• Aucun résultat trouvé

Modélisation orientée objet et systèmes multi-agents

PARTIE I VULNÉRABILITÉ, MODÉLISATION DES SYSTÈMES AGRICOLES ET ÉVALUATION ÉCONOMIQUE DES

CHAPITRE 2. MODÉLISATION DES EXPLOITATIONS AGRICOLES

2.5 Modélisation orientée objet et systèmes multi-agents

2.5.1. Conception objet, conception fonctionnelle

La modélisation orientée objet est une approche de représentation des systèmes associée à un langage de programmation qui permet de concevoir des programmes agencés autour d’entités autonomes. Elle oblige à décomposer les systèmes étudiés et à expliciter leur fonctionnement et les interactions des objets définis. Dans le cadre du développement informatique, on distingue les méthodes de conception objet et les méthodes de conception fonctionnelle. Si la représentation objet repose sur une vision systémique, elle est centrée sur les entités constituant le système étudié, en définissant les liens entretenus entre les entités et les opérations dont elles sont capables. Le formalisme fonctionnel repose sur une approche systémique classique et est centré sur la fonction associée au système (entrées-sorties) (Ferber, 1995, p113). Cela n’exclut pas que les conceptions objet et fonctionnelle puissent être combinées en associant des fonctions à certains objets.

2.5.2. Distinction objet / agent

La modélisation orientée objet a permis le développement des Systèmes Multi-Agents (SMA). Les agents peuvent être définis comme des objets dont la composante décisionnelle et l’autonomie sont plus importantes. Treuil et al. (1996) proposent de différencier agents et objets en qualifiant les objets d’inanimés et les agents d’animés. Ferber (1995) propose deux définitions distinctes des objets et agents. Ainsi, la notion d’objet est définie par trois concepts (Ferber, 1995, p61):

- la relation classe/instance, qui décrit la classe comme un modèle structural et comportemental et l’instance comme un représentant d’un modèle ;

- l’héritage, qui permet de dériver une classe d’une autre et de faire bénéficier la première des caractéristiques de la seconde ;

- l’envoi de message, qui autorise la définition de procédures dont le code diffère en fonction du receveur du message.

66 Chapitre 2 : Modélisation des exploitations agricoles

- qui est capable d’agir dans un environnement ;

- qui peut communiquer directement avec d’autres agents ;

- qui est mue par un ensemble de tendances (sous la forme d’objectifs individuels ou d’une fonction de satisfaction, voire de survie, qu’elle cherche à optimiser) ;

- qui possède des ressources propres ;

- qui est capable de percevoir (mais de manière limitée) son environnement ;

- qui ne dispose que d’une représentation partielle de cet environnement (et éventuellement aucune) ;

- qui possède des compétences et offre des services ; - qui peut éventuellement se reproduire ;

- dont le comportement tend à satisfaire ses objectifs, en tenant compte des ressources et des compétences dont elle dispose, et en fonction de sa perception, de ses représentations et des communications qu’elle reçoit.

Au sens de Ferber (1995, p.14), les systèmes multi-agents se composent : - d’un environnement,

- d’un ensemble d’objets situés et passifs,

- d’un ensemble d’agents, objets particuliers qui représentent les entités actives et qui sont dotés d’un corps, d’attributs, d’un mécanisme de contrôle et d’un ensemble de comportements - d’un ensemble de relations d’interactions entre les objets,

- d’un ensemble d’opérations permettant la perception, la production, la consommation et la transformation d’objets,

- des opérateurs chargés de la mise à jour de l’environnement. 2.5.3. Modélisations objet/SMA des exploitations agricoles

Depuis les années 1990, dans la continuité des approches systémiques développées par les agronomes (sous section 2.4.3, p 63), les approches de modélisation orientée objet se sont développées pour traiter des problématiques agricoles comme par exemple les pratiques de gestion et d’organisation du travail (Hervé et al., 2002 ; Neil et al., 1999 ; Sherlock et al., 1997). Ensuite, l’approche par les SMA a été de plus en plus mobilisée pour la modélisation des systèmes agricoles, que ce soit pour l’étude de l’adaptation au changement climatique (Janssen et al., 1998), la gestion des ressources naturelles (Barreteau et al., 2004) ou encore les questions de changements structurels (Appel et al., 2010 ; Balmann, 1997 ; Happe, 2004 ; Happe et al., 2004 ; Happe et al., 2006) et d’innovation (Kaufmann et al., 2009).

