• Aucun résultat trouvé

Caractéristiques des croquis

graphique en tâche de conception

3. Caractéristiques des croquis

Les croquis observés dans les trois dispositifs expérimentaux présentent des caractéristiques graphiques sensiblement différentes. Nous synthétisons ci-dessous les principales propriétés des tracés en fonction de l’environnement de travail dans lequel ils ont été réalisés.

3.1. Croquis sur papier-crayon

L’activité de dessin à l’aide des outils traditionnels papier-crayon est caractérisée par la production d’une succession d’esquisses ambigües et imprécises, dites de « brouillon » (figure 50). Ces croquis, dessinés exclusivement au crayon, possèdent toutes les caractéristiques des esquisses de conception décrites dans la littérature (« thinking sketches » de Ferguson, 1992 ou « croquis conceptuel » pour Leclercq & Elsen, 2007). Il y a peu de variabilité et peu de précision dans les traits, témoignant d’une rapidité dans l’exécution et rendant l’esquisse très ambigüe. Les traits sont accumulés les uns sur les autres, impliquant la coexistence de plusieurs solutions sur le même dessin. De nombreuses notes annexes (cotations, notes, calculs, etc.) et dessins seconds sont présents. Le dessin est souvent incomplet. Ainsi, ces esquisses ne représentent en effet pas une solution unique, mais plutôt un ensemble de solutions potentielles, souvent partielles.

Figure 50 Esquisse brouillon de P2.

Ces esquisses de brouillon sont régulièrement « mises au net » soit sur un autre calque, soit à même le dessin. Suite à cette action, le dessin prend des caractéristiques différentes (figure 51) : les traits sont toujours peu variés mais gagnent en précision. Ils ne sont plus accumulés (un trait représente une paroi) et il n’existe dès lors plus qu’une solution à cet instant. Les annotations textuelles sont rares et servent uniquement à nommer les espaces. Ces mises au net sont effectuées à l’aide de traits épais de crayons ou de surligneurs.

Ces dessins de nets et de brouillon, déjà identifiés dans l’étude précédente, sont imbriqués les uns dans les autres : les dessins de brouillon fournissent une base aux dessins nets, qui deviennent à

leur tour des dessins de brouillon au fur et à mesure des recherches formelles et conceptuelles.

Sur les calques utilisés par les deux concepteurs observés, nous retrouvons plusieurs configurations hybrides entre ces deux types de dessins : la plupart des calques contiennent des structures mixtes de dessins, mais certains calques (principalement les premiers) contiennent exclusivement des dessins de brouillon et d’autres (les derniers) exclusivement des dessins nets.

Figure 51 Esquisse nette de P2.

3.2. Croquis sur la palette graphique

Sur la palette graphique, on observe les mêmes caractéristiques de croquis que dans l’activité papier-crayon. Les deux activités débutent par la production de dessins ambigus et conceptuels, dans lesquels s’accumulent des traits imprécis de différentes couleurs (figure 52). On observe aussi sur ces esquisses la présence d’annotations. Plusieurs solutions coexistent sur ces dessins.

Figure 52

Esquisse brouillon de P3 (dans les premières étapes).

Au fur et à mesure du déroulement de l’activité, les dessins se font de plus en plus « propres ».

Peu à peu, le rôle des traits se précise dans le plan et ceux-ci correspondent maintenant

clairement à la trace des murs. L’esquisse conceptuelle laisse progressivement place à des esquisses synthétiques et descriptives du bâtiment et de ses différents espaces (figure 53).

Figure 53

Esquisse nette de P3 (à la fin de l’activité).

"

Au niveau des caractéristiques graphiques des dessins, on remarque deux différences majeures avec le papier-crayon, induites par l’environnement de conception.

