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Les modifications dans l’exercice du pouvoir à court et long terme

2. Le système politique colombien : une explication du pouvoir de la Cour

2.2 Le phénomène Uribe

2.2.3 Les modifications dans l’exercice du pouvoir à court et long terme

a) À court terme : Selon le schéma de fonctionnement de l’État colombien, l’incidence du président dans la nomination de certains postes des pouvoirs exécutifs et judiciaires peut être de forme directe ou indirecte. Dans le cas d’une incidence directe, la Constitution de 1991 a établi l’intervention du président dans les élections suivantes à travers l’envoi de sa propre terna120 :

 Magistrats de la Cour Constitutionnelle

 Magistrats de la salle de discipline du Conseil Supérieur de la Judicature

 Procureur Général de la Nation

 Procureur Général de la République

 Défenseur de la Population

 Assemblée directrice de la Banque de la République

 Commission Nationale de Télévision

De même, le président peut désigner les hauts fonctionnaires comme directeurs de départements administratifs et présidents, directeurs ou gérants des établissements publics. (Constitution Politique de Colombie, 1991. Titre V).

À partir de la réforme politique de 2004, quelques règles électorales donnent l’opportunité au président de contrôler davantage l’élection des fonctionnaires des pouvoirs différents de l’exécutif.

Premièrement, il existe une ingérence de la part du président dans le pouvoir judiciaire : pour la Cour Constitutionnelle, le président a eu l’opportunité de choisir trois des magistrats pendant les huit ans de mandat et d’exercer son mandat parallèlement à ces magistrats, situation inconnue jusqu'alors. De plus, sept des magistrats de la Salle de Discipline de la Judicature ont été nommés par le président, montrant ainsi que deux mandats consécutifs confèrent la possibilité d’avoir plus d’alliés dans les endroits où existe un contrôle du pouvoir présidentiel.

Quant à l’élection du procureur, il faut savoir que cette figure permet aussi la réélection. L’équilibre des pouvoirs serait affecté puisque l’exercice d’un poste qui fait le suivi du comportement des hauts fonctionnaires publics, ne devrait pas coïncider avec le mandat du président qui les a désignés. Les possibilités de faire un suivi objectif des membres du parti du président pourraient s'en trouver réduites de manière importante.

120 Groupe de trois personnes parmi lesquelles on doit en choisir une pour prendre un poste.

61 Il en est de même pour le Défenseur de la Population. En effet, Vólmar Pérez occupe ce poste depuis 2004 grâce aux ternas proposées par les deux gouvernements d’Uribe. Cette situation pourrait nuire à l’objectivité de son travail de Défenseur, c’est-à-dire à la garantie des droits humains, car son travail peut dépendre de pressions politiques de la part du gouvernement121.

D’autre part, la réélection consécutive laisse au président un nombre plus important de nominations des membres de l’Assemblée de la Banque Centrale et finalement, la réforme permet aussi que cinq des neuf membres de la Commission Nationale de Télévision soient choisis par le président réélu.

C’est pourquoi l’inclusion de nouveaux contrôles constitutionnels au pouvoir de nomination présidentiel est fondamentale, car les postes qu’il désigne sont stratégiques pour développer un contrôle efficace sur les excès possibles et sur sa propre ingérence par rapport aux autres pouvoirs.

b) À long terme : d’après le chercheur Eduardo Posada Carbó122, la réforme peut avoir plusieurs effets. Le premier d’entre eux, la transformation des temps de la démocratie au moment d’ouvrir l’option d’avoir des gouvernements de huit ans. Selon cet auteur, cette nouvelle option produit une grande continuité des politiques publiques mais, en même temps, peut provoquer une sorte de rigidité institutionnelle du fait d’empêcher le changement de gouvernement pendant cette période.

