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DU CODE DU TRAVAIL DU 15 DECEMBRE 1952

§2- L A STRUCTURE ORGANISATIONNELLE

Il s’agira surtout d’examiner ici, l’organisation administrative et financière des régimes de sécurité sociale dans les pays d’Afrique Noire francophone au lendemain des indépendances.

1- L’organisation administrative

Sur le plan de l’organisation administrative de la sécurité sociale, on constate l’existence dans ces pays, à de rares exceptions près, d’un organisme unique chargé de la gestion de tous les risques couverts. Dans la majorité des cas, il s’agit d’établissements publics dotés de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, mais placés sous la tutelle du Ministère du travail289. Il y a donc là une nuance importante par rapport au régime français dans lequel les caisses de sécurité sociale (à l’exception de la Caisse Nationale), bien qu’assurant une mission de service public, sont des organismes de droit privé. C’est ainsi qu’au Congo (Brazzaville), les pouvoirs publics ont créé la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale, qui est un organisme public ayant une personnalité juridique propre, gérée par un conseil d’administration et placé sous la tutelle du ministère du travail.

Toutefois, ce type d’organisation n’a pas été adopté par la totalité des pays concernés.

Certains Etats ont conservés leur caisse de compensation créée par l’administration française dans les dernières années de son existence. C’est le cas des Etats comme la Côte d’Ivoire, le Dahomey (actuel Bénin), le Sénégal, le Tchad et le Togo. Ces caisses se différencient des organismes du groupe précédant en ce qu’elles ont conservé, comme les caisses de sécurité sociale en France, une nature juridique de droit privé et une personnalité juridique autonome, échappant ainsi à la tutelle de l’Etat. Cela entraîne des conséquences en ce qui concerne les rapports des caisses avec leur personnel et avec les tiers. En effet, dans ce système, les rapports qui s’établissent entre les caisses et leur personnel ne sont plus, comme dans le cas

288 Par exemple la République centrafricaine, où les prestations sont servies dans le cadre d’un fonds spécial dit

« Fonds d’action sanitaire, sociale et familiale ».

289 Ces établissements publics, bien que dotés d’une personnalité juridique de droit public, sont cependant distincts tout à fait de l’Etat lui-même et sont gérés par des organes propres qui sont placés sous la tutelle de celui-ci.

149 précédant, des rapports de droit public, mais des rapports de droit privé entre employeurs et salariés, reposant sur des contrats de travail et soumis, sauf disposition expresse, à l’ensemble des dispositions du code du travail.

Au Cameroun, c’est également une solution de cette nature qui a prévalu mais avec, toutefois, une originalité tenant au fait que la caisse de compensation n’est compétente que pour les prestations familiales. Pour les risques professionnels, la gestion est confiée par les pouvoirs publics, à des compagnies d’assurances privées. De la sorte, les employeurs passent des contrats régis selon les règles de droit privé avec les compagnies d’assurances privées, pour assurer aux employés la couverture des risques professionnels.

2- L’organisation financière

Les ressources de la sécurité sociale, surtout en ce qui concerne les prestations familiales et les risques du travail sont, dans l’ensemble des pays africains nouvellement indépendants, essentiellement constituées de cotisations des assurés et des employeurs. En l’absence quasi-généralisée d’assurances sociales proprement dites, notamment d’assurance maladie, il n’y a donc que peu de cotisations versées directement par les salariés dans le cadre de certains risques particuliers, tels que les risques vieillesse et décès. Ainsi, au Congo (Brazzaville), les ressources du régime de retraite sont constituées par les cotisations des employeurs et des salariés, respectivement aux taux de 2,4% et de 1,6% des salaires plafonnés soumis à cotisation. C’est également le cas pour les pays qui ont conservé, pour la couverture du risque vieillesse, le régime de l’I.P.R.A.O290.

Toutefois, les cotisations ne constituent pas l’unique moyen de financement de la sécurité sociale dans ces pays, où la participation de l’Etat constitue une source non négligeable sous forme de subventionnement. Bien plus, dans certains pays, cette participation de l’Etat reste la source principale. C’est le cas du Cameroun291 où l’Etat prenait en charge292, sous forme de subventions, une partie du financement des soins médicaux. Ce subventionnement affecte de façon considérable le budget de l’Etat et ainsi, crée des difficultés de financement de la sécurité sociale dans ces pays. Certes, dans tous les pays possédant un système de sécurité sociale, le problème du financement de la sécurité sociale pose toujours de multiples difficultés ; même dans les pays économiquement développés comme ceux d’Europe occidentale et d’Amérique du nord en particulier. Mais les choses apparaissent encore plus compliquées dans les Etats francophones d’Afrique noire.