D’une part, les dessins sur la palette graphique, principalement les esquisses conceptuelles, contiennent moins de traits que leurs homologues sur papier-crayon. Ceci s’explique par les limites du dispositif technologique. Celui-ci ne permet que deux types de traits : surligneurs ou stylos virtuels. Ces traits ont des caractéristiques uniformes de largeur, de saturation des couleurs et d’opacité. Cette uniformité des outils engendre, par exemple, que la multiplication des traits à un même endroit ne modifie pas la saturation des couleurs ni le contraste du trait. Si un individu dessine avec un crayon sur une feuille de papier plusieurs fois exactement au même endroit, le trait original en est obligatoirement modifié : la couleur est plus profonde, le relief est plus marqué sur la feuille et le trait ressortira probablement du dessin. Ce n’est pas le cas sur le logiciel de palette graphique utilisé.

D’autre part, les dessins sont de taille plus importante sur l’environnement numérique que sur papier-crayon. Ici aussi les contraintes de la palette graphique jouent un rôle important : les traits sont plus épais dans l’environnement numérique et l’espace de travail est plus grand. L’échelle du dessin est par conséquent agrandie pour tirer profit de la taille de l’espace et compenser les contraintes des possibilités graphiques.

Néanmoins, le contenu et la densité sémantique des dessins sont comparables à ce que l’on retrouve sur le papier-crayon. D’un point de vue graphique, il semble donc que le concepteur pousse à son paroxysme le principe d’économie, propre à l’esquisse, et décrit par Leclercq (2005) : l’expression graphique est réduite au minimum nécessaire à la poursuite de l’objectif du concepteur. Pour la même information, il décrit son bâtiment avec moins de traits que sur papier-crayon. Ce constat est sans doute imputable à une plus grande difficulté à dessiner sur la palette graphique qu’avec des instruments « naturels ».

Les calques contiennent également des structures hybrides de dessins nets et de brouillon. La transparence paramétrable des calques est beaucoup utilisée par les concepteurs pour faire coexister leurs esquisses. Ainsi, ils peuvent par exemple mettre au net leurs dessins sur d’autres calques et ce, à même le dessin précédent en paramétrant le calque comme complètement transparent, puis opacifier leurs calques pour ne voir apparaitre que les dessins mis au net.

3.3. Croquis sur EsQUIsE

Comme dans la situation papier-crayon, et comme largement décrit dans l’étude précédente, deux types de dessins coexistent.

Les dessins de brouillon (figure 54) sont dessinés exclusivement en couleurs (c’est-à-dire non interprétés par le logiciel), et comprennent de nombreux traits, souvent imprécis, qui se superposent et sont rarement effacés. Plusieurs solutions et concepts coexistent. De nombreuses annotations et dessins de détails sont également présents sur ces dessins. La quantité de leurs traits se situe entre les croquis sur la palette graphique et ceux sur papier-crayon.

Figure 54

Esquisse numérique brouillon de P5.

Figure 55

Esquisse numérique nette de P5.

Les esquisses « propres » et mises au net (figure 55), sont comparables aux dessins nets présents sur papier-crayon et sur la palette graphique : les traits sont plus droits et plus précis que sur les dessins de brouillon, chaque trait représente une paroi et chaque paroi est représentée uniquement par un trait. Néanmoins, ces dessins sont tracés exclusivement en noir (seule couleur interprétée par le logiciel) et le concepteur utilise fréquemment la gomme numérique. A noter qu’en fin de conception, certains de ces dessins nets sont annotés avec des éléments de couleur : aménagements intérieurs, légendes, etc.

Si les dessins sont comparables à ceux observés dans les autres activités, ils se différencient nettement des autres par leur localisation. En effet, on observe très clairement dans les deux activités sur EsQUIsE une spécialisation des calques : les dessins nets et de brouillon sont tracés sur des calques différents et ne coexistent jamais, comme c’était le cas dans les autres activités.

Cette observation est très clairement liée aux propriétés du système : le logiciel, pour fournir au concepteur un modèle 3D cohérent, doit se baser sur des dessins moins ambigus que les esquisses de brouillon. C’est ainsi que tous les traits effectués en noir (seule couleur interprétée par le logiciel) doivent être nets. Or, pour faciliter cette différenciation, il semblerait que les deux concepteurs utilisant cet environnement mettent en place une stratégie de distinction spatiale : il est plus clair pour eux de séparer les esquisses interprétées de celles qui ne doivent pas l’être en les dessinant sur des supports (calques électroniques) bien distincts (voir étude précédente, chapitre 4, point 5).

