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Ce dynamisme de l’immigration de travail élargi à des pays de provenance de plus en plus variés se poursuit jusqu’au milieu des années 1970. Le recensement de 1975 reflète encore une immigration essentiellement économique en forte augmentation, surtout en Haute-Savoie. Les pays de Savoie ne sont plus depuis longtemps une terre ingrate que l’on fuit mais une zone d’activités variées qui a besoin de main-d'œuvre et la trouve parmi les migrants.!

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Principaux résultats du recensement de 1975

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Au cours de ces dernières années de forte prospérité où les frontières étaient encore largement ouvertes à l’immigration, les deux départements savoyards connaissent une forte augmentation de leur population étrangère  : +19,6 % en Savoie et +46,06% en Haute-Savoie par rapport à 1968. Dans le même temps, la population française stagne, augmentant de +4,4% en Haute-Savoie et diminuant même de – 6% en Savoie. Les naturalisés, quant à eux, connaissent une augmentation de + 23% en Haute-Savoie et de + 3,3% en Savoie.!

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La différence entre les deux départements s’affirme. La Haute-Savoie, à l’économie plus dynamique et plus industrialisée a un taux de population étrangère de plus de 10%, nettement plus que la France dans son ensemble à l’époque (7,4%). L’éventail des nationalités représentées est plus large qu’en Savoie. La catégorie « autres » est dominante en Haute-Savoie alors qu’elle est encore assez faible en Savoie. D’où viennent les nouveaux migrants ?!

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La population portugaise qui dépasse les 10 000 ressortissants dans les deux départements a augmenté de + 308% par rapport à 1968, suivant en cela le mouvement de croissance qu’on observe au niveau de cette immigration sur toute la France. Les Turcs, pratiquement absents en 1968 sont au nombre de 310 en Savoie et de 1125 en Haute-Savoie. Les Yougoslaves sont au nombre de 1465 sur les deux départements et les Marocains connaissent une croissance

Population totale

Etrangers naturalisés

Italiens Algériens Espagnols Portugais AUTRES Total Etrangers % Savoie 306545 9705 11455 5365 1490 3830 3285 25425 8,2 H a u t e - Savoie 450395 12870 12265 7835 7465 6520 11130 45215 10,0 3 Total 756940 22575 24325 13200 8955 10350 14415 70640 9,1 France 523380365 1385885 2749545 7,4

spectaculaire avec 1035 ressortissants en Savoie et 1535 en Haute-Savoie. Les Tunisiens sont 1685 en Haute-Savoie et 560 en Savoie.!

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Ces augmentations rapides de populations jusque là peu présentes sont dues à des recrutements opérés par les entreprises via l’Office National d’Immigration qui à l’époque dispose d’antennes dans plusieurs capitales et grandes villes des pays fournisseurs. Quelquefois, les recrutements se sont faits de manière spontanée. Un employeur est parti dans un pays susceptible de fournir de la main-d'œuvre et a fait signer des contrats dans un café comme le rapporte cette jeune femme à propos de son père :!

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«  À Chambéry, il y avait une communauté importante de Casablanca qui sont arrivés en même temps, avec le même patron. C'est le même patron qui leur a fait le même contrat Il était au café, il a dit Bon voilà, je vais vous faire des contrats pour aller travailler en France. Il y avait pas de visa à l'époque 49 »"

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En Haute-Savoie, les entreprises de décolletage ont dû s’appuyer sur une main- d’œuvre peu qualifiée et peu exigeante pour s’adapter aux transformations de la demande. Elles ont trouvé chez les nouveaux migrants originaires du Portugal, de Yougoslavie, d’Afrique du Nord et de Turquie une main-d’œuvre correspondant à leurs attentes. Des industries anciennes et peu attractives en termes de salaires et de conditions de travail ont également puisé dans ce gisement. À Rumilly, les tanneries B.C.S ne trouvant plus sur place la main- d'œuvre ayant les capacités requises ont fait venir de Turquie plusieurs ouvriers qui avaient travaillé dans ce secteur. La plupart d’entre eux sont venus de la province d’Isparta, sur les hauts plateaux de la chaîne du Taurus. !

