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Éléments de retours d’expérience sur deux catastrophes

PARTIE I VULNÉRABILITÉ, MODÉLISATION DES SYSTÈMES AGRICOLES ET ÉVALUATION ÉCONOMIQUE DES

CHAPITRE 3. ÉVALUATION ÉCONOMIQUE DES PROJETS DE GESTION DES INONDATIONS

3.5 Éléments de retours d’expérience sur deux catastrophes

Selon les estimations des retours d’expérience, les dommages agricoles résultant de la tempête Xynthia (27-28 février2010) s’élèveraient à 71,5 millions d’€ (Léonard, 2010) pour les deux départements (Charente Maritime et Vendée) et, ceux liés aux inondations du Var de Juin 2010 à 50 millions d’euros (La France Agricole, 11 août 2010). Ces dommages estimés correspondent aux pertes de récolte et aux pertes de fonds (verger, troupeau). Ces deux évènements majeurs ont permis également de mettre en évidence la complexité des dommages subis sur les zones agricoles et le besoin d’une meilleure évaluation de ces dommages.

Cet extrait de La France Agricole (publié le 5 juillet 2010) intitulé « Var : les agriculteurs durement touchés par les inondations du 15 juin » suite aux inondations met en évidence plusieurs points occultés par les méthodes classiques d’évaluation des dommages et que nous proposons d’analyser à partir d’extraits.

« « J’étais assuré », reprend Éric Féménia. « Mais j’ignore quand la compagnie d’assurances débloquera les fonds ». Les agneaux devaient être abattus et vendus en novembre, pour la fête de l’Aïd el-Kebir. L’éleveur n’a pas encore chiffré les pertes. Il les estime à l’équivalent d’une année de revenu, voire plus. Il doit, en effet, reconstituer un troupeau. Or, il ne pourra pas racheter de bêtes auprès de ses confrères avant la fin de la période de détention liée à la prime à la brebis, en mai. «Avant que je remonte un troupeau identique à celui que je possédais, il faudra des années », déplore t-il. « J’avais procédé à de la sélection, les bêtes connaissaient les lieux de pâturage... »»

Cet extrait pointe deux problèmes. D’abord, les pertes de fonds peuvent mettre plusieurs années à se reconstituer car pendant la sélection ou la mise en production, l’exploitant ne reçoit pas de bénéfice de sa production. Ensuite, cet extrait met aussi en évidence les difficultés de trésorerie auxquelles les agriculteurs peuvent être confrontés suite à l’inondation surtout lorsqu’elle intervient avant récolte pour remettre en route l’exploitation.

Autre point soulevé par un second extrait du même article : « Les six hectares de vergers, pêchers, abricotiers, pruniers, inondés sous 2,20 mètres d’eau, ont aussi souffert. Les pêches, recouvertes de limon, pourrissent sur les arbres. ». On constate ici que dès que les fruits sont touchés, ils ne peuvent plus être vendus. Nos enquêtes auprès d’agriculteurs ont montré que le temps de nettoyage était important pour reprendre la culture et éviter le développement de maladies les années suivantes.

« « Nous n’avons pas pu traiter car il était impossible d’accéder aux parcelles », ajoute l’agriculteur. En attendant, il a remis en culture des melons et des tomates sur des parcelles non sinistrées. La récolte, prévue à la fin d’août, atténuera les pertes. »

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Ainsi, nous pouvons constater que l’accessibilité aux parcelles peut empêcher la réalisation de certaines tâches de production et causer des potentielles baisses de rendement. Il est également nécessaire de pouvoir disposer du matériel pour continuer les travaux ou remettre en culture les parcelles qui n’ont pas été inondées.

Un an après la tempête Xynthia, la presse a également livré des témoignages intéressants sur les effets à moyen et long termes.

« Les deux tracteurs que j’avais ici ont, dans un premier temps, redémarré. Deux mois plus tard, il y en a un, je ne pouvais plus m’en servir parce qu’il n’y avait plus d’embrayage et l’autre qui tournait tous les jours, plus de démarreur. […] Alors on a réinvesti à fond, c’est-à-dire, on a remis la main au portefeuille, on a tout renouvelé le matériel comme... pour repartir. J’avais la chance d’avoir la trésorerie disponible ce qui m’a permis de repartir assez rapidement. Mais d’un investissement terminé, je me retrouve aujourd’hui avec un amortissement matériel… » (Le Monde, 24 février 2011). Cette réflexion d’un ostréiculteur qui montre sa détermination par la phrase suivante « C’est pas à 50 ans que je vais lâcher le morceau pour une tempête ! », soulève les interrogations suivantes : que se serait-il passé pour un conchyliculteur n’ayant pas la capacité de trésorerie dont disposait l’ostréiculteur interviewé ? Que se passerait pour l’ostréiculteur en question si un évènement devait encore venir perturber son activité ? La discussion sur l’hypothèse de la résilience faite dans la méthode des dommages évités prend ici tout son sens et ce propos vient justifier notre souhait de proposer des indicateurs financiers permettant de tester la capacité de retour à l’état initial des exploitations agricoles.

