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1. Décision de la Cour Constitutionnelle : une analyse de forme et de fond

1.5 Le débat sur la réforme de la Constitution

32 Constitution ? On reprendra alors le débat sur la réforme de la Constitution dans le cas colombien, sans ignorer les discussions développées en Amérique latine autour de ce thème.

33 Ainsi, le constituant primaire ne pouvait pas utiliser le mécanisme de la réforme puisqu’il avait donné ce pouvoir au constituant dérivé, c'est-à-dire au Parlement. Pour quelques auteurs comme Cerra, cela impliquait l’annulation complète du peuple comme constituant primaire46, raison pour laquelle il y a eu une paralysie politique les années suivantes et un décalage assez marqué entre la réalité du pays et les normes constitutionnelles.

Cependant, il faut reconnaitre que cet effort de maintenir une structure politique particulière et un modèle républicaine ne réponde pas nécessairement à une vision radicale et obstinée du pays, mais à un désir d’assurer aux générations futures un avenir plus sûr.

En outre, deux raisons additionnelles, remarquées par Hernando Valencia Villa47, peuvent être constatées comme explication de l’exclusion du constituant primaire dans la reforme à la constitution. En premier lieu l’idée de la République constituée – fortement établie dans la Constitution de 1886 –, selon laquelle la convocation au peuple comme constituant primaire fait partie d’un moment hypothétique de la fondation de l’État, et il n’est pas requis pour la reforme de la constitution d’une république constituée. En deuxième lieu, il faut noter que dans le cas colombien, la fragilité de la nation dont les guerres pendant le XIXe siècle sont la preuve, a encouragé une sorte de tyrannie des représentants sur les représentés, tenus pour des irresponsables.

Quant à l’argument de la République constituée, il ne faut pas oublier que cette distinction réalisée à maintes reprises dans la philosophie politique, se trouve expliquée dans l’œuvre d’Emmanuel Sieyès. C’est lui qui, en établissant les trois époques de la formation d’une société politique, donne les arguments pour le débat juridique autour de la volonté et de la représentation politiques.

Selon Sieyès, il y a une première époque où les individus s’associent par leurs volontés individuelles : c’est le moment de l’origine de tout pouvoir. Ensuite, l’auteur mentionne les deux autres époques, qui sont caractérisées, l’une par l’action volontaire commune de donner de la consistance à leur union et l’autre par le passage au gouvernement exercé par procuration48. Dans cette hypothèse de la formation d’une société politique on reconnait l’argumentation de la constitution de 1886 : c’est

46 Idem, p.109

47 Hernando VALENCIA VILLA, “El constituyente de 1990 y la constituyente de 1991”, Análisis político. No. 10, mayo-agosto 1990.

48 Emmanuel SIEYÈS, Qu’est-ce que le tiers état?, Paris, Flammarion, 1988, p.123-124

34 seulement dans la première formation que les individus agissent en tant que constituant primaire.

De même Sieyès note que, dans cette société politique, « aucune sorte de pouvoir délégué ne peut rien changer aux conditions de sa délégation »49, ce qui donne des fondements à une Constitution. Ainsi, la volonté nationale n’existe que comme moment fondateur avant toute constitution ; après toute modification est censée de se produire par une volonté représentative spéciale50.

La Constitution de 1991 a modifié la place du peuple comme pouvoir constituant, en introduisant la possibilité au Congrès de la République, au gouvernement et à la citoyenneté même de modifier la Constitution selon ce qui est stipulé par le titre XIII de la Constitution. Par conséquent, aujourd’hui on peut affirmer que la Constitution politique de la Colombie a perdu sa rigidité grâce à cette modification et aussi grâce à l’absence de clauses pétreas ou immuables51.

Selon Foucault, ce type de changement peut être compris par l’herméneutique juridique, laquelle se modifie selon un contexte donné. Ainsi, croyances, préjugés et valeurs d’un moment et d’un espace ne sont pas forcément les mêmes partout ni tout le temps52.

Mais on peut trouver aussi dans l’argumentation de Sieyès d’autres éléments qui aident à expliquer pourquoi la citoyenneté garde pouvoir de modifier la constitution. Si dans un effort interprétatif on affirme que la citoyenneté se mobilise en revendiquant une certaine idée comme émanant de l’esprit de la nation colombienne, sa volonté, selon l’auteur, a le droit de faire des changements dès que son intérêt l’exige, tout simplement parce que la nation n’est pas soumise à une constitution. L’argument de Sieyès est significatif dans la mesure qu’il existe pour assurer la nature de la société fondée, en écartant les risques d’une tyrannie des représentants sur les représentés. Et on voit bien que l’idée de Sieyès n’est pas du tout absurde, car ce risque peut devenir une réalité, comme on l’a vu à propos de la Constitution de 188653. Mais ce type de changements peut-il être considéré comme une reforme ou doit-il être vu comme l’instauration d’une nouvelle constitution ?

