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6- Modalité scalaire et les confréries libyennes

Conclusion de la première partie

III- 6- Modalité scalaire et les confréries libyennes

La notion de métrique temporelle correspond au striage du temps, c’est-à-dire à son étalonnage en valeurs de référence, permettant de mesurer un phénomène diachronique.

La notion de métrique est envisagée d’abord conformément aux propositions notionnelles de Simha Arom365. Pour cet auteur, en effet et à l’instar de la métrique poétique, la métrique musicale consiste en la détermination des durées (intervalles de temps) composant un phrasé musical par rapport à une valeur constante, prise comme étalon, « d’où est absente toute idée de hiérarchisation ». La détermination des durées est obtenue, selon le contexte, par multiplication d’une subdivision temporelle élémentaire ou par

365Simha, AROM, « L’organisation du temps musical : essai de typologie », Une encyclopédie pour le XXIe siècle, vol. V, L’unité de la musique, sous la direction de Jean-Jacques Nattiez, Arles, Actes Sud, 2007, p. 927-944.

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division d’une pulsation366. La détermination des cadres temporels périodiques est obtenue par dénombrement des temps (pulsations isochrones en métricité régulière et temps premiers en métricité irrégulière).

IV-1-1-1- Étalon métrique

Pour Simha Arom367, le metrum se définit comme étant la valeur métrique constante prise comme étalon, par rapport à laquelle sont déterminées toutes les durées,

(1) soit par multiplication, pour le temps premier,

(2) soit par division, pour le "tactus", "pulsation", "unité de temps isochrone" ou "battue"368.

Il existe deux types d’étalon selon Simha Arom369, « la pulsation – dont la conception est proche de celle du tactus médiéval – et la valeur la plus brève, l’équivalent du chronos protos de la Grêce antique. […] On peut dire de la métrique que la pulsation – cette "battue" dont parle Rousseau – en est la pierre angulaire, en ce qu’elle peut faire non seulement l’objet d’une division, mais également d’une multiplication. Elle constitue ainsi l’unité de référence pour la détermination de séquences qui – indépendamment de leur dimension – en sont toujours des multiples entiers »370.

Plus particulièrement la pulsation est pour cet auteur un « étalon isochrone constituant l’unité de référence culturelle pour la mesure du temps »371, en même temps qu’une « succession d'unités de temps isochrones et d'égale intensité

366Ibid., p. 934. 367 Ibid. 368 Ibid. 369 Ibid., p. 936. 370 Ibid.

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pouvant être [matérialisée] par un geste, par des battements de mains ou par tout autre procédé percussif »372.

IV-1-1-2- Cadre métrique périodique

Pour ce même auteur, le cadre métrique périodique correspond à l’agencement métrique réitératif de durée fixe engendrant périodicité et séquenciation par dénombrement des temps (pulsations isochrones en métricité régulière et temps premiers en métricité irrégulière)373.

IV-1-1-3- La problématique de la pulsation

La définition de la notion de pulsation et sa caractérisation posent cependant problème dans la littérature. Ainsi Simha Arom condamne-t-il la pulsation à l’isochronie, étant de durée multiple de celle de l’étalon métrique. Et pourtant cet auteur fait reposer la configuration des rythmes de type aksak sur des groupements irréguliers d’étalons isochrones, mais sans pour autant rattacher ces groupements à la notion unitaire de pulsation.

Or, c’est le précisément le propos de Jacques Bouët dans un article consacré à cette question notionnelle374, en se référant notamment aux travaux de Constantin Brăiloiu sur le giusto syllabique (1952) et la rythmique aksak (1951). La bichronie de ces deux types de rythmique irrégulière repose en effet sur l’existence de deux unités métriques de même statut et irréductibles l’une à l’autre. Ainsi ces valeurs bichrones en métrique à la fois périodique et irrégulière relèvent-elles en toute logique de la notion de pulsation irrégulière se déclinant en au moins deux valeurs différentes sur un même segment musical. Cette pluralité pulsatile que Nidaa Abou Mrad qualifie d’anisochrone « s’accroît

372Simha, AROM, « À la recherche du Temps Perdu : Métrique et rythme en musique », Les rythmes. Lectures et théories, J.-J. Wunenburger (éd.), L’Harmattan, Paris, 1992, p. 195-205, p. 197.

373AROM, op. cit., 2007.

374 Jacques, BOUËT, « Pulsations retrouvées : outils de la réalisation rythmique avant l’ère du métronome », Cahiers de musiques traditionnelles, no 10 (1997), « Rythmes », Ateliers d’Ethnomusicologie, Genève, 1997, p. 107-125.

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en contexte métrique polychrone, qu’il relève d’une rythmique périodique ou qu’il soit associé à des rythmes a priori non-mesurés ou à des rythmiques associées à un tempo ou agogie375 variable, comme le rubato et les rythmes ovoïdes376 »377.

Pour cet auteur378 cette unité d’articulation temporelle de l’énonciation verbale (poétique ou prosodique), musicale ou chorégraphique « tire sa pertinence analytique à la fois de sa propre structuration temporelle et de son aptitude à entrer dans une relation d’appariement distinctif avec une qualité sensible ou quale379 psychoacoustique (pour la parole et la musique) ou gestuel (pour la danse et le rituel) propre à l’ordre sémiotique étudié et relevant d’un autre paramètre perceptif que le temps.

