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: LES MOTIVATIONS D’ORDRE ECONOMIQUE ET FINANCIER

SOUS-TITRE 1 : LES TONTINES

Section 1 : LES MOTIVATIONS D’ORDRE ECONOMIQUE ET FINANCIER

De l'analyse des comportements des participants aux tontines et d'après l'étude faite par certains auteurs, notamment Michel DROMAIN77, deux grandes tendances semblent apparaître en ce qui concerne les motivations d'ordre économique et financier.

La première tient compte des avantages comparatifs de la tontine par rapport aux banques ou aux caisses d'épargne. Ainsi, la préférence pour les tontines serait justifiée par les griefs qui sont adressés à ces institutions, ou encore parce que la tontine permet la satisfaction de besoins qui, normalement, sont du ressort des banques et des caisses d’épargne mais qu'elles ne satisfont pas pour des raisons diverses; cela traduit, selon Michel DROMAIN,

« une frustration financière ressentie par les participants par rapport aux circuits financiers modernes et l'inadéquation des services offerts par ci aux besoins exprimés par ceux-là »78.

La deuxième motivation ne tient plus compte des avantages comparatifs, mais traduit au contraire un avantage spécifique de la tontine qui est d'offrir aux adhérents, compte tenu de leur caractère et de leur environnement, un cadre approprié à la réalisation d'une épargne individuelle « volontairement forcée ».

76 SERVET Jean-Michel, « Vers de nouvelles hypothèses », in « Epargne et liens sociaux, Etudes comparées d'informalités financières », p. 419 à 432.

77DROMAIN Michel, « Les motivations des participants aux tontines », p. 8.

78Idem, p. 10.

72

§1- L

ES FACTEURS DE LA PREFERENCE POUR LES TONTINES PAR RAPPORT AUX INSTITUTIONS FINANCIERES FORMELLES

L'ensemble de ces facteurs constitue l'explication majeure du développement des circuits financiers parallèles, et notamment des tontines au Cameroun et dans la plupart des pays africains. Les plus couramment retenus par les auteurs qui se sont penchés sur la question seront examinés ci-dessous.

1- La faiblesse des revenus

D'une façon générale, on estime que les institutions financières modernes ne sont accessibles qu'aux détenteurs de hauts revenus, leur inadaptation aux revenus faibles étant particulièrement ressentie par la majorité de la population et notamment les femmes dont les revenus sont des plus dilués. Les services proposés par les tontines sont de loin favorables à cette catégorie et généralement adaptés aux revenus de chacun, aussi bien au niveau de l'épargne qu'à celui du crédit. En effet, s'il est admis que les services offerts par les banques et les caisses d’épargne ne permettent pas d'épargner de petites sommes, le dépôt préalable pour en devenir client étant souvent jugé excessif, on estime également que si ces personnes à revenus modestes étaient clients d'une banque, la faiblesse de leurs revenus et par conséquent leur capacité d'épargner les écarterait, en tout état de cause de l'accès au crédit classique. Cette tendance est également vérifiée en ce qui concerne les institutions de sécurité sociale, où l’assujettissement est réservé à une catégorie précise de la population : les travailleurs du secteur public et d’une infime partie du secteur privé, la majeure partie de la population active étant socialement exclue. La tontine au contraire semble offrir en ces domaines de nombreux avantages liés essentiellement à l'importance des sommes qu'elle permet d'obtenir, sinon sans intérêt dans les tontines mutuelles, du moins à des taux relativement bas dans les tontines financières.

Dans son étude sur les tontines sénégalaises, Michel DROMAIN79 s'interroge sur l'importance réelle de l'avantage que représente la tontine en matière de crédit. Il estime en effet que si l'on reproche aux institutions financières modernes d'opérer une forte discrimination des demandeurs de crédits, le même reproche peut être fait à l'institution tontinière puisqu'il est évident qu'un demandeur de crédit qui n'appartient pas au système n'a pas plus de chance d'en obtenir auprès d'une tontine qu'auprès d'une banque, en raison d'une forte sélectivité à l'entrée ; c’est d'ailleurs, l'une des conditions premières de la survie d'un groupement tontinier. En d'autres termes, l'avantage de la tontine en matière de crédit n'en est un que pour celui ou celle qui est pleinement intégré dans l’association tontinière.

