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L’impôt, une source intarissable

LES MOYENS MATERIELS DE LA GUERRE

B. L’impôt, une source intarissable

D’une manière générale, l’impôt, est le prélèvement, en argent ou en nature, sur toute ou partie de la population, d’un montant fixé selon des barèmes établis par le pouvoir. Il doit permettre à un Etat de subvenir à ses dépenses d’investissement et de fonctionnement. La France du XVIIe siècle n’échappe pas à cette règle et l’impôt direct

ou indirect, prélevé sur les populations du royaume participe au financement des opérations militaires.

1/ Les impôts directs

La principale activité économique du royaume est l’agriculture et le principal des impôts direct est la taille. Celle-ci est instituée par Charles VII, en 1439, à

382

Jacques-André Du Pille (mort en 1704), financier protégé de Colbert, dont il est cousin par alliance, receveur général des finances de Lyon de 1684 à 1704. Il fut un important munitionnaire de la marine et de l’armée de terre et il a fait partie un temps des actionnaires de la Compagnie de la Méditerranée. Entre 1688 et 1704, il signe 25 traités de fournitures aux armées dans le cadre de l’Extraordinaire des guerres.

383

AN E 644 folio 511 acte du 18 octobre 1695. 384 Daniel Dessert, op. cit. Argent ...

la fin de la Guerre de Cent Ans, sous la forme d’un prélèvement annuel et régulier, calculé selon les rendements agricoles. C’est une imposition essentiellement rurale. En 1548, Henri II instaure un additif à cet impôt direct destiné surtout à financer les

dépenses militaires: le taillon, Selon Daniel Dessert, sous Henri IV, la taille rapporte

près de 60 % des revenus du royaume386.

a / Taille et taillon

Ces impositions directes, taille et taillon ne sont supportées que par la partie rurale de la population, de nombreux privilégiés en sont exemptés387 :

- les nobles,

- les membres du clergé

- les membres des maisons du roi et de la reine - les bourgeois des villes franches

- les officiers municipaux - les employés aux fermes du roi - les suppôts des universités - les maîtres de poste.

Dans la plupart des provinces, c’est le système de la taille personnelle qui prévaut, c’est-à-dire que l’exemption de la taille est liée au statut de noblesse du propriétaire de la terre. Dans les exemptions de taille des nobles, certaines provinces, pays d’Etat comme la Provence, font une distinction des terres selon qu’elles ont un statut de terres nobles ou non, sans tenir totalement compte du statut du propriétaire. Seul un noble peut posséder une terre qualifiée de noble, donc exemptée de taille. Cette terre perd la qualité de terre noble exemptée, dès que le noble propriétaire l’aliène ou la baille, c’est-à-dire, la vend ou la loue à un roturier, lequel se trouve assujetti à la taille. Par contre, le noble qui achète une terre qualifiée de roturière transfère sa qualité de noblesse à ce bien, l’exemptant ainsi de la taille. De plus, le noble qui vend ou baille une terre qualifiée noble à un roturier, peut acheter une terre qualifiée roturière et lui conférer ainsi la noblesse, accroissant ainsi son patrimoine foncier en terres nobles. Cette procédure très complexe est la source de nombreux conflits juridiques mais aussi

386 Daniel Dessert, Argent... op. cit., p. 17

politiques entre les tenants du Tiers Etat (roturiers taillables) et ceux de la noblesse (exemptés de taille)388.

Chaque année, le roi et son Conseil fixent le montant de l’impôt direct sous forme d’un brevet de la taille qui est l’assiette globale de cet impôt pour le royaume. Ce document sert ensuite de base pour la répartition que doivent verser les diverses circonscriptions du découpage administratif du royaume. Mais l’imposition n’est pas calculée de la même manière selon que l’on se trouve dans un pays d’élection (taille personnelle) ou dans un pays d’état (taille réelle). En pays d’élection, le Conseil royal fixe la répartition des tailles et taillons par généralité et dans chacune d’elles, par élection (depuis Richelieu). A partir de 1663, l’intendant de chaque province répartit cette assiette entre les paroisses de sa province. Dans chaque paroisse, les collecteurs élus, souvent pauvres et peu instruits, introduisent de telles disparités entre les familles que les intendants et leurs commis doivent souvent intervenir pour fixer eux-mêmes le montant de la taille et du taillon à verser par foyer. Dans les pays d’état, le Conseil royal adresse le montant global des tailles et taillons au parlement qui procède à la répartition, en s’appuyant généralement sur les cadastres des paroisses. Dans ces provinces, les états peuvent tenter de minorer cet impôt et en demander la modification. Il s’agit alors d’une phase de lutte d’influence, d’opportunité politique et d’équilibre d’autorité entre le pouvoir royal et les états de la province considérée.

