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Les montages contractuels ayant pour but la simple construction d’un immeuble

LA VALORISATION DU PATRIMOINE IMMOBILIER DES SDIS

Paragraphe 1 : Ceux dont l’objet est de construire et de financer le bien immobilier

A. Les montages contractuels ayant pour but la simple construction d’un immeuble

Dans ce cas de figure, les principaux effets recherchés par l’administration qui envisage l’opération, sont de s’écarter de la « rigueur » et de la complexité de la maîtrise d’ouvrage publique et de s’affranchir du Code des marchés publics. Le but étant de réaliser une simple opération immobilière sans rechercher de préfinancement quelconque, la personne publique acceptant la dépense liée à l’opération. Le SDIS est donc en ce cas un simple acheteur. La principale technique pour y parvenir est la vente en l’état futur d’achèvement (I). Celle consistant à vendre un terrain contre des locaux à construire étant risquée et peu opérante pour un SDIS (II).

I. La vente en l’état futur d’achèvement (VEFA)

Il convient de voir tout d’abord les origines de la technique avant de présenter les positions des droits Français et Européen sur celle-ci et enfin de voir l’utilisation qui peut en être faite par les SDIS.

a. Origines

Mécanisme issu du droit privé, la VEFA trouve son origine dans une loi du 3 janvier 1967 codifiée aux articles 1601 et 1601-3 du Code civil.

Elle est définie comme « …le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à

l'acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l'acquéreur au fur et à mesure de leur exécution ; l'acquéreur est tenu d'en payer le prix à mesure de l'avancement des travaux. Le vendeur conserve les pouvoirs de maître de l'ouvrage jusqu'à la réception des travaux »362.

Initialement utilisée pour des opérations de construction « privée », la VEFA a rapidement séduit les personnes publiques. En effet, un tel procédé permet de réaliser des économies d’échelle en s’insérant dans un programme déjà existant, de se décharger des missions de maîtrise d’ouvrage parfois complexes pour de petites structures, en bref, d’échapper aux

« lourdeurs » administratives de la construction publique, notamment en s’affranchissant des règles du Code des marchés publics.

Mais le recours à la VEFA par les personnes publiques était-il possible ?

b. La position du droit français

Si rien ne l’interdit formellement, le conseil d’Etat a encadré ce dispositif qui permet à la collectivité de s’affranchir non seulement de la loi relative à la Maîtrise d’Ouvrage Publique (MOP) du 12 juillet 1985 mais aussi du Code des Marchés Publics.

Bien que validé dès 1967, l’arrêt de référence en la matière est la décision du Conseil d’Etat en date du 8 février 1991 « Région Midi-Pyrénées363 » ; en l’espèce, le Conseil Régional Midi-Pyrénées avait autorisé son Président à signer un protocole d’accord avec une société, en vue de la passation d’un contrat de VEFA dans le but d’acquérir un immeuble destiné à constituer l’Hôtel de Région.

La Région Midi-Pyrénées avait pris l’initiative du montage, avait défini les caractéristiques de l’immeuble qu’elle souhaitait voir réaliser et celui-ci devait devenir entièrement sa propriété afin de satisfaire ses besoins propres.

La solution apportée par le Conseil d’Etat rappela le principe de la licéité du recours à la VEFA par les personnes publiques mais en fixa aussi les limites dans un considérant d’une grande clarté :

« Considérant que si aucune disposition législative n’interdit aux collectivités publiques de

procéder à l’acquisition de biens immobiliers en utilisant le contrat de vente en l’état futur d’achèvement prévu à l’article 1601-3 du Code civil, elles ne sauraient légalement avoir recours à ce contrat de vente de droit privé, dans lequel l'acheteur n'exerce aucune des responsabilités du maître de l'ouvrage et qui échappe tant aux règles de passation, notamment aux règles de concurrence, prévues par le Code des marchés, qu'au régime d'exécution des marchés de travaux publics, lorsque, comme en l'espèce, l'objet de l'opération est la construction même pour le compte de la collectivité d'un immeuble entièrement destiné à devenir sa propriété et conçu en fonction de ses besoins propres ».

