Chapitre IV Etude du couplage des mécanismes de capillarité : mouillage des joints de grains et
2. Effet de la morphologie initiale des particules sur le mouillage des joints de grains
2.1. Mouillage des joints de grains aux extrémités latérales des particules
La théorie de la gravure thermique de sillons ne prévoit pas de différences de vitesse de gravure
entre deux joints de grains qui émergent au niveau d’une interface plane à une température identique
et pour lesquelles le mécanisme de transport de matière prépondérant est identique. Cependant, les
interfaces présentes dans les alliages réels ne sont pas infiniment planes au début du recuit. Le
mouillage des joints de grains aux extrémités latérales des particules sera étudié dans cette partie à
partir d’observations en coupe dans le plan de laminage et de la simulation numérique.
2.1.1.Dimensions et morphologie des particules austénitiques dans le plan
longitudinal
La Figure IV.10.(a) représente une cartographie des phases de l’alliage par analyse EBSD observées
en section DL-DT après recuit de 300 s à 1060 °C. On observe tout d’abord que les deux populations
d’austénite identifiées dans le Chapitre III peuvent également être distinguées dans cette section.
2.1.1.a.Larges bandes d’austénite
L’austénite est majoritairement présente sous forme de bandes allongées selon la direction de
laminage sur plusieurs centaines de micromètres. Les plus larges mesurent jusqu’à plusieurs
dizaines de micromètres en direction transverse, à l’image de la bande représentée sur la droite de
la Figure IV.10.(a). Certaines de ces bandes ont des interfaces particulièrement marquées et
orientées selon la direction de laminage, à l’image de l’interface reliée par les flèches n°1. Les
contours de certaines autres bandes sont moins bien définis, et il est parfois difficile de déterminer
si deux bandes voisines ne font qu’une. La bande de ferrite qui est reliée par les flèches n°2 sépare
en effet deux bandes d’austénite relativement proches qui pourraient être reliées entre elles dans
une section DL-DT voisine de quelques micromètres. Loin des interfaces, les bandes les plus larges
sont constituées de grains équiaxes, et les joints de grains qui les constituent forment des joints de
grains triples. Ces derniers doivent être distingués des joints triples formés à l’intersection des joints
La Figure IV.10.(b) est un agrandissement de la zone encadrée située sur la gauche de la Figure
IV.10.(a). Elle permet d’étudier en détails la morphologie des joints de phases alignés selon la
direction de laminage qui délimitent une large bande d’austénite de la ferrite. On observe que les
interfaces austénite/ferrite sont mouillées dans la direction transverse, là où des joints de grains
austénitiques émergent (flèches horizontales). Les joints de grains ferritiques qui émergent au
niveau de ces interfaces sont également mouillés mais leur nombre est moindre par rapport aux
joints de grains austénitiques. On observe un point où un joint de grains de chacune des deux phases
émerge, au niveau duquel l’interface n’est pas gravée (cercle en traits pointillés).
De plus, les extrémités longitudinales des bandes sont mouillées (voir flèches verticales). Le nombre
de sites gravés selon cette direction est faible car les particules sont moins étendues selon la
direction transverse.
2.1.1.a.Particules dispersées
On observe des régions où l’austénite est plus minoritaire et répartie sous la forme de particules
monocristallines ou bi-cristallines, majoritairement interconnectées par un réseau de joints de grains
de ferrite. La Figure IV.10.(c) est un agrandissement de la zone encadrée située au milieu de la
Figure IV.10.(a). Les particules d’austénite présentes sont allongées selon la direction de laminage
tout comme les bandes plus larges. L’anisotropie de la morphologie des particules les plus petites
avait en effet déjà été observée en section transverse dans le Chapitre III. Les particules qui sont
polycristallines comportent des joints de grains également gravés selon la direction transversale, et
selon les deux côtés des particules (voir flèches). Ces particules ont une forme lenticulaire en raison
des joints de grains de ferrite sur lesquels elles sont situées.
Des particules d’austénite monocristallines incluses dans un grain de ferrite peuvent également être
observées (cercles en traits pointillés). Elles possèdent une forme circulaire ou ovale.
Figure IV.10 - Cartographie EBSD des phases d’une section DL-DT de l’acier inoxydable
superduplex modèle (DXM) recuit 300 s à 1060 °C.
2.1.2.Effet de la courbure initiale de l’interface sur la cinétique de mouillage
On propose d’étudier l’évolution de la morphologie d’une particule cylindrique bi-cristalline par
une analyse des sections longitudinale et transverse, de manière analogue à celle employée pour
une fibre monocristalline en partie IV.1.2.
En section longitudinale, Figure IV.11.(a), le mouillage du joint de grains transversal (traits
pointillés) survient en début de recuit sur toute la circonférence de la particule. La Figure IV.11.(b)
représente les sections transverses passant par les points A, B et D. La section passant par A possède
un rayon de courbure principal supérieur aux sections passant par B et D.
Deux rayons de courbure positifs et perpendiculaires entre eux contribuent donc à l’augmentation
de la solubilité à proximité de l’interface gravée. Cette situation diffère du cas plan pour lequel le
rayon de courbure parallèle au joint de grains conserve une longueur infinie et où un seul rayon de
courbure perpendiculaire au joint de grains contribue à la coalescence.
(a) (b)
Figure IV.11 – Représentation en coupe d’une particule bi-cristalline de section circulaire pour
laquelle un recuit a entraîné la gravure du joint de grains transverse. (a) section longitudinale et
(b) sections transversales. Les différences de rayons de courbure principal et secondaire illustrent
la contribution des deux rayons de courbure à l’élévation de la solubilité à proximité de l’interface
gravée.
