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2.5 Les processus de relaxation

3.1.2 Les morphologies et les effets de taille

Lorsque des agrégats métalliques de tailles différentes sont déposés sur du gra-phite avec des taux de couverture et des flux analogues, une transition morpho-logique des îles formées est observée : celles-ci évoluent d’une structure compacte à une structure dendritique lorsque la taille des agrégats augmente, comme le montre la figure 3.2 [Bréchignac97]. De plus, la largeur des ramifications diminue quand la taille des agrégats augmente. Puis les ramifications s’épaississent avec la taille des agrégats (pour Sb500 dans les conditions expérimentales de la Fig. 3.2) pour coïncider finalement avec le diamètre des objets déposés (Sb2300, dans ce cas). On aboutit ainsi à un paradoxe apparent selon lequel les structures les plus fines ne sont pas dûes aux agrégats les plus petits.

Le fait que les ramifications ne soient pas de la taille de la brique élémentaire qui les a formé et varient avec la taille démontre d’une part l’existence du proces-sus de restructuration des agrégats au sein de l’île en croissance, mais également que la dynamique de ce processus est fonction de la taille des particules en jeu.

En réalité le degré de ramification des structures est piloté non pas par un effet mais par deux processus antagonistes en compétition : la croissance limitée

par la diffusion qui tend à étendre radialement l’île et la coalescence qui tend à ramener sa morphologie vers une forme d’équilibre [Yoon99]. A chacun de ces processus est associé un temps caractéristique : ∆t pour le temps d’arrivée de deux agrégats successifs en un même lieu d’une île donnée et τ , le temps nécessaire à la coalescence de l’agrégat incident sur l’île. Durant le dépôt, lors d’une collision, l’île tend à adopter une forme d’équilibre via la coalescence. Si τ < ∆t, l’île est compacte au moment où elle piège un autre agrégat et elle le reste (Df = 2). En revanche si τ > ∆t, elle n’a pas le temps d’atteindre une forme compacte avant l’arrivée d’un nouvel agrégat au même endroit et continue de croître en développant une forme hors équilibre. Dans le cas asymptotique où τ ∆t, la dimension fractale tend vers 1, 71, la dimension fractale des formes obtenues par les simulations DLA.

Le temps de coalescence τ dépend à la fois de la taille de l’agrégat incident et de celle de l’île en croissance. Nous avons vu (éq. 2.19 et 2.20) qu’il varie proportionnellement à R4/Ds pour deux sphères identiques (agrégat-agrégat) et à R2/Ds, pour un agrégat de rayon r plus petit que la dimension R de l’île. La valeur de τ croît donc au cours du dépôt au fur et à mesure que la taille de l’île augmente. Ce temps est également d’autant plus long que l’agrégat initial est gros, la proportion d’atomes de surface, plus mobiles, décroissant en n−1/3 au profit de ceux de volume, donc plus liés, au sein de l’agrégat.

Le temps ∆t d’arrivées successives d’agrégats en un même lieu de l’île est lié dans un premier temps à la mobilité des agrégats sur la surface et dépend donc de la nature du substrat ainsi que de la taille des agrégats. Le coefficient de diffusion de surface étant une fonction décroissante de la taille, on peut supposer que ∆t croît avec r. Au cours du dépôt, ∆t est donc quasi-constant, décroissant légèrement au fur et à mesure que l’île s’étend sur le substrat : plus l’île remplit sa zone de Voronoï et plus le piégeage des agrégats en diffusion est efficace. Dans la phase de croissance pure des îles, pour un flux F d’agrégats déposés donné, Nsat/F représente le temps séparant les arrivées de deux agrégats successifs dans une même zone de capture. Le nombre de sites accessibles en périphérie de l’île pour la collision de l’agrégat incident peut être dénombré par P/d, où P est défini comme le périmètre de l’île et d, le diamètre de l’agrégat. D’où une estimation de ∆t :

∆t∝ P d

Nsat

F

Le périmètre P varie en fonction de la dimension topologique δ de l’île comme Rδ−1 (δ = 2 pour une forme compacte et Df, pour un objet fractal). Le temps d’arrivées successives est donc moins sensible à la taille que le temps de coales-cence. Il n’en est pas de même pour sa dépendance face à la nucléation (F et Nsat), pilotée par le flux d’agrégats incidents et leur interaction avec la surface.

Le fait que ∆t varie plus lentement que τ en fonction de la taille implique l’existence d’une taille critique de l’île R0 pour ∆t = τ , définissant les deux

régimes de croissance. Pour R < R0, le temps d’arrivées successives est plus long que celui nécessaire à la coalescence : c’est le régime de croissance compacte. Le régime de croissance dendritique s’installe pour R > R0. On peut assimiler R0 à la demi-largeur des ramifications.

compacte

ramifiée

Flj. 3.3 — Compétition temporelle entre croissance (∆t) et relaxation ( τ ) lors du dépôt d’agrégats de rayon r. (a) ∆t est le temps séparant l’arrivée de deux agrégats successifs en un même lieu de l’île de taille R. τ est le temps nécessaire à l’île pour adopter une forme compacte. (b) Schéma d’évolution de ∆t et τ en fonction de la taille R de l’île. La courbe en trait pleins représente l’évolution de τ pour un agrégat et une île de rayons r0 et R, resp. La courbe en tirets représente l’évolution plus lente de ∆t en fonction de R.

Ces considérations cinétiques permettent de prédire qualitativement les mor-phologies engendrées par le dépôt d’agrégats. Ainsi on peut esquisser le compor-tement suivant en s’appuyant sur le schéma de la figure 3.3 : lors d’expériences à taux de couverture et flux fixés, plus les agrégats sont petits, plus les îles sont compactes. Dans le cas d’expériences où la taille des agrégats est fixe, la crois-sance ramifiée est d’autant favorisée que le flux du dépôt est rapide. En effet dans ce cas, la courbe ∆t est abaissée et la taille critique est atteinte plus rapidement.

Flux (Å/s) P/S 1/2 ξ (nm) Df

Flj. 3.4 — Analyse quantitative d’îles formées par les dépôts de Sb4 sur graphite pour différents flux de dépôt : le degré de ramification s’accroît avec le flux. (a) La dimension fractale Df augmente pour tendre vers la valeur 1, 71 de la fractale DLA. (b) Le périmètre P normalisé par la racine carrée de la surface S projetée de l’île augmente. (c) La largeur des ramifications ξ diminue. Source [Stegemann04].

L’évolution du degré de ramification en fonction du flux est illustrée par l’analyse des dépôts de Sb4 sur graphite reportée en figure 3.4.

Nous venons de caractériser le cas d’agrégats d’antimoine pur déposés sur une surface idéale de graphite aboutissant à la croissance d’îles à morphologie isotrope, compacte ou dendritique selon les conditions expérimentales. Ces résultats ont un caractère général. Plutôt que de chercher à les reproduire avec des agrégats d’argent, nous avons concentré notre étude sur les effets apportés par la modifi-cation des caractéristiques de la surface de graphite sur la morphologie finale. Il est naturel de penser que la présence de défauts de surface pouvant modifier la diffusion et la nucléation des agrégats doit altérer la croissance dendritique : c’est à cette situation que nous allons maintenant nous intéresser.

3.2 Les perturbations morphologiques induites