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«  Dans les années 70/80, donc une immigration turque. Alors ce qu'on m'a dit c'est que c'était à l'initiative des tanneries puisqu'il y a à Rumilly des tanneries assez anciennes et qui se sont déplacées dans les années 80, ils ont construit le nouveau bâtiment et ils auraient eu une pénurie de main-d'œuvre, main-d'œuvre qualifiée et donc ils seraient allés chercher des Turcs je dis ils seraient parce que ça c'est ce qu'on m'a raconté mais je ne suis pas allée vérifier. Chercher une population turque pour son savoir-faire lié à la tannerie, lié au travail du cuir 50. »"

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En 1975, les groupes de migrants d’arrivée récente sont plus ou moins à dominante masculine. Alors que les migrants européens comptent une part importante de femmes (45% chez les Yougoslaves et 44% chez les Portugais),

Entretien Chama H Juillet 2015

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Entretien Bergamote H ; octobre 2015

les Marocains comptent seulement 24% de femmes, les Turcs 22% et les Tunisiens 18%. La part des femmes au sein des différentes communautés immigrées est donc moins liée à l’ancienneté de l’immigration qu’à sa zone de provenance. Les Algériens qui ont commencé à migrer dans les pays de Savoie dès les années 1950 ne comptent que 26% de femmes en 1975.!

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Le potentiel des regroupements familiaux est donc considérable à cette époque. Il va pouvoir se développer pour des raisons administratives. La suspension de l’immigration de travail décrétée en 1974 par le gouvernement Chirac entraîne une libéralisation de l’immigration familiale. Cela se traduit au niveau des chiffres de l’O.N.I. de Haute-Savoie qui enregistre encore 60 entrées de travailleurs en 1973 puis 51 entrées de familles rejoignantes l’année suivante 51.!

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Du côté des anciennes immigrations on constate une diminution importante. Si les Italiens restent toujours la première nationalité étrangère dans les deux départements, leur proportion dans la population étrangère n’est plus que de 45% en Savoie et de 27% en Haute-Savoie. Cette diminution s’explique par le processus de naturalisation déjà bien entamé au sein de cette population et par le tarissement des flux depuis les diverses régions d’Italie où la croissance économique et le vieillissement de la population ont contribué à stopper pratiquement les départs. Les nationalités arrivées dans l’entre-deux-guerres comme les Russes et les Polonais ont presque disparu du recensement. Il faut noter toutefois qu’une population suisse de taille significative (3150 personnes) est encore présente en Haute-Savoie. !

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Les Espagnols devenus la seconde nationalité en importance en Haute-Savoie constituent une population employée surtout dans les industries de biens intermédiaires et comptant une proportion de femmes relativement élevée (48,4%). À partir de 1975, leur nombre va aller en diminuant. Le changement politique intervenu dans leur pays avec la mort de Franco cette année là ainsi que l’amélioration de la situation économique vont inciter nombre d’entre eux à rentrer au pays.!

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On constate que des différences importantes existent entre les immigrations d’origine européenne et les immigrations d’origine nord-africaine et turque. En dehors du caractère beaucoup plus familial des premières il y a aussi des différences significatives au niveau des qualifications professionnelles. Globalement 60% des étrangers sont manœuvres ou ouvriers spécialisés et 26%

A. Pelletier, op cit 51

sont contremaîtres ou ouvriers qualifiés mais ces taux varient beaucoup en fonction des nationalités :!

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Main d’œuvre non qualifiée en 1975 :! Turcs : 81,3%! Algériens : 77,3%! Tunisiens : 77%! Portugais : 70%! Italiens : 48,4%!

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C’est chez ces derniers qu’on trouve les taux les plus élevés d’ouvriers qualifiés et de contremaîtres : 27,2% et de patrons de l’industrie et du commerce : 7,7%. Les secteurs dominants d’emploi sont toujours les mêmes  :  industrie des biens intermédiaires et bâtiment et travaux publics mais la présence des différentes nationalités y est très variable. De manière générale les migrations récentes sont plus employées dans le secteur du BTP que dans celui des industries : 47% des Marocains, 37,2% des Portugais et 36% des Turcs sont employés dans le BTP. Les nationalités d’Afrique du Nord et turque sont presque absentes du secteur des services. Cela s’explique par la quasi inexistence de femmes actives au sein de ces populations. !