La gravure d’un joint de grains transversal présent au sein d’une fibre est une transformation décrite
dans la littérature qui peut conduire au fractionnement selon la direction longitudinale [42] (voir
§I.2.2.2.c). Ces auteurs précisent le ratio des énergies du joint de grains sur joint de phases doit être
suffisamment grand pour que le ce mécanisme survienne avant que des perturbations ne se
développent et n’entrainent le fractionnement de la fibre selon la théorie des instabilités de
Rayleigh [46] (voir §I.2.2.1.a).
Cette différence a un effet direct sur la solubilité à proximité du joint triple et sur la cinétique de
gravure. La simulation numérique en trois dimensions est employée pour comparer l’évolution de
la morphologie d’une lamelle à celle d’une fibre lors d’un recuit, toutes deux de même épaisseur
initiale et comportant un joint de grains plan occupant toute une section transverse.
La Figure IV.12 représente les sections transverse et longitudinale des deux morphologies
initialisées (austénite en bleu). La lamelle possède une section de facteur de forme égal à 6 qui est
comparable à la section de la lamelle modélisée en partie IV.1.3.2.a. La fibre possède un facteur de
forme égal à 1. Les champs “
Iet “
-définissent deux grains dans chacune des particules en section
longitudinale, et le champ “
Hdéfinit un grain de matrice. L’énergie entre la matrice et les particules
est fixée à 0,56 J.m
-2et l’énergie de joint de grains austénitique à 0,80 J.m
-2. La lamelle est supposée
infiniment longue dans la direction longitudinale tandis que la particule est moins allongée et
possède des extrémités.
Lamelle Fibre
Section
transverse
Section
longitudinale
Figure IV.12 – Sections longitudinales et transverses des morphologies initialisées pour modéliser
l’évolution d’une lamelle et d’une fibre polycristallines en trois dimensions. Le résultat de la
simulation est donné en Figure IV.13. Les paramètres m = 1,0.10
+7J.m
-3, κ = 3,4722.10
-7J.m
-1,
V
H,I= V
H,-= 0,7569 ont été utilisés pour obtenir les interfaces austénite/ferrite d’énergie
0,56 J.m
-2et d’épaisseur 0,82 µm, et la valeur V
I,-= 1,1665 a permis de simuler un joint de grains
d’énergie 0,80 J.m
-2et d’épaisseur 0,60 µm. Epaisseur initiale des particules : 3,2 µm.
La simulation numérique présentée en Figure IV.13 permet de comparer les évolutions des champs
définis en Figure IV.12. Dans les deux cas, un même pas de temps a été utilisé afin de pouvoir
effectuer une étude comparative. A l’état initial, la position du joint de grains ne peut pas être
identifiée car la gravure thermique n’a pas débuté. Après 1 unité de temps, la position du joint de
grains peut aisément être identifiée car elle entraîne la gravure de l’interface où émerge le joint de
grains. Pour la lamelle, Figure IV.13.(a), la gravure survient selon une direction normale aux faces
planes ainsi qu’aux deux extrémités. Le fractionnement en deux particules ne survient qu’après 7
unités de temps. Pour la fibre, Figure IV.13.(b), la gravure survient dans une direction normale à
l’interface en tout point du joint triple. Le fractionnement survient après 3 unités de temps.
(a)
(b)
Figure IV.13 – Evolution de la morphologie (a) d’une lamelle polycristalline de facteur de forme
égal à 6 et, (b) d’une fibre polycristalline. L’unité de temps (arbitraire) est la même pour les deux
simulations. Les deux particules sont gravées au niveau du joint de grains transversal, mais le
fractionnement de la fibre est atteint plus rapidement.
La gravure thermique de sillons survient sur toute la circonférence d’une lamelle à la surface de
laquelle émerge un joint de grains. Pour des lamelles de facteur de forme élevé, la longueur de joint
de grains émergeant aux extrémités ne représente qu’une fraction faible de la totalité de joint triple,
qui occupe principalement les faces planes de la lamelle. Le fractionnement survient au milieu de
la lamelle après que les joints triples aient migré selon la direction normale aux interfaces planes.
La gravure des extrémités contribue à la réduction de la surface de joint de grains, mais n’influe
donc pas sur la durée après laquelle la lamelle se fractionne par le mécanisme de gravure induit par
la présence d’un joint de grains longitudinal étudié dans la partie IV.1.3.2.a.
Dans le cas d’une fibre cylindrique, le fractionnement survient par la migration concentrique du
joint triple. Il nécessite près de deux fois moins de temps que pour le fractionnement d’une lamelle
de même épaisseur initiale. La gravure concentrique d’un joint de grains est plus rapide que la
gravure unidirectionnelle d’une lamelle, résultat cohérent avec l’analyse des rayons de courbure
effectuée ci-dessus. En effet, le rayon de courbure principal de la fibre s’ajoute au rayon de courbure
secondaire dans l’origine de la différence de solubilité, et les flux nets de diffusion de matière sont
modifiés. L’augmentation de solubilité entraînée par le rayon de courbure principal influe donc de
manière significative sur la durée de fractionnement.
Cette conclusion signifie que la cinétique de migration d’un joint triple lors de la gravure d’une
interface plane n’est pas applicable à une interface courbe. La présence d’une interface initialement
plane est l’une des conditions émises par Mullins pour établir la cinétique de gravure d’un joint de
grains pour différents mécanismes de transport [31,49].
Au sein de l’acier superduplex modèle, il est possible que cet effet accélère la gravure et le
fractionnement des particules polycristallines fibreuses allongées selon la direction de laminage
(voir flèches sur la Figure IV.10.(c)).
Dans le document
Evolution des microstructures au cours d'un recuit dans un acier inoxydable superduplex : caractérisation et modélisation
(Page 166-172)