2- La lourdeur des procédures au sein des institutions financières modernes

La complexité des procédures administratives que nécessite l'usage des services des structures financières modernes constitue à l'évidence un facteur répulsif pour la plupart des membres de tontine, en particulier en milieu rural où on retrouve un nombre important d'illettrés. Cette complexité constitue aussi l'une des raisons qui explique l'attachement aux tontines des personnes aux revenus pourtant confortables.

Par opposition, la tontine se caractérise par la simplicité de son mode de fonctionnement, aisément compréhensible par tous, et par l'absence de toutes formalités.

79 DROMAIN Michel, « Les motivations des participants aux tontines » p. 11.

73 3- L'exigence de proximité

L'un des avantages de la tontine est le fait d'être proche des utilisateurs et de n'imposer à ceux-ci aucun déplacement, puisqu'elle fonctionne dans l'environnement immédiat des participants, dans le quartier, sur la place du marché ou sur le lieu du travail. En zone rurale, les institutions financières modernes sont généralement rares80; ce qui oblige les usagés à faire des déplacements longs, coûteux et à hauts risques. De même sur place, ces institutions imposent des délais en raison de la complexité des procédures, notamment en matière de contrôles.

Dans la tontine au contraire, il n'y a généralement pas de délai entre la perception des cotisations et la remise des fonds au bénéficiaire.

4- Le manque de confiance envers les institutions financières modernes

Il est devenu commun d'affirmer aujourd'hui, malgré la timide croissance de l'économie, qu'au Cameroun et dans la plupart des pays africains, les institutions financières modernes ont une mauvaise réputation et que de nombreuses personnes ne leur font plus confiance, considérant les tontines comme plus efficaces et plus sûres. Si l'attitude de ces institutions financière modernes, notamment la lourdeur des procédures y est pour beaucoup, certains problèmes qu'ont connus les banques dans les durs moments de la crise économique des années 1980 et 1990, sont venus accentuer une méfiance déjà forte des individus envers ces institutions. En effet, la faillite de plusieurs banques et l'attente d'une éventuelle procédure relative à leur liquidation ont plongé la plupart des ménages camerounais dans une telle confusion qu'il ne leur restait plus que la tontine comme seul palliatif.

Les raisons mentionnées ci-dessus peuvent-elles à elles seules expliquer l'engouement des populations pour le système des tontines? Il nous semble que non puisqu'en effet, ces avantages ne se rapportent pas à l'aspect "épargne" proprement dit de la tontine, aspect qui pourtant à l'évidence joue un rôle très important. Ce dernier est justifié par le fait que l'épargne qui est constituée dans la tontine possède une qualité particulière par rapport à celle qui pourrait être réalisée dans une institution financière moderne : il s'agit ici, d'une épargne volontairement forcée qui semble être spécifique à la tontine.

§2- L

ES AVANTAGES SPECIFIQUES A LA TONTINE

:

LA REALISATION D

'

UNE EPARGNE

«

VOLONTAIREMENT FORCEE

»

Plusieurs auteurs81 considèrent que l'une des motivations principales des membres de la tontine est la réalisation d'une épargne « volontairement forcée ». A ce sujet, BOUMAN relève que: « De l'aveu de tous, la composante la plus remarquable et la première raison d'adhérer à une A.R.E.C82., est l'élément d'épargne forcée »83. Il estime par ailleurs que les

80VARADACHARY Tenalur, parlant des "chit funds" en Inde, évoque également cette hypothèse en précisant que : "le développement et la popularité des chits funds peuvent aussi être attribués à l'absence d'autres possibilités d'épargne et de crédit", Tenalur VARADACHARY, repris par Michel DROMAIN dans "Les motivations des participants aux tontines"; page 13

81 Par exemple: - BOUMAN F.J.A., “Indigenous savings and credit societies in the Third World: A Message”, Savings and development, vol. 1, No 4, Finafrica-Cariplo, Milan, 1977, p. 181 à 219. The ROSCA, “ Financial technology of an informal savings and credit institution in Developing Economies”, Savings and Development, vol. 3, No 4, Finafrica-Carilpo, Milan, 1979, p. 253 à 276.

82 A.R.E.C. Association Rotative d'Epargne et de Crédit.

74 participants à une tontine accordent à cet élément une plus grande valeur que l'élément crédit.