67 Chapitre 2 : Modélisation des exploitations agricoles

Les modèles multi-agents font partie des approches « bottom-up » ce qui implique qu’il n’y a pas de règle générale contrôlant le comportement des agents à un niveau agrégé mais des règles établies par les modélisateurs pour chaque catégorie d’agent définie. En particulier, cela permet d’expliciter et de choisir le type de rationalité adoptée par l’agent et sa modélisation.

2.5.4. Description et Unified Modelling Language (UML)

Comme l’expriment Happe et al. (2004), faire le choix des SMA et de la modélisation objet, force à une exigence de clarté dans la formulation des hypothèses. Cela demande également des outils de représentation permettant de soumettre le modèle à la discussion. Ceci est d’autant plus important lorsqu’une grande partie des connaissances modélisées proviennent d’un savoir expert (Happe, 2004). Le processus de construction et de validation de la modélisation passe donc nécessairement par la représentation du modèle. Pour cela, UML (Unified Modelling Language) s’avère un outil particulièrement intéressant et structurant (Le Page et al., 2005). Il s’agit d’un langage semi-formel aujourd’hui standard permettant d’exprimer ou d’élaborer des modèles orientés objet, indépendamment de tout langage de programmation. Ayant été conçu pour représenter un système informatique à travers la description de ses entités, de leurs activités et de leurs interactions, UML s’est révélé un support adapté à la conceptualisation de modèles systémiques (Roux-Rouquié et al., 2004). UML est un langage de description qui propose notamment une panoplie de diagrammes appelés « vues » permettant de présenter visuellement un modèle conceptuel selon des angles différents : les diagrammes de classes pour décrire la structure d’un modèle, les diagrammes d’activité pour décrire les règles de comportement d’une entité, les diagrammes de séquences pour définir l’agencement temporel des interactions entre les entités, et les diagrammes d’états pour caractériser les transitions qui font passer les entités d’un état à un autre.

2.5.5. Exemple du modèle AGRIPOLIS17 : un SMA pour l’évaluation économique de la Politique Agricole Commune

Le modèle AGRIPOLIS (Agricultural Policy Simulator) qui a été développé par Happe en collaboration avec Kellerman et Balmann, est un exemple majeur de modélisation multi-agents appliquée aux systèmes agricoles. Conçu dans un premier temps comme un automate cellulaire (Balmann, 1997), le modèle AGRIPOLIS a ensuite beaucoup évolué et intégré de nombreux attributs

17 Pour une description détaillée d’AGRIPOLIS voir (Happe, 2004 ; Happe et al., 2004)

68 Chapitre 2 : Modélisation des exploitations agricoles

et fonctions (Happe et al., 2004). Il a pour objectif d’expliciter les phénomènes de changement structurel des exploitations agricoles en lien avec les changements politiques, en particulier la Politique Agricole Commune (PAC), mais aussi de proposer des simulations quantitatives de ces changements et d’en donner des indicateurs économiques.

Le cadre conceptuel d’AGRIPOLIS est constitué de trois composantes principales, à savoir : les exploitations agricoles, les marchés et l’espace agricole (ensemble de parcelles). Cette représentation est considérée caractéristique des exploitations familiales de la zone étudiée. Dans ce modèle, les agents sont définis comme des entités agissant individuellement, faisant partie d’un environnement et agissant sur lui. Deux types d’agents sont définis : l’agent exploitation agricole et l’agent marché. Le plus important, l’agent exploitation agricole, correspond à une entité qui décide de manière autonome de son organisation, des productions, de l’objectif à atteindre (par exemple maximiser le revenu du foyer) et qui réagit par rapport à son environnement.