49 Idem, p.128

50 Ibid.

51 « La reelección presidencial es constitucional. Observaciones sobre el acto legislativo 2 del 2004 », Instituto de Ciencia Política, Colombia. Adresse URL

www.icpcolombia.org/archivos/documentos/obserdef.doc.

52 FOUCAULT en Hernando VALENCIA VILLA, op. cit.

53 Emmanuel SIEYÈS, op. cit., p. 130-131

35 Il nous faut employer certains concepts qui expriment bien la subtilité de la question. Le pouvoir original dont Sieyès parle dans son œuvre, sera ici connu sous le nom de pouvoir constituant primaire. D’après Jorge Vélez García et Enrique Uribe Arzate, celui-ci est un pouvoir que doit être considéré comme supra-juridique (au-dessus du droit). Donc, un pouvoir fondateur et différent du pouvoir réformateur, bien que tout le deux soient des pouvoirs créateurs54.

Cette idée est partagée par Augusto Romero Páez. D’après lui, le pouvoir constituant primaire existe aussi dans le moment originaire d’une fondation historique : l’acte constituant. Après quoi, il se transforme et se limite en pouvoir réformateur55.

À cela, il faut ajouter deux idées très importantes pour bien comprendre la nature du pouvoir constituant primaire : en tant qu’originaire, il n’a jamais été convoqué autrement que hypothétiquement, c’est-à-dire comme argument de légitimité. Et en tant que pré-constitutionnel, il ne fait pas partie de la constitution56.

En revanche, le pouvoir réformateur dont on a fait mention plus haut, sera ici connu sous le nom de pouvoir constituant dérivé. Celui-ci est bien différent du pouvoir primaire. Sieyès affirme, par exemple, qu’un corps soumis à des formes constitutives ne peut rien décider que d’après sa constitution. Il ne peut pas s’en donner une autre57. À partir de là, on comprend bien que ce pouvoir est dérivé de l’existence de la constitution et que, par conséquent, ses facultés ne sont pas si étendues et qu’il doit se borner au cadre juridique constitutionnel58.

Pourtant, pour Augusto Romero Páez, la différence est plus floue, car bien que dissemblables, le pouvoir dérivé n’est qu’une transformation du pouvoir primaire. Le pouvoir antérieur est la voie à travers laquelle d’autres auteurs argumentent que le peuple conserve toujours son pouvoir pour accomplir des réformes formelles et matérielles quant aux normes instituées dans la constitution59.

Pour récapituler, on peut dire avec Tulio Álvarez que ce pouvoir constituant n’agit pas que dans la fondation de la société politique, mais aussi dans chaque

54 Jorge VÉLEZ GARCÍA, “El poder reformador de la constitución” Boletín 2 del Instituto de Estudios Constitucionales, Universidad Sergio Arboleda, 2005, p. 6 et Enrique URIBE ARZATE, “Principios constitucionales y reforma de la constitución” Boletín Mexicano de Derecho Comparado, No. 115, enero-abril 2006, p.237-263.

55 Nicolás Augusto ROMERO PÁEZ, op. cit., p. 15

56 Tulio ÁLVAREZ, op. cit., p.29.

57 Emmanuel. SIEYÈS, op. cit., p.140

58 Jorge VÉLEZ GARCÍA, op. cit., p.6-7 et Enrique URIBE ARZATE, op. cit., p.237-263.

59 VÉLEZ GARCÍA, Jorge op. cit., p.6-7 et Nicolás Augusto ROMERO PÁEZ, op. cit., p.15

36 modification constitutionnelle. La première fois, on l’appelle primaire; les autres, on les appelle dérivées60.

À partir de cette explication on peut se demander comme est stipulée dans les Constitutions latino-américaines la réforme constitutionnelle, afin de comparer ces dispositions avec l’ordre juridique Colombien et identifier s’il existe un respect pour le pouvoir constituant tant primaire que dérivé.

Il y a eu dans la région plusieurs mécanismes de réforme constitutionnelle. Pour commencer, l’Equateur déléguait dans la Constitution de 1998 la capacité de réformer la Constitution aux organes des pouvoirs publics comme le Congrès, le président de la République, la Cour Suprême de Justice ou un groupe de citoyens équivalent au 1% des listes électorales61. Ainsi, le mécanisme consistait dans la pleine délégation aux organes relativement qualifiés.