Enfin, dans le même témoignage, cet ostréiculteur soulève la question des effets potentiels de ces évènements sur le comportement des consommateurs qui restent très difficiles à évaluer : « Le manque à gagner serait plus dans la baisse d’activité qu’on a eu suite à la tempête Xynthia. C’est-à- dire que le consommateur est devenu réticent à l’achat de coquillages. Et là est tout le problème de la profession actuellement. »

Source : Le Monde, 17 juin 2010

103 Chapitre 3 : Évaluation économique des projets de gestion des inondations

3.6 Conclusions et hypothèses de travail retenues

3.6.1. Conclusions

Tout au long de ce chapitre, nous avons montré la nécessité de mieux comprendre les effets de l’évolution du contexte de gestion des inondations sur les exploitations agricoles. L’évolution des moyens de gestion, que ce soit la création de zone de rétention ou la réduction de la vulnérabilité, va particulièrement toucher les zones agricoles qui par ailleurs vivent une phase de transition d’un système d’indemnisation vers un système d’assurance privée.

Le besoin d’une meilleure compréhension est important pour répondre aux trois objectifs suivants :

- évaluer et compenser les sur-dommages potentiellement causés, - évaluer les effets de ces politiques sur les exploitations agricoles, - déterminer l’efficience des nouvelles politiques mises en place.

Pour atteindre ces trois objectifs, une évaluation poussée et explicite des dommages sur les exploitations agricoles est requise. Or, la revue de littérature menée met en évidence que les méthodes classiquement utilisées pour évaluer les dommages sur le secteur agricole sont généralement simplifiées. Or, les études qualitatives (Pivot et al., 2002 ; Posthumus et al., 2009) mais aussi les retours d’expérience mettent en évidence que les dommages des inondations sur les exploitations agricoles sont plus complexes que ce que permettent d’évaluer les méthodes existantes. Si la place des enjeux agricoles était négligeable dans le projet à évaluer, alors, utiliser un proxy très frustre ne serait pas problématique. Par contre, dès lors que les enjeux agricoles deviennent centraux comme c’est le cas dans les restaurations ou création de ZEC, ou la réduction de la vulnérabilité, une évaluation plus fine est requise. Nous avons, en effet, montré que les méthodes reposant uniquement sur l’évaluation de la perte de récolte ne permettent pas d’évaluer les projets de réduction de la vulnérabilité qui requièrent que les méthodes d’évaluation tiennent compte des dommages induits sur l’activité puisqu’il s’agit d’un de leurs objectifs principaux.

3.6.2. Hypothèses de travail retenues

Les hypothèses de travail et définitions qui sont retenues suite à ce chapitre sont liées au cadre de l’évaluation économique. Premièrement, notre modèle de vulnérabilité a pour objectif d’améliorer la compréhension de la formation des dommages sur les exploitations agricoles pour répondre, en particulier, au besoin d’évaluer l’efficience et les effets des nouvelles politiques de gestion des inondations par l’évaluation économique.

La méthode d’évaluation économique dans laquelle s’inscrit ce développement est l’Analyse Coût-Bénéfice mobilisant la méthode des dommages évités.

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L’étude se place à l’échelle de l’exploitation agricole. Nous considérons donc que les dommages directs sont les dommages qui apparaissent sur les composantes de l’exploitation agricole directement suite à l’inondation. Les composantes de l’exploitation considérées sont les parcelles contenant la récolte, le matériel végétal (verger ou vignoble) ainsi que le sol et les bâtiments agricoles contenant le matériel et les stocks.

Les dommages induits sont définis comme les dommages résultant de la propagation dans le temps des dommages directs à l’échelle de l’exploitation agricole.

Les dommages indirects sont définis comme les dommages résultant de la propagation des dommages directs sur l’exploitation agricole à l’échelle du système économique plus large (filière, région…).

L’estimation des dommages est envisagée selon la méthode classique d’élaboration de fonction d’endommagement. L’évaluation du dommage est envisagée selon l’évaluation du coût du retour à la normale pour toutes les composantes considérées pour les dommages directs.