Ceci est d'autant plus vérifié que, dans la plus part des tontines et notamment les tontines mutuelles, les participants ont une nette préférence pour bénéficier des fonds en dernier, ce qui maximise leurs potentialités d'épargne. Les raisons de cette tendance sont nombreuses.

1- L'absence de discipline dans la gestion des revenus

L'une des caractéristiques de l'Africain et en particulier du Camerounais moyen, est la propension à dépenser tout son revenu. La discipline qu'impose la tontine permet de contracter au maximum cette forte propension. Ainsi, par le biais de dépôts souvent peu élevés, mais réguliers, le participant à la tontine est capable d'accumuler des sommes qui, autrement, auraient été dépensées. A ce sujet, et reprenant Sendor LIGETI, Michel DROMAIN relève que « la tontine possède des vertus éducatives »84.

2- Les obligations traditionnelles de solidarité envers la famille

D'une manière générale, relève Michel DROMAIN85, les revenus des individus, et par voie de conséquence, leur épargne individuelle, ne peuvent pas résister aux aléas et vicissitudes engendrés par les impératifs du fonctionnement de la famille élargie, qui dégénère parfois en une forme chronique de "parasitisme social". Une telle situation est attribuée au fait que, dans de nombreux cas, la réciprocité des obligations et contributions mutuelles dans le groupe familial ne peut plus être maintenue en raison d'une répartition inégale des revenus monétaires. Dans ces conditions, le titulaire de revenus, même faibles, est en permanence sollicité par les membres de sa famille qui connaissent des problèmes financiers.

De tels comportements trouvent leur fondement dans les règles traditionnelles de solidarité qui caractérisent la société africaine. La conséquence immédiate est que le détenteur d'argent ne peut pas refuser son aide à ceux des membres de sa famille qui sont en situation difficile; plus grave encore, il ne doit, dans la plupart des cas, attendre aucun remboursement des sommes qu'il est pratiquement contraint de prêter. Dans un tel environnement, les économies sont considérées comme peu résistantes, et l’épargne difficile à réaliser.

Les contraintes de cet environnement familial peuvent être contournés par l'adhésion à une tontine, adhésion qui engendre des obligations comprises et admises par tous, et dont le respect relève de l'honneur du participant; celui-ci peut donc, à l'intérieur de ce système, mobiliser une épargne individuelle sans enfreindre les règles de la solidarité traditionnelle, et en contrecarrant sa propre propension à dépenser. Une telle appréciation est confirmée par F.J.A. BOUMAN : « Les liquidités retirées de la circulation et mises dans l'A.R.E.C sont (temporairement) mises à l'abri des demandes d'aide des (membres) de la famille élargie »86. En ce sens, écrit Michel DROMAIN, « la tontine, tout en se prévalant des rapports sociaux anciens, peut être considérée comme un moyen de s'opposer à l'esprit communautaire en favorisant une pratique individuelle d'épargne »87. Ainsi, la tontine réalise la double performance de transformer la contrainte individuelle d'épargne en une contrainte vécue comme collective, ce qui lui confère un avantage déterminant par rapport aux institutions formelles.

83 BOUMAN F.J.A., "Indigenous Savings and Credit Societies in the Third World. A Message", page 184.

84 DROMAIN Michel, « Les motivations des membres de la tontine », p. 16.

85 Idem, p. 17.

86 BOUMAN F.J.A., "Indigenous savings and credit societies in the Third World: A Message", page 18

87 Michel DROMAIN: "Les motivations des participants aux tontines"; p. 188.

75 Toutefois, dans son analyse, Michel DROMAIN évoque la relativité de cet avantage de la tontine qu'est l'épargne « volontairement forcée » ; une relativité qui correspond également au contexte camerounais. Il relève en effet que, si la discipline d'épargne qu'impose la tontine est généralement appréciée des participants, l'épargne forcée a également son revers car, sauf dans les cas d'attribution des fonds en fonction des besoins exprimés, ou en cas d'échange de tours entre participants, l'épargne d'un adhérant est bloquée jusqu'à ce que son tour arrive; ceci pose le problème de la véritable disponibilité des fonds en cas de besoins urgents ou dans l'hypothèse dans laquelle un membre rencontre des difficultés pour remplir ses engagements. Si des solutions à ce genre de problèmes existent parfois, notamment le recours aux « caisses de secours », il reste néanmoins constant que les inconvénients de l'épargne forcée existent, même s'ils ne sont pas évidents aux yeux des participants aux tontines.