• Aucun résultat trouvé

Analyse dynamique de l’usage des annotations

Utilisation de l’esquisse numérique comme instrument de collaboration distante

4. Analyse des données

5.6. Analyse dynamique de l’usage des annotations

En complément à l’analyse « statique » de l’usage des documents et de l’esquisse numérique, nous effectuons une analyse « dynamique » des comportements d’annotation. En nous basant sur un échantillonnage des différentes activités d’annotation dans les trois groupes, nous identifions six fonctions aux annotations et des différences dans les usages selon les groupes et les individus.

5.6.1. Fonctions des annotations

Les annotations numériques remplissent plusieurs fonctions au cours de l’activité collective.

Attirer l’attention sur un élément du dessin. Il s’agit de soutenir la communication en contextualisant spatialement le discours, à même le dessin. C’est le rôle déictique des annotations. Ce rôle est porté par les annotations de type « pointage » mais aussi par certaines annotations de type « surlignage ». Cette fonction de l’annotation est temporaire : une fois le pointage effectué, la trace n’est plus nécessaire. Ces annotations sont comparables à d’autres opérations de désignation effectuées avec des gestes de pointage (principalement lorsque la cible du discours est située localement) ou à l’aide de la pointe du stylo (en faisant bouger le pointeur sur l’espace de travail sans tracer de trait, le pointeur étant affiché sur l’espace distant).

Ces annotations déictiques sont généralement utilisées quand le locuteur n’est pas le

« propriétaire » des documents (voir plus loin, section 5.7).

Figure 91

Annotation sur croquis visant à soutenir le discours en identifiant graphiquement les éléments sur lesquels celui-ci porte.

• Une deuxième fonction, proche de la précédente mais toutefois différente, consiste à mettre en correspondance des éléments présents sur plusieurs représentations. Ainsi, il ne s’agit pas uniquement de supporter le discours, mais aussi de permettre de faire des liens entre plusieurs représentations, sur un mode graphique. Dans l’illustration ci-après (figure 92), le concepteur, tout en expliquant à ses partenaires les principes sous-jacents de son bâtiment, montre explicitement sur les cinq dessins où se situe le « cœur du projet ». Cette fonction est supportée par des surlignages, ou par des annotations de pointage. Aucune information nouvelle n’est

spécifiquement ajoutée au sein des représentations, mais cette mise en correspondance permet de véhiculer un message spécifique, à savoir l’identification sur plusieurs dessins d’un concept commun.

Figure 92

Identification du « cœur du projet » à l’aide d’annotations (en bleu) sur les différents plans des étages du bâtiment et sur une coupe.

• Les concepteurs utilisent aussi des annotations visant à contextualiser le dessin sur lequel elles s’inscrivent. Il s’agit typiquement d’indiquer le nord ou les éléments de contexte avoisinant (route, bâtiment de voisinage, etc.). Cette contextualisation est importante dans le cours de la communication, mais ne crée pas d’information inédite devant être pérennisée. Elle est portée par des annotations de type « informations ». Ces annotations visent explicitement à réduire les ambigüités quant à la synchronisation des points de vue.

Figure 93

Ajout d’éléments de contexte sur une image de façade du bâtiment : la forme particulière de la gare toute proche est repassée au stylo rouge et les vitres de la façade sont soulignées à l’aide de la couleur turquoise.

• Une autre fonction consiste à compléter le dessin par des informations non présentes explicitement, telles que les circulations ou le comportement de la lumière. Il s’agit ici d’informations sur le fonctionnement, l’utilisation ou l’ambiance dans le bâtiment. Ce sont des éléments que la représentation architecturale traditionnelle ne contient pas, les plans adoptant un point de vue strictement géométrique sur l’objet. Ces informations expliquent comment interpréter le plan. Le croquis numérique, accompagné du discours, permet de suppléer à certaines faiblesses des autres représentations. Ces compléments d’informations sont principalement portés par des annotations de type « informations », à même le dessin. Le complément du dessin pourra aussi être porté par l’adoption d’un autre point de vue sur l’objet, comme par exemple un dessin de détail, un plan d’ensemble ou une coupe synthétique, via un croquis numérique second (ou satellite drawings, c’est-à-dire un dessin tracé à côté d’un autre et visant à compléter le premier, voir Leclercq, 2005 ou McCall et al., 2001).

Figure 94

Ajouts d’informations sur une représentation. A gauche : identification du sens de visite de l’étage. A droite, plan mis en regard d’une coupe.

• Les esquisses numériques sont également utilisées pour « synthétiser » le dessin. Il s’agit pour le concepteur de surligner certaines parties du dessin pour mettre en évidence les éléments principaux du bâtiment. Ainsi, le dessin est synthétisé en « zones fonctionnelles » qui suppléent aux locaux du bâtiment. Cette fonction est remplie par des annotations de surlignage et aucune information nouvelle n’est amenée au dessin. Cette synthèse est proche de la mise au net dans l’activité individuelle, mais elle n’est pas fonctionnellement identique. En effet, elle permet de réduire la complexité du dessin et en partie l’incertitude, mais elle n’ajoute aucune précision au dessin, le document sous-jacent étant souvent bien plus précis que l’annotation.

Figure 95

Synthèse du plan par l’identification de zones en rouge.

• Les croquis et annotations sont évidemment aussi utilisés afin de proposer des idées. Ces générations de solutions, actes de conception, sont portées par des annotations de type géométrie et informations. Elles peuvent aussi être présentes sur des croquis numériques seconds. Ces idées nouvelles peuvent être directement évaluées visuellement par les membres du groupe et les enseignants.

