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INTRODUCTION

Les protections traditionnelles peuvent être définies comme l’ensemble des mécanismes d’entraide, mis en place et perfectionnés au fil du temps à l’intérieur des groupes sociaux, en vue de permettre à leurs membres, non seulement de mieux subvenir à leurs besoins quotidiens, mais aussi de pallier les différents aléas de la vie et de mieux envisager l’avenir. Toutes ces protections trouvent leur origine dans « les associations tontinières », qui constituent le cadre favorable à leur émergence. A la faveur de la restructuration du système financier africain au cours des années 1990, le développement et la modernisation des pratiques tontinières a été d’autant plus rapide que les institutions financières et de sécurité sociale classiques n’ont pas réussi à attirer l’épargne populaire, et moins encore à utiliser au mieux les dépôts recueillis pour financer le développement de ces économies.

Entendue au sens africain, la tontine est considérée comme un mécanisme de collecte et de redistribution, au profit des membres du groupe social qui la compose, de la force de travail, des biens matériels ou financiers. C’est une forme très ancienne d’organisation sociale, qui se démarque nettement de la formule originale proposée par Lorenzo Tonti en 165326.

Etymologiquement, le terme tontine trouve son origine dans une pratique inspirée par le banquier napolitain Lorenzo Tonti, proposée au Cardinal Mazarin, et qui consistait en « une opération financière ayant pour objet de mettre en commun des fonds destinés à être partagés entre les sociétaires survivants à une époque déterminée d’avance, ou à être attribués au dernier d’entre eux. C’est en somme une opération financière consistant dans la formation d’une « cagnotte », d’une masse indivise faite en commun par plusieurs personnes, qui versent des cotisations et dont le profit dépend pour chacune d’elles d’une condition de survie »27. Il s’agissait d’une forme « d’assurance vie », laquelle permettait à celui des membres qui avait eu la chance de vivre plus longtemps de s’assurer une vieillesse confortable, en bénéficiant des fonds cotisés au cours de leur vie par l’ensemble des membres.

En d’autres termes, lorsque tous les autres sociétaires étaient décédés sauf un, le survivant était réputé avoir été seul propriétaire des fonds depuis le jour de leur constitution et ses coacquéreurs, décédés avant lui, sont supposés n’avoir jamais rien possédé. Mais cette pratique fut très vite interdite pour des raisons de sécurité.

Connue aujourd’hui dans le contexte français sous l’appellation de « clause d’accroissement » ou « pacte tontinier », la tontine est une convention intervenant entre plusieurs personnes mettant des biens ou des capitaux en commun avec cette particularité que les sommes versées, leurs produits ou les biens meubles ou immeubles qui auront été achetés à l’aide du capital ainsi constitué, appartiendront au dernier survivant. C’est notamment le moyen trouvé par la pratique pour permettre au survivant d’un couple vivant maritalement d’acquérir la part de son partenaire et de conserver leur logement commun. Les biens qui faisaient l’objet de la tontine se trouvent ainsi transférés au bénéficiaire de la clause d’accroissement sans qu’ils aient à transiter par la masse successorale que se partagent les héritiers du défunt. Au plan juridique, une clause dite d’accroissement ou pacte tontinier confère à chacun des acquéreurs la propriété de l’immeuble tout entier à partir du jour de son acquisition sous condition du pré-décès du cocontractant. La signature d’une telle clause ne

26 BEDARD G, « Argent chaud et argent froid », p. 41à 75.

27 Idem, p. 54.

44 crée pas une indivision, de sorte que l’une ou l’autre des parties au contrat ne peut jamais provoquer unilatéralement le partage28.

La tontine, telle qu’entendue dans les sociétés traditionnelles actuelles, est une forme d'épargne et de crédit. Le principe ici est celui d’un échange circulaire et égalitaire d'un bien, d'un service ou d'argent à l'intérieur d'un groupe de personnes qui appartiennent le plus souvent au même cercle ethnique. La tontine d'argent est pratiquée au sein de communautés où les banques refusent d'intervenir. C’est le cas en Afrique subsaharienne. Des groupes d'amis, de voisins ou de collègues peuvent alors se constituer afin de proposer, sur la base de la confiance, des contributions à chacun des membres : les cotisations des membres et les remboursements permettent de financer des projets. Le système fonctionne, car les relations sociales créent un équilibre du système (pression par les pairs). Dans des contextes moins communautaires, individuels, ce seront plutôt des organismes de microcrédit qui conviendront.

La tontine, telle que nous l’entendons dans le cadre de cette étude, et contrairement à la conception française, distribue directement de manière rotative sa « cagnotte » à ses membres, et en cas de décès d’un membre, indirectement à ses ayants droit (titre 1).

Sans pour autant se décaler de sa conception originale, la tontine a subi plusieurs améliorations pour mieux s’adapter aux besoins croissants de ses membres et à la modernisation. D’un côté, on est passé de la tontine de troc à la tontine d’argent en passant par la tontine de force de travail. D’un autre côté, des associations se sont inspirées des techniques de la tontine pour tenter de répondre aux carences des systèmes de sécurité sociale, notamment dans le domaine de la santé. C’est sans doute ce qui explique le développement actuel des mutuelles de santé en Afrique sub-saharienne (titre 2).

28 Cf. Cour d’appel de Versailles (1ère chambre, 1ère section), 25 septembre 2003, Bulletin d’information de la cour de cassation du 1er avril 2004, N° 536. Cet arrêt précise que tant que la condition de pré-décès de l’un des acquéreurs ne s’est pas réalisée, les tontiniers ont sur le bien des droits concurrents, notamment celui d’en jouir indivisément et que, en l’absence d’indivision, l’un des acquéreurs ne peut prétendre se prévaloir des règles régissant les indivisions de droit commun, notamment les dispositions de l’article 815-9 du Code civil relatives à l’indemnisation en cas d’utilisation privative de la chose indivise par l’un des co-indivisaires.

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