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PREMIER COMMIS DE LA GUERRE

B. Des charges importantes

L’organisation du département de la Guerre présente une unité centrale, avec ses bureaux auprès du ministre et du roi, et des agents extérieurs envoyés auprès des unités. Il s’agit de répondre à la nécessité d’administrer au mieux et aussi au plus près, cette armée dont les effectifs et les besoins croissent sans cesse. La définition des missions de cet organe à la fois de gestion et de commandement doit répondre aux impératifs liés à l’actualité diplomatique et militaire du royaume. L’activité de tous les agents de ces bureaux doit s’adapter aux objectifs stratégiques déterminés par le roi, déclinés et prolongés par le ministre.

Nos concepts contemporains séparent les fonctions de défense au sein des Etats modernes. En règle générale, le gouvernement définit une stratégique de politique étrangère et de défense, les ministères concernés gèrent les moyens de cette politique, et l’état-major des armées prend les options stratégiques et tactiques propres à exécuter au mieux les décisions du gouvernement. Sans entrer ici dans la question de la stratégie de cabinet192, il faut comprendre que le roi est le chef de l’Etat, du gouvernement et des armées, et Louis XIV est très jaloux de cette dernière prérogative qu’il ne souhaite abandonner ni déléguer à personne. Son environnement immédiat doit lui rendre raison des questions opérationnelles comme des questions d’intendance. C’est ainsi que les bureaux doivent rassembler et mettre en forme les différents documents qui renseignent le ministre et le roi, et rédiger pour les lui faire signer les ordonnances, commissions ou instructions, qu’elles soient collectives ou individuelles.

1/ Des procédures qui se mettent en place

L’argent est certainement le moyen primordial de la guerre et, selon La Faye193, le département gère les moyens financiers répartis en deux catégories, de l’Ordinaire et de l’Extraordinaire des guerres. L’Ordinaire comprend les finances qui doivent rémunérer et entretenir les unités de la Maison militaire du roi.

Il revient aux bureaux du département de la Guerre de vérifier les effectifs et les fonds nécessaires pour ces unités. Les comptes des trésoriers généraux de l’Ordinaire y sont également contrôlés, ainsi que ceux des receveurs généraux du taillon qui est réputé contribuer à l’Ordinaire de la guerre. Les décharges correspondantes

192

Cf. l’ouvrage de Guy Rowlands, Louis XIV et la stratégie de cabinet, et la thèse de Jean-Philippe Cénat Statégie et direction de la guerre à l’époque de Louis XIV : Jules-Louis Bolé de Chamlay.

doivent être établies pour les intéressés lorsque les comptes sont arrêtés. Tout ce qui ne ressort pas de l’Ordinaire des guerres, entre en compte dans l’Extraordinaire des guerres, dont les fonds peuvent provenir de toutes les ressources du Trésor royal.

Tous les actes concernant les personnels sont établis par les bureaux, qu’il s’agisse du recrutement ou de la mise en congé de soldats, de la création d’unités ou de leur dissolution, de la nomination, de la promotion et de la mise en congé d’officiers. Les affaires disciplinaires sont également traitées par ces bureaux qui doivent en rédiger des synthèses pour le ministre et le roi. Dans certain cas, il s’agit de répondre aux juridictions de jugement. C’est ainsi que suite à la demande du roi concernant une affaire pénale complexe, intéressant un garde du corps, condamné à Saumur et emprisonné au Châtelet194, Saint-Pouange adresse au procureur général Harlay une lettre le 22 mai 1680, dans laquelle il expose scrupuleusement tous les détails de cette affaire. Il y mentionne les faits reprochés à ce soldat, les parties prenantes, ainsi que les actes juridiques déjà dressés à son encontre195. La procédure suivie dans cette affaire est particulièrement intéressante, car elle montre les habitudes administratives et juridiques du régime. Le 16 novembre 1679, une lettre datée de Saint-Germain, signée Colbert, est adressée à Harlay, demande, pour le roi, des informations sur le compte d’un soldat (garde du corps) détenu au Châtelet, suite à un jugement de Saumur (sans autre précision sur le présidial ayant prononcé la sentence). Ce garde fait appel et la lettre demande d’urgence un extrait des actes pour informer le roi, en précisant que les substituts du procureur ne l’ont pas fait. Saint-Pouange, dans sa lettre à Harlay, évoque la réponse que ce dernier a déjà adressée au roi. Il s’agit d’une affaire très embrouillée dans laquelle trois soldats ont commis une faute grave (on ignore laquelle). Deux d’entre eux ont été déjà condamnés par le prévôt d’Alsace à être pendus, mais un seul l’a vraiment été. Le troisième, dont il s’agit dans ces courriers, est condamné aux galères, mais étant invalide, il ne peut subir sa peine. Le roi souhaite commuer la condamnation en l’obligation de rester dix ans dans sa compagnie d’origine, et ensuite quatre ans dans d’autres unités. Mais le souverain souhaite que l’on retrouve les autres complices de ce garde pour leur faire subir la même peine. Saint-Pouange recherche en fait les noms des deux autres soldats concernés et la preuve que l’un d’eux a bien été pendu, pour rédiger les ordres d’affectation conformément aux instructions du roi.

