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Améliorations du dispositif technologique

Utilisation de l’esquisse numérique comme instrument de collaboration distante

4. Analyse des données

6.6. Améliorations du dispositif technologique

Notre étude n’a pas spécifiquement pris pour cible l’évaluation de l’interface du logiciel SketSha.

Néanmoins, l’usage intensif qui en a été fait lors de l’atelier est tout de même éclairant à ce sujet.

Nous listons ici une série de recommandations pour l’amélioration de l’environnement du SDC.

Tout d’abord, in nous faut noter que certaines améliorations doivent lui être apportées sur le plan strict de l’interaction : la palette de calques peut prêter à confusion et devrait être revue et les modes d’interaction avec le widget de manipulation, qui sont parfois source d’erreurs, pourraient être améliorés. Nous ne rentrons pas ici dans le détail de ces considérations, qui sortent du cadre de ce travail.

Quatre autres aspects de l’environnement du Studio Digital Collaboratif retiennent principalement notre attention : sa connectivité avec le monde réel, la richesse de son expression graphique, la création d’outils dédiés et la réflexion organisationnelle liée à son usage.

Ainsi, Scaife & Rogers (1996) proposent plusieurs recommandations pour la conception de représentations graphiques sur des systèmes interactifs.

• Favoriser la visibilité et le caractère explicite des représentations. Il convient de sélectionner quels éléments doivent être saillants, compte tenu de la tâche, et quels « indices perceptuels » doivent être fournis.

• Proposer des représentations interactives qui peuvent supporter une fonction de « trace cognitive ». Les annotations ont ici un rôle intéressant à jouer.

• Préférer des représentations avec une certaine facilité de production : il est plus aisé de comprendre un diagramme quand on maitrise sa construction.

• Combiner des types de représentations externes différentes.

• Permettre de partager pour aboutir à des représentations graphiques distribuées.

Premièrement, comme nous l’avons vu, la collaboration dans l’atelier est portée par de nombreux documents de nature très différente, de niveaux de détails variables et ayant chacun une utilité particulière dans la conception. La flexibilité dans l’usage de ces diverses représentations est un gage d’une collaboration de qualité. Cela est consistant avec Scaife & Rogers (1996), qui suggèrent que « l'efficacité représentationnelle » vient de la possibilité de combiner plusieurs représentations de types variés. Les environnements de collaboration doivent de ce point de vue être ouverts, c’est-à-dire permettre des échanges avec le monde réel et les autres outils de représentation. Il est donc essentiel que tous ces documents puissent être importés de manière fluide dans SketSha. La diversité des formats d’importation, la facilité et l’immédiateté de l’import sont des éléments essentiels pour que le logiciel puisse supporter des versions fortes de la collaboration. En outre, les modes d’export ne sont pas très efficaces actuellement : le logiciel ne permet de ne générer qu’un document PDF à la fois ; l’impression, aussi, doit s’effectuer page par

page ; et le fichier SketSha contenant tous les documents n’est, quant à lui, pas utilisable en dehors du logiciel. Un travail essentiel de connectivité est donc à réaliser dans le logiciel, afin que celui-ci s’intègre harmonieusement aux autres pratiques de travail.

Deuxièmement, comme nous l’avons déjà identifié pour l’usage des interfaces-esquisses dans la conception individuelle, un effort particulier doit selon nous être dirigé vers la création d’outils pour favoriser une expression graphique riche. Actuellement, le logiciel ne permet que très difficilement l’écriture ou le dessin « figuratif ». Ceci est dû à l’uniformité des traits et à certains décalibrages, réduisant la précision. Ce défaut lié à l’expression graphique nous semble cependant plus lié au dispositif matériel que logiciel. Le Bureau Virtuel possède en effet une surface de travail très large, ce qui réduit de facto sa résolution. L’utilisation de tablettes-écran de format A3, sans avoir été testée de manière systématique, nous semble pallier à ce problème. Ces tablettes ne permettent pas en revanche de travailler à plusieurs sur le même espace co-localisé, et ne supportent donc que la communication en tête à tête. Pour pouvoir cependant utiliser un dispositif de grande taille, celui-ci devrait permettre plus de nuances dans l’expression. La prise en compte de la pression ou l’inclinaison du stylo pour le tracé, actuellement indisponibles sur des environnements de grande taille, ou encore l’utilisation des projecteurs de future génération à très haute résolution devraient permettre de pallier à ce problème.

