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Modélisation de la production écrite des experts d’après Van Galen (1991)

1. DÉVELOPPEMENT DE LA GRAPHOMOTRICITÉ

1.1 Modélisation de la production écrite des experts d’après Van Galen (1991)

Le modèle d’experts de Van Galen (1991), schématisé à la figure 1, est l’un des premiers à intégrer l’ensemble des processus conduisant au geste graphomoteur, de la génération d’idées à la trace écrite. Il concerne donc la production écrite dans sa globalité et

15 Ce modèle d’apprentissage par l’action permet de formaliser le développement de la graphomotricité, qui ne

bénéficie pour l’instant d’aucun modèle intégrateur satisfaisant. Il permet d’illustrer le lien entre l’automatisation des connaissances et la libération des ressources cognitives en mémoire de travail.

postule l’existence de divers niveaux de traitements pour transformer une séquence de mots et de lettres en mouvements, des processus centraux à leur implémentation dans le système moteur.

Selon ce modèle, la production écrite chez l’expert est une activité multitâches qui s’appuie sur des processus cognitifs, psychomoteurs et biophysiques. Ce modèle comprend des modules linguistiques (rappel sémantique, construction syntaxique et orthographe) et des modules moteurs (sélection des allographes, contrôle de la taille et ajustement musculaire), opérant en parallèle ou en cascade malgré l’aspect sériel de leur présentation. Ces modules obéissent à une structure hiérarchique, la production écrite étant la résultante de traitements et d’unités, impliqués simultanément dans l’activité, allant du plus abstrait (idées) au plus concret (traits). Ainsi, plus les composantes de ce modèle sont situées à un niveau élevé dans la hiérarchie, plus elles sont en avance dans le temps par rapport à la production écrite (Zesiger, 1995). Les mouvements destinés à produire les dernières lettres d’un mot peuvent par exemple être programmés, chez l’expert, pendant l’exécution des premières lettres; il s’agit donc d’une structure descendante (i.e. top-down), efférente, du cortex vers la périphérie. Comme l’atteste ce modèle, et nous y reviendrons plus en profondeur en fin de chapitre, les traitements linguistiques, dits de haut niveau, peuvent affecter, en fonction des caractéristiques et des contraintes de la tâche, les paramètres spatiaux, temporels, cinématiques et/ou dynamiques de l’écriture.

Modules de traitement Taille des unités Type de mémoire

Activation d’intentions Idées Mémoire épisodique

↓ ↓ ↓

Rappel sémantique Concepts Lexique verbal

Construction syntaxique Phrases Mémoire à court terme

Orthographe Mots Buffer graphémique

Sélection des allographes Graphèmes Mémoire motrice

Contrôle de la taille Allographes Tampon moteur

Ajustement musculaire Traits

1.1.1 Représentations orthographiques et buffer graphémique

Selon Van Galen (1991), les représentations orthographiques sont maintenues temporairement actives dans le buffer graphémique en vue de leur production écrite, le temps nécessaire pour récupérer en mémoire à long terme les programmes moteurs et exécuter la réponse motrice appropriée chez les experts (Tainturier et Rapp, 2001). Ce stock à caractère transitoire constitue le point d’arrivée des processus centraux (i.e. langagiers : phonologiques, sémantiques et orthographiques) et le point de départ des processus périphériques (i.e. allographiques, de préparation et d’exécution des programmes moteurs). Cette mémoire tampon ne stocke qu’une quantité d’informations limitée pour une durée limitée. Elle est donc particulièrement influencée par la longueur des mots à produire (Buchwald et Rapp, 2009; Caramazza, Miceli, Villa et Romani, 1987; Costa, Fischer-Baum, Capasso, Miceli et Rapp, 2011; Goodman et Caramazza, 1986; Planton, Jucla, Démonet et Soum-Favaro, 2017).

Les représentations orthographiques sont conçues, dans le modèle de Van Galen (1991), comme de simples chaînes linéaires de lettres. Ainsi, la durée de production de la lettre « a » dans les mots « clavier » et « prairie » devrait toujours être identique, bien que ces deux mots possèdent une structure graphémique qui leur est propre (Kandel et Spinelli, 2010). Dans ce modèle, les unités traitées passent directement des mots aux graphèmes; il nie donc l’existence d’éventuelles unités sous-lexicales supérieures aux graphèmes (e.g. bigrammes, trigrammes, morphèmes et syllabes) susceptibles d’affecter l’organisation du geste graphomoteur. Cette position a toutefois été remise en question sur la base de nombreux résultats de recherche, en français comme en d’autres langues (cf. Hess, Mousikou, Verrel et Schroeder, 2018; Humblot, Fayol et Lonchamp, 1994; Kandel, Peereman, Ghimenton et Perret, 2019; Lambert, Sausset et Rigalleau, 2015; Sausset, Lambert et Olive, 2013; Sausset, Lambert, Olive et Larocque, 2012).

