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Chapitre III Caractérisation de l’évolution de la microstructure d’un acier inoxydable superduplex

4. Discussion au regard des modèles de capillarité

4.1. Identification de modèles d’évolution microstructurale

L’objectif de cette partie est d’identifier les modèles d’évolution microstructurale issus de la

littérature adaptés pour décrire les transformations survenant au sein de l’alliage superduplex

modèle. Le sens des paramètres utilisés lors de l’analyse quantitative de l’évolution de la

microstructure sera discuté.

4.1.1.Croissance de grains

Les évolutions des densités de joints de grains ferritiques et austénitiques quantifient les

observations de la microstructure réalisées (en partie III.3.2.1.a). D’abord, la densité de joints de

grains austénitiques est plus élevée que celle des joints de grains ferritiques dès l’état 0 s. De

multiples grains de taille plus petite que les grains de ferrite ont en effet été observés dans

l’épaisseur des bandes d’austénite. Ensuite, davantage de surface de joints de grains austénitiques

disparaît au cours des 30 premières secondes, évolution qui traduit la croissance de grains dans

l’austénite. Un état quasi-statique a été observé dans la ferrite pour laquelle les grains s’étendent

sur toute l’épaisseur des bandes dès 0 s, et ne croissent quasiment plus ensuite. Les densités de joints

de grains évoluent moins significativement au-delà de 30 s de recuit, durée après laquelle les grains

s’étendent sur toute l’épaisseur de la majorité des bandes.

La diminution des densités de joints de grains est également la conséquence de l’amincissement des

particules d’austénite par mouillage des joints de grains. Les contributions relatives de ces

mécanismes seront discutées dans le §III.4.1.2.

4.1.2.Mouillage des joints de grains et fractionnement

Un amincissement des phases a été observé au niveau de certains joints de grains présents dans les

bandes et particules de la microstructure lors d’un recuit (voir §III.3.2.1.c). De plus, le

fractionnement des bandes les plus fines a été observé.

4.1.2.a.Amincissement par gravure thermique de sillons aux joints de grains

Le mouillage des joints de grains a été rapporté pour un acier inoxydable duplex laminé à froid

recuit à 1100 °C dans les travaux de Keichel et al. [19] (voir §I.1.3.3.a). Ces auteurs expliquent

l’initiation de ce phénomène par l’ajustement des angles d’équilibre imposé par les tensions de

surface aux joints triples.

Sans le nommer directement, Keichel et al. assimilent ce phénomène au modèle de gravure

thermique de sillons (thermal grooving) au niveau des joints de grains, notamment employé pour

décrire l’évolution morphologique survenant en surface de films fins. Théorisée par Mullins

[31,49], la gravure thermique de sillons permet la réduction d’énergie interfaciale du système (voir

§I.2.2.2).

Le fractionnement des bandes les plus fines est également observé par Keichel et al. Ce phénomène

est expliqué par la rencontre des points triples de part et d’autre de la bande avant que l’angle

d’équilibre ne soit atteint.

Par comparaison, un mécanisme similaire à la gravure thermique de sillons au niveau des joints de

grains explique une partie des évolutions morphologiques des phases observées au sein de l’alliage

étudié. Les évolutions des densités d’interfaces peuvent être réévaluées au regard de ce mécanisme.

4.1.2.b.Gravure thermique de sillons et évolution des densités d’interfaces

Les densités de joints de grains ferritiques et austénitiques diminuent avec le recuit. Ces évolutions

sont cohérentes avec le modèle de gravure thermique de sillons, qui entraîne une diminution de la

surface de joints de grains par mouillage par la phase complémentaire. Cependant, la croissance de

grains a été observée au même moment, et a également pour effet de réduire les densités de joints

de grains (voir §III.4.1.1). Il est donc difficile de conclure si la gravure thermique de sillons a un

réel impact sur la diminution de la densité de joints de grains à partir de cette mesure. On peut

néanmoins supposer que cette transformation ne représente qu’une diminution négligeable de la

densité de joints de grains devant celle engendrée par la croissance de grains. En effet,

l’interpénétration des phases ne concerne que les grains au contact des interfaces austénite/ferrite,

tandis que la croissance concerne tous les grains d’une bande.

