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PARTIE I VULNÉRABILITÉ, MODÉLISATION DES SYSTÈMES AGRICOLES ET ÉVALUATION ÉCONOMIQUE DES

CHAPITRE 2. MODÉLISATION DES EXPLOITATIONS AGRICOLES

2.3 Les couplages de modèles : les modèles bioéconomiques

Actuellement, les problématiques environnementales occupent une place majeure dans l’analyse des exploitations agricoles. Or, ces nouvelles problématiques nécessitent des modélisations plus explicites des interactions entre les pratiques des exploitants et les pollutions que les fonctions de production. Cette préoccupation a amené certains chercheurs à proposer des couplages entre des modèles économiques d’une part et des modèles biophysiques, agronomiques ou hydrologiques d’autre part.

2.3.1. Principes de modélisation

Un modèle bioéconomique d’exploitation agricole peut être défini comme un modèle qui lie une représentation des décisions des exploitants concernant la gestion des ressources à une représentation des modifications et externalités associées sur l’environnement (Janssen et al., 2007). Globalement, l’objectif des équipes de recherche développant depuis quelques années ces modèles est de pouvoir assembler les modèles développés dans plusieurs disciplines pour accéder à une évaluation intégrée des politiques (Janssen et al., 2007 ; Reidsma et al., 2010 ; Van Ittersum et al., 2008).

Janssen et al. (2007) proposent une classification des modèles bioéconomiques selon trois groupes en fonction de leurs objectifs :

- explorer la pertinence de configurations alternatives et d’innovations technologiques à l’échelle de l’exploitation, c’est-à-dire évaluer si une technologie est viable financièrement et aura des effets environnementaux positifs ;

- prévoir et évaluer les effets des changements de politiques agricoles (Berentsen et al., 1995) pour l’aide à la décision ;

- proposer des améliorations méthodologiques à l’attention des autres chercheurs.

Le couplage a d’abord été fait entre un modèle agronomique des impacts environnementaux des techniques de production d’une part, et d’un modèle économique, d’autre part. Par la suite, d’autres composantes sociales et environnementales ont été intégrées (Dent et al., 1995).

Concernant la modélisation de la fonction d’objectif, selon la revue des modèles bioéconomiques d’exploitations agricoles effectuée par Janssen et al. (2007), la plupart des modèles bioéconomiques utilisent des modèles de programmation mathématique normative fréquemment basés sur la programmation linéaire mais des techniques de plus en plus élaborées comme la programmation mathématique positive sont utilisées.

La principale difficulté rencontrée dans ce type d’approche est selon Flichman et al. (2003) est la compatibilité en termes d’entrées et sorties des différents modèles utilisés en couplage.

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Nous proposons dans les deux sous-sections suivantes une analyse des modèles développés dans deux projets de recherche qui visent une approche intégrée des couplages de modèles : APSIM et SEAMLESS.

2.3.2. The Agricultural Production Systems Simulator (APSIM)14

Le logiciel APSIM (Agricultural Production Systems sIMulator) est un cadre de modélisation modulaire qui a été développé par une unité de recherche australienne sur les systèmes de production agricole (ASPRU), composée à la fois des agences du CSIRO (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation) et du gouvernement de l’Etat du Queensland. APSIM a été développé au départ pour simuler les processus biophysiques dans les systèmes agricoles, en particulier, prédire les rendements des productions en fonction du climat, du génotype tout en considérant la gestion des ressources (eau, type de sol…) à l’échelle de l’exploitation agricole (Keating et al., 2003 ; McCown et al., 1996).

Toutefois, dans les publications les plus récentes (Moore et al., 2010), l’objectif est également de coupler ces modèles agronomiques afin d’obtenir des sorties en termes économiques et environnementaux en lien avec les pratiques vis-à-vis du changement climatique.

APSIM est composé des modules suivants :

- un ensemble de modèles biophysiques simulant les processus dans les systèmes agricoles (plante, érosion, évaporation…) ;

- un ensemble de modules portant sur les pratiques qui permettent de spécifier des règles de gestion ;

- plusieurs modules de gestion des bases de données d’entrées et de sorties du modèle ; - un processeur qui gère le processus de simulation.

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Source : Moore et al. (2007)

Figure 20: Architecture du modèle APSIM

Moore et al. (2007) ont proposé le cadre de modélisation, Common Modelling Protocol, qui pointe l’intérêt de la modularité pour modéliser les exploitations agricoles à différentes échelles (parcelles, élevage, exploitation…) ainsi que pour permettre l’intégration d’autres composantes ou sous-systèmes à modéliser et tester différents modèles de simulation pour chaque composante. L’encadré 1 propose d’approfondir l’analyse de ce modèle bioéconomique à travers un exemple d’application de la démarche APSIM.

Encadré 1 : Illustration de l’application d’un modèle hydro bioéconomique « Evaluation of the water use efficiency of alternative farm practices at a range of spatial and temporal scales: A conceptual framework and a modelling approach » (Moore et al., 2010)

Moore et al. (2010) utilisent le modèle biophysique APSIM en couplage avec le modèle économique MIDAS pour déterminer l’efficacité d’utilisation de l’eau pour différents systèmes de production en lien avec l’application de contraintes de gestion environnementales. L’intérêt principal de cette approche est de permettre de déterminer sur la base des modèles biophysiques et agronomiques les coefficients techniques associés à ces différentes pratiques plutôt que de les estimer sur dire d’experts comme le font la plupart des études sur le sujet. Ces coefficients techniques et le rendement issu des modèles biophysiques et agronomiques sont ensuite utilisés dans le modèle économique MIDAS. MIDAS est un modèle statique de programmation linéaire. La figure 21 montre comment est articulé le couplage entre le modèle économique (Money), le modèle biophysique (Water) et le modèle agronomique (Biomass).

