• Aucun résultat trouvé

1.2 Les outils d’imagerie des dépôts

1.2.2 La microscopie en champ proche : le microscope à force

Le principe des microscopes en champ proche, développés par G. Binning dans les années 80, est de déplacer une pointe à quelques angströms en regard d’une surface à étudier et d’enregistrer à chaque étape du déplacement, le signal issu de l’interaction entre la pointe et l’échantillon. Dans le cas du microscope à force atomique, ou AFM, on détecte la force, attractive ou répulsive, subie par la pointe, alors qu’en microscopie à effet tunnel (STM), le signal recueilli est le courant tunnel crée par la différence de potentiel appliquée entre la pointe et l’échantillon. N’ayant fait appel qu’à l’AFM, nous présentons uniquement cet outil (Fig. 1.15).

L’élément clé de ce microscope à sonde locale est la pointe. Celle-ci doit possé-der une extrémité de dimension atomique et sa composition chimique est choisie pour les propriétés de dureté qu’elle lui confère. Dans notre cas nous avons utilisé du nitrure de silicium pour l’AFM Omicron dont nous disposons. La pointe est fixée à l’extrémité libre d’un microlevier, appelé cantilever, dont la face arrière est recouverte d’une fine couche d’or. Le cantilever doit posséder soit une grande

Cantilever Diode à quatre quadrants Laser

Pointe

Forces latérales

Topographie

Surface

Flj. 1.15 — Principe de fonctionnement du microscope à force atomique. fréquence de résonance soit une faible raideur en fonction du mode opératoire choisi. Un faisceau laser, focalisé sur la face dorée est réfléchi sur le détecteur constitué d’une photodiode partagée en quatre parties (quadrants) pour la détec-tion des déplacements latéraux et transversaux. L’alignement est tel que lorsque l’interaction pointe-surface est nulle, l’intensité lumineuse est également répartie sur le quatre quadrants. La force exercée entre la pointe et la surface entraîne une déflexion du cantilever qui se traduit par un déplacement de la tâche de réflexion sur les quatre quadrants ; la variation de courant sur chaque segment de la diode étant proportionnelle à la force appliquée. Les forces mises en jeu sont les forces électrostatiques (dans le cas d’une pointe ou d’une surface chargée), les forces de capillarité (s’il y a du liquide sur la surface) et les forces de Van der Waals.

Selon les appareils utilisés, le déplacement est effectué soit via la pointe, soit via la surface (parfois les deux). Dans notre cas, la surface est solidaire d’un sys-tème à base de transducteurs piézo-électriques, qui assurent à la fois un balayage en X et Y (dans le plan de la surface), et le mouvement en Z (perpendiculaire-ment à la surface). La pointe peut être mise en vibration à une fréquence ν. Il existe donc quatre degrés de liberté pour une pointe AFM : X, Y , Z et ν. Certains modes de mesure nécessitent la régulation de l’altitude de la pointe. Cela est fait en comparant le signal mesuré au signal d’asservissement. Le signal d’erreur est alors renvoyé au système piézo-électrique et l’altitude de la pointe est modifiée en conséquence.

Les deux modes principaux de fonctionnement de l’AFM sont les modes dits contact et non-contact. Dans le mode contact, la pointe est en contact physique avec la surface, exerçant une certaine force, et la boucle de contre-réaction agit sur le piézo-électrique vertical pour garder la déflexion constante lors du balayage. Les mouvements de la pointe traduisent alors directement les variations de hauteur de la surface et permettent une étude topographique de l’échantillon. Dans le

mode non-contact, la pointe est placée à quelques angströms de l’échantillon et le cantilever est excité à sa fréquence propre. Lors du balayage, la variation de la distance pointe-surface et/ou de la nature de l’interaction (dans le cas de matériaux hétérogènes, par exemple) entraîne une variation de l’amplitude et de la phase des oscillations. L’asservissement est fait sur l’amplitude de vibration : l’altitude Z est ajustée afin de maintenir l’amplitude de vibration du cantilever constante.

Flj. 1.16 — En haut : image AFM (1 μm×1 μm) d’une fractale d’antimoine. En bas : profil de l’objet réalisé le long de la flèche. La hauteur des bras est ici de l’ordre de 3 nm.

