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Comme dans un moulin? : Paris visite ses geôles

1.2 Garder les hommes dedans, garder les hommes dehors : une prison poreuse

1.2.2 Comme dans un moulin? : Paris visite ses geôles

Si la grande proximité des prisons avec la ville rendait la sécurité des établissements difficile à organiser, la « porosité » qu’elle favorisait rendait tout aussi ardu le maintien des hommes dehors73. En fait, cela était pratiquement impossible car les prisons de Paris n’étaient pas fermées aux Parisiens qui pouvaient entrer en prison pour une multitude de raisons – la complicité d’évasion n’étant que l’une d’entre elles. Camille Dégez l’avait déjà observé pour la Conciergerie : « L’idée d’un espace carcéral complètement clos, sans ouverture sur le monde extérieur, doit d’ores et déjà être remise en cause »74. Généralement, les visiteurs pouvaient entrer toute la journée, dès la fin de la prière du matin jusqu’à dix-neuf heures – heure du coucher des détenus. Les sources normatives ne fournissent que très peu d’informations sur l’organisation de ces visites et leurs modalités. Aussi, aucun registre n’existe pour comptabiliser et qualifier les visiteurs des prisons, leurs objectifs, la fréquence de leur venue, leurs liens avec les détenus. L’absence de production de tels documents laisse transparaître toute la facilité qu’on avait à visiter un prisonnier et le peu d’intérêt que suscitait cet accès.

Les seules précisions que nous possédions proviennent du règlement du 18 juin 1717. Ce document, tel que mentionné, était la pierre d’assise de toute la gestion interne des prisons parisiennes auxquelles il s’appliquait indistinctement. Néanmoins, peu d’articles concernent la gestion des visites. Ce silence laisse paraître la banalité de ces visiteurs des prisons. L’article I les utilise même comme punition, promettant aux détenus qui refusent d’assister à la messe qu’ils seront « privez pendant trois jours de parler aux personnes qui les viendront voir »75. Les visites pouvaient donc être utilisées comme outils de contrôle. Seuls deux autres

73 « Porosité » est le terme choisi par Jacques Revel et nous y souscrivons entièrement. Jacques

Revel, « L’institution et le social », dans Bernard Lepetit, Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 2013, p. 109.

74 Camille Dégez, Un univers carcéral…, op. cit., p. 253.

75 AN AD III 27B, Arrest de la Cour de Parlement portant règlement général pour les prisons…,

articles visent à réguler les visites. D’abord, l’article II qui interdit toute visite durant les services religieux du dimanche et des jours de fêtes. Ensuite, l’article VII qui

Fait défenses aux geoliers et guichetiers à peine de destitution, de laisser entrer dans les prisons aucunes femmes ou filles autres que les mères, femmes, filles ou sœurs des prisonniers, lesquelles ne pourront leur parler dans leur chambre ou cachot, mesme dans les chambres de la pension, ny en aucun autre endroit et lieu que sur le préau ou dans la cour, en présence d’un guichetier, à l’exception des femmes des prisonniers, lesquelles pourront entrer dans la chambre de leur mary seulement, et à l’égard des autres femmes et filles, elles ne pourront parler aux prisonniers qu’à la morgue et en présence d’un guichetier, & non sur le préau76.

Ce n’est donc ni du nombre des visiteurs ni du but de leur visite que l’on s’inquiète. L’enjeu était plutôt d’assurer la tenue des cérémonies religieuses sans dérangement et d’empêcher les relations charnelles illicites. Le règlement spécifie d’ailleurs qu’à l’égard des visites, tous les détenus étaient tenus de respecter ces proscriptions, peu importe leur statut dans la geôle en tant que pensionnaires, pistoliers ou pailleux. Le peu de réglementation ne doit pas ici être compris comme un laxisme outrancier. Il est plutôt le reflet de la nature même des prisons d’Ancien Régime : leur ouverture sur la ville était nécessaire dans un monde carcéral qui reposait en grande partie sur l’intervention d’individus privés. Alors que la prison n’était pas encore tout à fait un « service public », le concours de la famille, des proches et des amis (pour apporter de la nourriture, des meubles, des vêtements, etc.) était absolument essentiel : l’affluence des visiteurs signifiait aussi un partage des coûts pour la monarchie77. En ce sens, une trop grande limitation des visites aurait constitué un inconvénient financier majeur.