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Ces différences de répartition sectorielle et de qualifications entre la main- d’œuvre européenne et la main-d’œuvre maghrébine et turque n’est que faiblement corrélée à l’ancienneté de présence. Un groupe implanté dans les deux départements de relativement longue date comme les Algériens est caractérisé par un faible niveau de présence dans les catégories qualifiées. Alors que des groupes d’arrivée plus récente comme les Portugais et les Yougoslaves sont plus représentés dans ces catégories. Quelles que soient les explications de telles différences, elles n’en dessinent pas moins une démarcation au sein de la population immigrée qui est perçue dès l’époque par un certain nombre de personnalités. Ainsi Monsieur Luis S. alors président de la communauté catholique espagnole de Thonon-les-Bains distinguait avec humour une catégorie d’immigrés «  première classe  » à laquelle appartenait sa propre communauté et les autres communautés d’origine européenne et d’autre part les autres populations plus nettement marquées par leur condition d’étrangers qui se situaient au bas de l’échelle sociale 52. C’est cette partie là de la population

immigrée qui va faire pendant plusieurs années l’objet d’une politique visant à améliorer sa situation. !

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Propos cités dans Anne Pelletier, op cit, p 45 52

PROBLÈMES SOCIAUX ET INITIATIVES SOLIDAIRES!

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On ne peut pas faire l’histoire de l’immigration sans y inclure les initiatives des acteurs concernés de près par cette question : fonctionnaires, élus, employeurs, militants associatifs etc.. Ces acteurs sont amenés à intervenir sur le plan de l’habitat, de la formation, de l’accès aux droits ou de la scolarisation face à des situations sociales critiques caractérisant certaines populations immigrées.!

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Les situations les plus emblématiques des difficultés sociales au début des années 1970 concernent surtout le logement. Les Algériens sont particulièrement touchés par ce problème dès les premières années de leur présence dans les deux départements. Population masculine en majorité et faiblement qualifiés, ils se retrouvent souvent dans des immeubles insalubres qui n’ont pas de fonction d’habitation à l’origine. Leur situation de célibataires de fait ne leur permet pas d’accéder au logement HLM et leur faible pouvoir d’achat, amputé des transferts qu’ils font vers leur pays n’autorise pas de se loger dans de l’habitat privé décent. L’histoire de leur présence en Savoie est jalonnée de faits divers soulignant la précarité de leurs conditions de vie.!

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En 1955, on repère à Sallanches une quinzaine d’entre eux logés dans une école désaffectée sans électricité. En 1962, à Thonon-les-Bains, 25 Algériens sont logés dans un garage. À Meythet, une quarantaine d’hommes sont logés dans une ancienne porcherie. À la suite d’un incendie, ils doivent passer une partie de l’hiver sous la tente. Les premières initiatives prises pour améliorer la situation ne sont pas particulièrement satisfaisantes. Une association des foyers nord- africains de la Haute-Savoie a été créée en 1952 sous l’impulsion de quelques industriels. Elle est présidée par le directeur des Forges de Crans. Une association d’aide aux Nord-africains de Thonon et du Chablais a été créée en 1957. Elle bénéficie d’aides financières de la part des autorités françaises d’Algérie. La Société Nationale pour le Logement des Algériens, aujourd’hui Adoma est sollicitée pour construire des foyers. Le premier d’entre eux est construit à Seynod en 1956. Le projet suscite des protestations de la part des riverains qui retardent son ouverture. À Chambéry, un autre établissement est ouvert un peu plus tard dans la ZAC des Landiers. À Cluses et à Scionzier, les municipalités s’opposent à l’ouverture de tels établissements. L’offre reste donc insuffisante par rapport aux besoins. Par ailleurs le confort des établissements ouverts reste précaire et les résidents ne s’y plaisent guère. À Thonon, le foyer est en fait un dortoir installé dans une usine désaffectée. Il offre un alignement de 66 lits séparés par des distances de 40 cm et une seule cuisine salle à manger qui ne peut contenir que 20 places.!