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PARTIE I VULNÉRABILITÉ, MODÉLISATION DES SYSTÈMES AGRICOLES ET ÉVALUATION ÉCONOMIQUE DES

CHAPITRE 2. MODÉLISATION DES EXPLOITATIONS AGRICOLES

2.4 Modélisation systémique

Dans cette section, il s’agit de présenter l’approche de modélisation systémique qui est une approche générique utilisée aussi bien en économie que dans d’autres disciplines (écologie, mécanique des fluides…).

2.4.1. Définition de l’approche systémique

L’approche systémique a été développée dans les années 50 et la théorie générale des systèmes formalisée par Von Bertalanffy (1968). Elle a été alimentée par les réflexions du Club de Rome16 (1972). Partant du constat que l’utilisation de modèles analytiques n’est pas adaptée aux problèmes complexes auxquels nous sommes confrontés, l’approche systémique propose une nouvelle conception de la modélisation visant à l’explicitation de ces phénomènes ; la finalité restant de pouvoir identifier les algorithmes sous-jacents aux phénomènes.

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Groupe de réflexion pluridisciplinaire réunissant des scientifiques, décideurs publics et industriels sur la problématique du développement dans un monde complexe et interdépendant. Ils se font mondialement connaitre en 1972 par la publication d’un rapport intitulé « The limits to growth ».

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Les travaux de Von Bertalanffy, puis LeMoigne (1990 ; 1994), permettent peu à peu de structurer l’épistémologie du courant systémique.

Un système y est défini comme un ensemble d’éléments en interactions (Von Bertalanffy, 1968, p37).

D’un point de vue méthodologique, l’étude des systèmes doit tenir compte de trois critères : - le nombre d’éléments ;

- leur espèce, au sens de leurs caractéristiques ; - les relations entre ces éléments.

Dans l’étude des systèmes, deux types de caractéristiques peuvent être distinguées :

- Les caractéristiques sommatives ne dépendent pas du fait qu’un élément se trouve à l’intérieur d’un système, c’est-à-dire qu’elles peuvent être déterminées sans connaissance du système et additionnées entre elles ;

- Les caractéristiques constitutives dépendent des relations spécifiques à l’intérieur du système et nécessite une compréhension et une formalisation des liens qui les unissent.

Les interactions entre les éléments confèrent des propriétés nouvelles ou émergentes au système complexe par rapport à ses différents éléments constitutifs.

L’approche systémique et la théorie des systèmes visent à promouvoir une approche globale permettant d’appréhender à la fois les caractéristiques sommatives et constitutives des phénomènes complexes.

Von Bertalanffy (1968) précise bien que cette approche ne s’oppose pas à l’approche de modélisation mathématique. Le langage mathématique permet d’exprimer des phénomènes de façon plus précise que le langage ordinaire en utilisant des algorithmes. Toutefois, il mentionne également qu’il est « préférable d’avoir d’abord un modèle non mathématique avec ses imperfections mais qui exprime un point de vue antérieurement négligé avec l’espoir de lui associer un algorithme correct que de partir de modèles mathématiques fondés sur des algorithmes qui risquent de restreindre le champ de vision ».

2.4.2. Modélisation dynamique des systèmes

La modélisation dynamique repose sur une approche fonctionnelle de définition de stocks et de flux (Sterman, 2000) :

stock(t) = t inflow(s)- ou low(s) ds+stock (t0)

t0

Ensuite des variables auxiliaires sont généralement introduites pour représenter les interactions entre les variations de stock et des variables externes. Ces modèles reposent principalement sur la définition d’une série d’équations différentielles.

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Ce type de modélisation est très utilisé pour les problématiques environnementales, notamment d’utilisation de ressources. Dans ce type de modélisation appliquée aux systèmes écologiques et économiques, le langage STELLA (figure 24) peut être utilisé (Costanza et al., 1998a ; Costanza et al., 1998b ; Costanza et al., 2001). Cette interface facilite la construction des modèles dynamiques. Il permet, par exemple, de traiter simultanément l’évolution hydrologique d’un bassin, l’évolution de pratiques agraires d’une population et ses revenus (Morardet et al., 2010).