Figure 96

Propositions et modifications. Le travail d’annotation consiste ici à revoir entièrement l’espace bar, l’entrée et le positionnement des bureaux.

Les annotations remplissent parfois plusieurs de ces fonctions, et il n’est pas évident d’établir une correspondance stricte entre la forme de l’annotation et sa fonction. A noter que toutes ces fonctions ont été identifiées dans tous les groupes.

Dans les groupes, on constate aussi que les annotations effectuées par chaque individu sur un même dessin sont souvent tracées dans des couleurs différentes, permettant d’identifier leur

auteur. Ceci est probablement une façon de consigner l’argumentation liée à un dessin. Mais ce comportement n’est pas systématique. Le stylo passe de main en main sur le même site (Liège ou Nancy) et, lorsqu’un participant doit effectuer une annotation rapide, il prend le stylo et dessine sans changer de couleur. Ici aussi on retrouve un principe d’économie : si l’annotation à effectuer est sommaire, le coût d’un changement d’outil virtuel est plus important que les bénéfices engrangés par l’identification de l’auteur de chaque annotation.

Ces différentes fonctions identifiées nous montrent que les annotations numériques dans les séances de collaboration peuvent servir trois buts principaux.

Supporter la communication. Il s’agit principalement de supporter le fil argumentaire du discours, en mettant en évidence les éléments spatiaux auxquels le concepteur se réfère lorsqu’il explique les documents. Il s’agit aussi de suppléer à la modalité gestuelle, faiblement supportée dans notre environnement à distance. L’esquisse numérique permet, à moindre frais, d’effectuer des gestes de pointage éphémères.

Supporter la conception (génération d’idées, jeux de questions-réponses). L’esquisse numérique permet d’exprimer des idées, de modifier des plans, de poser et répondre à des questions, de donner son avis en l’explicitant graphiquement, etc. On observe ainsi des séquences de questions avec pointage, réponses avec des informations, critiques orales et contre-propositions avec des croquis ou des dessins seconds et ce, de manière régulière. La modalité graphique supporte donc les épisodes argumentaires, classiquement observés dans les activités en coprésence.

Supporter la construction d’un référentiel commun ou grounding. En ajoutant de l’information non explicitement présente sur les documents, en ajoutant des éléments de contexte et en mettant en rapport plusieurs représentations, les membres du groupe s’assurent que tous comprennent de la même façon l’objet architectural en cours de conception, et partagent une vision commune du projet.

L’esquisse numérique porte donc des fonctions dans toutes les dimensions nécessaires à la conception collaborative : activités centrées vers la tâche, vers le processus et vers la gestion de l’interaction (voir chapitre 2, section 4).

Nous terminons par certains comportements d’annotation ayant été observés uniquement dans le chef de l’enseignante liégeoise76. Ces deux comportements supplémentaires, quoique anecdotiques dans leur occurrence, nous apparaissent néanmoins révélateurs d’un mode d’usage du système.

• Les annotations peuvent être utilisées pour rassembler plusieurs idées, initialement présentes sur différents documents, sur le même dessin. Dans ce cas, les différentes solutions proposées sont juxtaposées, pour permettre d’en faire une synthèse, servant de base à la comparaison et à la prise de décision. Ce comportement remplit une triple fonction : synthèse des dessins, mise en évidence d’éléments essentiels de ces dessins et support aux comparaisons. Le rassemblement d’idées permet de prendre du recul et d'adopter un autre point de vue sur l’objet de la conception.

Création d’un dessin second (coupe, détails, etc.) sur un document, sans qu’il n’y ait de lien géométrique direct entre le dessin et le document. La différence entre ce type d’annotations et ceux identifiés précédemment est leur localisation. L’enseignante en effet n’hésite pas à tracer ces nouveaux dessins sur des documents préexistants sans lien avec l’annotation. Cela dénote d’une relation particulière aux documents et à l’esquisse numérique, que nous détaillons dans le point suivant.

76 En comparaison aux étudiants et aux autres enseignants, l’enseignante liégeoise peut être considérée comme experte dans l’utilisation du système : elle est, à ce jour, la personne ayant le plus travaillé sur l’environnement du Studio Digital Collaboratif.

5.6.2. Lien en forme et fonction des annotations

Ces observations nous permettent de tenter de faire un lien entre les différents types d’annotations et leurs fonctions. Sans que ce lien soit totalement univoque, nous pouvons observer certaines tendances.

• Les annotations de type «  géométrie  » sont principalement utilisées pour compléter un document ou le contextualiser, ainsi que pour générer des solutions alternatives. Dans ce dernier rôle, ce type d’annotations est proche de la fonction de l’esquisse numérique sur calque vierge.

Elles permettent aussi de modifier le document sur lequel elles sont tracées.

• Les annotations de type « informations » permettent principalement de compléter le document par des informations ponctuelles ou de le contextualiser.

• Les annotations de type « pointage » servent, sans surprise, à accompagner les locutions déictiques en les situant à même le document. Elles permettent d’attirer des partenaires et de spatialiser le discours. Mais elles permettent aussi d’apporter une informations complémentaire aux documents en faisant des liens entre plusieurs représentations ou plusieurs parties de représentations.

• Enfin, les annotations de type « surlignage » soutiennent deux grands types de rôle. D’une part, elles prennent en charge les mêmes rôles que les annotations de pointage et, d’autre part, elles permettent de mettre en œuvre certaines fonctions observées dans le surlignage lors de la mise au net en conception individuelle : simplifier le dessin et prendre des décisions.