Un avis du 31 janvier 1995364 est venu compléter et préciser les limites à la licéité de la

363 CE, Sect., 8 février 1991 « Région Midi Pyrénées c/ Syndicat de l’architecture de la Haute-Garonne », RFDA

1992, p. 48 ; Les Grands Avis du Conseil d’Etat, 3ème éd., Dalloz 2008, p. 297, note Fatôme et Terneyre. 364 CE, avis, sect., 31 janvier 1995, n° 356960, EDCE 1995, n° 47, p. 407.

VEFA : « Le recours à ce type de contrat cesse toutefois d'être licite, car il constituerait alors

un détournement de procédure au regard des dispositions du Code des marchés publics et de celles de la loi du 12 juillet 1985 sur la maîtrise d'ouvrage publique, lorsque tout à la fois, l'objet de l'opération est la construction même d'un immeuble pour le compte de la personne publique en cause, l'immeuble est entièrement destiné à devenir sa propriété et qu'il a enfin été conçu en fonction des besoins propres de la personne publique. Ces diverses

conditions jouent de façon cumulative ».

La solution a été enfin confirmée dans un arrêt du Conseil d’Etat du 14 mai 2008365.

Les quatre critères dégagés par le Conseil d’Etat sont donc cumulatifs, s’ils sont réunis, la VEFA est illicite et la collectivité doit recourir aux procédures afférentes aux marchés publics de travaux. A contrario, si un de ces critères est absent, la VEFA devient licite.

Les solutions dégagées ci-dessus impliquent que beaucoup de collectivités ayant recours au système de la VEFA acquièrent des biens qui sont intégrés dans des ensembles immobiliers

complexes (EIC). Ces derniers sont des constructions jurisprudentielles car en France, en

principe, le propriétaire du sol est aussi propriétaire de ce qui se construit dessus366. Il existe cependant des atténuations légales à ce principe comme la possibilité de conclure des baux à construction367 ou celle pour un propriétaire d’autoriser par voie conventionnelle quelqu’un à construire chez lui. Mais dès les années 70, le droit s’est avéré insuffisant à satisfaire à des répartitions de propriétés qui n’avaient plus rien à voir avec l’attache traditionnelle, comme les constructions sur dalle par exemple, où la dissociation des propriétés et le rattachement au sol posaient problème.

La pratique a donc inventé la propriété volumétrique (ou division en volume) qui permet de désolidariser la propriété de l’attache au sol. Comme il n’en existe pas de définition légale ou jurisprudentielle, l’organisation de l’immeuble va être contractuelle : le contrat (notarié) va déboucher sur un état descriptif de division en volume. Le notaire va autonomiser le sol (indivision) puis accorder un droit de superficie afin de pouvoir construire dessus. Il va ensuite vendre des volumes, c’est pour cela que l’on parle de propriété volumétrique. Le système va aussi prendre en compte tout un ensemble de servitudes368 telles les servitudes d’appuis pour les volumes venant au dessus.

365 CE, 14 mai 2008 « Communauté de communes de Millau-Grands Causses », tables du Rec. CE n° 280370. 366 Art. 552 alinéa 1 du c.civ. : « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ».

367 Art. L. 251-1 et s. du Code de la construction et de l’habitation.

La définition des Ensembles Immobiliers Complexes donnée par le Professeur J.F. BIZET369 synthétise bien le mécanisme. Il s’agit pour ce spécialiste d’une « superposition et/ou

juxtaposition sur un même terrain, de propriétés distinctes et interdépendantes s’inscrivant dans des espaces généralement constitués sous forme volumétrique, dotés de statut juridique autonome pouvant être différent mais formant pour autant un ensemble unitaire ».