3- Conclusion

Ainsi se présentent, dans une étude nécessairement descriptive, les différentes étapes de l’introduction de la sécurité sociale dans les Etats francophones d’Afrique Noire. En partant du néant, car telle était pratiquement la situation au lendemain de la deuxième guerre mondiale, l’administration de la France d’Outre-mer tout d’abord, les nouveaux Etats issus de l’indépendance ensuite, ont jeté les bases d’un système cohérant et moderne de sécurité sociale pour les travailleurs salariés. Sans doute étaient-ils aidés dans cette voie par les

290 C’est le cas du Sénégal qui a conservé le régime de l’IPRAO jusqu’en 1975, date à laquelle a été crée l’Institut de Prévoyance Retraite du Sénégal : (Cf. Loi N° 75-50 du 3 avril 1975 relative aux institutions de prévoyance sociales). Le décret N° 75.455 du 24 avril 1975 rend obligatoire l’affiliation au régime de tous les employeurs et travailleurs.

291 cf. loi fédérale des finances du 9 juin 1962.

292 Jusqu’à l’introduction de la politique de recouvrement des coûts issue de l’initiative de Bamako.

150 multiples exemples donnés par les pays industrialisés, mais leur mérite n’en fut pas moins grand d’avoir affronté directement le plus redoutable des problèmes posés aux pays sous-développés : celui de la misère humaine et de l’insécurité sociale.

Toutefois, en l’état actuel des choses, on est en droit de s’interroger sur l’opportunité de la transposition du système français de protection sociale dans le contexte africain. En effet, près d’un demi-siècle après les indépendances, la protection sociale reste au niveau embryonnaire et seule une infime partie de la population bénéficie d’un minimum de couverture sociale. Doit-on imputer cette situation aux précurseurs de l’avènement de la sécurité sociale en Afrique Noire et en conclure que la protection sociale a été bâtie sur des bases fragiles ? En d’autres termes, fallait-il laisser se développer dans le contexte africain un système de protection sociale basé sur des principes qui régissent la protection sociale dans les pays occidentaux, à l’exemple de la France, sans prendre en compte les réalités sociales du milieu ? Deux courants de pensée se sont affrontés dès les premières années d’indépendance des pays africains sur cette question, laquelle aujourd’hui reste d’actualité.

D’une part, certains auteurs pensent que la sécurité sociale dans ces pays devrait tenir compte des réalités traditionnelles profondément ancrées dans les mœurs, et notamment la conception africaine de la notion de solidarité. Ces auteurs293 partent de l’idée restée constante, qu’il existe des différences importantes entre les pays occidentaux et les pays d’Afrique Noire au plan socio-économique : « D’un côté, on a des pays économiquement développés, où le chômage est en permanence maintenu dans des limites sinon normales, du moins acceptables et où l’individualisme règne en maître. De l’autre, on a des pays sous-développés du point de vue économique, où le sous-emploi généralisé est une réalité de tous les jours, et où la communauté passe avant l’individu »294. Dans un tel contexte, on aurait pu donner aux systèmes de sécurité sociale africains une orientation différente de celle des systèmes occidentaux. A ce sujet, Pierre CLAIR précise que : « bon nombre de ces pays ont malencontreusement pris à leur compte le code de sécurité sociale de l’ancienne Métropole. agriculteurs, aux artisans et aux petits commerçants, pour qui aucune mesure de protection n’a été envisagée au moment de l’introduction de la sécurité sociale dans ces pays et dont la situation n’a guère changé à ce jour.

Certains pays, tel le Cameroun, ont certes introduit un système d’affiliation volontaire pour les indépendants, mais lorsqu’on sait la réticence que ces populations ont pour la prévention des risques et surtout « l’indifférence que, dans leur grande majorité, les populations africaines affichent à l’égard des régimes de sécurité sociale »296, on comprend aisément pourquoi la quasi-totalité de ces travailleurs ne souscrivent pas volontairement des assurances sociales pour couvrir les différents risques sociaux. On aurait dû imaginer des

293Par exemple MOUVAGHA-TCHIOBA Etienne Guy, « Les principes du système de sécurité sociale français sont-ils applicables à l’Afrique Noire francophone ? », p. 3.

294 Idem, p. 3.

295 CLAIR Pierre, « Mais que font-ils de la Sécurité Sociale ? », p. 94.

296 BUTARE Théopiste et KASSEKE Edwine, « La sécurité sociale en Afrique : le poids du passé, les priorités pour l’avenir », p. 5.

151 mécanismes qui les contraindraient à souscrire des mesures de protection sociale ou les protéger ex lege.

Au plan sociologique d’autre part, il convient de rappeler que le principe fondamental sur lequel reposent les sociétés africaines n’est pas l’individualisme, mais celui du solidarisme. Il joue un rôle essentiel dans la vie quotidienne de ces populations. Du point de vue pratique, le solidarisme africain se manifeste par le fait que « les possédants se sentent obligés de donner à ceux qui n’ont rien et ceux-ci se sentent en droit de recevoir. Tout cela se fait le plus naturellement possible, sans qu’il y ait de complexe ni chez les uns ni chez les autres. Le fondement de l’obligation des uns et du droit des autres n’est pas le fait d’une propriété collective, mais l’existence de liens de parenté ou de voisinage »297. La sécurité sociale en Afrique devrait donc tenir compte de telles réalités et se développer sur un socle de solidarité nationale. De la sorte, elle se rapprocherait de la conception de Francis NETTER, qui voit dans la sécurité sociale un « service national ». Dans un tel système, « la collectivité doit fournir à chacun les moyens de satisfaire ses besoins jugés nécessaires, compte tenu des ressources techniques et économiques disponibles. Le droit à une prestation exprime la garantie donnée à chaque individu qu’il pourra satisfaire le besoin auquel correspond cette prestation (…). Le droit d’un individu à une prestation et les obligations auxquelles il est soumis peuvent être appréciés séparément, le droit n’étant pas nécessairement la conséquence de l’obligation »298.