76 Ibid., art. II et VII.

77 Le démantèlement du réseau des dépôts de mendicité par Turgot en 1775 procède de cette

logique : l’enfermement systématique dans des institutions entièrement prises en charge par l’État apparut à Turgot comme un système beaucoup trop coûteux. Il leur préfère les ateliers de charité. Plusieurs des dépôts éliminés par Turgot sont pas la suite remis en service. Voir Christine Peny,

loc. cit., p. 13-14; Thomas M. Adams, « Turgot, mendicité et réforme hospitalière : l’apport d’un mémoire inédit », Actes du 99e Congrès national des sociétés savantes, 1976, vol. 2, p. 343-357.

Mais alors, si les visites étaient non seulement très peu contrôlées mais encouragées, qui étaient ces visiteurs, combien étaient-ils et qu’allaient-ils faire au juste dans les prisons? Le mode de fonctionnement de la geôle laisse croire que les visiteurs devaient être nombreux, mais il demeure impossible de les chiffrer. Seules quelques anecdotes isolées donnent une idée de leur ampleur. Au XVIIe siècle, le concierge de la Conciergerie Nicolas Dumont assure que sa seule prison reçoit 200 détenus à tous les jours. Il est fort possible qu’il gonfle le chiffre puisqu’il le fournit lors de son interrogatoire alors qu’il se fait reprocher de ne pas faire fouiller systématiquement les visiteurs78. Or, même en admettant que Dumont double le nombre de visites, les cinq guichetiers en poste pour la surveillance de plusieurs centaines de détenus ne pouvaient se permettre de poster l’un des leurs à l’identification et à la fouille assidues de chaque individu entrant et sortant de la prison. Le contrôle devait donc être minimal.

De telles approximations n’existent pas pour les autres prisons. Un seul autre document donne une idée du trafic carcéral. Il s’agit d’un accrochage s’étant déroulé dans les guichets du Petit Châtelet : alors qu’une échauffourée éclate, plusieurs visiteurs se trouvent en même temps à l’entrée du bâtiment et sont témoins de la scène. Il s’agit de l’abbé Pezé et de son assistant, venus libérer une détenue pour dettes, de deux fils et un parent d’une autre détenue et d’un homme venu parler à un ami enfermé79. À un instant qui n’avait, a priori, rien de particulier, six individus se trouvaient donc dans les guichets, cherchant à entrer en prison pour différents motifs. D’autres étaient sans doute déjà à l’intérieur ou

78 AN X2B 1213, interrogatoire de Nicolas Dumont, 2 juillet 1641. Cité dans Camille Dégez, Un

univers carcéral…, op.cit., p. 346. Nous n’avons aucune approximation du nombre de visiteurs que pouvaient recevoir les trois autres prisons. Toutefois, la situation ne change guère au XIXe

siècle. En 1820, le concierge de la Grande Force assure qu’il peut recevoir près de 1 000 visiteurs par jour : « la population peut, dans un instant, être triplée […] Il me faut donc avoir l’œil continuellement sur les étrangers, qui ne sont trop souvent que d’heureux malfaiteurs ». Voir Bault l’aîné, Mémoire du Concierge de la Force au Conseil spécial des prisons de Paris, Paris, Imprimerie de Lebégue, 1820, p. 3 (Archives de la préfecture de police de Paris (dorénavant APP) EB 89). Randall McGowan constate le même genre d’engorgement dans les prisons anglaises : « It was seldom easy to distinguish those who belonged to the prison from those who did not ». Randall McGowan, « The Well-Ordered Prison : England, 1780-1865 », dans Norval Morris et David J. Rothman (dir.), op. cit., p. 79.

restaient encore à venir. Bien sûr, il ne s’agit là que d’un instantané. S’il n’est pas possible d’extrapoler à partir de ce précieux cliché, il vient tout de même confirmer une impression de flux continu entre la prison et la ville : les seuils carcéraux n’étaient pas désertés.