Troisièmement, l’utilisation de l’environnement comme « espace de travail » est porté par de nombreuses annotations souvent à caractère éphémère (mais persistantes dans SketSha) alors que son utilisation comme « outil d’édition de documents » est soutenue par la pérennité de ces annotations.

Scaife & Rogers (1996) insistent sur la nécessité de pouvoir supporter une fonction de trace cognitive dans la collaboration. Or, dans un des deux fonctionnements différenciés, cette trace n’existe pas car elle est supplantée par une utilisation de l’environnement comme un espace de travail temporaire, par ailleurs très efficace en soutien à la collaboration. Les productions graphiques dans SketSha ne sont pas très réutilisables : les annotations de pointage et certains surlignages sont des informations inutiles en dehors du cadre strict de la réunion.

Dédicacer des outils permettrait sans doute de faire coexister ces deux modes de fonctionnement.

Le pointage et les informations de contextualisation du dessin pourraient être effectués par des outils spécifiques permettant de laisser une trace éphémère sur le dessin. Cependant, dédicacer des outils virtuels aux différents comportements d’annotation nous semble aller à l’encontre de l’aspect « invisible » de l‘environnement.

Une autre piste se situe dans le développement d’interacteurs complémentaires pour effectuer les annotations de pointage. Elles pourraient par exemple être prises en charge par un dispositif de reconnaissance gestuelle (Vandamme et al. 2007) permettant de reconnaitre les gestes de pointage effectués à la main. Dans le même ordre d’idée, une fonction de trace temporaire (« comète ») est actuellement à l’étude. Celle-ci permettrait de laisser une trace temporaire derrière le pointeur lorsque l’utilisateur déplace le stylo à proximité de la table sans dessiner, permettant ainsi d’effectuer des gestes de pointage avec la pointe du stylo, la trace laissée par ces gestes s’effaçant après quelques secondes.

Enfin, nous devons noter que l’utilisation du dispositif doit aussi être pensée dans une optique organisationnelle : le dispositif synchrone crée en effet de nouvelles pratiques. Il ne peut remplacer, selon nous, les réunions de coprésence. Mais il peut fournir un support pour une organisation de la collaboration sur un mode plus couplé permettant, à moindre frais, des réunions régulières entre acteurs distants. Un des utilisateurs professionnels du système a d’ailleurs souligné le bouleversement que l’introduction de ce dispositif peut engendrer dans les organisations : en permettant des contacts quotidiens, les rapports de pouvoir sont rééquilibrés, notamment quand le processus est scindé entre une équipe de « conception », responsable de la

définition du bâtiment, distante d’une équipe « sur site », chargée de la gestion du chantier et des adaptations locales nécessaires. L’introduction du dispositif permet d’impliquer de manière bien plus forte ces équipes locales au cœur même de la conception (voir Safin & Leclercq, 2009).

Cependant, si ces potentialités peuvent paraitre séduisantes, la remise en cause des structures de décision et la création de nouveaux modes de travail et de nouvelles responsabilités induites par les technologies de collaboration peuvent potentiellement mener à leur rejet (Gronier et al., 2000).

Il convient dès lors, pour une utilisation du dispositif en contexte professionnel, d’accompagner sa mise en œuvre par des réflexions d’ordre organisationnel.

7. Conclusion

Cette étude est originale à plus d’un titre : elle aborde spécifiquement l’usage de la modalité graphique en conception, elle étudie les comportement d’annotations de documents et elle le fait en adoptant un point de vue longitudinal. Le contexte dans lequel s’est déroulée s’est étude est unique en son genre. Compte tenu de ces originalités, elle se veut surtout être un premier pas dans l’identification des fonctions cognitives portées par le dessin numérique partagé.

L’étude prend un point de vue centré sur les usages du dispositif original qu’est le Studio Digital Collaboratif. Elle nous renseigne de manière approfondie sur l’utilisation qui est spontanément faite du dispositif dans des situations de collaboration. Les situations observées montrent une intrication complexe de multiples facteurs pour expliquer les comportements collaboratifs, l’utilisation des représentations externes et des esquisses numériques, et la qualité du processus.

Cette étude nous permet d’envisager la critique de deux hypothèses.