La principale difficulté dans les EIC tient à la cohabitation public/privé puisqu’en principe, la loi MOP de 1985 doit s’appliquer sur le domaine public. Il faudra donc définir contractuellement qui sera le maître de l’ouvrage et quel régime devra s’appliquer. La possibilité d’avoir une maîtrise d’ouvrage unique supportée par un promoteur est intéressante pour les personnes publiques, notamment par le fait que ce dernier pourra leur vendre certaines parties de l’EIC grâce au système de la VEFA légale.

c. La position du droit communautaire

Dès l’origine et même sous une forme purement privative, la VEFA a posé un problème de qualification, car en effet, bien que classée par le Code civil dans le titre VI « De la vente », celle-ci tient parfois plus du contrat d’entreprise que de la vente d’immeuble traditionnelle. Or l’objet du contrat est bien le transfert de propriété d’un ouvrage à construire, non la réalisation de l’ouvrage lui-même.

Le Conseil d’Etat en 1967 dans l’arrêt « Trani »370 avait affirmé clairement que la VEFA « ne

constituait pas un marché de travaux publics, l’administration n’ayant pas la qualité de maître de l’ouvrage et le sieur Trani construisant pour son propre compte et non pour le compte de l’Etat ».

Solution réaffirmée 20 ans plus tard dans l’arrêt « Sergic » du 12 octobre 1988371 : « cet

engagement ne portait pas sur la réalisation de travaux publics, l’administration n’ayant pas la qualité de maître de l’ouvrage et la SERGIC construisant pour son propre compte et non pour le compte de l’Etat ».

Les conséquences étant les suivantes : la VEFA échappe au Code des marchés publics et à la loi relative à la Maîtrise d’Ouvrage Public de 1985 et par la même aux règles de publicité et

369 J.F. BIZET, professeur associé à l’Université d’Auvergne. 370 CE, 4 octobre 1967 « Trani », n° 60608, rec. p. 352.

371 CE, 12 octobre 1988 « Ministère des affaires sociales c/ Société d’études, réalisation, gestion immobilière et

de mise en concurrence, sauf à remplir les quatre critères cumulatifs dégagés par le Conseil d’Etat. Cette solution semble s’appliquer aussi aux règles posées par la directive communautaire sur la passation des marchés publics de travaux (position du Commissaire du gouvernement dans l’arrêt « Région Midi-Pyrénées » précité).

Il convient toutefois de s’attarder sur la définition d’un marché public de travaux donnée par la CJCE dans l’arrêt « Auroux » du 18 janvier 2007372. La Cour avait été saisie d’une question préjudicielle sur le fait de savoir si les concessions d’aménagement n’étaient pas soumises aux directives communautaires régissant les marchés. Le marché public de travaux est défini comme le contrat conclu à titre onéreux et par écrit entre un pouvoir adjudicateur et un entrepreneur, ayant pour objet la réalisation de travaux ou d’ouvrages répondant aux besoins à satisfaire par le pouvoir adjudicateur.

Peut-on appliquer cette définition à la vente en l’état futur d’achèvement ?

- Il ne fait nul doute que nous sommes en présence d’un contrat conclu à titre onéreux et par écrit entre la collectivité (pouvoir adjudicateur) et l’entrepreneur, contrat de droit privé qui plus est.

- Le débat se situe en réalité au niveau de l’objet du contrat : est-on dans un des types d’ouvrages visés à l’article 1er, sous a), de la directive 93/37 et notamment « la

réalisation par des tiers, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur » ?

o Si tel est le cas, la VEFA sera qualifiée de marché public de travaux au sens communautaire, et donc soumise aux formalités de publicité et de mise en concurrence. Cette solution devra être retenue si la VEFA remplit les quatre critères dégagés par le Conseil d’Etat. En effet, le pouvoir adjudicateur va être directif en précisant ses besoins concernant l’ouvrage.

o A contrario, s’il manque le critère de la réalisation effectuée en fonction des besoins propres de la collectivité partie au contrat, la VEFA devient licite en droit français (puisqu’une des conditions dégagée par le Conseil d’Etat fait défaut) et par là même, en droit communautaire, qui ne retiendra pas la qualification de marché public de travaux. Cette solution semble équitable car elle valide la possibilité pour une collectivité de bénéficier d’un effet