En l’absence de registres, les sources qui dévoilent ces visiteurs sont nécessairement le reflet de situations extraordinaires : lorsqu’on les croise dans les archives du Parlement ou du Châtelet, c’est parce qu’ils sont soupçonnés de complicité dans une affaire d’évasion ou encore parce qu’ils traînent dans la prison lors d’une révolte80. Deux aspects ressortent clairement des différentes apparitions des visiteurs dans ce type de documents. D’abord, leur rôle, la très grande majorité du temps, est celui de passeurs. Ils font généralement entrer des marchandises inoffensives pour améliorer les conditions de vie des prisonniers, mais ils amènent parfois des objets moins anodins comme des outils, des déguisements et même des armes pour faciliter une éventuelle évasion81. L’accessibilité et la porosité de la prison parisienne la rendent donc d’autant plus difficile à contrôler. Ensuite, il faut souligner l’importance des femmes parmi les visiteurs : épouses, mères et servantes semblent avoir été de loin les plus présentes et les plus ingénieuses pour procurer la liberté à un être cher, à moins qu’elles n’aient été moins habiles et se soient fait prendre plus souvent82.

Que venait-on faire, au juste, dans les prisons de Paris? Si l’on devine que parents et amis passaient le seuil des prisons pour consoler et encourager leur proche enfermé, les archives dévoilent toute une gamme de motivations insoupçonnées qui révèlent plus de choses sur le fonctionnement même des

80 Ces documents, trop épars, ne permettent pas de quantification, mais fournissent tout de même

des exemples qualitatifs illustrant les diverses raisons qui pouvaient amener les visiteurs en prison.

81 Voir par exemple AN Y 15081, 26 mars 1779; AN Y 10064, 15 mars 1738; AN X2B 1292, 3 mai

1724; AN X2B 1304, 9 mars 1740; AN X2B 1305, janvier 1743; AN X2B 1311, octobre 1768; AN

X2B 1321, 23 décembre 1727, 30 septembre et 23 décembre 1728; AN X2B 1326, 19 septembre

1764; BNF JF 2100, octobre 1784.

82 Voir surtout AN X2B 1289, 24 mars 1719; AN X2B 1295, 5 janvier 1728; AN X2B 1305, mars

1741; AN X2B 1321, 10 mai, 30 septembre et 23 décembre 1728, 27 juin 1733; AN X2B 1323, 3

prisons parisiennes que sur les formes que pouvait prendre la sollicitude des familles. Car ces dernières apparaissent rarement dans les enquêtes criminelles nées en prison : leur venue va de soi et n’attire l’attention que lors d’événements exceptionnels. On sait toutefois que, dans certains cas, la présence des parents est presque quotidienne de sorte qu’il existe de véritables habitués de la prison. L’épouse de Giroux, détenu à la Conciergerie, dit, suite à la tentative d’évasion de son mari, qu’elle est venue le voir à tous les jours pendant son enfermement83. Dans la même prison, la servante de Martin de Saint-Martin vient le voir quotidiennement pour répondre à ses moindres besoins84. Au For L’Évêque, lorsque le fils du Sieur Richard vient visiter son père en prison, les guichetiers lui donnent la clé de la chambre de son père et lui confient le soin de verrouiller la porte de la chambre avant son départ. Un jour, il vient accompagné de deux femmes qui obtiennent, elles aussi, la permission de monter à la chambre du Sieur Richard – à l’encontre du règlement officiel. Aucun des guichetiers ne semble s’être enquis de leur identité puisqu’ils les décrivent comme « deux particulières » et même « une particulière paroissant une vendeuse de marée et une autre particulière habillée de brun »85. L’attitude désinvolte des guichetiers indique que les femmes devaient entrer et sortir à peu près à leur guise des prisons parisiennes.

D’autres occurrences viennent confirmer cette impression. Delamotte et Ricard, pendant leur enfermement à la Conciergerie, reçoivent la visite de deux femmes non identifiées avec lesquelles ils boivent – beaucoup – au cabaret de la prison et font des extravagances86. En plus, le désordre que sème le quatuor se fait alors qu’« ils refuzèrent d’aller aux vespres qui se chantoient en la chapelle »87.

83 AN X2B 1295, interrogatoire de Marguerite Gerard, femme du détenu Henry Giroux, 14 octobre

1728.

84 AN X2B 1305, information d’évasion contre Martin de Saint-Martin, témoignage du guichetier

Claude Terlot, 24 mars 1741.

