• Aucun résultat trouvé

L’accélération des améliorations

2.2 La machine carcérale en marche

2.2.2 L’accélération des améliorations

La volonté de créer un espace dynamique de révision de la structure carcérale s’affirme très clairement après 1775 alors que les projets de grande envergure se multiplient. L’incendie qui enflamme le Palais de la Cité en 1776 illustre bien la détermination de la monarchie à profiter de toute occasion pour améliorer les

59 L’arrêt est évoqué dans un mémoire anonyme dans AN F16 118 et encore dans une lettre du

Contrôleur général des finances De Calonne au Prévôt des marchands de Paris le 31 octobre 1785 dans AN H 19561.

installations d’enfermement de la capitale60. L’architecte Perrard de Montreuil publie même quelques mois après l’incident un projet de refonte du Palais dans lequel la Conciergerie ne serait pas seulement réparée mais totalement rebâtie et déménagée dans un autre secteur du Palais (voir Fig. 2.2)61. Le fossé est immense entre la vision réformatrice de Perrard et les rénovations de fortune opérées suite à l’inondation de 1750. Le projet ne reçoit pas l’appui escompté, mais l’État a tout de même « cru devoir profiter de la circonstance […] pour procurer à ces prisons, par des dispositions nouvelles, & des distributions plus commodes, un service beaucoup moins difficile […] et une salubrité qu’elles n’avoient pas encore eue »62. Cette initiative s’emboîte parfaitement dans les orientations adoptées dans l’Édit de 1777 par lequel l’État s’engageait à procurer aux prisons « l’agrandissement, la sûreté & la salubrité dont elles pouvoient avoir besoin »63. Les mots-clés du réagencement urbain résonnent ici parfaitement contre les murs carcéraux. Quant à l’obstacle financier qui avait jusque-là bloqué toute entreprise majeure, le Parlement se fait maintenant plus créatif et trouve une solution pour ménager à la fois le Trésor royal et les coffres de l’administration parisienne. Un nouvel impôt est mis sur pied par arrêt du 26 juillet 1776 qui ordonne qu’« il serait perçu pendant cinq ans, dans tout le ressort du Parlement de Paris […] 6 deniers par livre » du principal de la capitation64. Après tout, la Conciergerie

60 C’est aussi à cette occasion que le palais de justice change de visage : les maisons voisines sont

détruites, la cour du Mai est dégagée et on bâtit un escalier monumental à l’entrée. Il acquiert, pour la première fois, une apparence publique. Jacques-Guy Petit insiste aussi sur l’importance des incendies dans l’amélioration des prisons. Voir Robert Jacob et Nadine Marchal-Jacob, loc. cit., p. 58 et 86; Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures…, op. cit., p. 22.

61 Perrard de Montreuil, Nouveau Palais de Justice d’après les plans de M. Perrard de Montreuil,

Paris, P. G. Simon, 1776 (BNF JF 1421, fol. 1 et suiv.). Voir les détails du projet et d’autres touchant la façade du Palais dans Gaël Lesterlin, loc. cit.

62 Lettres patentes du Roi portant réunion aux bâtiments du Palais de quelques parties de terreins

appartenans au Chapitre de la Sainte-Chapelle, pour servir à l’agrandissement des prisons de la Conciergerie, 27 mars 1780, p. 2.

63 « Édit portant suppression de tous offices de receveurs… », loc. cit., p. 104.

64 Arrêt du Conseil d’État du roi, qui ordonne qu’à compter de 1777, il sera imposé pendant

l’espace de cinq années seulement, & conjointement avec la capitation, les six deniers pour livre du principal de cette imposition sur tous les justiciables du ressort du Parlement de Paris sujets à la capitation, pour subvenir à la reconstruction & réparation des bâtiments du Palais à Paris,

recevait des appelants de toute la juridiction parlementaire et servait la sécurité de tous les habitants de ce grand territoire : la logique est donc celle de l’utilisateur- payeur. La prison est alors considérée comme une institution mise au service du bien public : à ceux qui en profitent d’en assurer le financement.