Ces conflits restent d’une importance limitée, même s’ils constituent une sorte d’exutoire d’un certain chauvinisme local. Il existe en effet une grosse différence du produit de la taille entre les pays d’élection et les pays d’état et les querelles de ces derniers n’ont qu’une importance minime sur l’impôt.

Comme l’indique Jean Jacques Clamageran389, l’impôt direct se répartit ainsi entre pays d’état et pays d’élection :

Pays d’élection Pays d’état Total 1662 40 969 000 livres 1 726 000 livres 42 695 000 livres 1663 37 960 000 livres 2 925 000 livres 40 885 000 livres La moyenne de ces perceptions de la taille est la suivante :

1662-1683 36 527 000 livres 2 166 000 livres 38 693 000 livres 1684-1694 35 690 000 livres 3 907 272 livres 39 597 636 livres

388

Rafe Blaufarb, thèse, Une lutte de deux siècles et demi contre l’exemption fiscale 1530-1789 ; le procès des tailles

de Provence, 2010, p. 14 et ss.

Durant ces mêmes périodes, les revenus des fermes et domaines évoluent comme suit :

Moyenne de 1662 à 1683 : 56 961 000 livres Moyenne de 1684 à 1694 : 65 811 000 livres

Ces données montrent la grande différence entre les pays d’état et d’élection. 96 % de la totalité de la taille provient des pays d’élection et les pays d’Etat n’en apportent que 4 %. Cette différence entre 96 % et 4 % reste pratiquement inchangée entre 1662 et 1694. Il est intéressant de constater que le produit de la taille dans les pays d’élection baisse de deux millions de livres de 1663 à 1683 par rapport à 1662, et que de 1684 à 1694, le rendement de la taille baisse encore. Pour Pierre Goubert, la baisse de rapport de la machine fiscale montre l’évident épuisement du royaume. Depuis Richelieu, il n’avait jamais été demandé un semblable effort à un effectif de contribuables si peu nombreux, et qui est constamment réduit par de nouvelles exemptions et de nouvelles « mortalités »390. Il faut noter que l’année 1694 est celle d’une grande famine due aux mauvaises récoltes des deux années 1693 et 1694. Le manque à gagner du Trésor royal peut expliquer que les responsables des finances du royaume recherchent des sources financières supplémentaires, surtout en cette période de guerre longue et de plus en plus onéreuse. Par contre sur l’ensemble du royaume, entre les années 1662-1683 et 1684-1694, la taille dans les pays d’état rapporte presque un million de livres de plus, ce qui n’est pas négligeable. Durant ces mêmes périodes, les revenus des fermes et domaines augmentent de près de 9 millions de livres. La taille, impôt très important, participe naturellement aux frais de guerre dans la masse monétaire du Trésor, et en période de crise, le coût des armées paraît naturellement plus important en valeur relative par rapport à l’ensemble des besoins de l’Etat. Il n’est pas faux de dire que durant cette période, entre 1684 et 1694, les problèmes du gouvernement royal reposent essentiellement sur les questions de finances et de guerre, étant directement liées. C’est pourquoi devant les très gros besoins de l’armée, l’Etat retrouve les vertus du taillon, et l’introduit totalement dans l’imposition directe du royaume, affectant la totalité de son produit aux dépenses de guerre. Mais le conflit contre la Ligue d’Augsbourg provoque un tel déficit de l’Etat et une telle crise économique en France, que les modes traditionnels de perception des fonds, habituellement retenus par les responsables des finances du royaume ne suffisent plus.

Le roi, poussé par ses conseillers, et surtout par le contrôleur général des finances, Louis Phélypeaux de Pontchartrain, décide de lever un nouvel impôt direct : la capitation.

b / la capitation

Par l’ordonnance du 18 janvier 1695391, signée à Versailles, Louis XIV

institue un impôt direct qui s’impose à l’ensemble du royaume et dont les fonds doivent être utiliser pour poursuivre la guerre. Ce prélèvement fiscal est qualifié de révolutionnaire par François Bluche et Jean François Solnon392. En effet, après bien des interventions, des discussions et des réflexions, tous les foyers du royaume doivent le payer, même les nobles et les habituels exemptés de taille. La question se pose au Conseil du roi de savoir si le clergé doit également le payer, et il n’y échappe de très peu qu’en accordant au roi un don gratuit de quatre millions de livres par an.

Seuls les pauvres, payant moins de quarante sols (ou sous) de taille, ce qui correspond à deux livres, en sont exemptés.