En définitive, le système qui correspondrait le mieux aux traditions africaines devrait être un système non contributif, d’une part, et universel quant aux personnes protégées et quant aux risques couverts, d’autre part. Seulement, un tel système risquerait de contribuer au laxisme et à l’oisiveté, ce dont l’Afrique n’a pas besoin en ce moment si elle aspire à se sortir de l’impasse dans lequel elle se trouve299.

Un autre courant d’opinion estime, quant à lui, que si les grands principes de la sécurité sociale, tels que conçus par ses précurseurs ont pu se développer et se maintenir dans les pays d’Europe, il n’y a pas de raison que l’Afrique soit mise à l’écart de ce processus. Il faut en effet se rappeler, comme nous l’avons précisé dans l’introduction de ce chapitre, qu’au moment où l’Afrique accède à l’indépendance et participe au concert des nations, il n’existe au profit des populations aucune garantie formelle contre les risques sociaux. Les procédés dits traditionnels de garanties sont rudimentaires, très peu structurés et varient d’un peuple à l’autre. Certes, les coutumes locales y donnent la priorité à la solidarité et à l’entraide familiale mais, fallait-il construire une société qui aspire au développement en s’appuyant uniquement sur des éléments aussi précaires et incapables de faire face aux besoins à satisfaire ? Il semble que non, si l’on se réfère à l’opinion de Marc DONNIER sur la question : « un Etat moderne ne peut se passer d’un régime valable de protection contre les risques sociaux (…) c’est même là l’une des clés pour échapper au sous-développement »300. Les seules solutions disponibles étaient celles qui avaient fait leurs preuves depuis la fin du

297 MOUVAGHA-TCHIOBA Etienne Guy, « Les principes du système de sécurité sociale français sont-ils applicables à l’Afrique Noire francophone ? », p. 9.

298 NETTER Francis, « La Sécurité Sociale et ses principes », p. 42 et 43.

299 Un système non contributif risquerait de favoriser le développement d’une catégorie d’assistés sociaux, improductifs et dépendants : or l’Afrique a besoin de la contribution de tous pour mener à bien le chantier de son développement.

300 DONNIER Marc, « Pour une sécurité sociale africaine », p. 126.

152 19e siècle dans les pays d’Europe et les pays africains nouvellement indépendants en avaient besoin.

Sur la question de la limitation des bénéficiaires de la protection sociale aux seuls salariés au bénéfice d’un contrat de travail formalisé, les tenants de ce courant font valoir que

« cet état de chose ne saurait surprendre car il est dans la logique de l’évolution de la sécurité sociale. Celle-ci a toujours commencé par n’être qu’un élément du droit du travail, ne jouant qu’au profit des salariés et ce n’est que très progressivement, en vertu du mouvement d’extension prévu par Beveridge, qu’elle est parvenue, dans les pays industrialisés, à devenir une branche autonome du droit social, à égalité avec le droit du travail. Or l’Afrique n’est qu’au début de cette route »301. On peut aisément le comprendre, si l’on se situe dans le contexte de l’Afrique nouvellement indépendante, où les ambitions sont nourries par un certain optimisme. Mais un demi-siècle après, on en est encore ou presque à la case de départ.

Preuve que la transposition du système de sécurité sociale métropolitain en Afrique noire s’est faite de manière hâtive, sans tenir compte des réalités sociales du milieu.

En définitive, il aurait fallu sans doute tenir compte d’autres critères, tels que l’adaptation de la protection sociale au milieu social des populations concernées, critère cher au Dr Henry G. POULIZAC. Il précisait en effet que : « nous avons souhaité que ces critères, établis sur la confrontation homme-travail, s’étendent à une confrontation plus globale homme-milieu social »302. Ainsi, l’adaptation de la protection sociale aux conditions de vie des populations concernées viendrait compléter les trois autres critères de la protection sociale existants : à savoir, l’aptitude au travail, le marché du travail et le niveau du revenu.

Ce n’est qu’ainsi que les populations non salariées s’intégreraient en totalité dans le système de protection sociale d’une manière plus réaliste que par le biais des « ayants droit », et que s’effaceraient les inégalités qui distinguent encore malencontreusement, la minorité protégée et la majorité exclue de la protection sociale en Afrique Noire.

301 Idem, p. 129.

302 POULIZAC Henry G., « Etude sur l’utilisation de la méthode statistique dans l’orientation et le perfectionnement des services médicaux de la Sécurité Sociale », Cahiers africains de Sécurité Sociale, n° 1, pp107-139.

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TITRE 3 : LE SYSTEME PUBLIC CAMEROUNAIS DE