L’AFM est l’instrument de prédilection pour la mesure de la hauteur des nanostructures (Fig. 1.16). La taille et la forme de la pointe limitent la résolution latérale. En effet les pointes présentent à leur extrémité un rayon de courbure d’au moins 10 nm pour les plus fines. Les dimensions transverses des objets étudiés s’en trouvent élargies, convoluées par la taille de la pointe et toute sous-structure (interstices par exemple) de dimension inférieure à celle de la pointe ne peut être sondée. De plus, il est délicat d’imager des structures faiblement liées au substrat : dans le mode contact, l’interaction entre la pointe et l’objet perturbe celui-ci, qui peut être dégradé ou déplacé avec le balayage. Cet effet, bien que

fort utile lorsqu’il s’agit organiser des nanostructures sur une surface, altère voire interdit l’acquisition d’images de qualité. En mode non contact, le risque est plus faible mais la distance objet-pointe étant plus grande, la résolution s’en trouve affectée.

Le dépôt d’agrégats métalliques

préformés sur surface : diffusion,

nucléation, croissance,

restructuration

”Partout où le hasard semble jouer à la surface, il est toujours sous l’empire de lois internes cachées, et il ne s’agit que de les découvrir.”

F. Engels, extrait de Ludwig Feuerbach.

Les outils instrumentaux maintenant explicités, il est temps de faire place à l’expérience : quelles sont les morphologies engendrées lorsque des agrégats sont déposés sur une surface ? De quels mécanismes résultent-elles ? Peut-on les piloter à priori ?....

Quelle que soit la nature de la surface et de l’agrégat considérés, les structures observées lors de ce type d’expériences procèdent de la succession des processus suivants :

— la diffusion des agrégats sur la surface

— la nucléation des espèces diffusantes sur des défauts de surface ou par col-lisions entre elles

— la croissance d’une île autour du centre de nucléation par arrivées successives des agrégats

— la relaxation éventuelle de cette île vers une forme d’équilibre.

La cinétique associée à chacun de ces processus étant fortement liée à la taille des agrégats, les considérations dynamiques sont essentielles à la caractérisation morphologique.

Dans ce chapitre, nous tentons d’apporter une vue d’ensemble des concepts liés à ces processus, qui constituent les fondements des problématiques associées à la croissance de couches minces. Nous nous attachons à les décrire dans le cadre

du dépôt sur surface d’agrégats préformés. Néanmoins ceux-ci ayant fortement bénéficié des connaissances acquises par l’étude du dépôt atomique, des retours à ces systèmes moins complexes sont effectués lorsqu’ils s’avèrent nécessaires. Cette présentation n’a pas pour prétention de donner au lecteur, en quelques pages, une revue exhaustive des connaissances dans ce domaine, entier et en continuelle évolution, de la physique des solides mais d’en expliciter les bases pour aider à la compréhension des expériences menées au cours de ce travail de thèse.

2.1 De la diffusion des atomes à celle des

agré-gats sur une surface : rappel historique

Le dépôt d’atomes sur surface fut la première voie explorée pour la croissance de couches minces nanostructurées. Dans le cas d’un dépôt à faible énergie ci-nétique, les atomes diffusent sur le substrat qui se présente comme une surface de potentiel possédant des minima (puits) et des maxima (barrières) locaux. Les atomes migrent par sauts successifs de sites en sites à la recherche d’une position énergétiquement plus favorable. Pour que le déplacement ait lieu, il est nécessaire que les atomes possèdent une énergie suffisante pour surmonter les barrières de potentiel. La diffusion atomique est donc fortement sensible à la température du substrat : très lente à basse température, elle s’active au-délà d’un seuil pour devenir de plus en plus rapide. La surface doit néanmoins être maintenue à une température inférieure à celle correspondant au processus d’évaporation.