85 AN Y 10074, information d’évasion du Sieur Richard, témoignages des guichetiers Jacques

Clemenceau, Gérard Diot, Jacques Latour et Jacques Letellier, 13 septembre 1739.

86 Les quatre prisons traitées ici possédaient chacune leur cabaret. Il s’agissait d’un local pour

lequel un marchand de vin versait un loyer au concierge de la prison. Les détenus étaient libres d’y consommer de l’alcool à leurs frais pendant la journée, jusqu’à la fermeture des chambres.

Voilà le règlement doublement bafoué. Dessaignes, Jacquin et Desforges, les célèbres rebelles de la Conciergerie, en plus de recevoir de multiples visiteurs et de « donner des repas », eurent eux aussi le droit « de voir des personnes du sexe »88. Miromesnil lui-même, alors Garde des Sceaux, demande à ce que le concierge soit puni pour son laxisme. L’histoire de la mutinerie de ces trois détenus avait voyagé partout dans la capitale de sorte que, le jour de leur exécution, on dut composer avec « l’affluence extrême du peuple »89. Les nouvelles, comme les hommes, traversaient donc parfois les murailles carcérales pour se fondre dans Paris. Au Grand Châtelet, Vidal et Leblanc sont surpris seuls dans une chambre verrouillée de l’extérieur avec une femme. Cette dernière dit être la maîtresse d’un des deux hommes, mais Vidal la qualifie de « femme du monde » et Leblanc avoue être « entré dans cette chambre pour prendre un moment de plaisir avec cette femme qui est une femme du monde »90. Si le règlement officiel laisse penser qu’un certain contrôle devait être effectué sur les visiteurs, les archives montrent plutôt une négligence – ou un marchandage – endémique qui permettait à qui le voulait d’entrer dans les prisons de Paris.

Les visiteurs ne se contentaient pas de consoler leur proche. Plusieurs venaient en prison pour y organiser un petit commerce, plus ou moins légitime. On croise d’abord les commissionnaires, véritables courroies de transmission entre la prison et l’extérieur, absolument essentiels, voire nécessaires, dans un monde où les détenus doivent de faire entrer des vivres, des meubles, des biens, etc. Les commissionnaires s’activent dans toutes les prisons et offrent leurs

88 BNF JF 2100, lettre du Garde des Sceaux Miromesnil au Procureur général, 11 octobre 1784,

fol. 362. Pour l’histoire de la révolte de ces trois hommes, voir Jules-Édouard Alboize de Pujol et Auguste Maquet, Les prisons de l’Europe, Paris, Administration de librairie, 1845, vol. VII, p. 149 et suiv.

89 BNF JF 2100, lettre du Baron de Breteuil au Procureur général, 10 octobre 1784, fol. 361.

L’affaire paraît dans la Gazette des tribunaux. Monsieur Mars, Gazette des tribunaux, Paris, Chez l’auteur, tome 18, no 27, 1784, p. 291-293. Et encore, dans Pidansat de Mairobert et Moufle d’Angerville, Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des Lettres en France depuis MDCCLXII jusqu’à nos jours, Londres, John Adamson, 1786, tome 26, p. 218-219 et 225- 226.

90 AN Y 13973A, information pour bris de prison, interrogatoires de Vidal et Leblanc, 16 mars

services aux détenus pour faire entrer des marchandises de toutes sortes91. Malheureusement, puisqu’ils agissaient pour leur compte, on ne trouve aucune trace écrite de leurs activités. D’autres pourvoyaient des services et agissaient comme transits entre le dedans et le dehors en jouant sur les marges de la légalité. C’est le cas de cette receleuse-revendeuse qui se fait donner une chemise volée par un détenu de la Conciergerie et qui se voit chargée de la vendre à l’extérieur pour le compte du voleur – était-elle venue en prison pour ce seul commerce92? Au For L’évêque, on aperçoit un petit commerce illicite pratiqué par des visiteurs qui ont trouvé le moyen de s’enrichir sur le dos des détenus. Un nommé Alexandre, marchand de vin, vient pendant plusieurs mois voir différents détenus et leur assure qu’il est un personnage influent et qu’en échange d’un peu d’argent, il peut les faire libérer. Le prisonnier Jaquet se fait ainsi soutirer non moins de dix écus – qu’il avait sur lui ou que sa famille est parvenue à rassembler93. Le cas d’Alexandre n’est pas unique car, après son arrestation, on retrouve le même stratagème, cette fois orchestré par un nommé Thierry. Celui-ci, raconte le guichetier, « vient dans les prisons de céans voir différents prisonniers, et sous le prétexte de s’employer pour leur procurer la liberté, se fait remettre par eux des sommes d’argent, de l’emploi desquelles il rend le plus mauvais compte »94. Le phénomène est connu du Lieutenant criminel qui souligne, avant d’ordonner l’enfermement de Thierry, « qu’il est connu d’ailleurs pour ce qui s’appelle un solliciteur de procès, qu’il s’ingère sans aucun droit ni qualité à suivre différentes

