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PARTIE I VULNÉRABILITÉ, MODÉLISATION DES SYSTÈMES AGRICOLES ET ÉVALUATION ÉCONOMIQUE DES

CHAPITRE 1. CONCEPTUALISATION ET ÉVALUATION DE LA VULNÉRABILITÉ

1.7 Évaluation de la vulnérabilité

1.7.1. Évaluation par des approches multicritères

L’évaluation est au centre des questions de recherche sur la vulnérabilité et la principale difficulté reste l’élaboration de méthodes comparables et qualitatives (Luers et al., 2003 ; Polsky et al., 2007). Cette difficulté est intimement liée à la définition et l’évaluation des indicateurs de

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vulnérabilité. Nous présentons dans cette section les méthodes multicritères avant de présenter, dans la section suivante, les méthodes d’évaluation utilisant un indicateur agrégé.

Dans la littérature, deux approches de construction des indicateurs de vulnérabilité utilisés dans les méthodes d’évaluation multicritères de la vulnérabilité peuvent être distinguées :

- Les indicateurs de vulnérabilité choisis sont issus d’une analyse des processus de vulnérabilité sur des systèmes particuliers ;

- Les indicateurs sont produits sur la base d’un cadre conceptuel de la vulnérabilité existant. Dans le premier groupe, des approches d’analyse systémique de vulnérabilité ont été menées sur différents types d’enjeux comme les activités agricoles (Bauduceau, 2004a ; Reid et al., 2007) et économiques (Mengual, 2008). Ce type d’approches est plutôt orienté par l’analyse des systèmes et le cadre conceptuel de vulnérabilité est généralement moins formalisé que dans les approches du second groupe. Si ces approches permettent d’expliciter finement les mécanismes de vulnérabilité sur un type de système, elles manquent de généricité pour comparer la vulnérabilité sur différents systèmes.

Dans le second groupe, les approches reposent sur un cadre formalisé de la vulnérabilité et l’objectif est de pouvoir rendre les évaluations comparables quels que soient les systèmes étudiés. A cet effet, Polsky et al. (2007) présentent un cadre d’analyse de vulnérabilité basé sur des indicateurs classés en trois groupes : exposition, sensibilité, capacité d’adaptation. Cette décomposition de la vulnérabilité n’est pas cohérente avec notre conception de la vulnérabilité car dans notre approche exposition et capacité d’adaptation sont des concepts distincts de la vulnérabilité.

1.7.2. Évaluation économique de la vulnérabilité

 Variation de bien être et fonctions d’utilité

La définition de fonctions d’utilité permet aux économistes de mesurer la variation du bien être d’agents en fonction de variables ordonnées correspondant à un panier de biens. La mesure de la variation d’utilité ramenée à un seuil est utilisée pour étudier les phénomènes de pauvreté (Foster et al., 1984). Dans la lignée de ces travaux, Adger (2006) propose une évaluation de la vulnérabilité reposant sur la variation de bien être des individus et précise que pour différencier l’évaluation de la vulnérabilité de l’évaluation de la pauvreté, la définition du bien être doit être pensée dans un sens plus large que le seul revenu. La formalisation proposée par Adger est la suivante :

Où Vα est l’indicateur de vulnérabilité,

Wi représente le bien être de l’individu (de 1 à q, les individus sont de plus en plus vulnérables)

=

= q i i

W

W

W

n

1 0 0

1

V

α α

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W0 est le seuil de bien être en dessous duquel les individus sont considérés vulnérables

n les nombre total d’individus concernés (foyer, agriculteurs, communes…) q est le nombre d’individus au dessous du seuil de bien être

Plusieurs applications de cette mesure de la vulnérabilité ont été proposées :

- Ligon et al. (2003) proposent une mesure de la vulnérabilité reposant sur l’utilité des foyers. Dans cette analyse, la vulnérabilité est considérée comme le bien être résultant du niveau de richesse ainsi que de l’ensemble des aléas auxquels le système est soumis. L’indicateur d’utilité retenu est la dépense de consommation des foyers étudiés.

- Dans le domaine de l’économie du changement climatique, ces approches sont également utilisées (Tol, 2002). Les indicateurs tels que le revenu par habitant ou le produit intérieur brut sont généralement utilisés.

- Luers et al. (2003) proposent une évaluation de la vulnérabilité des systèmes agricoles au Mexique face à l’augmentation de la température liée au changement climatique. Le système considéré est une exploitation agricole. Le rendement du blé est utilisé comme indicateur du bien être. Une fonction a été établie pour exprimer le rendement en fonction de la température, du type de sol et du mode de gestion. Deux facteurs de stress (ou aléa) ont été pris en compte : le climat (variabilité et changement) et les fluctuations du marché.