Une diminution de la densité de joints de phases a été observée au cours des 300 s de recuit (partie

III.3.2.2.c). Il est plus difficile de conclure de l’effet de la gravure thermique de sillons sur la densité

de joints de phases. En effet, le mouillage d’un joint de grains entraîne une augmentation temporaire

de la surface d’une interface initialement plane, mais l’apparition de différences de rayon de

courbure peut occasionner la réduction de la surface de joints de phases par un mécanisme de

coalescence. On remarque par ailleurs que la densité de joints de phases mesurée est constante au

cours des 10 premières secondes de recuit à 1060 °C, et il est possible que les deux phénomènes se

compensent au début du recuit (voir Figure III.11). Au-delà de 10 s de recuit, la diminution de la

densité de joints de phases mesurée atteste donc plutôt d’un mécanisme de coalescence. Cet effet

n’a pas été observé à 1180 °C, température supérieure à laquelle la densité de joints de phases

décroît dès les 10 premières secondes de recuit (voir Annexe C). L’occurrence de mécanismes de

coalescence sera discutée plus en détails dans les paragraphes III.4.1.3 et III.4.1.4.

Une étude détaillée des joints de grains affectés par le mouillage sera proposée dans la partie III.4.2.

En particulier, les propriétés des joints de grains qui affectent le phénomène seront étudiées à la

lumière du mécanisme de gravure thermique de sillons.

4.1.3.Diminution de l’anisotropie morphologique

Les observations réalisées selon les deux sections DL-DN et DT-DN donnent des premières

indications sur la forme tridimensionnelle des particules d’austénite à l’état recuit 0 s. Les bandes

étendues selon la direction de laminage sont les plus épaisses et correspondent aux particules les

plus larges selon la direction transverse. La morphologie de ces particules peut être modélisée par

une lamelle possédant une dimension grande devant les deux autres selon la direction de laminage,

voir Figure III.21.(a). On peut également conclure que les petites particules circulaires observées

dans le plan DT-DN (Figure III.14.(a)) sont plus allongées selon la direction de laminage et ont une

morphologie de fibres, modélisée par la Figure III.21.(b). Les autres particules d’austénite

possèdent une morphologie intermédiaire à ces deux formes modèles, en particulier une forme

d’ellipsoïde.

(a) (b)

Figure III.21 – Représentation 3D d’une particule d’austénite au début du recuit modélisée comme

(a) une plaquette et (b) une fibre. Ces morphologies seront utilisées comme modèles dans le

Chapitre IV.

Lors d’un recuit, ces particules d’austénite expérimentent une diminution de leur allongement dans

les directions de laminage et transverse au cours du recuit (voir §III.3.2.1.b). De plus, les extrémités

des bandes (direction transverse) et les portions sectionnées deviennent plus épaisses et plus

cylindriques. Enfin, les plus petites particules deviennent plus équiaxes. Les mécanismes qui

conduisent à ces transformations peuvent être discutés.

4.1.3.a.Diminution d’anisotropie par coalescence

A volume de phase particulaire constant, une première transformation pouvant conduire à la

diminution de l’anisotropie morphologique est la sphéroïdisation. Elle est une application directe

de l’effet Gibbs-Thomson à l’interface particule/matrice, et conduit à une diminution des

différences de rayons de courbure d’une particule isolée de forme non sphérique. A ce titre, on

considère cette transformation comme un mécanisme de coalescence, mécanisme qui pourrait

expliquer la diminution de la densité de surface de joints de phases. Elle est dirigée par la diminution

de l’énergie d’interface du système, car la sphère est la géométrie qui minimise sa surface à volume

constant.

