nanoparticules augmente, la taille des gouttelettes diminue pour pouvoir adsorber plus de particules aux interfaces [25, 46, 69]. Toutefois, il existe une certaine limite pour laquelle la taille minimale est atteinte et telle qu’une concentration supérieure à cette limite n’aboutit pas à une meilleure stabilisation des émulsions. Dans ce cas, les particules en excès peuvent établir dans la phase externe de l’émulsion un réseau tridimensionel entourant les gouttelettes. Cela améliore la stabilité en gênant le contact mutuel des gouttelettes [56, 74]. D’autres études ont démontré que des gouttelettes peuvent être stabilisées lorsque la surface n’est pas complètement couverte. Par exemple Midmore et al. [75] ont obtenu une émulsion H/E stable sans couverture totale des gouttelettes (taux de couverture = TC = 29%) en présence de particules de silice et d’un co-stabilisant qui est l’hydroxypropyl cellulose. Ne pouvant pas stabiliser les gouttelettes d’émulsion lorsqu’il est introduit tout seul, ce dernier participe au processus de stabilisation en entraînant la floculation partielle des nanoparticules en des agrégats qui empêchent la coalescence des gouttelettes par gêne stérique. L’auteur a démontré aussi que même pour des particules non complètement couvertes, la taille des particules diminue lorsque la concentration en silice augmente.

Dans le même contexte, Vignati et al. [54] ont réussi à stabiliser des émulsions H/E par de très faibles teneurs en silice de l’ordre de 5%. L’auteur a attribué la stabilisation des gouttelettes contre la coalescence par une redistribution et une concentration des particules aux interfaces de deux gouttelettes qui entrent en contact. Ceci est favorisé par la proximité des gouttelettes les unes des autres. Les particules dans la zone de contact formeraient dans certains cas une monocouche, suggèrant l’adhésion simultanée d’une particule à deux gouttelettes distinctes. Ce mécanisme de pontage pourrait aider à maintenir les gouttelettes à une distance donnée, en empêchant un drainage du film présent entre les deux gouttelettes. Pour des quantités faibles

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en particules, dans des conditions d’émulsification données, et lorsque la totalité d’interface créée n’est pas recouverte de particules, Arditty et al. [55, 76, 77] ont démontré que les émulsions subissaient le phénomène de coalescence limitée, jusqu'à atteindre la taille millimétrique. Autrement dit, la coalescence des gouttelettes entraîne la diminution de l’aire interfaciale et la coalescence continue jusqu'à ce que la surface des gouttelettes résultantes soit complètement recouverte de particules. Enfin, Yan et Masliyah ont démontré que des particules peuvent se trouver dans la phase continue de l’émulsion, même si la surface des gouttelettes n’est pas entièrement recouverte [38, 78].

En résumé, ces observations montrent qu’une concentration élevée en particules ne signifie pas toujours une couverture complète de la surface des gouttelettes et une couverture complète n’est pas une condition primordiale pour stabiliser des émulsions Pickering [28].