La capitation est payée par feu393, selon la classe dans laquelle est inscrit le chef de famille. Il ne s’agit pas d’un impôt sur le revenu, mais sur le rang du chef de famille qui est placé dans l’une des vingt-deux classes établies pour le calcul de cette taxe. Cette classification des personnes correspond à une véritable hiérarchisation sociale de la société du royaume. Dans la première classe (classe I) se trouvent le dauphin, les princes du sang, les ministres et les fermiers généraux. Ils doivent verser 2 000 livres au Trésor royal. Dans la classe XI, classe médiane, sont inscrits le lieutenant criminel de Paris, les lieutenants généraux des baillages, le prévôt général de la connétablie, le prévôt général des monnaies, les présidents des présidiaux de province et les commissaires des guerres. Leur imposition n’est que de 100 livres. La dernière classe (XXII) comprend notamment les journaliers agricoles, les manœuvres et les soldats, qui doivent verser 20 livres. Les militaires ne sont pas exemptés de payer la capitation.

La capitation est supprimée à la suite de la signature du traité de Ryswick mettant fin à la guerre en 1697, mais elle est rétablie à partir de 1701 pour financer la Guerre de Succession d’Espagne.

391 AN, IX 81. 392

François Bluche, Jean-François Solon, La véritable hiérarchie sociale de l’ancienne France Le tarif de la première

capitation, p. 148.

2/ Les impôts indirects

Pour Daniel Dessert : « Sous Louis XIV, ce sont surtout les impôts indirects

qui rapportent le plus394 ». Il s’agit d’une constante gouvernementale, lorsque les impôts directs deviennent trop lourds à supporter par la population qui les paie, si les besoins de l’Etat ne sont pas couverts, il faut avoir recours à l’impôt indirect. Celui-ci est moins visible et moins dolosif pour les contribuables, donc il suscite moins d’opposition de leur part. Il ne faut cependant pas oublier que c’est un impôt indirect, le papier timbré, qui est le prétexte de l’une des émeutes les plus violentes du règne de Louis XIV, la

révolte des bonnets rouges395 de Bretagne.

Les impôts indirects sont d’autant plus impopulaires qu’ils sont perçus dans le cadre de contrats de fermage entre l’Etat et des financiers, sur divers produits de consommation des personnes, sur les transactions commerciales, et sur les actes officiels de l’Etat.

- Le plus célèbre d’entre eux, par son impact psychologique et la littérature qu’il a engendrée est la gabelle, qui est l’impôt sur la consommation de sel, dont l’Etat a le monopole du commerce. Le sel est une denrée indispensable, car il permet de soutenir le goût des denrées, mais surtout c’est l’un des rares moyens de conserver viandes, poissons et certains légumes. Au moment où la marine se lance dans les opérations transatlantiques pour organiser un commerce avec les nouvelles colonies, les produits salés sont les seuls aliments des marins qui traversent ainsi les océans. La gabelle n’est pas répartie également sur le territoire et dans les pays de grande gabelle, comme l’Ile de France, le sel est très cher et les personnes doivent consommer obligatoirement un minimum imposé, donc payer un impôt minimum obligé. Dans les pays de salines ou de marais salants (Bretagne, Poitou ou Midi méditerranéen), le sel est nettement moins cher, et la consommation en est libre. C’est naturellement cette différence de traitement entre les provinces qui provoque une forte contrebande (le faux-saunage). Cette contrebande est durement réprimée. Lors de l’interpellation de faux-sauniers par les agents de la ferme (les gabelous) sur les lieux même des échanges illégaux, il y a souvent des échanges de coups de feu et ceux-ci n’hésitent pas à faire

394

Daniel Dessert, Argent... op. cit., p. 18. 395

Révolte née en Bretagne lors de l’introduction des impôts indirects sur ce que l’on appelle le papier timbré, c’est-à- dire le papier vierge sur lequel sont inscrits tous les actes officiels, et notamment les actes notariés. D’avril à septembre 1675, des émeutes très violentes conduites par des porteurs de bonnets rouges ont lieu en Bretagne d’où le nom de ce mouvement qui a été très violemment réprimé (cf. les lettres de Madame de Sévigné à sa fille sur la reprise de Rennes par les troupes royales). Sur cet épidode voir le livre de Gauthier Aubert, Les révoltes du papiers timbré – 1675, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014, 720 pages.

usage de leurs armes. D’autre part lorsque les tribunaux sont saisis, ils prononcent des peines très lourdes, condamnant les auteurs aux galères ou même à la mort par pendaison.