4.1.3.b.Diminution d’anisotropie par fractionnement

La coalescence n’est cependant pas le seul mécanisme à entraîner une diminution d’anisotropie

morphologique. Le mouillage d’un joint de grains et le fractionnement d’une bande ont également

pour conséquence de réduire l’indice d’anisotropie mesuré dans la partie III.3.2.2.b. En effet, cet

indice est égal au rapport des nombres d’intercepts moyens perpendiculaire et parallèle à la direction

longue des particules orientées selon une même direction.

Pour un ensemble de particules orientées réparties aléatoirement dans la microstructure, l’évolution

de la valeur de AI peut être discutée pour chaque mécanisme :

- Le mouillage des joints de grains affecte les particules polycristallines, et entraîne une

augmentation continue du nombre d’intercepts parallèles à la direction de laminage sans

que le nombre d’intercepts perpendiculaires ne change, jusqu’à atteindre le fractionnement.

Cette transformation a donc pour effet de réduire la valeur de l’indice d’anisotropie avec le

recuit.

- Les particules qui résultent du fractionnement ainsi que les petites particules présentes

initialement sont allongées selon la direction de laminage et se sphéroïdisent avec le recuit

Le nombre d’intercepts perpendiculaires à la direction de laminage diminue, et celui

parallèle à la direction de laminage augmente. La valeur de l’indice d’anisotropie diminue

également lors de la sphéroïdisation.

L’indice d’anisotropie diminue sous l’effet de la sphéroïdisation des particules ainsi que sous l’effet

du mouillage des joints de grains des bandes polycristallines, et ne permet pas de distinguer la

contribution respective de chacune de ces transformations.

4.1.4.Epaississement de la structure en bandes

L’examen des micrographies de l’alliage au cours du recuit a révélé un épaississement de la

structure en bandes, et une diminution du nombre de bandes (voir §III.3.2.1.b). La mesure de

l’espacement moyen a permis de mettre en évidence une évolution importante des épaisseurs

moyennes des deux phases (voir §III.3.2.2.a).

4.1.4.a.Epaississement moyen par coalescence

L’épaississement des bandes de la structure d’un acier inoxydable duplex laminé à chaud a été

rapporté par Wessman et al. pour un recuit isotherme à 1100 °C [23]. Ces auteurs expliquent cette

évolution par un mécanisme de coalescence des bandes austénitiques par le transport de matière

d’une bande à une autre dans la ferrite (voir §I.1.3.4). En effet, à volume constant de phase

particulaire, la dissolution d’une bande s’accompagne nécessairement de l’épaississement des

bandes voisines.

Au tout début d’un recuit, la majorité des interfaces qui délimitent les bandes sont planes, et deux

bandes voisines ne possèdent des différences de rayon de courbure qu’à leurs extrémités. La force

motrice pour la coalescence de bandes est donc bien moindre que celle de la coalescence de sphères

de diamètre de l’ordre de l’épaisseur des bandes et séparées d’une même distance. Pourtant, la

cinétique d’épaississement moyen mesurée par Wessman et al. est de plusieurs ordres de grandeur

supérieure à celle prédite par la théorie LSW de la coalescence décrivant l’évolution du rayon

moyen d’une distribution de particules sphériques (théorie LSW, voir §I.2.2.3.a).

Cependant, dès les premières secondes de recuit, le mouillage des joints de grains a été mis en

évidence. Il entraîne la courbure des interfaces austénite/ferrite initialement planes. Ces nouvelles

interfaces de rayon de courbure fini s’ajoutent aux extrémités courbes, et pourraient contribuer à

l’évolution plus rapide de l’épaisseur des bandes par coalescence.

4.1.4.b.Epaississement moyen par fractionnement

Il donc est possible que l’interpénétration des phases contribue à l’épaississement de la structure en

bandes par la création de nouvelles interfaces de rayon de courbure fini. Par ailleurs, ce mécanisme

peut conduire au fractionnement des bandes. A fractions de phases constantes, le fractionnement

s’accompagne nécessairement d’un épaississement moyen de la microstructure.

