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Le dialecte tripolitain est probablement utilisé dans la chanson tripolitaine depuis l’apparition de ce genre de musique. Il représente un élément important du rapport chanson tripolitaine-public. À travers le dialecte, la chanson s’adresse à l’auditeur en son propre langage.

Avant d'entrer dans le détail de cette étude, il nous paraît nécessaire d'éclairer certains termes, afin de les identifier et d’en comprendre les contenus. À cet égard bornons-nous aux termes principaux. Ces termes qui entrent dans le cadre de la langue arabe sont l'arabe littéraire et l’arabe dialectal. L’arabe littéraire doit son importance au maintien d'un lien avec le passé et à sa sainteté dans la langue du Coran. Dès les débuts de l’expansion musulmane en Afrique du Nord, la langue arabe littérale est apparue sous une double forme : écrite et orale. La forme écrite a subsisté pendant des siècles. Elle a été soumise à une forme inviolable employée pour l’enseignement religieux à travers, d’une part, des établissements religieux comme al-zāwiya170, d’autre part, des cadres de

l’administration. En outre, La langue arabe est, pour le locuteur arabe, la langue de référence dans le patrimoine culturel arabo-musulman. La langue arabe

170 Plurielle Zawāyā, est un lieu de confrérie où l’on apprend la langue arabe, le Coran et le ḏikr qui est la cérémonie religieuse confrérique musulmane (évoquer le nom de Dieu).

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classique n’est plus utilisée comme moyen de communication spontané et n’est plus la langue maternelle dans aucun pays arabe quel qu’il soit. Dans chaque pays arabe, le moyen de communication utilise la forme orale qu’est l’arabe dialectal. La seconde est donc la langue arabe dialectale dont il existe plusieurs variétés. Nous pouvons observer des oppositions entre les dialectes citadins, ruraux et bédouins ainsi que le parler tripolitain (de Tripoli), le parler benghazois (de Benghazi), …etc. Malgré la variation du langage, cette particularité ne bloque jamais la communication entre les locuteurs des différents pays arabes171.

Le dialecte libyen est caractérisé par la prononciation en arabe littéral de la lettre « q » qāf (ق ) comme la lettre ğīm ( ج) du dialecte égyptien ou la lettre

« g » du latin en arabe dialectal de Tripoli, ensuite, par l’utilisation de la lettre

« N » (ن ) remplaçant la lettre « Ã » ( أ) dans le discours du locuteur. Par

exemple ‘’aurîdo’’ (ديرأ) signifie « je veux » et est prononcé ‘’nourîdo’’ (ديرن) « on veut ». Le dialecte tripolitain, objet de notre étude, est l’un des dialectes libyens. Il est caractérisé par la vitesse de prononciation. De plus, il est proche de la langue parlée de l’Est de la Tunisie. Par ailleurs, il est plus simple et clair que les dialectes tunisiens de l’Est. Il est un peu influencé par l’italien au lieu du français. Dans le cadre de termes dialectaux utilisés par les tripolitains voici quelques exemples: le mot ‘’Halbah’’ (هبله) signifie « beaucoup ». Le mot ‘’taoiā’ ( وتا ) a le sens de « maintenant » …etc.

En résumé, cet extrait montre la spécificité du dialecte tripolitain en ce qui concerne la prononciation des lettres dans certains mots, de même que la substitution des lettres représentant les pronoms personnels. Dans une étude approfondie Mohamed Oraiytt172 a cité le rapport le plus fiable entre la langue

171 Michel, QUITOUT, Paysage linguistique et enseignement des langues au Maghreb des origines à nos jours, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 77-82.

172 Mohamed, ORAIYTT, Ā’ndakum nabā’ ? [Avez-vous des nouvelles ?], série Livre du Peuple, Al-Munšā’ah al-’āmah le-našer w-a-taosī‘. Tripoli, 1984.

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classique et la langue vernaculaire : « Si nous tournons les pages de n’importe quel dictionnaire, nous retrouverons beaucoup de mots vernaculaires qui ne diffèrent pas de la langue classique mais qui diffèrent un peu dans la prononciation. Ces différences de prononciation disparaissent en les écrivant sans accent et sans se soumettre à la grammaire qui respecte la circulation de certains caractères dans les accents al-Fataḥ, al-kaser et al-Dham173 » qui correspondent phonétiquement en français à a, i et o. Par ailleurs, l’essai de Rāmi Al-Sarrāj174 montre « qu’aller dans les dialectes peut commencer, mais il est impossible d’en terminer. Parce qu’ils sont renouvelés et évolutifs avec chaque génération selon leur culture ».