La succession d’un grand nombre de ces sauts donne lieu à une trajectoire erratique des atomes : on parle de diffusion brownienne. On peut alors considérer que lorsque l’atome est déposé, il explore, dans un temps t autour de son point d’arrivée, une surface délimitée par le cercle de rayon [Diu89] :

x =s

4Datt (2.1)

où Dat est le coefficient de diffusion atomique1 et s’exprime sous la forme : Dat = D0atexp

 −∆Ek

bT 

avec kb la constante de Boltzmann. Le préfacteur D0at, associé au paramètre de maille du réseau cristallin de la surface et à la fréquence de saut de l’atome, est considéré comme peu dépendant de la température. ∆E est la hauteur du puit de potentiel à surmonter, appelée énergie d’activation. Le terme exponentiel 1ici Datest le coefficient de diffusion de traceur, c’est-à-dire qu’il s’attache à décrire le mou-vement d’une particule particulière. Il existe une seconde définition du coefficient de diffusion, extraite de l’équation de transport de Fick pour l’évolution de la densité [Fick55]. Ces deux définitions sont équivalentes dans le cas d’une impureté diluée sur une surface.

montre que le coefficient de diffusion est fortement couplé avec l’énergie de liaison entre l’atome et le substrat et la température T de ce dernier.

Lors de la diffusion d’un grand nombre de particules déposées sur la surface, une liaison entre deux atomes peut se former à la suite d’une collision et il faut dès lors considérer le coefficient de diffusion associé à la nouvelle molécule for-mée. L’énergie nécessaire alors pour déplacer cette molécule est supérieure à celle pour l’atome isolé. Ces considérations ont amené à souvent estimer le dimère d’atomes comme le germe stable, c’est-à-dire qu’à partir de cette taille, la molé-cule ou l’île formée ne diffuse pas. Dans ce cas, la diffusion d’agrégats formés de plusieurs dizaines ou centaines d’atomes semble d’autant plus improbable. Mais contrairement aux idées induites par les expériences de dépôt d’atomes sur sur-face, les agrégats ont montré des propriétés de diffusion inattendues. Ainsi en 1971, Masson et collaborateurs mettent en évidence la migration brownienne de cristallites d’or sur une surface de KCl(100) en relevant le rôle de la température et de la relation d’épitaxie entre l’espèce diffusante et le substrat [Masson71]. Le caractère aléatoire de la diffusion des agrégats, c’est-à-dire l’existence d’un libre parcours moyen tel que définit par l’équation 2.1 permet d’attribuer un coefficient de diffusion D à ces espèces. Leurs travaux montrent également que les proprié-tés de migration diffèrent selon la taille des cristallites. L’étude de la diffusion des agrégats en fonction de la température révèle un comportement selon une loi d’Arrhenius et on peut alors considérer l’agrégat comme un «super-atome» avec un coefficient de diffusion propre qui s’exprime de façon analogue au cas atomique : D = D0exp  −∆Ek bT  et de façon générale : D0 = D0at nα

où n est le nombre d’atomes qui constituent l’agrégat et α, un exposant positif. Ainsi D, de même que dans le cas de la diffusion atomique, est intimement lié à la température et à l’interaction entre l’espèce diffusante et le substrat. Mais si ∆E, également fonction de la taille, peut être ici considéré comme une énergie d’acti-vation pour le déplacement, sa description physique n’est pas aussi explicite que dans la situation atomique. Contrairement au cas des atomes, les mécansimes de diffusion possibles sont nombreux. Leur description microscopique est complexe et ∆E et α ne sont calculables que dans des situations très simplifiées.

Il s’en suivit alors une longue série d’études, plus théorique qu’expérimentale, pour quantifier et surtout comprendre les mécanismes entraînant le déplacement des agrégats. Ces études montrent d’une part que la variation du coefficient de

diffusion avec la taille de l’agrégat via l’exposant α est une signature du méca-nisme de diffusion mis en jeu ; et d’autre part que le mécaméca-nisme dominant pour la diffusion varie en fonction de la taille de l’agrégat [Khare95] [Morgenstern95] [Soler96].

En fonction de la relation d’épitaxie du système agrégat-surface, de la taille des agrégats ou encore de la température du substrat, des mécanismes très divers ont été envisagés, que l’on peut séparer en deux grandes familles de migration : le déplacement par mouvement individuel des atomes composant l’agrégat ou par déplacement collectif. Nous allons maintenant détailler ces différents processus en présentant tout d’abord le cas des agrégats bidimensionnels qui présentent souvent une forte relation d’épitaxie avec le substrat. Nous nous intéressons en-suite au cas où le collage de l’agrégat avec la surface est faible et qui correspond principalement à la situation rencontrée pour les agrégats tridimensionnels ou présentant un fort désaccord de maille avec le réseau du support. Il est à noter que le terme agrégat représente ici soit des agrégats déposés soit des îles sur le substrat (en particulier dans les expériences de dépôt d’atomes).