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Conclusion de la deuxième étude

graphique en tâche de conception

7. Conclusion de la deuxième étude

Cette étude nous permet de tirer des enseignements relatifs aux deux premières hypothèses de ce travail, en complément à la première étude. En particulier, notre plan expérimental permet de clairement distinguer l’impact de l’esquisse numérique (Hypothèse 1) de ceux liés à l’interprétation et à la présence de représentations auto-générées (Hypothèse 2).

Hypothèse 1 : le stylo électronique possède des contraintes propres, qui limitent les possibilités expressives et rendent le croquis numérique différent de l’esquisse papier-crayon.

Nos observations montrent clairement que l’activité de dessin numérique a un coût important.

Fournir un stylo électronique n’est pas une condition suffisante à la simplicité, l’immédiateté et la souplesse. Le mode d’interaction qu’est le stylo électronique, les caractéristiques des environnements dans lesquels l’esquisse est tracée, la résolution du dessin et les outils disponibles sont autant de freins potentiels à l’activité graphique.

Nos observations concourrent aussi à montrer que les concepteurs tendent à être flexibles dans leurs stratégies de raisonnement : leur activité cognitive prend place là où elle est la moins coûteuse.

Dans le cas présent, avec la palette graphique, l’activité de dessin à un coût important, et la simulation, plutôt que de prendre place sur des croquis, est mentalisée. Le manque de bénéfices apportés par l’esquisse numérique ne parvient pas à compenser son coût : le dessin conceptuel, c’est dire l’externalisation de la pensée «  en roue libre  » tend à disparaitre, ce qui est potentiellement dommageable. Tirer pleinement parti de l’esquisse numérique passe donc par la réduction du coût du dessin et/ou par l’augmentation des bénéfices apportés par les environnements. En effet, l’utilisation d’EsQUIsE implique une activité graphique importante. La présence du modèle 3D, par les contraintes de sa construction, mais aussi par les atouts qu’il propose à la conception, semble donc compenser la charge impliquée par le dessin numérique.

Hypothèse 2 : les représentations générées automatiquement par un logiciel ont un impact structurant sur l’activité.

La présence d’une interprétation de l’esquisse, mais surtout les règles qui président à sa construction, ont une incidence importante sur l’activité. L’interprétation logicielle d’EsQUIsE ne semble pas imposer de contraintes sur le contenu des dessins, mais bien sur la structure, c’est-à-dire le temps et l’espace dans lesquels s’inscrit la conception :

• les moments de mise au net qui, au lieu de s’inscrire dans le cours de la conception, s’en détachent pour devenir des phases à part entière de l’activité  ;

• les lieux de mise au net, l’outil logiciel invitant à dessiner les esquisses de brouillon et nettes sur des calques différents ;

• les mécanismes de la mise au net, qui mobilisent davantage d’opérations et sont plus complexes ;

• l’organisation complète des activités de dessin et de conception, qui sont centrées autour du modèle.

Cette deuxième étude vise à pousser plus loin les réflexions liées aux modes d’expression graphique en conception.

Premièrement, elle nous permet d’approfondir nos constats liés aux types de dessins identifiés préalablement. Nos observations montrent que les esquisses conceptuelles et les esquisses synthétiques ont des utilités différentes pour le concepteur, et nous permettent de décrire les opérations cognitives de la mise au net, c’est-à-dire du passage d’un type de croquis à l’autre. Nous en concluons que l’esquisse conceptuelle permet de

« concevoir sans choisir », c’est-à-dire qu’elle est avant tout tournée vers la génération de solutions, alors que l’esquisse synthétique vise avant tout à opérer des choix et à réduire l’incertitude. Elle est donc tournée vers la structuration du problème.

Dans cette étude, nous avons aussi tenté de distinguer les contraintes imposées par le stylo électronique de celles imposées par la présence d’un modèle 3D. Pour ce faire, les participants étaient répartis en trois conditions : une situation papier-crayon, une situation avec le logiciel EsQUIsE et son moteur d’interprétation, et une condition sur un logiciel de «  palette numérique » proposant des fonctions de dessin au stylo électronique mais sans interprétation et sans modèle 3D.

Nos résultats montrent que la situation palette graphique est comparable à ce que l’on retrouve avec le papier crayon, à une majeure distinction près.

Sur la palette graphique, les croquis conceptuels tendent à disparaitre, au profit d’une simulation plus mentalisée. Nous interprétons cette observation par un principe de flexibilité cognitive dicté par une tendance à l’économie : l’activité cognitive prendrait place là où elle est la moins coûteuse. Les environnements au stylo électronique portent en eux un certain nombre de contraintes qui rendent le dessin numérique plus ardu à tracer. Celui-ci tend donc à se réduire à mesure que l’avancement de la conception le permet, c’est-à-dire que l’objet architectural se précise et perd en ambigüité.

Avec le logiciel d’interprétation de dessins, les comportements des concepteurs sont tout autres. S’il n’y a pas de chute significative de l’activité de dessin, celle-ci par contre s’organise presque entièrement autour de la construction du modèle. L’organisation des croquis sur les différents supports (calques), les moments, activités et objectifs de la mise au net de dessins et l’organisation temporelle de l’activité sont clairement différents des deux autres environnements. Le modèle 3D et l’interprétation des esquisses structurent donc entièrement l’activité de conception.

Fort de ces constats, nous proposons des pistes pour les environnements d’esquisses numériques visant à soutenir la conception.

CHAPITRE 6