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La métaphore théâtrale comme élément d’analyse formelle du roman d’analyse formelle du roman

Dans le document Michel Butor : du roman à l'effet romanesque (Page 151-156)

~ 143 ~ a) Définition du théâtre

II.3.1.2. La métaphore théâtrale comme élément d’analyse formelle du roman d’analyse formelle du roman

Chez Butor, l’analogie entre la composition des romans et les règles du théâtre au niveau de la structure formelle est évidente, dans la mesure où l’un arrive à expliciter l’autre. C’est pourquoi, il n’est pas étonnant de voir Michel Butor établir le lien entre les deux genres tout au long de ses entretiens, et faire référence à la célèbre règle des trois unités305.

304 Cromwell (1827), Hernani (1830), Ruy Blas (1838), Les Burgraves (1843).

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La définition suivante rappelle ses origines :« La règle des trois unités s’est constituée en doctrine esthétique aux XVIe et XVIIe siècles (CHAPELAIN, de 1630 à 1637, D’AUBIGNAC en 1657, LA MESNARDIERE) en prenant appui sur la Poétique d’ARISTOTE considérée-à tort- comme la source et la législatrice des trois unités. À l’unité d’action, effectivement recommandée par ARISTOTE

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a) La règle des trois unités comme mode de composition du roman

Le théâtre classique se sert de trois éléments importants pour l’écriture et la mise en scène au théâtre, ce sont les fameuses règles des trois unités, dont le but est de garantir le bon déroulement de la représentation, ainsi que l’adhésion du spectateur.

Pour Michel Butor, le roman peut se construire aussi à partir de ces règles. L’unité de lieu, (ou d’habitation) est le foyer à partir duquel le récit doit commencer son déroulement, le lieu étant ensuite inscrit dans le mouvement même, à travers les déplacements des personnages.

Autre élément important, le récit doit respecter l’unité de temps. C’est aussi le foyer à partir duquel se relaient d’autres régions temporelles de la réalité. Michel Butor s’en explique :

« En composant mes romans, je pense un peu en effet aux règles du théâtre classique, parce que, dans ce que je veux raconter, se pose d’abord un problème de choix […]. Il faut trouver une limite. Je crois cette limite plus sensible à partir du moment où on la choisit objective : douze heures ou douze mois, par exemple. On sent bien que ces douze heures ou ces douze mois forment une unité qui nécessite un choix […].

Mais, remarquez-le : ces unités ne sont pas des unités absolues. Je les dirais éclatées, désintégrées. À travers elles, on peut évoquer d’autres temps et d’autres lieux. Jamais en réalité, une tragédie ne se déroule en vingt-quatre heures. Mais c’est seulement si ces unités sont bien constituées qu’on peut parler d’autres choses en surveillant celles-ci et en contrôlant cette désintégration… »306

(Poétique, chap.5), se sont ajoutées l’unité de lieu et l’unité de temps, sous l’influence de la traduction et du commentaire d’ARISTOTE par CASTELVETRO (1570). Ces deux unités ont rarement été respectées totalement, car elles imposent des restrictions très sévères à la dramaturgie ; elles ont joué surtout un rôle de « garde-fou » pour les expérimentations et les tentations épiques du drame […]. », Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre, Paris, éd. Dunod, 1996, article « UNITES (TROIS) », 1. Origines, p. 395.

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Entretiens, vol. I., Entretien IV-« Les enfants du demi-siècle, Michel Butor », Les Nouvelles littéraires, 5 décembre 1957, entretien avec André Bourin, p. 39. Voir aussi Entretien XXXIV-« Léonce Peillard s’entretient avec Michel Butor », Livres de France, juin-juillet 1963, p. 214, notamment la note infra 4. D’autres références à la métaphore théâtrale dans l’œuvre critique de Michel Butor : « L’espace du roman », in Répertoire II : pour énoncer les différentes manières d’évoquer le décor dans le roman, Michel Butor écrira : « D’abord, comme au théâtre

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Quant à l’unité d’action, Butor n’en parle pas vraiment. Et c’est normal, le Nouveau Roman, préoccupé par cette rupture avec le mode d’écriture du roman classique, privilégie l’intellect, la superposition d’images évocatrices, au détriment d’une clôture narrative, à travers laquelle il y aurait un héros agissant. Avec le Nouveau Roman, cette notion devient obsolète, et il lui préfère celui d’actant, dans la mesure où tout élément dans le roman peut agir d’une manière ou d’une autre. En un mot, l’expression habituellement employée « rien ne se passe » pour qualifier habituellement ces romans, permet de ruiner les attentes du lecteur (classique). Et Butor, conscient de cela, introduit la notion de « modification ». Ainsi, rien ne se passe, mais tout se modifie.

Nous voyons donc la nécessité pour Michel Butor d’obéir à des contraintes d’écriture, tout comme les dramaturges, lors de la composition de ses romans, et d’introduire les mathématiques, pour relier tous les éléments du roman. La règle des trois unités a pour fonction dès lors, de créer la vraisemblance, mais celle des romans de Butor s’inscrit dans l’optique d’un réalisme phénoménologique que Michel Leiris et Françoise Van Rossum-Guyon ont mis en évidence dans leurs analyses.

autrefois, il suffira d’une pancarte : « lieu magnifique », « bosquet charmant », « forêt affreuse », « un coin de rue », « une chambre » », p. 45. Dans Improvisations sur Michel Butor, la section n°13 « L’unité d’habitation » (p. 64), établit une analogie entre le théâtre et le roman Passage de Milan. Michel Butor affirme qu’il s’est servi de la règle des trois unités pour composer le roman : «J’avais été très frappé par les règles de la tragédie classique. Je me suis dit qu’à l’intérieur du roman on pouvait utiliser des règles du même genre que celle des trois unités. On pouvait utiliser une unité de lieu ; cela a été l’immeuble ; une unité de temps ; non pas vingt-quatre heures, mais douze, les douze heures d’une nuit.