Pour une syllabe proférée en un intervalle temporel donné et faisant office de « pulsation » métrique poétique (ou prosodique prosaïque), l’appariement se fait avec des qualia phonologiques qui se rapportent au timbre des phonèmes constitutifs de la syllabe et aux variations prosodiques de hauteur (intonative) et d’intensité (accentuelle) qui lui sont inhérentes. « Quant aux qualia psychoacoustiques qui s’apparient à une pulsation musicale, elles sont du ressort de la hauteur mélodique, du timbre et de l’accentuation. Il en est de même pour les éléments pulsatiles des pas chorégraphiques et des moments rituels, consistant en gestes, postures et mouvements, qui se déclinent en qualités distinctives, essentiellement proprioceptives (pour la personne qui bouge) et/ou

375« Le terme « agogie » désigne les irrégularités du rythme à un niveau infime dans le but d’articuler le flux musical en fonction de sa métrique, de ses gestes et de ses phrases » (Cité par Abou Mrad, voir la citation 377).

376 Jean, DURING, « Rythmes ovoïdes et quadrature du cycle », Cahiers de musiques traditionnelles, no 10, « Rythmes », Ateliers d’Ethnomusicologie, Genève, 1997, p. 17-36.

377ABOU MRAD, op. cit., article écrit en 2014 et non encore publié.

378Ibid.

379Le quale (pl. qualia) est un terme employé en philosophie de l’esprit et en recherches cognitives en référence à des instances individuelles de l’expérience de la conscience. Il renvoie plus particulièrement à une propriété de la perception et de l’expérience sensible, les qualia étant « les manières selon lesquelles les choses nous apparaissent » (Dennett, DANIEL, "Quining Qualia", Consciousness in Modern Science, A. Marcel and E. Bisiach, eds, Oxford University Press, 1988, p. 42-77, p. 381).

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visuelles (pour tout le monde), qui sont inférées des figures d’articulation corporelle et de configurations spatiales »380.

Nidaa Abou Mrad propose de considérer un autre type d’appariement pour cette unité pulsatile. Il s’agit de la correspondance entre les unités pulsatiles de différents ordres culturels. Cette correspondance peut se faire d’une manière directe et explicite, lorsque deux ordres sémiotiques opèrent simultanément. « Ainsi dans le binôme parole/musique, consistant en une cantillation de prose ou en un chant de poème, la prosodie), parole/geste rituels et danse/musique ou rituel/musique, ou lorsque plusieurs de ces ordres sont concomitants, comme dans les trinômes parole/danse/musique et parole/rituel/musique et les quadrinômes parole/rituel/danse/musique. Dans ces situations d’interférence, la hiérarchisation culturelle ou cultuelle de ces ordres impose une structuration du flux temporel des énoncés à partir de l’ordre hiérarchiquement prédominant »381.

IV-1-2- Le rythme

La définition générale que donne Émile Benveniste382 de la notion de rhythmos réfère à une « manière particulière de fluer », « inhérente aux formes articulées du mouvement » et se différenciant par sa mobilité de celles fixes de skhèma et de morphé.

Quant à Simha Arom, il définit le rythme en tant que modalité selon laquelle des durées différenciées sont regroupées : « la métrique est la trame muette sur laquelle le rythme se déploie »383.

Selon Rodolphe D’Erlanger384 « un rythme, […] est, en somme, une succession de battements déterminant des mesures, généralement dissemblables

380ABOU MRAD, op. cit., (non encore publié), 2014.

381 Ibid.

382Émile, BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale, t. I, Gallimard, 1966, p. 330-332.

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soit par la durée soit par la forme, mesures dont l’ensemble constitue une période qui se répète tout le long de la composition. ». Par ailleurs, il ajoute que « la mesure ne fait que contenir la mélodie ».

IV-1-2-1- Forme rythmique

Il résulte de ce qui précède que la forme rythmique est legroupement de durées, dont l’un au moins de ses constituants est marqué par un trait distinctif, de l’ordre

(1) de l'accent (à réitération régulière ou irrégulière) – opposition matérialisée par une marque d’intensité385 ou par l’allongement d’un transitoire d’attaque (instrumental ou phonétique),

(2) de la différenciation de timbre386, (3) de l’opposition de durées inégales387, (4) du contraste de registres388,

(5) de l’insertion de silences brefs ou respirations, induisant une alternance sec/tenu389.

IV-1-2-2- Figure ou module rythmique

La figure ou module rythmique est la forme rythmique réitérée et délimitée par une période390.

384D’ELANGERR, op. cit., 1959, p. 7-8.

385Simha, AROM, « L’aksak, principes et typologie », Cahiers de musiques traditionnelles, « Formes musicales », N° 17, Genève, Ateliers d’Ethnomusicologie, 2005, p. 20.

386Ibid.

387 Ibid.

388Picard, François, 2005a, « Rythmes et durées, pour une musicologie généralisée »,http://www.crlm.paris4.sorbonne.fr/ethnomusicologie/Rythmes.pdf (accédé le 24/08/2009), p. 2.

389 Ibid.

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Plus généralement, Nidaa Abou Mrad391 propose de rapporter la notion de rythme à la différenciation distinctive (quantitative ou accentuelle, contrastive et récurrente) des durées des qualia (ou qualités spécifiques variables) du flux de conscience392 et leur séquençage/articulation au sein de formes signifiantes.

IV-1-3- Tempo

Le tempo se définit comme la vitesse393 affectée à l’étalon temporel.