Fig. 2.2 : Nouveau Palais de Justice d’après les plans de M. Perrard de

Montreuil, Paris, P. G. Simon, 1776 (BNF JF 1421, fol. 1).

Qu’a-t-on alors jugé essentiel et urgent? Quels changements concrets a-t- on apportés aux bâtiments de la Conciergerie? Il n’est pas aisé de le savoir. Une chose est certaine, toutefois : les infirmeries de cette prison furent entièrement repensées, précisément en accord avec le nouveau souci sanitaire qui pénétrait les

incendiés au mois de janvier 1776, 26 juillet 1776. Les travaux prennent du temps et les coûts initiaux, évalués à 732 253 livres par les entrepreneurs Rolland et Brunet, sont rapidement dépassés. Voir AN Z1J 1309, 1er janvier 1780 et AN Z1J 1692, 13 mars 1780.

prisons et la ville dans son ensemble65. En août 1780, les infirmeries étaient des salles « aérées & spacieuses, où tous les prisonniers malades sont seuls dans chaque lit », un luxe extraordinaire dans les prisons parisiennes66. L’impulsion semble avoir été donnée par les Necker qui, après en avoir visité les salles, les trouvèrent « tellement révoltantes par le défaut d’air & le manque d’espace » qu’ils entreprirent d’en faire de nouvelles67. Des lettres patentes de mars 1780 cèdent, dans ce but, des locaux appartenant au Chapitre de la Sainte-Chapelle à la Conciergerie68. Les Necker ne se limitèrent pas aux réformes matérielles et firent aménager un nouvel appartement afin de loger en permanence un chirurgien chargé de veiller sur la santé des prisonniers, chirurgien choisi d’ailleurs par les soins de Madame Necker elle-même : incarnation on ne peut plus concrète de la pénétration de la médecine dans le monde carcéral69.

La pleine réalisation du projet est confirmée par un placet de la part de deux détenus transférés dans une autre prison parisienne pendant la tenue des travaux : ils demandent à être réintégrés à la Conciergerie dès que les rénovations seront terminées70. Il n’est point de doute que ces modifications importantes ont eu d’immenses conséquences sur le sort des détenus malades. Malheureusement, rien n’est paru dans les archives pour décrire les autres réparations qui ont été

65 Les infirmeries des prisons offraient un spectacle particulièrement horrible et l’Académie des

sciences s’y est intéressée dès le milieu du siècle. Voir Henri Louis Duhamel, Différens moyens pour renouveller l’air des infirmeries, et généralement de tout endroit ou le mauvais peut incommoder la respiration, 1748 et Jacques Tenon, « Mémoire sur les infirmeries… », loc. cit., p. 425-447.

66 AN AD III 27B, Déclaration du Roi portant établissement des nouvelles prisons, 30 août 1780.

Avant les rénovations, les détenus logeaient à quatre et même cinq dans chaque lit. Voir De Launay, op. cit.

67 La visite des Necker est enregistrée dans le Mercure de France de janvier 1780. Mercure de

France dédié au Roi, Paris, Panckoucke, 1780, p. 35. Bachaumont dit que Madame Necker, suite à sa visite, fit venir l’architecte Couture, alors responsable des travaux au Palais pour le réprimander. Bachaumont, Mémoire secrets pour servir à l’histoire de la République des Lettres en France depuis 1762 jusqu’à nos jours, Londres, John Adamson, 1780, tome XIV, p. 186. Jacques Necker, Œuvres de Monsieur Necker, op. cit., p. 97.

68 Lettres patentes du Roi portant réunion aux bâtiments du Palais…, op. cit. 69 BNF JF 519, fol. 431.

faites suite à l’incendie de 177671. Toutefois, les lettres patentes de mars 1780 assurent que « Les moyens qui ont été employés ont rempli, à l’égard de la partie de ces prisons qui doit être occupée par les hommes, l’objet qu’on s’étoit proposé »72. Les locaux des femmes, eux, n’ont pas eu cette chance et c’est pour les améliorer qu’on décide d’agrandir la prison en assurant « ne pas devoir différer plus long-temps d’ordonner l’exécution d’un projet qui doit augmenter la salubrité de l’air dans les prisons de la Conciergerie ». La prison des femmes est achevée en 178373. La monarchie ne se contente plus de projeter : elle réalise, construit, accomplit.