(Costanza et al., 2001)

Figure 24 : Formalisme de la plate forme de modélisation dynamique STELLA

2.4.3. Modélisation systémique appliquée aux systèmes agronomiques

 Historique

L’application de l’approche systémique aux systèmes agricoles s’est développée dans les années 1980 (Hervé et al., 2009 p.27), principalement portée par l’unité « Systèmes Agraires et Développement » (SAD) de l’INRA (Brossier et al., 1990b). Dès les années 1970, une équipe pluridisciplinaire intégrant agronomie, zootechnie, économie, sociologie et biométrie s’est formée pour comprendre les freins à l’adoption du progrès technique. Au niveau international, à la même époque, l’approche systémique appliquée aux systèmes agricoles, appelée « Farming Systems », se développe également (Simmonds, 1985) pour analyser les politiques d’aide au développement. Les ressortissants de ce courant « systémique » se sont ensuite ouverts aux systèmes multi-agents (SMA) et aux jeux de rôles.

 Quelques concepts clés

Le courant de modélisation systémique des exploitations agricoles a introduit des concepts que nous mobilisons dans la modélisation de la vulnérabilité. Nous en définissons ici quatre particulièrement importants dans notre approche : le système de production, l’itinéraire technique, le modèle de décision et l’organisation du travail.

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Le système de production a été défini par Reboul (1976) comme un « mode de combinaison entre terre, forces et moyens de travail à des fins de production végétale et/ou animale ». En détaillant plus précisément les formes de capitaux mobilisées pour la production, nous considérons l’exploitation agricole comme un système mobilisant des capitaux physique, humain, financier et social à des fins de production végétale et/ou animale. Notons que les différentes formes de capitaux sont mises en interaction par une organisation des tâches de production gérée par une entité décisionnelle, l’exploitant.

Les concepts d’itinéraire technique, organisation du travail et modèle de décision sont profondément liés. Ils permettent de lier les actions menées par les exploitants au rendement produit sur les parcelles. Ainsi, l’itinéraire technique, défini par Sébillote en 1978 (in Brossier et al., 1990b, p.23) comme « une suite logique et ordonnée de techniques culturales appliquées à une espèce végétale cultivée », permet d’établir une série de tâches devant être réalisées par l’exploitant pour atteindre un certain niveau de rendement. L’itinéraire technique est donc lié à une certaine organisation du travail sur l’exploitation agricole, gérée par l’exploitant qui prend des décisions routinières tactiques.

Le concept de décision a été au centre de la recherche systémique centrée sur l’action. S’appuyant sur le concept de la rationalité limitée, les chercheurs du SAD ont alors développé un « modèle d’actions » qui exprime les objectifs à atteindre ainsi que les règles de décision attenantes (Sébillote et al., 1990). Ces règles de décision sont formalisées par des agronomes sur la base d’enquêtes et de l’observation des pratiques des agriculteurs (Darré et al., 2004). L’intérêt de la définition de ces règles est de pouvoir aussi prévoir ce que l’exploitant envisage de faire dans le cas où les conditions ne permettent pas de suivre le calendrier (itinéraire technique) initialement prévu. Les modèles d’action envisagent donc la définition de solution de rattrapage selon le principe que l’agriculteur tente de se prémunir contre une non-réalisation ou une réalisation en conditions désastreuses (Sebillotte et al., 2010). Ces modèles d’actions sont particulièrement adaptés à la modélisation des décisions routinières. Pour les décisions non routinières, comme par exemple l’occurrence d’une inondation, ils ont été peu utilisés notamment, car les règles de décision sont plus difficiles à déterminer.

La modélisation de l’organisation du travail sur l’exploitation agricole développée par Attonaty et al. (1990) avec le modèle OTELO, repose sur l’établissement de calendriers de travail journaliers en lien avec les itinéraires techniques des productions et des règles de gestion. Elle a principalement été utilisée pour le conseil auprès des agriculteurs céréaliers en montrant l’influence des pratiques d’organisation du travail sur la productivité (Papy et al., 1988).

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Notre modèle n’a pas vocation à modéliser finement l’organisation du travail et les décisions routinières. Nous nous sommes concentrés sur les modes de gestion mises en œuvre par les exploitants suite à une inondation en considérant que l’organisation du travail en temps normal est régie par l’itinéraire technique et que, comme supposé dans les modèles d’action, l’exploitant cherche à éviter une non-réalisation des tâches et utilise des modes de réalisation alternatifs pour accomplir ces tâches. Nous précisons en conclusion quelles sont les contraintes portant sur les modes de réalisation alternatifs.