3.4. Comparaisons

D’un point de vue strictement graphique, les dessins observés dans les trois environnements de travail possèdent plusieurs points communs et différences.

L’échelle : les dessins réalisés sur un environnement numérique sont plus grands que ceux dessinés sur papier. Cela s’explique d’une part par la taille de l’espace de travail, le Bureau Virtuel proposant une surface proche du format A0 alors que les papiers-calques ne sont pas plus grands que le format A3. D’autre part, les caractéristiques des traits sur outil numérique diffèrent de ceux sur papier : leur épaisseur est fixée à 2 pixels sur la projection, taille beaucoup plus importante que la pointe d’un stylo-bille ou d’un crayon bien taillé. Il n’existe en outre que deux types de traits aux caractéristiques uniformes (surligneurs ou stylos), alors que le dessin sur papier permet un large éventail de possibilités de traits (en fonction de la pression, de l’inclinaison et du type de crayon). Ainsi, pour pouvoir avoir des dessins comparables, les participants sont dans la nécessité de compenser par une taille supérieure.

Le nombre de traits : les dessins papier-crayon sont caractérisés par un nombre plus important de traits que les dessins numériques. Cela s’explique aisément par deux raisons : d’une part, comme pour le point précédent, le manque de variabilité des possibilités graphiques rend inutile la superposition de nombreux traits et, d’autre part, l’utilisation d’un système de grande taille (Bureau Virtuel) rend sans doute le geste de dessin un peu plus compliqué, incitant l’utilisateur à

« économiser » les traits superflus.

La quantité d’informations : malgré ces différences importantes entre les dessins, il s’avère que la quantité d’informations présentes sur les esquisses est relativement similaire dans les différents dispositifs. Ainsi, les esquisses numériques, qui sont manifestement moins

« chargées » puisqu’elles sont plus grandes, contiennent les mêmes informations (identification des espaces, taille des murs, annotations, aménagements, etc.) que les croquis papier.

Les deux types de dessins : nos observations tendent à confirmer la présence de deux formes d’esquisses utilisées dans la phase conceptuelle de la conception. La première, l’esquisse conceptuelle, est caractérisée par un haut degré d’ambigüité et de personnalisation qui rendent ardue voire impossible sa communication à autrui. Elle contient de multiples solutions graphiques au problème architectural. Dans EsQUIsE, nous avons constaté que les architectes réalisent ces esquisses conceptuelles exclusivement en couleur afin d’éviter leur reconnaissance par le logiciel qui se traduirait par des incohérences dans l’interprétation. La deuxième forme, l’esquisse synthétique, est issue d’activités régulières de mises au net. Le dessin est moins ambigu et plus conventionnel que dans la précédente. Chaque frontière (mur, paroi vitrée, etc.) est représentée par un trait unique et ces frontières servent à circonscrire des espaces différenciés et donc à arrêter un agencement spatial particulier. L’esquisse synthétique est en grande partie interprétable par un autre architecte. Dans EsQUIsE, ces esquisses sont dessinées en noir, en vue d’être interprétées par le logiciel.

La localisation : dans les activités sur papier virtuel avec interprétation (EsQUIsE), on constate une spécialisation des calques en deux types : des calques ne contenant que des esquisses synthétiques et d’autres contenant uniquement des esquisses conceptuelles. Dans les activités papier-crayon ainsi que sur le logiciel de palette graphique, chacun des calques contient conjointement à la fois des dessins de brouillon et des dessins au net.

En outre, tous les participants arrivent au même stade de définition du bâtiment à l’issue de l’activité et tous les résultats sont jugés équivalents en termes de qualité et de quantité d’information. Il n’est dès lors pas possible d’identifier un réel effet de l’environnement numérique sur la qualité du travail.