L’année 1780 accélère à nouveau le mouvement dans le domaine carcéral puisque l’État entreprend cette même année de grands travaux partout dans les installations d’enfermement de la capitale. L’Édit d’août 1780 annonce l’édification d’une nouvelle prison, à l’Hôtel de la Force, ainsi que la destruction du Petit Châtelet et du For L’Évêque. Il enclenche le mouvement et force la réorganisation des prisons de Paris : le monde carcéral est complètement bouleversé74. Le roi fait cette annonce presque en demandant pardon pour la négligence de son gouvernement :

nous avons, malgré la guerre, contribué de nos propres deniers à diverses reconstructions qui nous ont été présentées comme indispensables, regrettant seulement que les circonstances nous aient empêché de destiner à un objet si digne de nos soins tous les fonds qui pourroient le porter à sa perfection; mais nous ne le perdrons pas de vue lorsque la paix nous fournira de nouveaux moyens75.

71 Des travaux furent effectivement entrepris dans l’enceinte du Palais et l’on sait du moins que la

fameuse Tour Montgomery dut alors être détruite, mais on ignore si le bâtiment de la Conciergerie subit des améliorations notables. Voir Hélène Delhumeau, Le Palais de la Cité, Paris, Cité de l’architecture et du Patrimoine/Actes Sud, 2011, 127 p.

72 Lettres patentes du Roi portant réunion aux bâtiments du Palais…, op. cit. 73 Gaël Lesterlin, loc. cit., p. 112.

74 AN AD III 27 B, Déclaration du Roi portant établissement des nouvelles prisons, 30 août 1780. 75 Ibid.

Le même édit prévoit « quelques réparations & de nouvelles distributions » pour le Grand Châtelet. Les années suivantes montrent que cette prison fut effectivement le lieu d’une soudaine activité. Les architectes Desmaisons et Moreau, mis en charge d’orchestrer les activités – le premier au nom du Domaine, le deuxième au nom de la ville – dressent un rapport de l’avancement des travaux à la fin de 1785 :

Les nouveaux bâtiments entrepris, dont nous nous sommes réunis sous les yeux les plans, doivent indépendamment de cachots plus sains, contenir la chapelle avec des tribunes pour les différentes classes de prisonniers […] un escalier plus commode pour conduire de ces cachots à la prison des femmes […] et derrière cette chapelle doit être un nouvel escalier pour communiquer aux différents étages de la Cour, appellée le Cézar, en suprimant et rectifiant les distributions et dispositions actuelles de cette partie très resserrée, obscure et insalubre de cette prison. Nous avons trouvé ces travaux en activité76.

Leurs documents mentionnent également des constructions à la Grande Force, à la Petite Force (destinée à remplacer la prison pour femmes de Saint-Martin-des- Champs), ainsi que des travaux d’entretien à la Tour Saint-Bernard et à Saint- Germain-des-Prés. La même année la prison de Saint-Éloi ferme ses portes77. On assiste à un remaniement cohérent, généralisé et de grande ampleur78. Cela ne ressemble plus à la « politique au jour le jour » dont parlait Nicole Castan79. L’addition des réformes fait dire à Necker, qui l’a en partie orchestrée, que « Les principales prisons de Paris ont été absolument changées; l’ordre intérieur a été sensiblement amélioré » et que lorsque tous les travaux entrepris seront terminés,

76 AN F16 118, rapport des architectes Desmaisons et Moreau, 20 décembre 1785.

77 Voir Fernand Bournon, La Bastille : histoire et description des bâtiments, Paris, Imprimerie

nationale, 1893, p. 175 et Claude Quétel, L’histoire véritable de la Bastille, Paris, Larousse, 2006, p. 365.