Les microstructures schématisées en Figure III.22 permettent d’illustrer l’influence du

fractionnement sur l’épaisseur moyenne des bandes mesurée par la méthode des intercepts. Ces

microstructures sont biphasées et orientées selon la direction horizontale, et adoptent diverses

géométries idéales observées à la même échelle. On suppose que ces micrographies sont

périodiques dans les directions verticale et horizontale. La figure (a) représente une microstructure

en alternance parfaite de bandes, et les figures (b, c, d) représentent des microstructures obtenues à

l’issue d’une transformation idéale de la figure (a), tout en conservant des proportions de phases

égales à 50 % :

- la figure (b) modélise la dissolution d’une bande au profit de l’épaississement des bandes

voisines. La forme des interfaces n’est pas modifiée.

- la figure (c) modélise le fractionnement des trois bandes. Les interfaces restent planes, mais

sont interrompues par les régions fractionnées

- la figure (d) modélise le fractionnement et la sphéroïdisation des extrémités des particules

fractionnées, tout en gardant la même dimension longue que pour la figure (c).

(a)

(c)

(b)

(d)

Figure III.22 – Microstructures modèles permettant d’illustrer l’influence de transformations sur

le nombre moyen d’intercepts par unité de longueur (50 % de phase noire).

La figure (b) possède une bande de moins de phase noire que la figure (a), tandis que les figures (c)

et (d) possèdent toujours le même nombre d’alignements horizontaux de particules que la figure

(a).

Le Tableau III.5 résume les mesures d’intercepts moyens verticaux effectuées sur les

microstructures de la Figure III.22. Les épaisseurs moyennes des particules noires et de la matrice

blanche selon la direction normale aux bandes sont également données. Ces deux mesures sont

déterminées par pondération de l’espacement moyen centre à centre des particules par la fraction

de particules (voir §I.2.3.1). Dans cet exemple, les phases sont présentes en proportions

équivalentes et ces deux mesures sont donc égales au sein de chaque microstructure. Les valeurs de

l’indice d’anisotropie de la phase noire sont également précisées.

Tableau III.5 - Nombre d’intercepts normaux à la direction longue, épaisseurs moyennes des

phases, et indice d’anisotropie de la phase noire, déterminés pour les microstructures de la

Figure III.22.

Micrographie

Nombre moyen

d'intercepts

normaux Áh

ƒ

Epaisseur

moyenne phase

blanche Ã

Ä

Epaisseur

moyenne phase

noire Ã

Indice

d’anisotropie

AI

(a) 3 1,0 1,0 ∞

(b) 2 1,5 1,5 ∞

(c) 2 1,5 1,5 2,7

(d) 2 1,5 1,5 2,0

En comparant les résultats obtenus à partir de la transformation de la micrographie (a), on observe

que les épaisseurs moyennes des Figure III.22.(b), (c) et (d) mesurées à partir du nombre

d’intercepts perpendiculaires aux bandes sont égales. L’épaississement moyen des phases d’une

microstructure en bandes peut donc s’effectuer à morphologie constante (figure (b)), ou bien être

dû au fractionnement des bandes (figures (c) et (d)). Par ailleurs, la comparaison des valeurs

obtenues pour les figures (c) et (d) montre que la sphéroïdisation des particules n’a pas d’influence

sur l’épaisseur moyenne des bandes dans le cas où l’allongement des bandes dans la direction

longue et la fraction de phase particulaire sont conservés.

Lors d’un épaississement moyen, l’évolution de l’indice d’anisotropie permet de distinguer ces deux

transformations. Au début du recuit de l’alliage DXM, l’augmentation de l’épaisseur moyenne des

bandes et la réduction marquée simultanée de l’indice d’anisotropie correspondent à une

transformation mettant en jeu le fractionnement des bandes. Aux durées de recuit plus longues,

l’indice d’anisotropie diminue moins rapidement qu’aux durées courtes, mais l’épaississement des

bandes est également moins rapide. Il est donc difficile de conclure si l’épaississement est dû au

fractionnement, ou à la coalescence. Une étude de la contribution de ces deux mécanismes sera

proposée en partie III.4.3.