Hypothèse 1 : le stylo électronique possède des contraintes propres, qui limitent les possibilités expressives et rendent le croquis numérique différent de l’esquisse papier-crayon.

Ici encore, comme en conception individuelle, on constate que les contraintes sur le dessin dans l’environnement numérique impliquent une restriction de l’expressivité graphique. On n’observe ni texte, ni dessins graphiquement élaborés. En revanche, au point de vue fonctionnel, les annotations numériques sont utilisées de manière polyvalente notamment pour suppléer des gestes de pointage.

Hypothèse 3 : l'esquisse numérique, en tant que modalité particulière de communication distante, permet de soutenir des versions « fortes » de la collaboration.

Nos observations montrent qu’effectivement, la modalité graphique de communication permet de soutenir des versions fortes de la collaboration. L’usage du stylo électronique et de l’esquisse numérique dans la communication distante permet de soutenir les différentes activités nécessaires à la conception collaborative et ce, de manière polyvalente. Cependant, la présence de la modalité graphique ne semble pas inciter en soi les concepteurs à collaborer de manière couplée.

Nous observons que les comportements d’annotation sont surtout utilisés pour soutenir la conception telle que mise en place spontanément dans les groupes. Ils nous renseignent donc aussi sur les facteurs de succès d’une collaboration de qualité.

Notre étude a certaines limites qui ne permettent pas de conclure de manière définitive quant aux hypothèses, mais elle propose des pistes d’interprétation des comportements d’esquisse. Ainsi, fort de ce bagage, nous pourrions mettre en place des approches plus systématiques de l’analyse de l’utilisation des documents et des annotations, par la comparaison de situations différentes (à distance vs. en coprésence ou avec vs. sans la modalité graphique) et par l’utilisation d’approches quantitatives et inférentielles. Nous pourrions ainsi déterminer le « poids » relatif des différentes fonctions de l’annotation dans le processus collaboratif.

Dans cette étude, nous avons cherché à comprendre le rôle de l’esquisse numérique en tant que modalité graphique dans la communication à distance et son rôle dans la collaboration. Pour ce faire, nous nous basons sur plusieurs types d’analyse de l’activité collaborative de trois groupes d’étudiants engagés dans un processus de conception collectif à distance pendant douze semaines.

Dans un premier temps, nous décrivons l’activité collaborative des trois groupes. Celle-ci apparait bien différente : le premier groupe est engagé dans un processus de conception décentralisé (conception distribuée) et parvient à un résultat de bonne qualité. Le deuxième groupe est caractérisé par une gestion très couplée du processus, une excellente qualité de la collaboration et un résultat tout aussi satisfaisant que le premier groupe. Le troisième groupe, en revanche, obtient un résultat plus faible notamment car leur activité collaborative est caractérisée par un conflit d’importance. Ces différences très fortes entre les trois groupes nous permettent de comparer l’usage de l’esquisse numérique en fonction du type d’activité collaborative mise en place.

Ensuite, nous caractérisons et comptabilisons l’ensemble des documents échangés par les étudiants lors des séances de collaboration, dans le but de situer l’usage du dessin numérique parmi tous ces fichiers d’échange.

Nous montrons que chaque type de représentation externe possède des fonctions et utilités propres dans le processus de conception. L’esquisse numérique, quant à elle, permet tout au long du processus un échange d’idées entre les partenaires et est particulièrement exploitée en soutien à des versions couplées de la collaboration.

Nous abordons dans un troisième temps spécifiquement l’activité d’annotation de documents. Sur base d’une analyse quantitative et d’une analyse d’activité, nous identifions les différentes fonctions portées par les annotations : compléter un document, synthétiser un dessin, attirer l’attention des partenaires sur des référents spatialisés, contextualiser des informations, etc. Nous montrons qu’en fonction des modes de collaboration installés dans le groupe, deux attitudes d’utilisation des annotations numériques sont observables : l’une consiste à éditer des documents, à les compléter et à les modifier, l’autre vise à disposer d’un espace de travail éphémère, orienté vers le débat et la génération de solutions multiples.

Nous discutons enfin de ces résultats en les mettant en rapport les uns avec les autres, critiquons nos méthodes et proposons des pistes de développement pour les interfaces-esquisses visant à soutenir la collaboration, et des améliorations du dispositif pédagogique que nous avons observé.

CHAPITRE 7

Conclusions