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Des mouvements de fonds importants

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C. Des mouvements de fonds importants

Il est souvent question de mouvements d’argent dans les courriers entre Louvois et Saint-Pouange. Ce dernier, lorsqu’il est auprès des troupes, est garant que l’argent du roi arrive bien à ses destinataires, princes, généraux officiers et soldats. Des sommes souvent importantes, provenant des caisses du trésorier général et imputées au compte de l’Extraordinaire de la guerre, quand elles ne sont pas directement versées par le trésorier ou l’un de ses commis, circulent au gré des besoins des armées et des possibilités de Louvois, de Saint-Pouange, au d’autres responsables militaires ou civils (généraux ou intendants). Cet argent destiné à payer les soldes et les gratifications aux officiers et aux soldats est également utilisé pour payer des fournisseurs et acheter divers objets nécessaires aux soldats tels que chaussures ou vêtements en grand nombre. Il s’agit de très grandes quantités de pièces d’or ou d’argent qui circulent ainsi. En règle générale, ces fonds sont constitués de monnaies françaises, comme le louis d’or d’une valeur de douze livres ou l’écu qui en vaut trois. Mais il arrive très souvent que des pistoles espagnoles soient aussi utilisées497 et prises selon la valeur de l’or, à équivalence à 10 ou 12 livres498 (tournois). Ceci explique que les différents intervenants

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Le 9 juin 1660, Louis XIV épouse Marie Thérèse d’Autriche, fille du roi d’Espagne Philippe IV.Ce dernier s’engage à verser au roi de France une dot de 500 000 écus (environ 1 500 000 livres), mais il ne peut donner cette quantité considérable d’or et n’en fait apporter qu’une partie en monnaies espagnoles, les pistoles. Cette somme très importante représente un apport de monnaies suffisamment important en France pour que ces pistoles soit mises en circulation dans le royaume au même titre que les pièces françaises.

498 Selon les différents auteurs et les époques du règne de Louis

XIV,la valeur de la pistole est donnée entre 10 et 12 livres tournois.

dans les opérations financières à l’intérieur des frontières parlent indifféremment de livres, l’unité de compte du royaume, de louis, ou de pistoles.

On peut imaginer l’importance du volume considérable et le poids que représentent ces pièces en lisant un extrait de la lettre que Saint-Pouange adresse à Louvois, le 1er juin 1677 de Charleville :

« Vous pouvez compter que l’armée peut estre de retour près Charleroy le 8 [de juin]. J’ay envoyé en mesme temps un des commis de l’Extraordinaire des guerres de l’armée avec cinq charrettes pour recevoir de Mr Dumonceaux les 400 000 livres que vous luy avez ordonné d’envoyer avec le convoy499».

Il s’agit très certainement de charrettes fermées d’une manière ou d’une autre, bâches ou planches pour masquer et protéger les sacs de pièces. Il faut éviter que cet argent ne tombe en raison des fondrières dont les chemins sont défoncés, mais il faut surtout que ce cortège reste le plus discret possible quand à son chargement. S’ils ont connaissance de ces transports des bandes de malandrins n’hésitent pas à monter une embuscade, et même à tirer sur les troupes royales, pour s’en emparer.

1/ D’importantes sommes d’argent sur les chemins

Selon les procédures habituelles de l’Extraordinaire, comme pour l’Ordinaire, c’est le trésorier général qui verse l’argent nécessaire au chef de l’armée ou à l’intendant. Comme pour l’Ordinaire, un reçu est signé par l’autorité militaire ou civile et lui est remis. Il doit utiliser ce document pour que sa revendication devant le Conseil du roi soit prise en compte, lui permettant ainsi d’être remboursé. Dans les faits, il est très rare que le trésorier général intervienne personnellement et c’est un commis qui dépose les fonds. Lorsque les circonstances le nécessitent, en fonction des opérations militaires et des volontés du roi, Louvois ou Saint-Pouange sont auprès des troupes et gèrent directement les besoins financiers de l’armée. C’est dans ces moments que l’on assiste à un ballet de voitures chargées de monnaie. Cela donne lieu à des échanges épistolaires intéressants comme cette lettre que Saint-Pouange adresse à Louvois le 29 septembre 1670, d’Epinal :

« J’ay eu nouvelle aujourd’huy que la voiture des 200 000 livres que vous nous envoyez arrivera demain à Saint-Dizier, j’en ay en mesme temps adverty M. le Maréchal [Turenne] lequel a résolu de faire partir 200 chevaux pour les aller prendre de Toul qui est plus proche d’icy que Metz. Vous pouvez faire estat qu’il

nous faut pas moins au moins cette somme soit pour la subsistance des troupes et la fourniture du pain, soit pour les voitures tant de vivres que de l’artillerie500 ». La campagne de Lorraine se termine, mais il faut gérer les besoins de l’armée encore présente dans la province, pour payer et nourrir les soldats et pour régler les transports des vivres et des canons.

En 1672, lorsqu’éclate la guerre avec la Hollande, Louvois accompagne le roi tandis que Saint-Pouange se rend dans un autre secteur militaire, et à la demande du ministre, il lui répond le 8 juin 1672 :

« Je vous envoie Monseigneur, ainsi que vous m’ordonnez par vostre lettre d’aujourd’huy quatre mil pistolles par un sous-brigadier et huit gardes501 ».