II-3- A-š-ši‘r a-š-ša‘bī

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et la chanson populaire

La définition de ce genre de littérature populaire n’a pas été définitivement établie par les chercheurs et les amateurs. Il a été nommé par certains A-š-ši‘r

al-’āmmī (poème vernaculaire), d’autres l’ont surnommé al-malḥūn (chanté). Par

ailleurs, la plupart disent qu’il s’agit du zadjal.

Tous ces termes manquent de précision dans leur définition. D’une façon générale, a-š-ši‘r a-š-ša‘bī, est un poème populaire qui exprime les émotions et les sentiments, mais qui ne diffère du poème littéraire ou classique que dans l’outil utilisé : le dialecte. En fait, la langue dialectale est la ramification de l’arabe littéraire en nombreux dialectes, résultat des invasions arabes : ces derniers ont produit une rencontre de civilisations et un métissage de termes. Du point de vue des différences de définition entre chercheurs, Zadjal est le terme le plus usité. Autrement dit, le terme est exclusivement utilisé pour désigner la

173 Les trois accents utilisables sur toutes les lettres alphabétiques de la langue arabe littérale selon la construction de la phrase.

174 Rāmi, SARRĀJ, « Al-Faṣīḥ al-mutadāwell fi lahget madînat Ṭrābulss », [langue classique circulée dans le dialecte de la ville de Tripoli], in Allahjatu a-l-libiyah fi faḍā’ihā al ‘arabī al‘aosaṭ baiyna al mašriq wa-l maġreb [Le dialecte libyen dans son espace moyen arabe entre Mašriq et Maghrbe], Académie de langue arabe, Tripoli, 2007, p. 235-242.

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poésie arabe dialectale s’adaptant bien à la musique, comme D’Erlanger l’a appelé la poésie populaire arabe de facture artistique176.

En Espagne musulmane, il a atteint son apogée avec Ibn Quzman al-Qurtubi177 qui s’en est servi pour ses panégyriques, mais également pour chanter la nature, le vin et surtout l’amour. Cependant, Lagrange178 a souligné dans sa thèse que Safiyy al-Dīn al-Hilālī179 (1277-1349) composa sur le modèle du

zadjal. Mais la création poétique en langue vernaculaire semble une nécessité si naturelle que le modèle andalou ne fournit en fait qu’un terme générique, zadjal, qui désigne en Égypte toute forme de poésie strophique en dialecte180. Il faut relever ici la spécificité instaurée d’emblée par Frédéric Lagrange entre la forme du zadjal andalous et celui des égyptiens. Elles sont confondues dans le même paragraphe indiquant que le dialecte égyptien est influencé d’un côté par la langue coranique de l’autre par la langue classique. Pourtant, les deux éléments existaient à l’époque andalouse au temps de la création du zadjal. En effet, Lagrange invoque l’usage du dialecte dans une poésie de structure classique chez les soufis dans la première partie du XIXe siècle et dans la seconde marquée par l’évolution du zadjal qui se définira ensuite au XXe siècle comme « adāb al-ša‘b » (littérature du peuple). Or, l’étymologie est parfois le seul procédé qui permette d’éclairer les éléments obscurs d’un ancien patrimoine culturel face à l’absence d’écrit historique et de trace sonore jusqu’au début du XXe siècle.

176D’ERLANGER, Tome 6, op. cit., 1959, p.635.

177 Le nom du premier poète, qui a excellé dans la composition du zadjal, mentionné par Ibn Khaldoun, décédé en 1160.Il est né vers 1086 à Cordoue. Il a perfectionné les langues Arabe et Romaine en composant d’abord de la poésie arabe, puis il s’est tourné vers la composition de zadjal. Cf. Ihsan, ‘ABBAS, Al-Muwaššaḥāt Al- Andalūsiya, Bayreuth, Maktabt al-Ḥayāh, 1965, p. 77.

178Frédéric, LAGRANGE, « Musiciens et Poètes en Égypte au temps de la Nahda », Thèse de doctorat, Université de Paris VIII à Saint-Denis, chapitre VI, 1994, p. 266.

179 Irakien vivant en Égypte, Né en 1277 à Hilla entre Bagdad et Koufa et mort en 1349 à Bagdad en Irak. Poète de langue arabe dialectale et classique. Auteur de plusieurs ouvrages littéraires.

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Le Zadjal, du verbe zadjala qui signifie émouvoir, est une forme poétique non écrite qui ne tient compte ni de la grammaire ni des formules correctes habituellement usitées. Mais, nous ne pouvons apprécier ce genre poétique ni comprendre ses métriques que par sa mise en musique qui le dégage de toute mutation et qui ensuite serait admiré par les récepteurs. Pourtant, Oraiytt, dans une interview, a soumis le zadjal populaire libyen au mètre Radjaz181 de la poésie arabe classique. Par exemple :