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Modalités d’interaction dans les interfaces-esquisses

graphique en tâche de conception

5. Activité de mise au net

6.4. Modalités d’interaction dans les interfaces-esquisses

Les différentes observations que nous avons effectuées nous permettent d’apporter un certain nombre de réponses à des questions soulevées par l’utilisation d’un stylo électronique et d’esquisses numériques pour interagir avec un environnement informatique d’aide à la conception préliminaire en architecture. Nous listons cinq principes qui nous semblent fondateurs, compte tenu de nos observations.

Interpréter des croquis spécifiques

Comme nous l’avons déjà évoqué lors de l’étude précédente, il nous semble que, dans le cadre de l'interprétation de dessins, le système ne doit pas tenter de tout interpréter en temps réel. La différenciation entre les dessins nets et de brouillons, et la correspondance de ceux-ci entre le

papier-crayon et l’esquisse numérique nous invitent à penser que le paradigme de l’interprétation complète de l’esquisse de conception est peu approprié. Au-delà de la difficulté technique, l'esquisse conceptuelle étant par nature incomplète et incohérente, nos observations montrent que le dessinateur a tendance à se protéger du regard du système en utilisant des couleurs non interprétées par le logiciel jusqu'au moment où il décide de lui expliciter son travail. L’esquisse de brouillon est, et doit rester, un lieu privilégié d’exploration personnelle de solutions, sans aucune contrainte. En revanche l’esquisse nette, instrument de communication, semble particulièrement adaptée à une interprétation numérique. Les modalités d’interaction devraient être revues pour inviter l’utilisateur à dessiner librement et à tirer profit de ces esquisses synthétiques pour l’interprétation. Il convient donc de laisser une marge de liberté au concepteur dans l’organisation de son activité graphique.

Interpréter les esquisses en se basant sur la dynamique de l’activité

Pour éviter les ruptures de l’activité créative qu’impose la nécessité d’être compris par le logiciel, il nous apparait nécessaire de tenir compte de la dynamique de l’activité de conception. Ainsi, au lieu de « forcer » l’utilisateur à modifier les rapports spatiaux et temporels qu’il entretient avec ses dessins, il nous semble plus utile de se reposer sur la dynamique naturelle du concepteur en activité. On pourrait ainsi imaginer que l’interprétation ne prenne place qu’à des moments de mise au net. Ainsi, les mouvements récurrents de conception-mise au net observables sur papier-crayon pourraient être respectés. La dynamique de l’activité de conception doit rester le propre du concepteur, afin de conserver son caractère opportuniste (Visser, 2006) qui permet une souplesse dans son déroulement, nécessaire compte tenu de la complexité des problèmes de conception.

L’activité de simulation graphique doit pouvoir se dérouler sans interruption ou intervention du logiciel afin de ne pas rompre le flux continu de pensées créatives du concepteur. Les moments de mise au net ne sont en revanche pas caractérisés par ce flux continu, mais par une série de choix conscients et en partie explicites. Ils pourraient être adéquats pour opérer une interprétation.

Cette étude nous semble fournir un premier pas vers la réflexion sur une interprétation d’esquisses utilisant la dynamique du tracé. En effet, plutôt que de tenter d’interpréter toutes les traces produites (brouillons et nettes) ou, au contraire, d’imposer à l’architecte d’expliciter son dessin, un logiciel d’interprétation pourrait analyser les dessins sur base du processus de mise au net. Les temps de réflexion, les tracés précis et lents et l’utilisation de la règle, sont autant d’indices d’opérations de mise au net. L’utilisation de nouveaux calques est aussi un indicateur important.

En approfondissant et en systématisant ces études de l’activité de transformation graphique, il sera peut-être possible de parvenir à un modèle dynamique de l’esquisse de conception, et d’interpréter les dessins sans contraindre ni interrompre le flux créatif de la pensée architecturale. Des études systématiques des différences structurelles entre les activités de simulation et de mise au net, basées sur l’utilisation d’un instrument de traçabilité permettant d’identifier les outils utilisés, les temps de tracé et le nombre de traits pourraient être une première étape.

Les retours de l’interprétation

Dans le cadre de la génération d'un modèle 3D, nous devons nous garder de transformer un outil de support à la conception en modeleur explicite, même si les opérations sont réalisées au stylo.