78 Soulignons qu’à Toulouse aussi la décennie 1780 apporte des changements. En 1787, le roi

accorde 180 000 livres à la ville pour reconstruire sa conciergerie. Nicole Castan, « Le régime des prisons… », loc. cit., p. 38.

elles « approcheront donc du degré de perfection qu’on peut raisonnablement désirer »80.

Il s’agit donc de rationaliser les établissements, de mieux classifier les hommes et d’assainir les locaux : tant d’objectifs qui s’étendent à la réorganisation de la ville et que poursuit le XIXe siècle. Quel fut le résultat de ces rénovations? On sait du moins que les améliorations du Grand Châtelet, n’en déplaise à Necker, ne suffirent pas. Après la Révolution, l’architecte des prisons, Pierre Giraud, dit ne rien pouvoir en tirer : « Je ne parle pas de la prison du Châtelet; on sait qu’après en avoir levé le plan, j’ai absolument renoncé à présenter des projets sur ce local, par l’impossibilité notoire d’en tirer, pour cette destination, aucun parti satisfaisant »81.

2.3 Conclusion

L’accélération observée à partir de 1775 et encore plus à partir de 1780 est évidente. La chose n’a pas échappé aux historiens, mais ils ne lui allouent pas toute la force qu’elle mérite. Chacun insiste sur l’avènement d’un changement, mais en insistant sur un point en particulier. Claude Quétel, par exemple, constate que la Conciergerie et le Grand Châtelet prennent de plus en plus de place à partir de cette période, au détriment de la Bastille82. Jacques Hillairet raconte que les affreux cachots du Grand Châtelet furent enfin condamnés en 1780 (ce qui, on l’a vu, n’est pas tout à fait juste), en même temps que la fermeture du For L’Évêque et l’ouverture d’infirmeries à la Salpêtrière83. Selon Christian Carlier, l’importance des prisons grandit en France à travers le siècle : le pays en compte

80 Jacques Necker, De l’administration des finances de la France, [Paris], s.n., tome III, 1785, p.

176 et 190.

81 Pierre Giraud, Observations sommaires sur toutes les prisons du Département de Paris, 1793, p.

7 (AN AD III 51).

82 Claude Quétel, L’histoire véritable…, op. cit., p. 365 et Id., De par le Roy…, op. cit., p. 198. 83 Jacques Hillairet, Gibets, piloris et cachots du Vieux Paris, Paris, Éd. de Minuit, 1956, p. 62,

10 000 au milieu des années 178084. Christine Peny et Thomas Adams relèvent le réaménagement des dépôts de mendicité et des ateliers de charité sous Turgot, à la fin des années 177085. Camille Dégez affirme que la Conciergerie change de visage dans ces années suivant la « volonté royale d’améliorer l’état sanitaire de la prison » et qu’elle cesse d’être la plus populeuse de la capitale face à la popularité grandissante des autres établissements parisiens86. Steven Kaplan constate la prise en charge de l’approvisionnement des prisons en pain par de nouvelles instances officielles et innovatrices87. Nicole Castan rappelle la tenue d’une enquête générale sur l’état des prisons en 1785, quelques années après la création du poste d’Inspecteur général des hôpitaux civils et maisons de force88. Georges Vigarello observe que « c’est après 1780 que […] les conditions concrètes de l’hygiène commencent insensiblement à changer »89. À tous ces phénomènes, il faut ajouter la création, en 1776, de la Société royale de médecine qui, comme on l’a vu, multiplia les rencontres avec le monde carcéral et participa étroitement à sa mise en mouvement, aidée en cela par les politiques de Necker.

Or, ces faits ne sont pas isolés. Ils ne se déroulent pas simplement les uns à côté des autres, mais bien tous ensemble. Leur accumulation parfaitement synchrone équivaut à une véritable réforme carcérale orchestrée par un État dont l’administration enserre plus concrètement une prison qu’il a longtemps délaissée. L’État, par le biais et avec l’appui des théories hygiénistes et urbanistiques, investit le monde carcéral et en change le visage. La prison apparaît d’abord et avant tout comme un scandale sanitaire, non comme un scandale despotique. Partout, c’est le médecin et le savant qui sont appelés au front et non le magistrat ni même les écrits de Beccaria. Le socle sur lequel repose la réforme du monde

84 Christian Carlier, « Histoire des prisons… », loc. cit. 85 Christine Peny, loc. cit.; Thomas M. Adams, loc. cit. 86 Camille Dégez, op. cit., p. 108 et 155.

