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2. Le système politique colombien : une explication du pouvoir de la Cour

2.1. La tradition politique de Colombie

2.1.5 La discussion sur le continuisme

Pendant la dernière décennie les constitutions latino-américaines ont été modifiées afin d’inclure la possibilité de la réélection immédiate pour les présidents. La Colombie, bien sûr, n’est pas une exception. Cette modification implique un changement assez important dans le fonctionnement de la démocratie et, surtout, dans la structure d’équilibre des pouvoirs publics si les Constitutions n’introduisent pas les ajustements nécessaires pour garantir cet équilibre à partir de nouvelles règles de jeu.

La discussion sur le continuisme présidentiel a été présente tout au long de l’histoire en Amérique latine, en Colombie comme dans les autres pays. En fait, toutes les Constitutions rédigées après l’indépendance montraient une méfiance face au continuisme. Bolívar même déclarait dans le discours d’Angostura (1819) : « La continuité d’un même individu (au pouvoir) a été fréquemment la fin des gouvernements démocratiques »96.

De la même manière, Jacques Lambert écrivait en 1963 :

Les régimes latino-américains ne tentent pas de modérer l’autorité présidentielle par la séparation des pouvoirs, mais, par contre, ils s’attachent très énergiquement à préserver le caractère démocratique des régimes et à prévenir la transformation de la prépondérance

95 Humberto DE LA CALLE, « Reforma electoral en Colombia », Biblioteca Jurídica Virtual del Instituto de Investigaciones Jurídicas de la UNAM, Adresse URL www.bibliojuridica.org/libros/6/2527/11.pdf.

96 J. F. BLANCO, y R. AZPURUA, en Hubert GOURDON, « Continuismo et présidentialisme constituant dans les États andins », Document présenté dans le cours Droit Constitutionnel Comparé à l’Institut des Hautes Études de L’Amérique latine, second semestre, 2012, p.1

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présidentielle en dictature en imposant de façon rigide un caractère très temporaire au mandat du président. Dans ce sens, le régime méritait le nom de monocratie temporaire97.

On peut donc voir un désir de la part des premiers constituants d’utiliser des outils qui empêchent la possibilité d’abus de pouvoir des gouvernants. Cependant la stratégie d’interdire la réélection n’était pas suffisante puisqu'elle était construite sur une base assez simple : le contrôle du nombre de mandats présidentiels et de leur durée, montrant une sorte de mathématique rudimentaire98, incapable de garantir par elle-même le respect pour l’équilibre de pouvoirs.

Néanmoins l’effort pour introduire certaines clauses de contrôle présidentiel est méritoire, surtout dans les pays à tradition notoirement présidentialiste comme la Colombie. Dans ce cas, par exemple, la Constitution de 1991 était précise à ce sujet.

L’article 197 signalait le point suivant : « ne peut être élu président le citoyen qui, à quel que titre que ce soit, aurait exercé la présidence ».

Cette interdiction radicale voulait surmonter une tradition politique antérieure qui avait permis à l’autoritarisme de prévaloir et qui voulait que les partis politiques répondent seulement aux intérêts politiques et économiques particuliers.

Ainsi, la Constitution de 1991 a empêché – au moins au niveau théorique – l’émergence de deux problèmes liés au débat du continuisme : la tendance à « l’hyper-présidentialisme » latino-américain et la logique perverse du « président candidat »99.

Selon François Serres il y a d’autres arguments plus « pragmatiques » qui justifient l’interdiction de la réélection dans la région comme par exemple, les expériences négatives par rapport aux présidents qui ont exercé un second mandant. Si l’on réfléchit sur le cas colombien il est possible de trouver le cas d’Alfonso López Pumarejo, président de la République entre 1934 et 1938 et réélu en 1942 grâce aux résultats positifs de son premier gouvernement. Malgré l’enthousiasme populaire, le président López a été forcé à démissionner avant la fin de son mandant à cause d’une crise institutionnelle accompagnée du soulèvement de quelques secteurs de la société et de la conspiration de l’opposition politique100.