- Les différents types de papier : le papier timbré, prévu pour recevoir les actes authentiques des notaires et officiers du roi, le papier simple, pour les correspondances privées, les traites, qui sont des reconnaissances de dette négociables et octrois, paiement des frontières fiscales intérieures au royaume.

- Les achats de produits alimentaires comme les boissons (bière, vin et cidre), la viande et d’autres aliments, ainsi que sur les produits de consommation courante comme l’huile, le savon, l’amidon et les cartes à jouer,

- Les poinçons d’aloi sur les métaux précieux, l’or et l’argent, mais aussi sur des métaux moins nobles, l’étain et le fer,

- A partir de 1674, l’Etat s’arroge en plus le monopole du commerce du tabac dans tout le royaume et c’est le contrôleur général des finances qui en fixe le prix de vente en y incluant la taxe qu’il veut.

En plus des perceptions d’impôts indirects, l’Etat encaisse également certains droits particuliers comme ceux payés par les nouveaux nobles ou les étrangers naturalisés. La vente de nombreux brevets et charges rapporte aussi des sommes importantes au Trésor royal. Enfin, les rentes volontaires, qu’il s’agisse celle de la Ville de Paris ou d’autres structures d’emprunts provinciales, alimentent également les caisses de l’Etat. Pour faire face aux besoins de plus en plus importants de fonds et attirer les prêteurs, les intérêts montent de manière importante. Katia Beguin donne l’idée de l’augmentation des profits de ces rentes de la manière suivante, en reprenant et confirmant les informations notées par Pierre Goubert396 à ce sujet :

« Des années 1670 à 1710, le relèvement des taux de la rente s’élève de façon irréversible au cours des conflits. C’est ainsi que l’on est partie de la rente au denier 20 vers 1670 pour passer par le denier 16 ou 14. A partir de la Guerre de ligue d’Augsbourg, la rente est à un denier 12, tirée sur des produits comme les postes, ou des rentes sur les tailles, remboursables à terme fixé397. »

396

Voir supra. note 321 p. 124

397Katia Beguin, Financier la guerre au XVIIe siècle - La dette publique et les rentiers de l’absolutisme, p. 106. En termes actuels, la rente passe de 5% en 1670, à 6 et 7% pour atteindre plus de 8% en 1710.

Selon l’estimation de Jean Jacques Clamageran, tous ces produits directs et indirects rapportent annuellement en moyenne au Trésor royal398 :

- de 1662 à 1683 : 104 304 000 livres - de 1684 à 1694 : 117 410 000 livres

Une grande partie de ces fonds est utilisée pour les besoins des guerres que le royaume mène en Europe. Ceux-ci sont divisés en deux grandes rubriques comptables : l’Ordinaire et l’Extraordinaires, qui sont gérés par le département de la Guerre, sous l’autorité de Louvois, et naturellement contrôlé devant le Conseil du roi, par le contrôleur général des finances, d’abord Colbert, puis par ses successeurs399. En sa qualité de premier commis de la Guerre, mais surtout de proche du ministre et surtout du roi, Saint-Pouange prend une part importante à cette gestion, surtout à celle de l’Extraordinaire des guerres dont les règles d’emploi sont plus souples que celles de l’Ordinaire.

II. UNE GESTION MAL DEFINIE DES DEPENSES DE GUERRE

Comme les finances du royaume ne sont pas gérées sous forme de budget prévisionnel d’année en année, mais qu’elles consistent à faire face aux dépenses de l’Etat, en fonctions des besoins du moment, les règles qui dirigent les rentrées et les dépenses d’argent n’ont pas la rigueur d’une comptabilité sérieuse. A cela il faut ajouter que de nombreuses règles, datant des siècles antérieurs, se superposent les unes sur les autres, sans qu’aucune ne soit annulée, créant un enchevêtrement juridique et comptable. Les dépenses de guerre, pourtant si importantes pour le roi, dans la mesure où sa gloire en dépend, sont gérées de cette même manière floue qui donne parfois une impression d’improvisation. Les deux grandes rubriques dans lesquelles ces dépenses militaires s’inscrivent sont l’Ordinaire et l’Extraordinaire. L’étude des courriers de Saint-Pouange, dont la fonction d’intendance lui fait toucher du doigt les questions financières, fournit là aussi des informations très précieuses.

398

Jean-Jacques Clamageran, op. cit.

399 Différents contrôleurs généraux des finances se succèdent : Jean-Baptiste Colbert (1665-1683), Claude Le Peletier de Morfontaine (1683-1689), Louis Phélypeaux de Pontchartrain (1689-1699, Michel Chamillart (1699-1708).