194 Le Grand Châtelet, forteresse construite en 1190 sous Philippe Auguste. Il fut le siège de la prévôté de Paris et de sa juridiction avant d’être occupée par la Lieutenance de Police. C’est également une prison royale et une morgue recevant les cadavres de voie publiques ainsi que les victimes d’homicides. Détruite en 1810 cette forteresse se dressait sur l’actuelle Place du Châtelet à Paris.

Cette affaire montre le souci de chacun de garantir les limites de ses attributions et d’affirmer ses prérogatives, quitte à provoquer, comme c’est ici le cas, un imbroglio juridique et administratif.

Saint-Pouange dirige le bureau chargé de la gestion des effectifs, soldats et officiers, et des hôpitaux (personnels, moyens, et soldats hospitalisés). Il ne faut pas oublier ses liens familiaux très étroits avec Le Tellier et Louvois. Avec leur neveu et cousin à ce poste, ils sont quasiment certains de détenir des informations sérieuses sur tout ce qui concerne le personnel des armées, et notamment sur les officiers, dont le roi aime à connaître le comportement. Cette fonction de Saint-Pouange est primordiale, puisqu’elle justifie après lecture des contrôles des compagnies – monstres et reveues – les versements des fonds aux officiers, en fonction des effectifs retenus. Il lui faut contrôler que les fonds envoyés aux officiers correspondent bien au nombre de soldats réellement sur les rangs, par compagnie ou par régiment. Ce contrôle des effectifs est fondamental pour surveiller l’utilisation des dépenses de guerre pour les hommes. D’autre part, en fonction du nombre exact de soldats à nourrir, Saint-Pouange peut déterminer les quantités de vivres et de matériel nécessaires, ainsi que leur coût. Enfin, c’est à partir des listes d’effectifs que le roi ou Louvois affectent les unités selon les intentions tactiques d’engagement ou de mouvements des unités et également des besoins opérationnels des généraux pour remplir les missions que le roi leur confie.

C’est sans nul doute parce qu’il bénéficie de la confiance du roi et de la famille Le Tellier (Michel Le Tellier et Louvois), dont il est lui-même membre, que Saint-Pouange dirige ce bureau des personnels qui a la charge de centraliser les revues et de gérer les commissions. Il s’occupe aussi de l’administration des officiers c’est-à- dire de leurs nominations, affectations et promotions. Les relations qu’il fait des interventions des uns et des autres, lorsqu’il est auprès des troupes en campagne, permettent au roi de mieux connaître le comportement de ses officiers face à l’ennemi. Ce n’est pas par hasard que Louvois lui demande souvent ce qu’il pense sur l’un de ces hommes, en vue d’une affectation prévue par le roi. C’est un homme de confiance, Saint-Pouange, qui détient toute les informations sur l’opérationnalité des troupes et de leurs cadres. Il lui est ainsi possible de présenter au roi et au ministre les caractéristiques, effectifs, qualités et défauts des unités. En fonction de ces données, ils peuvent déterminer les troupes dont ils ont besoin, selon leurs plans d’engagement. Ils disposent alors du choix des moyens pour la mise en œuvre de leurs objectifs.