L’évaluation des dommages induits repose sur le principe de la perte de valeur ajoutée (différence entre la variation des charges et produits) en utilisant la notion de coût d’opportunité30.

30 Le coût d’opportunité est défini comme le manque à gagner résultant d'une possibilité non exploitée, par exemple une occasion d'investir ou de s'implanter sur un marché.

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CONCLUSIONS DE LA PARTIE I

Dans les méthodes actuelles d’évaluation des dommages agricoles dus aux inondations, une partie seulement des effets directs est prise en compte et les effets induits ne sont jamais considérés. Il est donc légitime de s’interroger sur l’intérêt et l’importance relative de ces effets des inondations sur les exploitations agricoles. De plus, dans l’optique d’évaluer des politiques ayant des effets importants et complexes sur les exploitations agricoles comme la restauration ou la création de ZEC ou la réduction de la vulnérabilité, il est nécessaire d’évaluer ces effets jusqu’à présent non pris en compte afin de définir leur importance relative et leur poids dans les dommages évités par la mise en place des projets.

L’évaluation des effets passe par une caractérisation de la vulnérabilité du système étudié car la vulnérabilité se définit comme la propension d’un système à subir des effets suite à une exposition à un aléa. La définition retenue de la vulnérabilité est compatible avec la caractérisation des effets directs et induits puisque nous avons considéré que la propension à subir des effets était liée à deux caractéristiques du système : sa sensibilité qui va déterminer les effets directs et sa capacité de réponse qui va déterminer les effets induits.

Pour caractériser la vulnérabilité selon cette perspective, la modélisation systémique s’avère pertinente puisqu’elle permet de prendre en compte les caractéristiques sommatives (effets directs) et constitutives (effets induits) de la vulnérabilité.

La formalisation UML du modèle conceptuel permet une représentation explicite des processus en œuvre et des interactions entre les différentes composantes de l’exploitation agricole suite à l’inondation. Le choix de cette représentation est notamment lié à la volonté de produire un modèle de dommages favorisant la discussion autour des projets de gestion des inondations durant la phase d’évaluation économique comme préconisé par Shabman et Stephenson (1996). Ce souhait d’explicitation est également motivé par les problèmes d’acceptabilité de certains projets de restauration ou création de ZEC nécessitant la mise en œuvre de protocoles de compensation.

La modélisation de la capacité de remise en route repose sur la théorie des capitaux multiples et la substituabilité de certaines formes de capitaux. Ainsi, nous supposons qu’elle dépend des dotations du système en capital physique, humain, financier, social et institutionnel et, que temporairement, suite à l’exposition à l’aléa, certaines formes de capitaux sont substituables, en particulier le capital physique et humain par du capital financier et social.

La modélisation de la décision retenue est compatible avec le cadre imposé par la méthode des dommages évités. Nous nous positionnons dans le cadre d’une rationalité procédurale. Le modèle de

106 décision retenu repose sur l’hypothèse que les exploitants cherchent à retrouver le plus rapidement possible leur situation initiale et cherchent à éviter dans la mesure du possible une non réalisation des tâches par rapport à l’itinéraire technique qui définit le fonctionnement optimal. Ce sont également les choix rationalité implicites de la méthode des dommages évités. Ce choix repose sur l’hypothèse implicite de résilience des systèmes, au sens restreint de leur souhait et capacité de retourner à l’état initial et de poursuivre leur activité de production. La période sur laquelle sont évalués les effets subis par le système, s’étend du moment de l’occurrence de l’inondation au retour à une situation d’équilibre qui, dans notre approche, est supposée être une situation équivalente à la situation initiale en termes de dotation en capital physique et humain.

Le modèle laisse la possibilité d’envisager de réaliser des tests sur cette hypothèse de résilience en s’intéressant à la trésorerie des exploitations. Concernant la consommation de capital social, des réflexions plus poussées devraient être engagées afin de comprendre les processus d’accumulation et de consommation de cette forme de capital. Par ailleurs, il est probable que la disponibilité du capital social soit fortement liée à l’intensité de l’évènement et qu’il n’existe pas de relation linéaire entre ces deux variables.

Pour cela, il est nécessaire de mettre en œuvre une modélisation permettant à la fois, une caractérisation exploratoire (modélisation conceptuelle) et la production d’indicateurs quantitatifs (simulation) compatible avec la définition retenue de la vulnérabilité et l’évaluation économique par ACB.

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PARTIE II

DÉVELOPPEMENT DUNE APPROCHE