Le second type d’agent, l’agent marché, coordonne l’offre et la demande des biens (produits, facteurs de production) sur les marchés. Il est spécifiquement dédié à la gestion des terres agricoles et réalise les transactions entre agents de type « exploitation agricole ». Le comportement de cet agent est très simplifié puisqu’il n’a pas d’autre objectif que de coordonner.

L’objectif de l’agent exploitation agricole est de maximiser le revenu du foyer composé des trois sources : la production agricole, la location de parcelles, le travail de la main d’œuvre familiale en dehors du foyer. Pour les contraintes de trésorerie, des possibilités de prêts sont définies. Le type de rationalité de l’agent est une rationalité limitée dans le sens où l’agent ne connait pas, au moment où il prend ses décisions de gestion, les décisions qui ont été prises par les autres exploitants. Un modèle de programmation linéaire est utilisé pour résoudre l’algorithme de maximisation du revenu du foyer.

Les interactions entre agents se font principalement par l’intermédiaire de l’agent marché. L’allocation des terres est régie par un mécanisme itératif. Ensuite, en fonction de la rentabilité de la parcelle, à chaque période, l’agent décide d’arrêter, de poursuivre ou d’augmenter le nombre de locations.

Un modèle conceptuel a d’abord été élaboré avant d’être implémenté en programme informatique permettant la simulation. La structure orientée objet a permis une représentation UML (figure 25) des différents aspects du modèle (description statistique des objets et attributs puis description dynamique).

69 Chapitre 2 : Modélisation des exploitations agricoles

Source : Happe (2004)

Figure 25 : Modèle conceptuel d’AGRIPOLIS

En conclusion, les auteurs insistent sur l’importance de formuler des hypothèses explicites et discutables. En effet, travaillant sur des processus complexes, très discutés tant par les scientifiques que les experts locaux, Happe et al. (2004) considèrent que s’efforcer à rendre le modèle explicite fait partie du processus de validation. En cela, l’UML et les représentations qui peuvent en être issues sont précieuses dans le processus de modélisation tant pour la structuration que pour la validation.

70 Chapitre 2 : Modélisation des exploitations agricoles

2.6 Conclusions et hypothèses de travail retenues

2.6.1. Choix d’une modélisation systémique

Les approches par couplage présentent un intérêt certain qui est de pouvoir mobiliser différents modèles biophysiques existants dans un modèle global. Dans notre cas, la modélisation de l’endommagement des systèmes agricoles face aux inondations a été relativement peu investiguée et les travaux qui ont été menés relèvent principalement de la littérature grise avec une approche plutôt qualitative. L’approche par couplage n’est donc pas envisageable, à ce stade, sur la vulnérabilité agricole.

Notre choix de modélisation s’est orientée vers une approche systémique et une représentation conceptuelle orientée objet. Cependant, nous préférons éviter la dénomination « orientée objet » pour qualifier la modélisation car elle est souvent associée au langage de programmation utilisé pour l’implémentation18.

L’approche systémique permet à la fois de considérer les caractéristiques sommatives et de faire émerger les caractéristiques constitutives liées aux interactions des éléments du système. L’approche défendue est que la vulnérabilité des exploitations agricoles dépend de la propension de chacune des composantes physiques de l’exploitation à être endommagée (caractéristiques sommatives) mais aussi des perturbations de l’activité de production suite à l’endommagement des facteurs de production (caractéristiques constitutives). Le système « exploitation agricole » est ainsi caractérisé comme un ensemble de composantes en interaction qui mobilisent du capital physique (parcelle, bâtiment, matériel…), du capital humain (main d’œuvre), financier et social à des fins de production végétale et/ou animale

De plus, notre objectif étant de construire un modèle explicite de la vulnérabilité des exploitations agricoles, la représentation orientée objet utilisant le langage UML s’est avérée pertinente. En effet, elle constitue un outil permettant une co-construction et une validation des hypothèses par les experts locaux, les chercheurs de différentes disciplines ainsi que les agriculteurs concernés.