- Antle et al. (2004) proposent d’évaluer la vulnérabilité des exploitations agricoles au changement climatique et leur capacité d’adaptation. Pour cela, il envisage la vulnérabilité comme une fonction de cinq variables que sont, les pratiques culturales (apport d’intrants), les différentes formes de capitaux affectant la production (manufacturés, humain, social, naturel), le régime climatique, les prix des intrants et les prix de vente. Selon les critères classiques d’optimisation en économie, la fonction de production est supposée concave. Les auteurs montrent, par une approche économétrique, que les impacts sur les revenus sont les plus importants pour les exploitants disposant des plus faibles dotations en capitaux.

Comme le souligne Adger (2006), la mesure du bien être par la définition d’une fonction d’utilité nécessite d’être en mesure de proposer une conception large de l’utilité ne se limitant pas seulement au revenu car sinon l’évaluation de la vulnérabilité se limite à l’évaluation de la pauvreté. Or, dans les faits, la plupart des études utilisent un indicateur lié au revenu du fait de la difficulté de mobiliser d’autres types de données.

Par ailleurs, l’étude menée par Luers et al. (2003) souligne la nécessité de bien connaitre les processus régissant la vulnérabilité des systèmes avant de les modéliser. Par exemple pour cette étude, il est nécessaire de déterminer la corrélation entre la température et le rendement des cultures, ou encore la corrélation entre le rendement, les pratiques des exploitants et leur revenu. En

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application, les modèles mathématiques retenus simplifient fortement cette complexité afin de proposer des solutions analytiques.

 Évaluation économique et évaluation de la vulnérabilité

L’évaluation économique des projets de gestion des inondations est présentée en détail au chapitre 3 (p 73). Dans cette section, nous montrons comment l’évaluation économique et l’évaluation de la vulnérabilité peuvent être liées.

L’objet d’une évaluation économique de projet est de mesurer la variation d’utilité produite par le projet par rapport à une situation témoin. La méthode d’évaluation économique la plus fréquemment utilisée est l’analyse Coût-Bénéfice. Elle consiste à évaluer et comparer les coûts et les bénéfices résultant de la mise en œuvre d’un projet. Les coûts sont définis comme l’ensemble des dépenses monétaires (coûts d’investissement, d’entretien…) et non monétaires (externalités et coûts d’opportunité) liées à la réalisation d’un projet. Les bénéfices correspondent à la valeur attribuée à l’ensemble des effets positifs d’un projet. Les effets correspondent aux modifications attendues sur des enjeux liées à l’occurrence d’une perturbation.

Pour être en mesure de proposer une variation de l’utilité totale, il faut donc être capable de proposer des méthodes d’évaluation des effets positifs et négatifs d’un projet ; les dépenses monétaires étant généralement mieux connues.

En France, Torterotot (1993) a proposé une définition de la vulnérabilité adaptée au cadre de l’évaluation économique de projet. Il définit la vulnérabilité comme une « fonction qui exprime les [effets] potentiels par rapport aux paramètres de l’aléa, aux enjeux (quantité et nature des biens exposés) et aux ressources mobilisables pour limiter les impacts (délai de réaction disponible, capacité des acteurs à réagir) » (Torterotot, 1993).

Lorsque l’évaluation est réalisée ex-post (après l’occurrence de l’aléa ou d’un projet), cela implique d’être en mesure de collecter et quantifier les effets sur les systèmes considérés. Ex ante (avant l’occurrence de l’aléa ou d’un projet), cela implique d’être en mesure de produire des modèles permettant de simuler ces effets sur les différents systèmes.

En pratique, l’évaluation économique des projets de gestion des inondations utilise généralement pour chaque type d’enjeux concernés, des fonctions de dommages qui permettent de relier un montant de dommages à une intensité de l’aléa. Ces fonctions reposent sur l’évaluation de la vulnérabilité des différents enjeux mais masquent la complexité sous-jacente à l’identification, la quantification et la valorisation des effets des inondations sur les systèmes. En pratique, le manque de compréhension des effets des inondations sur les systèmes et la difficulté à en proposer une valorisation monétaire, a conduit à une évaluation de la vulnérabilité très souvent réduite aux

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dommages directs. Cette simplification est de plus en plus critiquée (Brown et al., 2002 ; Hubert et al., 1999, p.46 ; Messner et al., 2005).

La difficulté réside donc bien dans l’identification des effets d’un aléa sur un système, ce qui nécessité une compréhension de la vulnérabilité des systèmes.

Gleyze et al. (2007) et Grelot (2004, pp. 20-42) proposent de distinguer endommagement matériel et fonctionnel afin de mieux qualifier les effets d’une inondation sur un système.

Nous retenons cette classification dans notre approche et distinguons deux types d’effets sur les éléments physiques suite à l’occurrence d’une inondation:

- les effets directs sur des biens physiques correspondant aux dégradations subies et nécessitant une action de réparation (en cas de dégradation partielle) ou de remplacement (en cas de destruction) pour revenir à l’état initial ;

- les effets liés à l’impossibilité d’usage des biens physiques qui correspondent à deux cas l’impossibilité d’usage pendant la période de submersion et l’impossibilité d’usage de l’élément avant sa remise en état s’il a été dégradé.