Il s’agit ici de 48 000 livres qui transitent sous la protection d’une escouade de gardes, soldats de la Maison du roi, réputés pour être honnêtes et d’une grande valeur guerrière. A cette époque, les finances françaises sont encore d’un très bon niveau et le gouvernement n’hésite pas à s’engager dans des opérations très onéreuses. Au cours du mois de mai 1672, l’électeur de Brandebourg, Frédéric-Guillaume de Hohenzollern met fin à son alliance avec la France. Ce revirement diplomatique apporte un soutien aux adversaires de Louis XIV, et dans l’Empire un regain d’hostilité envers la France.

Louis XIV et Louvois, craignent que durant l’hiver l’Empereur Léopold Ier502 favorable

aux Hollandais, ne prennent les Français à revers et n’attaquent les places qu’ils tiennent désormais. Pour empêcher cette manœuvre, l’idée du roi et de son ministre est d’empêcher l’Empereur de constituer des réserves importantes de blé et autres céréales. Ainsi, manquant de nourriture pour les soldats, les généraux Impériaux ne peuvent garder une armée importante déjà constituée pour lancer des opérations contre les positions françaises dès la fin de l’hiver. Louvois lance à tous ses agents l’ordre d’acheter tout le blé qui se trouve le long du Rhin et du Main, ainsi que celui qui est en vente sur les places marchandes entre Strasbourg et la mer du Nord. C’est ainsi que de Saint-Germain, Louvois écrit le 9 août 1672 à Saint-Pouange :

« Depuis mon autres lettre escrite, le roy a résolu de faire acheter incessament trente mille septiers de bled froment sur le Rhin et sur le Main pour le faire descendre dans les nouvelles conquestes.

J’ay pourvu à l’achat de vingt mille à Mayence, Strasbourg ou Francfort. A l’égard de Cologne j’ay cru que Jacquier feroit cela mieux qu’un autre par les habitudes

500 SHD, A1 250, folio 63. 501 SHD, A1 276, folio 34. 502

Léopold Ier de Habsbourg (1640-1705) archiduc d’Autriche, roi de Hongrie et de Bohême, empereur du Saint Empire Romain Germanique, qui sa vie durant doit se défendre contre les tentatives d’invasions des troupes turques qui viennent jusqu’à menacer Vienne.

qu’il a dans le pays. C’est pourquoy je vous prie aussytost ma letttre reçue de luy mander d’y faire acheter incessamment dix mille septiers de blé froment et de le faire descendre à Vizil. Faictes luy donner pour cela de l’argent de Reimberg ou je sçay qu’il y a encore plus de vingt mille pistolles et dites luy qu’il faut acheter avec ce qu’il y a dans Cologne, Düsseldorf ou dans le plat pays de M. l’Electeur503». Manifestement, le roi (ou son ministre) veut engranger un maximum de blé. Pour cette opération les fonds semblent illimités. Cependant, Saint-Pouange semble avoir quelques difficultés à gérer l’utilisation de cet argent. Alors qu’il se trouve au camp de Visé504Il rend compte le 3 novembre 1672 à Louvois de l’état de ses comptes en demandant des fonds :

« J’ay oublié de vous répetter, Monseigneur, par la lettre que je me suis donné l’honneur de vous escrire aujourd’huy, qu’il ne me reste plus d’argent icy de la dernière voiture que vous m’avez envoyée, ayant consommé pour les achats de bleds pour un million de livres et qu’en autre estat j’ay tiré du fonds de Nimègue quatre cent milles livres lesquelles ont estés remises à un trésorier de l’armée de M. de Turenne pour la subsistance de ses troupes, ce qui me met hors d’estat d’y en envoyer davantage, ne restant à Nimègue que deux cent mille livres en tout... Monseigneur, vous jugez bien par la grande quantité de trouppes qu’il y a dans toutes les places de ce pays et par la difficulté qu’il y a de faire venir de l’argent, qu’il est bien à propos d’y envoyer des sommes très considérables à la fois505». L’importance des sommes manipulées semble perturber Saint-Pouange, qui avoue des erreurs dans ses comptes, et quelques jours après, le 17 novembre 1672, il écrit à Louvois :

« En finissant ma lettre, je reçois, Monseigneur, celle dont il vous a plu m’honorer du dix de ce mois. Je me suis trompé si je vous ay mandé que j’avais despensé un million de livres pour les bleds que j’ay fait acheter. J’ay donné jusqu’à cette heure trois cent soixante mil livres pour les achats qui ont été faicts en haut du Rhin et dans les places conquises...On a esté obligé de faire d’un bateau à l’autre et la diligence avec laquelle on a faict les achats ont augmenté beaucoup la dépense. Je vous porteray les comptes des commis qui les ont faictes506 »

Parler d’un million de livres alors que la dépense totale doit être de quatre cent mille livres au maximum montre de la part de Saint-Pouange un manque d’attention et de précision concernant les fonds qui circulent entre ses mains.

503 SHD A1 273, folio 299. 504

Petite ville sur la Meuse entre Liège et Maastricht, actuellement en Belgique, dans la province de Liège. 505 SHD A1 296, folio16.