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Modernité du genre littéraire

Dans le document Michel Butor : du roman à l'effet romanesque (Page 166-169)

Michel Butor

III.1. Enjeu de départ : qu’est-ce qu’un genre ?

III.1.2. Modernité du genre littéraire

La marque distinctive des œuvres contemporaines et de la modernité générique est selon Dominique Combe, la polyphonie :

« Les textes contemporains, parce qu’ils sont […] polyphoniques, […] pluriels, n’ont pas pour but l’appartenance à un genre unique. Un modèle de description fondé sur le postulat de la « pureté » […] ne peut être qu’inadéquat à une littérature où sont valorisés […] l’intertextualité, le « métissage » des cultures. Nul doute […], que nous vivions encore aujourd’hui sur le rêve symboliste de l’ « Œuvre total » et de la « correspondance des arts », bien davantage que sur l’idée « classique » d’une distinction et d’une autonomie des arts […]. Mais ce qui paraît nouveau […], c’est la volonté explicite et systématique d’une synthèse des genres qui amène l’auteur à emprunter ses moyens à un autre art. »323

321 Dominique Combe, Les genres littéraires, Paris, éd. Hachette, coll. « Contours Littéraires », 1992, p. 152.

322 Ibid., p. 152.

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Dans cette perspective, Michel Butor opte pour une approche historique et fonctionnelle du genre, dans une visée sociologique, tout en élargissant sa réflexion à la relation du fait littéraire avec les activités culturelles 324:

« Non seulement les genres traditionnels doivent être compris historiquement, fonctionnellement, de telle sorte qu’on puisse enfin comprendre quels sont les genres qui sont effectivement en action aujourd’hui et qu’on puisse en trouver d’autres qui amènent à une transformation du fonctionnement social, mais il faut aussi mettre en question, interroger, la situation de la littérature par rapport à l’ensemble des autres activités et, en particulier, par rapport aux activités dites "culturelles" »325.

Il s’agit de saisir et de comprendre dans un premier temps l’enjeu de l’évolution des genres en vigueur aujourd’hui, et de les considérer dans leur relativité :

« la prise de conscience de la relativité de la classification des arts et de la relativité de la situation de la littérature par rapport aux arts va amener à la mise en évidence des aspects matériels et fonctionnels de la littérature, c’est-à-dire de ses aspects aussi bien visuels qu’auditifs, poésie concrète, poésie auditive, poésie visuelle »326.

Ceci a pour conséquence d’interpeller l’écrivain sur des recherches axées sur la typographie, l’enregistrement, le problème des partitions, ainsi que sur les d’autres en relation avec la radio et la télévision. L’écrivain ne peut s’y soustraire, parce qu’il doit tenir compte du fait que :

« le tableau actuel des genres a été bouleversé à cause des transformations des moyens de communication et des moyens de diffusion et de conservation du langage. Ces transformations ont introduit des relations tout à fait nouvelles entre les mots et les images par exemple… Est contemporain (ou moderne) un texte qui témoigne de ces transformations. »327

324 Sur la réflexion de Michel Butor sur les implications de l’art dans l’évolution de la littérature, voir Entretiens vol I, Entretien XL- Entretien sur l’art actuel. Michel Butor : « Pour moi, l’important c’est de devenir contemporain », Les Lettres françaises, 9-15 juillet 1964, entretien avec Pierre Daix, p. 241 et s.

325 Entretiens vol. II, Entretien XCIII-Retour de la poésie, Magazine littéraire, septembre 1978, Entretien avec Michel Sicard, p. 316.

326 Ibid., p. 316.

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L’adaptation aux changements est une manière de s’inscrire dans la modernité littéraire. Une littérature basée sur une conception évolutive, moderne, devrait repenser le problème du genre en relation avec les autres arts, et en créer de nouveaux. Il devient alors nécessaire dans un second temps de réfléchir sur la prise de conscience de l’historicité de la littérature liée à un fonctionnement social dont elle fait partie. C’est dans cette mesure que la tâche de l’écrivain va consister à traiter les phénomènes intertextuels (citation, parodie) et leur rôle dans la transformation du genre.

Cela va se traduire au niveau de l’écriture par la mobilisation de trois actions ou moyens :

1°) la technique du collage : il s’agira d’introduire un texte dans un autre dont l’origine est facilement reconnaissable, soit d’un grand auteur, soit de la banalité contemporaine (prospectus, catalogue…). Pour Butor, tout est texte et fait sens à partir du moment où il est incorporé et poétisé dans le texte littéraire.

2°) L’étude des modes de juxtaposition, et en particulier le choix d’une citation, la manière de la prélever dans son texte d’origine.

3°) La prise de conscience de la situation de la littérature non seulement par rapport aux autres arts mais aussi par rapport aux autres activités de l’esprit comme la politique et l’activité scientifique.

Michel Butor fait allusion à l’engagement politique, d’un certain « réalisme » dans le sens que peut prendre le mot en littérature, musique, peinture, cette espèce de sens moral qui devrait guider l’écrivain. Quant à la relation entre la littérature et l’activité scientifique, notamment les Sciences humaines, elle est intéressante, puisqu’elle débouche sur l’invention stylistique, et génère un type d’écriture. Ainsi, la psychologie, comme exploration de l’ « âme » humaine a permis la naissance du surréalisme et du concept d’écriture automatique. L’exploration du monde extérieur a permis le développement de la description dans le roman.

Quant aux relations de la littérature aux sciences structurales comme la linguistique et les mathématiques, elles s’ouvrent, en ce qui concerne la linguistique, sur une exploration et sur une réflexion concernant les structures du langage, tandis que les mathématiques faisaient franchir à la littérature une étape décisive à travers la lecture de Poe

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par Baudelaire. Selon Butor, la poésie naissante a mis en avant le travail sur les structures. On parle de poésie à matrices. Dans cette poésie, c’est le problème de la répétition et de la variation qui sont étudiés systématiquement. Des structures à taux de répétitions très apparentes permettent une expressivité de type obsessionnel, tandis que des structures dispersées, éclatées, produisent une expressivité différente. Il en résulte une étude claire des structures des œuvres dans lesquelles est travaillé l’aspect visuel. Au terme de son propos, Michel Butor peut ainsi conclure que

« L’étude de la mise en évidence de l’historicité et de la fonctionnalité du texte va être en même temps la mise en évidence de structures de modèles quasi physiques du fonctionnement du langage à l’intérieur de telle ou telle citation »328.

La relation entre la littérature et les autres arts est donc inévitable et fait partie de son évolution générique selon Jean-Marie Schaeffer, ce qui justifie bien cette difficulté de description de la notion de genre littéraire :

« […] L’idée d’une frontière absolue et stable entre les activités littéraires et les activités verbales non littéraires ne résiste pas à l’épreuve des faits : puisque la littérature est un agrégat historique en mouvement perpétuel, une étude des genres ne saurait établir de frontière étanche entre les genres littéraires au sens étroit du terme et les genres du discours (Tzvetan Todorov), c’est-à-dire l’ensemble des conventions qui régissent les différents types d’échanges verbaux « naturels ».329

Et pour nous, renvoyés face à l’œuvre de Michel Butor, la question principale demeure celle de savoir s’il faut la diviser en genres.

Dans le document Michel Butor : du roman à l'effet romanesque (Page 166-169)