372 CJCE, 18 janvier 2007, aff. C-220/05, « Jean Auroux c/ Cne Roanne », Contrats-Marchés publ.. 2007, comm.

d’opportunité immobilière et autorise ainsi la VEFA, car une position stricte aurait eu pour conséquence de la rendre impossible du fait d’une mise en concurrence difficilement réalisable.

d. L’utilisation de la VEFA par les SDIS

Un SDIS peut très bien envisager de recourir à la VEFA afin d’acquérir des locaux nécessaires à son fonctionnement.

Si le système ne semble pas pertinent pour l’acquisition d’un bâtiment isolé, construction qui pourrait être analysée comme remplissant les quatre critères de la jurisprudence « Région

Midi-Pyrénées » et qualifiant ainsi la VEFA d’illégale, il peut toutefois présenter un intérêt dans certains cas de figure :

- Acquisition d’un immeuble de bureaux.

Un SDIS pourrait fort bien se rapprocher d’un promoteur privé afin d’acquérir un immeuble avec des bureaux nécessaires à ses besoins. Dans ce cas, le SDIS sera donc propriétaire de la totalité de l’immeuble. Si l’on reprend les quatre critères jurisprudentiels dégagés par le Conseil d’ Etat en 1991 et que nous appliquons ceux-ci au cas envisagé :

o la construction même d’un immeuble

Le SDIS n’envisage pas ici d’avoir recours à la VEFA pour une opération de construction d’un immeuble de bureau par l’entremise du promoteur ; ce dernier possède soit un permis de construire pour un immeuble banalisé de bureaux, soit un immeuble en construction et en assure la promotion. Le premier critère n’est donc pas opérant.

o La construction de l’ouvrage pour le compte de la collectivité

Le SDIS n’est pas à l’initiative de la construction de l’immeuble de bureaux, la maîtrise de l’ouvrage ne lui appartient donc pas, elle est bien supportée par le promoteur. Ce critère n’est donc pas opérant.

o L’ouvrage doit être entièrement destiné à devenir la propriété de la personne publique.

Le SDIS souhaite acquérir l’immeuble dans sa totalité, gardant celui-ci pour ses activités administratives. Le troisième critère est bien réalisé.

o La réalisation doit être effectuée en fonction des besoins propres de la collectivité partie au contrat.

L’opération envisagée porte sur un immeuble de bureaux banalisé ; le SDIS ne formule donc aucune spécificité et ne fait procéder à aucun aménagement particulier, il envisage uniquement d’acquérir un « ouvrage indifférencié » selon la formule du Professeur François Llorens.

Le dernier critère n’est donc pas rempli puisque l’immeuble sera conçu et réalisé sans aucune intervention de l’administration.

En conclusion, si l’opération envisagée porte sur un immeuble de bureaux banalisé pour lequel le SDIS n’a formulé aucune spécificité et n’a fait procéder à aucun aménagement particulier, et s’il envisage uniquement d’acquérir un ouvrage indifférencié, bénéficiant ainsi d’un effet d’opportunité : un immeuble est disponible faute d’acheteur et le SDIS a besoin de locaux pour loger divers services, alors l’offre rejoint ici le besoin.

En l’état actuel, la VEFA envisagée serait donc licite en droit interne par application des critères jurisprudentiel du Conseil d’Etat et ne devrait pas être qualifiée de marché de travaux publics au sens de la directive communautaire 93/37/CEE du Conseil du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés de travaux publics de travaux, si l’on applique la définition et le raisonnement retenus dans l’arrêt de la CJCE du 18 janvier 2007 « Auroux » et les conclusions de l’avocat général J.KOKOTT du 15 juin 2006373.

373 Conclusion de l’avocat général, Mme Juliane KOKOTT présentées le 15 juin 2006 ; affaire C-220/05 « Jean