97 Jacques LAMBERT, op. cit., p.22

98 Hubert GOURDON, op.cit., p.1

99 François SERRES, “La réélection présidentielle en Colombie, dans le contexte latino-américain”, Visages d’Amérique latine, No. 4, 2006, p.69-70.

100 Daniel PÉCAUT, Orden y violencia, op.cit., p.352.

52 Ces arguments semblent n’avoir plus d’écho dans les nouvelles constitutions latino-américaines à cause de l’inclusion de la réélection immédiate. Ainsi, presque la moitié des pays de la région a introduit cette modification101.

Alors, une question s’impose : le changement constitutionnel en faveur de la réélection est-il le reflet de la consolidation de la démocratie qui a surmonté finalement les menaces du passé ou, tout au contraire, représente-il un risque pour la démocratie même ?

Pour certains auteurs la motivation de l’Amérique latine pour introduire la possibilité de continuer avec le même président pour plus d’une période est liée avec l’idée suivante :

… maintenant que la démocratie est solidement implantée et a fait preuve de sa solidité sur le continent, il n’y a plus de raison de fond pour refuser aux régimes latino-américains une pratique courante dans les autres régions du monde aussi bien dans les régimes parlementaires (Grande Bretagne, Allemagne, Espagne, pays scandinaves) que dans les régimes semi présidentiels (France) ou présidentiels (Etats-Unis)102.

De plus, la réélection permet la continuation d’un leadership quand celui-ci a été effectif. Ainsi, le gouvernement est réélu ou non selon la volonté démocratique de la population, laquelle a un rapport proportionnel avec la accountability du président face à l’électorat103.

Il faut vérifier aussi l’exercice du pouvoir présidentiel dans chaque pays parce que tous les présidents n’ont pas la même capacité de prendre des décisions ou d’exécuter leur projet politique. Dans le cas colombien par exemple, le président doit toujours négocier avec les forces législatives, lesquelles ont été souvent contraires au désir politique du président, soit à cause de l’existence des intérêts particuliers de chaque partie, soit à cause de l’absence de points communs au niveau idéologique ou politique.

C’est la raison pour laquelle la plupart des présidents colombiens ont utilisé les décrets d’urgence comme façon de gouverner afin d’éviter les obstacles législatifs104. Cette tendance a diminué de manière significative à partir de la Constitution de 1991 qui prévoit que la Cour Constitutionnelle doit vérifier la validité des décrets d’urgence.

101 John M. CAREY, “¿hybris institucional? reelección presidencial en América Latina”, EGOB Revista de Asuntos Públicos, Universidad de los Andes, 2009, p.25.

102 François SERRES, op. cit., p.72.

103 John M. CAREY, op. cit., p.26.

104 Rodrigo UPRIMNY, César RODRÍGUEZ-GARAVITO et Mauricio GARCÍA, ¿Justicia para todos?:

sistema judicial, derechos sociales y democracia en Colombia, Bogotá, Grupo Editorial Norma, 2006, p.242.

53 Ainsi, le gouvernement a des limites tant juridiques que politiques dans l’exercice de son pouvoir, ce qui réduit l’impact négatif que la réélection puisse avoir par elle-même.

La vraie question est donc comment s’est développé le processus de réforme constitutionnelle afin d’inclure la réélection : si ce changement est partie d’un processus de négociation avec l’opposition, la réforme a un air de permanence et de solidité constitutionnelle et institutionnelle ; par contre, lorsqu’elle est le résultat de processus plébiscitaires sous le masque de la volonté populaire révélée, il faut observer le phénomène avec plus de prudence105. Il faut reconnaître alors que la réélection est simplement un outil qui peut être utilisé selon les besoins et les intérêts de chaque gouvernant ou de chaque population.