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6.4 Discussion

6.4.5 Minimisation de l’énergie de surface et morphologie

L’étude dynamique de Rayleigh donne l’instabilité optimale pour la fragmen-tation, sa vitesse de développement et la division finale de la masse. Cette théo-rie ne considère pas l’évolution continue de la morphologie du cylindre lors de la fragmentation. Nous allons maintenant nous intéresser aux déformations que peut adopter un fluide pour s’accomoder d’une modification énergétique. En par-ticulier, existe-t-il des formes d’équilibre pouvant expliquer la périodicité de la fragmentation observée ?

De même que pour les fluides, la forme des nanostructures est pilotée par la minimisation de l’energie de surface. La condition d’équilibre thermodynamique dans le cas où un milieu 1 est tout entier contenu dans un milieu 2 supposé à pression extérieure p2 constante, amène à la loi de Laplace :

p1− p2 = γ  1 R1 + 1 R2 

où R1 et R2 sont les deux rayons de courbure principaux au point donné de l’interface entre les deux milieux. Lorsque l’interface liquide-vapeur se termine

sur une paroi solide plane comme c’est le cas pour les structures supportées, le minimun d’énergie est obtenu pour l’angle de contact d’équilibre, ou angle de mouillage, définit par la relation de Young (éq. 2.21).

De l’équilibre entre les deux milieux, c’est-à-dire de la tension uniforme de l’interface, résulte qu’à volume intérieur constant, l’interface doit posséder une surface minimale. Toute déformation entraînant un accroissement de la surface, la conservation de l’aire totale aboutit à la condition :

1 R1

+ 1 R2

= cste (6.7)

Pour un volume donné, la sphère est la forme qui offre la surface mimimale. En raison, en particulier de l’interaction avec la surface, via les tensions superfi-cielles, les îles crûes sur le substrat ne sont pas sphériques. Pourtant elles peuvent présenter des propriétés de stabilités : les fractales d’argent pur, métastables, n’évoluent pas sur des échelles de temps longs devant celle de l’expérience. La surface minimale n’est donc pas une condition absolue : il existe plusieurs solu-tions stables mais de stabilités différentes et on doit donc distinguer les surfaces d’aire minimale absolues (les sphères) et les surfaces d’aires minimales à volume constant. Le cylindre qui n’est pas la surface minimale absolue pour un volume donné, illustre bien cette classe de surfaces : il est instable vis-à-vis des défor-mations longitudinales ainsi que nous l’avons décrit précédemment ; en revanche, c’est une structure stable pour les déformations en tore [Mullins65].

D’un point de vue mathématique, les seules surfaces de révolution satisfaisant la condition (6.7), c’est-à-dire qui possèdent une courbure moyenne constante sont les surfaces de Delaunay, parfois appellées aussi surfaces de Plateau, dont la sphère est un cas limite [Delaunay41]. Elles sont engendrées par la rotation des roulettes de Delaunay autour de leur base (roulement sans glissement d’un des foyers d’une conique sur une droite puis symétrie de révolution du contour crée autour de l’axe de glissement) (Fig. 6.15). Les surfaces associées à une génératrice elliptique sont les onduloïdes8, celles associées à une roulette hyperbolique sont les nodoïdes. La parabole engendre le caténoïde (courbure moyenne nulle) (Fig. 6.16). La courbure moyenne C1 de ces surfaces s’exprime simplement en fonction du demi grand-axe a de la conique, soit :

1 C = a

où égal 1 pour l’ellipse, -1 pour l’hyperbole et 0 pour la parabole.

Ces surfaces, exceptée la sphère, sont d’extension infinie. Expérimentalement, elles ne peuvent donc être réalisées que tronquées.

8Le cylindre correspond à l’onduloïde engendrée par la roulette elliptique particulière qu’est le cercle.

Flj. 6.15 — Exemple de roulette de Delaunay. Le lieu d’un des foyers de l’ellipse roulant sans glisser sur une droite est appellée roulette elliptique. La symétrie de révolution de cette roulette autour de la droite donne lieu à l’onduloïde.

(a) (b) (c)

Flj. 6.16 — Surfaces de Delaunay : (a) onduloïde, (b) nodoïde, (c) caténoïde. Ces surfaces, dont la sphère est un cas limite, sont les seules surfaces à courbure moyenne constante.