Source : (Moore et al., 2010)

Figure 21 : Cadre de modélisation de l’évaluation de l’efficacité d’utilisation de l’eau (couplage APSIM/MIDAS)

Un des principaux intérêts de ce type de modèle est la modularité qui permet de travailler individuellement à l’amélioration de chacun des modules du modèle. Cependant, on peut constater que le lien entre le module économique et le module agronomique se fait principalement par

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l’intermédiaire du rendement et des coefficients techniques. Il n’y a pas dans le modèle de boucle de rétroaction entre les objets de ces modèles qui sont construits séparément.

2.3.3. La démarche SEAMLESS15

SEAMLESS est une plate-forme développée par des chercheurs européens qui vise principalement à permettre une évaluation intégrée (Integrated assessment) de l’impact des politiques publiques sur les systèmes agricoles à plusieurs échelles allant de la parcelle à l’Union Européenne. Tout comme APSIM, cette approche repose sur un cadre de modélisation modulaire. Les modules peuvent aussi bien être des modèles, que des bases de données ou même des indicateurs. Les enjeux liés au développement de cette initiative sont bien développés dans l’article de Van Ittersum et al. (2008). La démarche SEAMLESS s’organise autour de cinq modèles (figure 22) couplés permettant une analyse depuis l’échelle de la parcelle jusqu’à l’échelle européenne.

Source : Van Ittersum et al. (2008)

Figure 22 : Organisation du modèle SEAMLESS appliqué de l’échelle parcelle à l’échelle européenne

SEAMCAP est un modèle de marché qui utilise les sorties du modèle économique à l’échelle de l’exploitation (FSSIM) qui ont été préalablement traitées dans un modèle économétrique (EXPAMOD) permettant l’agrégation pour passer à l’échelle européenne. Le modèle d’exploitation agricole (FSSIM-MP) utilise un modèle de simulation du comportement des agriculteurs (FSSIM-AM) basé sur un modèle de production agricole (APES) et d’un modèle de programmation mathématique. Deux chaînes de modèles peuvent être distinguées. APES-FSSIM fait le lien entre un modèle de simulation biophysique et un modèle bioéconomique d’exploitation agricole.

Depuis les années 1990, l’approche SEAMLESS a été utilisée à différentes échelles pour l’évaluation de politiques (Wossink et al., 1992) et de l’innovation technique (Berentsen et al., 1995). La programmation linéaire a été principalement utilisée pour ces applications. Pour SEAMLESS, le simulateur de système agricole (Farming Systems Simulator, FSSIM) a été peu à peu amélioré,

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notamment par l’utilisation de la programmation mathématique positive (Louhichi et al., 2009). Il est présenté en détail dans l’encadré 2.

Encadré 2 : FSSIM, a bio-economic farm model for simulating the response of EU farming systems to agricultural and environmental policies (Louhichi et al., 2010)

FSSIM est un modèle d’optimisation qui maximise la marge brute totale des exploitations agricoles sous des contraintes de ressources et de politiques. La fonction d’objectif à maximiser, à savoir la marge brute totale, se compose d’une partie linéaire et d’une partie quadratique. Le modèle FSSIM est lui-même organisé de façon modulaire (figure 23). L’objectif de FSSIM est d’être générique et transférable. Pour cela, les auteurs ont particulièrement veillé à : (1) séparer les modèles et les bases de données et créer une base de données cohérente à l’échelle européenne pour l’élaboration d’exploitations types ; (2) élaborer un modèle modulaire permettant de prendre en compte de façon différentielle certaines composantes, contraintes ou méthodes de calibration.

Source : (Louhichi et al., 2010)

Figure 23 : Architecture du modèle FSSIM avec les composantes activées  ou non

Ce modèle permet de simuler ex ante les effets de la mise en place de politiques telles que la PAC, sur des exploitations types définies sur la base du Réseau d’Information Comptable Agricole.

Cependant, ces modèles ne permettent pas d’envisager le changement de structure des exploitations agricoles ou les phénomènes de rupture importants comme les catastrophes naturelles. Pour l’étude des changements structurels, Zimmermann et al. (2009) montrent que seuls deux types d’approches permettent de répondre à ces problématiques : la modélisation stochastique (chaînes de Markov) et les Systèmes Multi Agents. Les Systèmes Multi Agents requièrent pour l’élaboration des règles de comportement une connaissance assez fine des agents modélisés. Or, cette approche est difficilement envisageable avec les données existantes à l’échelle d’application choisie par

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SEAMLESS pour l’évaluation des politiques qui est l’échelle européenne et requerrait une collecte de données importante.

2.3.4. Intérêt et limites de ces approches

L’avantage principal des approches de couplage de modèles repose sur leur caractère modulaire. Cela leur permet d’envisager une amélioration différentielle de chaque sous-modèle et la comparaison des résultats obtenus en utilisant différents sous-modèles développés dans la même optique. Par ailleurs, comme l’illustre la démarche SEAMLESS, ils permettent d’envisager le changement d’échelle qui est une problématique majeure pour l’analyse des politiques publiques.

Cependant, ces approches présentent également certaines limites. En effet, comme nous l’avons vu dans les sections précédentes, le couplage repose sur l’utilisation de sorties d’un sous-modèle pour alimenter, en entrée, un autre sous-modèle. Cette conception modulaire nécessite que les interactions entre les objets de deux sous-modèles différents soient déjà bien connues afin que les entrées et sorties des différents sous-modèles soient cohérentes. Mais, la raison principale de l’impossibilité de mobiliser, au stade actuel de la recherche sur la vulnérabilité, les approches par couplage est que les modèles d’endommagement des exploitations agricoles ont été peu investigués.