Le deuxième effet de la réforme est le déséquilibre déjà mentionné entre les pouvoirs publics en consolidant le pouvoir exécutif sur les autres. De la même manière ce pouvoir peut changer la conduite des actes du gouvernement central : pour les opposants à la réforme, la réélection stimule l’augmentation des dépenses publiques afin de faire campagne électorale pendant le premier mandat. Les défenseurs de la réforme argumentent que c’est l’occasion pour les électeurs de demander une reddition de comptes.

Un nouvel effet souligné par Posada Carbó est le fait que le financement public pour les campagnes électorales tiendra, avec le temps, une grande importance puisque la réforme stipule « le financement de prépondérance étatique » afin de garantir l’égalité parmi les candidats et d'éviter aussi quelques financements de groupes illégaux.

Finalement, les ex-présidents obtiendront probablement un premier rôle à partir de la possibilité d’être réélus dans l’avenir. Il déterminera aussi la nécessité de montrer

121 Marcela PRIETO, “El equilibrio de poderes…” op. cit., p.19.

122 Eduardo POSADA CARBÓ, op. cit., p. 3.

62 une image solide et inattaquable après le mandat, en transformant en quelque sorte le type de leadership du pays.

La décision de la Cour Constitutionnelle de déclarer la conformité de la réforme constitutionnelle a l’air d’ignorer ces risques. Cependant il faut ajouter que la Constitution donne un pouvoir limité de vérification à la Cour dans l’article 241 qui affirme : « à la Cour Constitutionnelle est confiée la garde de l’intégrité et de la suprématie de la Constitution, dans les termes stricts et précis de cet article. Avec ce but, elle accomplira les fonctions suivantes :

2. décider sur les actions d’inconstitutionnalité promues par les citoyens contre les actes de réforme de la Constitution, uniquement pour les vices de procédure dans sa formation ».

Dans le cas de l’acte législatif No. 2 2004, la Cour a répondu aux demandes d’inconstitutionnalité interposées par quelques citoyens à travers l’arrêt 1040 de 2005, dans laquelle aucun argument juridique ou politique n'a reçu d’acceptation de la part de la Cour.

Par rapport aux vices de procédure dénoncés, comme l’absence de débat de l’acte ou l’irrespect des principes de pluralisme politique à cause de la non-participation de l’opposition politique et de la citoyenneté, la Cour s’est montrée contraire à la vision des demandeurs et favorable aux décisions prises par le Congrès de la République.

De la même façon, la Cour a analysé les dits « vices de compétences », un concept créé par la jurisprudence de la Cour même qui rend possible la vérification du contenu des lois et des actes législatifs pour déterminer si la personne qui exerce le pouvoir de modifier la Constitution a outrepassé les limites de sa compétence.

Selon la Cour Constitutionnelle : « Cuando la Constitución adjudica a la Corte el control de los vicios de procedimiento en la formación de una reforma constitucional no sólo le atribuye el conocimiento de la regularidad del trámite como tal, sino que también le confiere la facultad de examinar si el Constituyente derivado, al ejercer el poder de reforma, incurrió o no en un vicio de competencia »123.

À partir de cette création controversée, la Cour a vérifié ces dernières années certains aspects matériels des décisions législatives et elle a déclaré la non-conformité des lois. C'est le cas, par exemple, de l’arrêt 141 de 2010 qui a déclaré inexequible124 la

123 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p. 33.

124 Terme espagnol qui se réfère à la non-conformité des lois colombiennes.

63 loi 1354 mettant en place le référendum en faveur d’une deuxième réélection présidentielle.

Par rapport à l’acte No. 2 2004 la Cour a manifesté, par contre, que la réélection présidentielle pour une seule fois est une réforme constitutionnelle qui ne substitue pas la Constitution si la modification est accompagnée par une loi statutaire pour garantir les droits de l’opposition et l’équité dans la campagne présidentielle125.

Le Congrès a créé alors la loi 996 de 2006 dite ley de garantías electorales afin de respecter la condition imposée par la Cour Constitutionnelle. De cette façon, la première réélection du président Uribe est devenue une réalité et la relation entre le président de l’époque et le pouvoir judiciaire a commencé à changer de manière positive.