Peu à peu mon livre s’est précisé : un livre qui serait fait en douze chapitres correspondant chacun à une heure, laquelle serait masquée par le clocher du monastère des sœurs voisines, ce qui donne déjà une organisation musicale. » (p. 65). Il illustre le problème de l’intonation avec un exemple pris au théâtre (p. 85), tandis que dans la section n°76 « La ronde des voix », il émet la nécessité pour le romancier de donner un ton ou un timbre à chaque personnage comme le fit jadis Balzac, et de le répartir dans l’espace, pour aboutir, au terme de sa recherche, vers la superposition du roman et du théâtre « dans une partition littéraire d’un type nouveau » (p. 270).

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b) La vraisemblance ou le vraisemblable

Si selon Le Dictionnaire du littéraire307, la vraisemblance est liée à la fois à la fiction, à la mimèsis ou imitation du réel, et à un enjeu de réception, il faut d’abord remonter aux origines de la notion pour en saisir le sens intrinsèque :

« Pour la dramaturgie classique, la vraisemblance est ce qui, dans les actions, les personnages, la représentation, semble vrai au public, tant sur le plan des actions que sur la manière de les représenter sur scène. La vraisemblance est un concept qui est lié à la réception du spectateur, mais qui impose au dramaturge d’inventer une fable et des motivations qui produiront l’effet et l’illusion de la vérité. Cette exigence du vraisemblable (selon le terme moderne) remonte à la Poétique d’ARISTOTE. […] Le vraisemblable caractérise une action qui soit logiquement possible. […] »308

Mais cette notion est fluctuante et sa définition varie selon les époques (classique ou moderne), et les genres. Tzvetan Todorov dégage ainsi quatre sens : Un premier sens qu’il appelle sens naïf, selon lequel le vraisemblable est ce qui est conforme à la réalité (sens qu’il écarte tout de suite dans son étude) ; un deuxième sens platonicien et aristotélicien d’après lequel

« Le vraisemblable est le rapport du texte particulier à un autre texte, général, diffus que l’on appelle l’opinion publique ».309

307 Le Dictionnaire du littéraire, article « Vraisemblance », par Denis Pernot, pp. 646-647.

308

Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre, Paris, éd. Dunod, 1996, article « Vraisemblable, Vraisemblance», p. 406. Toutefois, une nuance est apportée à propos de la vraisemblance : « La règle de la vraisemblance vaut pour une dramaturgie normative fondée sur l’illusion, la raison et l’universalité des conflits et des comportements. Contrairement à la croyance classique, il n’ya pas en soi de vraisemblable immuable que l’on puisse définir une bonne fois pour toutes. Il n’est qu’un ensemble de codifications et de normes qui sont idéologiques, à savoir liées à un moment historique, malgré leur universalisme apparent. » et d’ajouter plus loin, « Le vraisemblable est un maillon intermédiaire entre les deux « extrémités » de la théâtralité de l’illusion théâtrale et la réalité de la chose imitée par le théâtre. Le poète cherche un moyen de concilier ces deux exigences : refléter le réel en faisant vrai, signifier le théâtral en créant un système artistique fermé sur lui-même […] », 2. Relativité de la vraisemblance, p. 407. Voir aussi Michel Corvin, Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Paris, Bordas, 1991, article « Vraisemblable/Vraisemblance », par G. Forestier, pp. 873-874.

309 Tzvetan Todorov, Poétique de la prose, Paris, éd. du Seuil, coll. « Poétique », 1971, 7. Introduction au vraisemblable (1967), p. 94. Essai repris dans Tzvetan Todorov, La notion de littérature et autres essais, Paris, éd. du Seuil, coll. « Points Essais », 1987, 5. Introduction au vraisemblable.

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Il dégage ainsi un troisième sens à travers la conception des classiques et conclut sur l’idée qu’

« […] il y a autant de vraisemblables que de genres, et les deux notions tendent à se confondre (l’apparition de ce sens du mot est un pas important dans la découverte du langage : on passe ici du niveau du dit à celui du dire) ».310

Et enfin un sens moderne, très prédominant selon lequel

« […] On parlera de la vraisemblance d’une œuvre dans la mesure où celle-ci essaye de nous faire croire qu’elle se conforme au réel et non à ses propres lois ; autrement dit le vraisemblable est le masque dont s’affublent les lois du texte, et que nous sommes censés prendre pour une relation avec la réalité ».311

Todorov, dans son analyse du vraisemblable a pour objectif de montrer la non correspondance ou la non-coïncidence du discours et du référent, en dénonçant les emplois abusifs du terme « vraisemblable » dans la pratique pédagogique, avant de décliner les différents sens du mot et de dégager les deux niveaux essentiels du vraisemblable que sont « le vraisemblable comme loi discursive, absolue, inévitable » et « le vraisemblable comme masque, comme système de procédés rhétoriques, qui tend à présenter ces lois comme autant de soumissions au référent »312, parce qu’il existe non pas un vraisemblable, mais des vraisemblables en littérature.

À partir de ces définitions et de ces remarques, on peut ainsi considérer la vraisemblance comme une technique d’écriture et parler de réalisme, en ce qui concerne Michel Butor. Ainsi, pour qu’un roman puisse accomplir le pacte de lecture, il faut qu’il se serve de tous les récits habituels qui jalonnent le quotidien en intégrant la multiplicité des formes de discours. C’est de là que découlera sa vraisemblance.

310 Ibid., p. 94.

311 Ibid., p. 94.

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Dans le document Michel Butor : du roman à l'effet romanesque (Page 151-156)