18 Or, l’implémentation utilisée pour le cas d’application présenté dans la partie 3 utilise le langage R qui

71 Chapitre 2 : Modélisation des exploitations agricoles

Les potentialités qu’offre l’approche retenue sont nombreuses. Certaines ont été mises en œuvre et sont présentés dans les parties 2 et 3 de cette thèse, à savoir :

- permettre une construction pluridisciplinaire et une validation des hypothèses de modélisation par la construction d’un modèle conceptuel ;

- permettre le choix d’un type de rationalité et d’un modèle de décision ;

- permettre un suivi temporel des composantes de l’exploitation suite au processus d’inondation.

Par ailleurs, cette approche de modélisation laisse envisager certaines perspectives de développement et d’amélioration du modèle de vulnérabilité :

- Il est envisageable de localiser les différentes composantes de l’exploitation agricole, en particulier les parcelles et bâtiments, et de faire des simulations sur des bassins versants réels. - Il est possible d’envisager un changement d’échelle du système étudié (exploitation, relations

entre exploitations, filière) en prenant en compte les interactions entre agriculteurs (entraide) ainsi que les interactions entre agriculteurs et les filières amont (approvisionnement) et aval (transformation, stockage et vente des produits).

- Il est envisageable de prendre en compte une capacité d’apprentissage aux exploitants. En effet, le phénomène d’inondation fait référence à une certaine connaissance du risque par l’exploitant. Suite à l’occurrence de plusieurs aléas, il serait donc intéressant de pouvoir envisager une évolution dynamique des stratégies de gestion comme une forme d’apprentissage de l’exploitant. Ceci pourrait être réalisé par la modification de certaines caractéristiques des composantes de l’exploitation (surélévation, déplacement des zones de stockage) ainsi que par l’affectation de nouvelles procédures de gestion à l’agent décisionnel comme l’organisation de l’évacuation ou l’organisation de la remise en état.

2.6.2. Choix d’une rationalité procédurale et d’un modèle de décision de type « action »

 Rationalité limitée

Le modèle de décision qui est mis en œuvre dans la modélisation de la vulnérabilité des exploitations agricoles aux inondations repose sur une approche de rationalité limitée. En effet, les hypothèses du modèle classique de rationalité nous paraissent difficilement applicables s’agissant de la prise de décision post-inondation. Par exemple, les enquêtes qui ont pu être réalisées dans la littérature grise auprès d’exploitants ayant subi des inondations (Bauduceau, 2001 ; 2004a), montrent que le plus souvent, les agriculteurs se retrouvent catapultés dans un processus décisionnel d’urgence dans lequel l’objectif est plutôt de « faire au mieux avec les moyens du bord ».

72 Chapitre 2 : Modélisation des exploitations agricoles

 Fonction d’objectif et contraintes

Notre modélisation ne vise pas à simuler finement la structure et le fonctionnement d’une exploitation agricole en temps normal mais à caractériser les écarts par rapport à ce fonctionnement normal, dus à l’inondation.

Nous considérons donc que l’organisation du travail en temps normal est régie par l’itinéraire technique et que comme supposé dans les modèles d’action, l’exploitant cherche à éviter une non- réalisation des tâches. Pour cela, nous supposons la mise en œuvre de modes de réalisation alternatifs pour réaliser ces tâches. Sur la base de la théorie des capitaux et à l’instar des auteurs du modèle Access (Wisner et al., 2004), nous considérons que les exploitants ne disposent pas tous des mêmes niveaux de capitaux leur permettant d’accéder à ces modes de réalisation alternatifs. Ainsi, nous envisageons la définition de différents profils d’exploitants en fonction des capitaux social et financier mobilisables et qui conditionnent les modes de réalisation disponibles pour l’exploitant.

73 Chapitre 3 : Évaluation économique des projets de gestion des inondations

CHAPITRE 3.

ÉVALUATION ÉCONOMIQUE DES PROJETS DE GESTION DES