Ainsi dans le cas particulier du cylindre instable, la transformation spontanée en onduloïde permet de diminuer la surface en maintenant le volume constant. Le système présente alors la succession de renflements et d’étranglements. Pendant la transformation, l’équilibre statique n’existe pas. Pour un fluide, la pression dans les zones amincies est supérieure à celles des régions renflées, le liquide est donc chassé dans ces dernières. De façon analogue à l’échelle nanométrique, lors de la diffusion de surface, l’évolution du contour est pilotée par le gradient de la courbure et le coefficient d’auto-diffusion de surface. Dès que le contour commence à se creuser, le col se marque de plus en plus rapidement et de façon irréversible. En effet, nous avons vu en décrivant le mécanisme de coalescence (processus antagoniste de la fragmentation) que le temps d’évolution du col de rayon r varie au début du processus en t1/7 puis en t1/6. La longueur curviligne entre deux maxima de l’onduloïde, c’est-à-dire la période spatiale de la méridienne, est uniquement fonction du demi-grand axe de l’ellipse génératrice et vaut 2πa. Ainsi à chaque instant l’île présente en tout point de sa surface une courbure moyenne constante, mais dont la valeur évolue dans le temps. La vitesse de transformation est fonction de la viscosité du milieu, c’est-à-dire ici du coefficient d’auto-diffusion de surface.

En abaissant la valeur de la tension superficielle par ajout d’impuretés, les bras fractals tendent donc vers l’onduloïde (tronquée, en raison du support) qui possède la courbure moyenne adéquate pour satisfaire la loi de Laplace. Mais les cols formés n’étant pas stables à cause de l’auto-diffusion de surface, ils abou-tissent irrémédiablement à la fragmentation. Ce modèle nous conduit ainsi à une fragmentation périodique à division de masse monodisperse mais ne peut expli-quer la valeur des rapports de forme. En effet, la relaxation observée suppose la rupture avec une surface à courbure constante à cause de la viscosité du système. La figure de fragmentation des fractales d’argent en présence d’impuretés peut donc être comprise à l’aide de considérations topologiques, sans recourir à l’ins-tallation d’une onde stationnaire de perturbation. Nous sommes appuyés dans cette conclusion par certaines expériences de biologie. L’instabilité des géomé-tries cylindriques intervient également dans ce domaine, particulièrement en ce qui concerne les membranes, telles que les veines, les nerfs ou le tube digestif [Savart33]. Par exemple, lorsque des membranes tubulaires sont perturbées sur leur surface par l’ancrage de polymères (les points d’ancrage étant distribués de façon statistique le long de l’objet), leur forme d’équilibre est pilotée par la com-pétition entre la courbure locale et la tension (ici au sens élastique), de même que pour notre système [Bar-Ziv94]. Pour comprendre l’évolution morphologique de ces membranes, les interprétations ne font pas appel à la propagation d’une onde de perturbation. Les auteurs mettent en évidence la corrélation entre la concentration de polymères et la courbure locale de la membrane [Tsafir01]. La pseudo-propagation observable de la perturbation le long de la membrane est en fait l’imagerie indirecte du gradient de concentration de polymères dans le milieu

environnant (Fig. 6.17). La membrane est d’autant plus déformée, allant jusqu’à l’onduloïde générée par le cercle c’est-à-dire une succession de sphères intercon-nectées, que la concentration en polymères est élevée. Ici, le tube ne se fragmente pas, en raison des propriétés élastiques de la membrane. La forme d’équilibre de la membrane, qui se décrit également par les surfaces de Delaunay est donc indépen-dante du mécanisme de déformation. En revanche, la dynamique du changement de forme est reliée aux mécanismes en compétition.

10 µm

t= 2s 5s 8s 11s

42s 46s 54s 65s

Flj. 6.17 — Membrane tubulaire perturbée par l’ancrage de polymères sur sa sur-face. (a)-(d) : les polymères sont introduits par une micropipette (zone brillante) à l’extrémité de la membrane. La déformation est reliée à la concentration des polymères diffusant dans la solution environnante. L’impression de propagation de la déformation est en fait une représentation du gradient de concentration des polymères. Lorsque le milieu n’est plus alimenté en polymères, (e)-(h), ceux-ci sont de plus en plus dilués au fur et à mesure de leur diffusion le long du tube et ce dernier commence à reprendre sa forme initiale. Source [Tsafir01].

Bien que nous ne possédions pas d’évidence directe via les images de microsco-pie des dépôts, l’hypothèse d’une transformation morphologique des bras fractals par perturbation locale de l’équilibre chimique est plus favorable que l’instaura-tion d’une onde stal’instaura-tionnaire dans la structure. Il serait nécessaire de connaître

la constante de temps associée à la mise en résonnance des fractales d’argent afin de la comparer à celle de la fragmentation d’un col. En effet, lorsqu’un col se forme dans une ramification, il se creuse de plus en plus rapidement. Cette perturbation locale des bras fractals peut aboutir à une fragmentation avant que les perturbations individuelles n’entrent en résonnance pour former une onde sta-tionnaire. Dans le cas d’une transformation spontanée locale, la régularité de la figure de fragmentation fractale est liée à l’homogénéité spatiale de la distribu-tion des perturbadistribu-tions, c’est-à-dire des impuretés et à la périodicité des surfaces d’équilibre.

6.5 Comparaison entre relaxation chimique et