2/ Gérer des effectifs de plus en plus nombreux

Chaque bureau est dirigé par un premier commis qui dispose sous ses ordres de commis pour l’aider dans sa tâche. Cependant, Saint-Pouange premier commis du premier bureau exerce des responsabilités dépassant largement les compétences des autres premiers commis.

Les bureaux du département de la Guerre représentent les différents services de gestion des personnes et des moyens. Ils établissent la récapitulation des hommes aptes au combat dans les unités, et des moyens matériels utilisés. Ce sont eux qui renseignent le ministre et le roi. Par ailleurs, en fonction des demandes du souverain, les instructions individuelles ou collectives sont adressées aux maréchaux, généraux, intendants et commissaires ou toutes autres personnes concernées. Cette gestion concerne naturellement les troupes terrestres, les places continentales du Nord et de l’Est du royaume, l’artillerie et les fournitures d’équipements d’armes et de munitions pour les soldats. De plus, les hôpitaux, qui ne sont pas forcément militaires, mais dans lesquels des militaires malades ou blessés sont conduits, sont pris en compte par le bureau des personnels dirigé par Saint-Pouange.

Ces bureaux tiennent également un registre des informations concernant le comportement privé de l’ensemble des hommes professant encore la religion protestante malgré la révocation de l’Edit de Nantes196. Saint-Pouang note tout à destination de Louvois, même ce qui peut passer pour des détails. Par exemple, dans une lettre du 18 septembre 1670, qu’il adresse à Louvois du camp de Romont197, il écrit :

« Le prévost général de Metz est un homme intelligent et actif 198»

Ce courrier dont le sujet principal est l’état de fatigue des hommes qui marchent depuis plus de trois semaines et dont les souliers sont usés, conclu qu’il a besoin de fonds pour aider les officiers à équiper leurs troupes. Il n’est en rien question du prévôt, mais Saint-Pouange donne un avis très personnel sur cet officier, sans avoir été sollicité le moins du monde à ce sujet. C’est un élément de l’environnement local qui peut permettre au ministre de mieux saisir certaines affaires.

Le problème qui se pose très vite au département de la Guerre est la montée en nombre des effectifs de l’armée royale. Si l’on en croit André Corvisier199, en 1661, l’infanterie est forte d’environ 41 000 hommes, et en 1671 d’environ 180 000 hommes.

196 Par l’édit du 18 octobre 1685. 197

Romont est un petit village des Vosges proche d’Epinal. 198 SHD A1 250 folio 53.

Les effectifs des fantassins baissent légèrement pour arriver à plus de 300 000 hommes en 1690. La cavalerie connait la même augmentation, de 7 500 maîtres en 1662, elle en compte 65 000 en 1690. En 1692 c’est un total de 446 612 hommes qui est enregistré dans l’état des troupes et leurs dépenses (voir annexe X200).

Le département de la Guerre doit évoluer très rapidement pour se trouver en état de gérer des effectifs qui croissent de cette manière. Les méthodes ancestrales ne peuvent plus suffire pour équiper, armer et nourrir de telles masses de soldats, et il faut à cet embryon d’administration faire preuve d’imagination et d’initiatives pour maintenir la cohésion nécessaire à l’armée royale. Saint-Pouange, chargé d’organiser la logistique alimentaire de ces troupes doit réaliser des performances de gestion, et d’organisation pour parvenir à ce but : que chaque soldat soit relativement bien équipé, mais surtout qu’il mange à sa faim chaque jour que durent les campagnes. Louis XIV,

dont la volonté est de tout connaître de ses régiments et de leurs cadres de les savoir bien administrés, impose au département de la Guerre de suivre avec attention toutes les évolutions de situation des hommes, des maréchaux aux simples soldats. Dans un univers où les communications sont assez lentes et incertaines, où les transports de marchandises suivent le pas des chevaux ou des bœufs, il faut que les hommes de ces bureaux réagissent avec la plus grande rapidité possible à tous les évènements. D’autre part, ils doivent suivre avec attention les ordres du roi, qui ne comprendrait pas ce que l’on appelle de nos jours les lenteurs administratives.