87 Nous traiterons plus avant de ce sujet au Chapitre V. Steven Kaplan, Les ventres de Paris.

Pouvoir et approvisionnement dans la France d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988, p. 58 et suiv.

88 Nicole Castan, « Archéologie de la privation de liberté », loc. cit., p. 61. 89 Georges Vigarello, op. cit., p. 169.

carcéral est sanitaire et urbain, bien avant d’être pénal. La prison parisienne, avant même de devenir officiellement peine, avait été réaménagée, remaniée, bouleversée.

CHAPITRE III

DU CENTRE VERS LA PÉRIPHÉRIE?

Dans les travaux évoqués jusqu’ici, le caractère urbain de la geôle est pris pour acquis. Ni l’incendie de la Conciergerie ni les rénovations du Grand Châtelet n’ont suscité, à ce sujet, de remise en cause : il s’agissait de pourvoir la capitale de meilleures prisons, plus salubres, plus aérées, mieux distribuées, non de l’en débarrasser. L’implantation des prisons dans les villes n’était pas vue comme un obstacle au développement de meilleurs établissements d’enfermement, plus sains et plus sûrs. Pourtant, d’autres projets, plus novateurs, ont fait preuve à cet égard d’une grande originalité, questionnant la présence des prisons dans l’hypercentre urbain, si dense et sinueux. Architectes, hygiénistes et utopistes se sont plu à imaginer une prison différente, coupée de la ville et de son agitation. Suivant « le goût de l’isolement » qui traversait tout l’urbanisme du siècle, cette prison nouvelle ne devait pas seulement être plus salubre et sûre, elle devait aussi modifier ses relations avec le cadre urbain qui l’avait, jusque-là, toujours hébergée1. Les modèles échafaudés passaient de la simple démolition des murs mitoyens, assurant aux prisons parisiennes une distance matérielle jugée plus décente, à l’arrachement pur et simple de la geôle du contexte urbain. Ce discours rivalisait alors avec celui, plus traditionnel, de la prison urbaine, voire de la « prison-spectacle ». Les modalités de leur opposition et de leur convergence permettent de mieux saisir les attributs de la prison telle qu’on la souhaitait alors et telle qu’on voulait qu’elle devienne.

Apparaît un point de tension duquel naissent des hésitations qui révèlent combien l’emplacement de la geôle était significatif. La salubrité du monde carcéral comme celle de la ville, les considérations hygiéniques et les dangers de

1 L’urbanisme du XVIIIe siècle misait beaucoup sur l’isolement des bâtiments et sur la formation

d’îlots séparés les uns des autres. Mona Ozouf, « Architecture et urbanisme : l’image de la ville chez Claude-Nicolas Ledoux », Annales ESC, 21e année, no 6, 1966, p. 1284-1286.

la propagation des maladies demandaient que les prisons soient repoussées et extirpées du centre urbain. Il en allait de même de la sûreté des bâtiments carcéraux qui pâtissait de la proximité de la population : les voisins rongent l’espace prisonnier et créent d’insoutenables brèches dans l’enfermement. Mais, en même temps, la prison participe à une dialectique pénale chère au XVIIIe siècle : l’exemplarité. Les geôles, comme les potences et les échafauds, ne pourraient-elles pas contribuer, par leur seule présence au cœur de la ville, à pacifier les populations, à leur faire craindre le bras de la justice? Considérées de cette manière, salubrité et exemplarité paraissent irréconciliables. La première encourage la délocalisation carcérale, la deuxième exige l’ancrage de la prison dans le cœur urbain. Les projets proposés et entrepris montrent combien creuse était cette ligne de partage. Le XVIIIe siècle hésite et opte pour le compromis de l’isolement, seule voie qui répond tant aux soucis sanitaires que sécuritaires et exemplaires. Elle est promise à un bel avenir.