Nous avons observé que la possibilité de disposer de vues 3D modifiait l'activité du dessinateur en le poussant à remettre au net l'entièreté du dessin plutôt que de travailler de manière locale, en fonction de ses besoins. Cette observation nous invite à penser que la génération du modèle 3D (et les retours d’interprétation de manière générale) ne doit être réalisée que sur demande et que ces informations complémentaires ne doivent pas être affichées à l'écran en permanence. Des études complémentaires sur l’usage de la 3D d’EsQUIsE (Mayeur, Darses & Leclercq, 2007a, 2007b ; Leclercq, Mayeur & Darses, 2007) ont montré que le modèle 3D n’est que peu utilisé par les architectes professionnels, capables de s’imaginer la volumétrie d’un bâtiment sans difficulté.

Soutenir une économie dans le dessin

Le dessin numérique, tel qu’implémenté dans les deux logiciels en tous cas, implique un certain coût physique et cognitif pour son utilisation (le coût physique étant imputable à l’environnement matériel du Bureau Virtuel). Pour permettre un soutien basé sur l’esquisse en pré-conception architecturale, qui soit utile et intéressant pour l’utilisateur et justifie donc son utilisation, il faut, d’une part, diminuer le coût du dessin au stylo électronique et, d’autre part, améliorer les bénéfices des augmentations.

Nous suggérons que les IHM à stylo pour la conception, basées sur une analogie avec les outils traditionnels, doivent soutenir les qualités essentielles que sont la fluidité, la souplesse d'utilisation et l'expressivité graphique. L'observation de l'activité sur papier montre que l'outil doit proposer différents types de traits (crayons, feutres, etc.), de différentes couleurs, sans contraindre à une sémantique particulière attachée à chaque type de trait. Le logiciel doit permettre un mode de fonctionnement de type palette graphique. L’utilisation d’une règle – réelle ou virtuelle – doit être rendue possible pour permettre les opérations de réduction de l’imprécision. Il nous semble aussi primordial de soutenir la coexistence des deux types de dessins identifiés.

Néanmoins, nos observations montrent que ce fonctionnement de type palette graphique n’est pas suffisant. Pour réellement adopter la souplesse du dessin, il est nécessaire d’offrir au concepteur des traits d’une grande variété lui permettant d’effectuer son « coup de crayon », afin de se rapprocher de la liberté d’expression graphique rencontrée sur papier, mais aussi de lui permettre de manipuler simultanément plusieurs documents en même temps. Ainsi, il nous semble nécessaire de faire évoluer l’interaction du papier virtuel, de la métaphore du carnet de croquis à celle de l’espace de dessin virtuel (Boulanger et al. 2005). Des réflexions sur les modalités de manipulation de documents multiples au stylo et sur la création de zones de travail différenciées (notamment dans les applications collaboratives) doivent être menées, accompagnées éventuellement de réflexions sur l’usage d’autres modes d’interactions en complément du stylo, comme les interfaces gestuelles ou tangibles.

Proposer des augmentations pertinentes

Enfin, des réflexions sont à mener sur l’utilité de ces dispositifs, c’est-à-dire sur les augmentations qu’ils apportent à l’activité de conception. L’utilisation d’un logiciel d’esquisse numérique sans augmentation, comme la palette graphique dans cette étude, ne présente pas réellement d’intérêt pour le concepteur, et perturbe même son activité de dessin.

Si nous n’avons pas de garantie solide quant à la pertinence de la 3D pour les utilisateurs, nos observations tendent à montrer qu’elle présente un réel intérêt pour les étudiants, qui semblent organiser toute leur activité de conception dans le but de pouvoir disposer d’un modèle 3D. Elle est manifestement une ressource pour l’évaluation de la conception dans ses aspects volumiques. Il serait néanmoins nécessaire d’approfondir l’étude des utilités de ce modèle et de son impact sur la qualité du produit de la conception. Nous n’avons en outre pas d’élément permettant d’affirmer que de la 3D présente un intérêt pour des professionnels.

Néanmoins, un des principaux atouts de l’esquisse numérique est son aspect polyvalent.

L’interprétation de croquis en entrée à un logiciel est un moyen générique d’alimenter des modèles, qui eux-mêmes peuvent alimenter des évaluateurs. D’autres modes de feedback pourraient donc être implémentés, mais les bénéfices qu’ils apportent devront être soigneusement étudiés. Par exemple, comme nous le verrons dans l’étude suivante, les bénéfices apportés par le partage de croquis compensent une grande partie des difficultés du dessin numérique.