D’autre part, existe le mécanisme de convoquer une Assemblée Constituante comme la seule procédure possible de réforme, rendant indispensable l’intervention du peuple, soit par l’élection des membres de l’Assemblée, soit par la ratification des modifications proposées. C’est le cas de la Constitution argentine, modifiée en 1994, où l’article 30 stipule :

La Constitución puede reformarse en el todo o en cualquiera de sus partes. La necesidad de reforma debe ser declarada por el Congreso con el voto de dos terceras partes, al menos, de sus miembros; pero no se efectuará sino por una Convención convocada al efecto62.

Une autre possibilité de réforme constitutionnelle est donnée pour les pays avec un système fédéral où il faut garantir la participation de tous les états ou unités qui forment la fédération. On trouve ici le Mexique qui détermine dans son article 135 constitutionnelle le besoin d’obtenir une votation des deux tiers du Congrès plus l’approbation de la majorité des législatures fédérales63.

Enfin, il y a les systèmes mixtes basés sur une différentiation entre les modifications partielles et totales en reconnaissant une inégalité tacite entre les normes constitutionnelles et en donnant alors une catégorie supérieure pour certaines d’entre elles. La Constitution de Costa Rica approuvée en 1949 est un bon exemple car elle établit une révision partagée par l’Assemblée législative et le Gouvernement s’il s’agit

60 Tulio ÁLVAREZ, op. cit., p.27.

61 Tulio ÁLVAREZ, op. cit., p.40.

62 Ibid.

63 Ibid.

37 d’une réforme partielle, et un mécanisme différent s’il s’agit d’une réforme générale.

L’article 196 déclare :

La reforma general de esta Constitución, sólo podrá hacerse por una Asamblea Constituyente convocada al efecto. La ley que haga esa convocatoria debe ser aprobada por votación no menor de dos tercios del total de los miembros de la Asamblea Legislativa y no requiere sanción del Poder Ejecutivo64.

En Colombie, comme on l’a mentionné plus haut, la Cour Constitutionnelle a formulé dans ses derniers arrêts l’existence des limites matérielles à l’action de réforme décrite dans la Constitution. Et, dans l’article 376, la Constitution de 1991 établit aussi la façon dont on doit convoquer une assemblée constituante compétente pour instaurer une nouvelle constitution. L’article affirme :

ARTICULO 376. Mediante ley aprobada por mayoría de los miembros de una y otra Cámara, el Congreso podrá disponer que el pueblo en votación popular decida si convoca una Asamblea Constituyente con la competencia, el período y la composición que la misma ley determine.

Se entenderá que el pueblo convoca la Asamblea, si así lo aprueba, cuando menos, una tercera parte de los integrantes del censo electoral. La Asamblea deberá ser elegida por el voto directo de los ciudadanos, en acto electoral que no podrá coincidir con otro. A partir de la elección quedará en suspenso la facultad ordinaria del Congreso para reformar la Constitución durante el término señalado para que la Asamblea cumpla sus funciones. La Asamblea adoptará su propio reglamento65.

Ainsi, dans le cadre juridique colombien il y a des limites au pouvoir constituant dérivé mais aussi une mention au pouvoir constituant primaire, dont on vient de dire qu’il était pré-constitutionnel.

Cela montre une avancée importante par rapport aux Constitutions politiques du siècle passé et détermine un parcours particulier au pouvoir constituant dans lequel la Constitution confère toutes les garanties nécessaires pour s’exprimer. De cette façon la Constitution colombienne a surmonté la difficulté qu’a représentée la rigidité de son prédécesseur, qui a causé une telle paralysie juridique et politique que cela a obligé à la société colombienne à se manifester en dehors des institutions. Le mouvement de la séptima papeleta est un bon exemple de la façon dont le peuple a utilisé des outils non institutionnels pour se manifester contre la Constitution quand elle ne reflète plus les dynamiques politiques et sociales.

C’est pourquoi il est positif d’avoir toujours une Constitution qui permet, de manière explicite, de créer une novelle Charte afin d’éviter les bouleversements institutionnels si propres aux sociétés pré-démocratiques.

64 Tulio ÁLVAREZ, op. cit., p.45.

65 République de la Colombie, Constitution Politique Colombienne, 1991, article 376.

38 En plus des arguments juridiques exposés dans cette première partie, il faut comprendre les raisons politiques pour lesquelles la Cour Constitutionnelle colombienne reçoit une légitimité de ces décisions, car bien que la construction juridique ouvre l’espace formel pour les décisions progressistes de la Cour, s’il n’existe pas une volonté politique pour défendre le pouvoir judiciaire, la structure juridique perd toute sa puissance.

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