91 Pour des traces de ces commissionnaires, voir AN Y 10064, 27 janvier 1738; AN Y 15103B, 28

novembre 1790; BNF JF 1292, 13 avril 1780; AN X2B 1295, mars 1728; AN X2B 1303, 18 juin

1737; BNF Arsenal (dorénavant BNF ARS) Bastille Ms 11688, octobre 1749; Sentence de police contre le nommé Nicolas Levesque…, 12 avril 1726; Pierre Mathieu Parein, Les crimes des parlemens, ou les horreurs des prisons judiciaires dévoilées, Paris, Chez Girardin et Madame Lesclapart, 1791, p. 29; Benoît Garnot, Vivre en prison au XVIIIe siècle. Lettres de Pantaléon

Gougis, vigneron chartrain, 1758-1762, Paris, Publisud, 1994, p. 64, 91, 113 et 132. Les commissionnaires sont toujours présents après la Révolution : AN F7 329918, pluviose an III et VI;

AN F16 101-3, ans III et IV; AN F16 606, an III; BHVP Ms 904, s.d.; Joseph Cahaigne, Sainte-

Pélagie ou plaintes d’un prisonnier. Épitre à M. le Conseiller d’État Delavau, préfet de police, Paris, Chez les marchands de nouveautés, 1826, p. 39 (APP EB 92).

92 AN X2B 1323, requête du 25 avril 1741.

93 AN Y 10547, procès-verbal du Lieutenant criminel Testart du Lys, 10 mai 1773. 94 Ibid.

affaires et qu’il nous parvient continuellement de pareilles plaintes de la part des guichetiers et des prisonniers »95.

Aussi, des doléances de la part de certains détenus de la Conciergerie laissent penser que les visiteurs pouvaient eux-mêmes être à la source d’une forme de trafic quoique bien involontairement. C’est ce que révèle l’information faite suite aux plaintes concernant le comportement des guichetiers de la prison. Dans sa déposition, Simon de la Hoguette, l’un des détenus, suggère très ouvertement

que le concierge devroit avoir plus d’attention à empescher ses guichetiers de demander aux uns et aux autres comme la plus part font, jusques à empescher les parents et amis des prisonniers de monter dans leurs chambres qu’ils ne leur en ayent donné pour boire, ce qui quelquefois refroidit la charité et l’amitié des parents et amis des prisonniers qui ne viennent point ou moins souvent les visitter96.

Doit-on croire le plaignant sur parole? Les tensions qui opposaient population carcérale et personnel des prisons font aborder de tels griefs avec méfiance. Mais le fait que les autorités aient jugé la plainte assez crédible pour enclencher une procédure judiciaire et interroger seize individus, tant détenus que membres du personnel, indique tout de même que ce genre de doléance était jugé plausible et pris très au sérieux. Si les visiteurs causaient parfois des problèmes, il semble qu’ils pouvaient également représenter une véritable mine d’or pour les guichetiers : de là, peut-être, leur peu d’empressement à limiter leur nombre et à appliquer trop rigoureusement les règlements.

Ce qui surprend le plus, sans doute, c’est de voir des visiteurs pénétrer les murs de la prison apparemment pour leur seul plaisir. Car certains d’entre eux viennent s’y divertir avec les détenus, parfois sans même qu’il soit certain qu’ils y connaissent vraiment quelqu’un. On a déjà vu les deux femmes venues boire au

95 Ibid. Il n’est pas anodin que les deux cas de solliciteurs viennent du For L’Évêque. Enfermant

surtout des prisonniers pour dettes qui avaient une certaine aisance financière, cette geôle était plus