1.1.2 Traitements constitutifs de la programmation graphomotrice

D’après Van Galen (1991), la programmation graphomotrice implique, chez l’expert, trois étapes distinctes : a) le rappel du programme moteur stocké en mémoire à long terme,

définissant la forme de la lettre (allographe) et l’ordre dans lequel les traits doivent être effectués, b) la paramétrisation de la force, déterminant la taille relative de ces traits, leur direction et leur vitesse d’exécution, selon l’amplitude du mouvement, et c) la sélection des groupes musculaires à activer, recrutant un nombre approprié d’unités motrices, en fonction du contexte biophysique.

Les informations contenues dans le buffer graphémique ne concernent, selon ce modèle, que l’identité et l’ordre des graphèmes formant les mots. Elles sont principalement de nature spatiale. La structure du mouvement en aval présente en effet un certain nombre de régularités chez les adultes, indépendamment des contextes de production (Zesiger, 1992). Les programmes moteurs correspondent, comme en font foi les principes d’invariance énumérés dans les prochaines lignes, à une représentation abstraite et amodale, élaborée au niveau central, d’une séquence de mouvements permettant de tracer la forme caractéristique de chaque lettre (Chartrel et Vinter, 2004; Palmis et al., 2017; Thibon, Gerber et Kandel, 2018a; Vinter et Zesiger, 2007). Ces principes sont les suivants : a) équivalence : les mêmes lettres peuvent être produites par des effecteurs différents (e.g. main ou pied), sur des supports différents (e.g. papier ou tableau vert), tout en conservant leurs caractéristiques individuelles (Ellis, 1982), b) homothétie spatiale : les rapports de longueur entre les segments d’une lettre et la longueur totale de la lettre sont sensiblement les mêmes d’un contexte à l’autre, en dépit de modifications importantes dans la taille des productions, c)

homothétie temporelle : les rapports de durée d’exécution entre les traits d’une lettre et sa

durée de production totale demeurent invariables, malgré des modifications importantes dans la vitesse des productions, et d) isochronie : la vitesse d’exécution d’une lettre est proportionnelle à la longueur de sa trajectoire. Si ces principes connaissent, dans un cadre écologique, de sérieuses limites d’application, ils confirment néanmoins la nature des programmes moteurs. Ces quatre principes montrent, comme l’expriment Chartrel et Vinter (2004), que « la maîtrise des paramètres absolus des lettres, comme leur taille par exemple, n’est certainement pas essentielle à la mise en place des premiers automatismes » (p. 175). L’exécution graphomotrice apparaît donc flexible aussi bien chez les enfants que chez les adultes, pouvant s’adapter aux contraintes spatio-temporelles de la tâche (Alamargot et

Morin, 2015; Chartrel et Vinter, 2008; Fitzpatrick, Vander Hart et Cortesa, 2013; Gerth et al., 2016a, 2016b; Guilbert, Alamargot et Morin, 2018a; Pagliarini et al., 2015; Van Galen et Weber, 1998).

L’unité de base dans la programmation graphomotrice peut correspondre à un trait, un couple de traits, une lettre ou une combinaison de lettres (Bara et Gentaz, 2010; Marcelli, Parziale et Senatore, 2013; Portier, Van Galen et Meulenbroek, 1990; Stelmach et Teulings, 1983; Teulings, Thomassen et Van Galen, 1983; Thibon et al., 2018a; Wing, 1978). Elle peut aussi dépendre de la complexité des lettres, de la nature de la tâche, du degré de pratique et de la familiarité des tracés à produire :

The idea that the unit size may vary with practice is not implausible. New graphemes at first will be organised and learned as a combination of strokes, after more practice letters and digits may become the units, and after even more practice a unit may include some very frequent lettercombinations, a signature being perhaps an example of the largest possible lettercombinations17. (Hulstijn et Van Galen, 1983, p. 43)

Ainsi, la lettre n’est plus gérée, chez les experts, comme la somme de ses traits qu’il faut indépendamment programmer, mais comme une unité globale que l’on ne peut plus segmenter. Selon Lambert et Espéret (2002), plus l’unité est petite, plus le traitement graphomoteur, alors au pas-à-pas, nécessite de ressources cognitives. L’assemblage des unités du trait vers la lettre, avec la maîtrise progressive des différentes unités linguistiques, permet une économie cognitive, en évitant une surcharge d’informations en mémoire, ce qui accélère et allège la production (Thibon et al., 2018a).

Pour résumer, la production écrite, qui est à la fois praxie et langage, repose sur un ensemble de compétences selon le modèle de Van Galen (1991) : les connaissances linguistiques, les connaissances visuo-spatiales, liées aux représentations allographiques ou

17 L’idée que la taille de l’unité de base du programme moteur varie au cours de l’apprentissage de la production

écrite n’est pas invraisemblable. Les lettres seront d’abord organisées et apprises sous la forme d’une combinaison de traits; avec la pratique, les lettres représenteront l’unité de base; après une pratique encore plus intensive, cette unité pourra inclure des combinaisons de lettres très fréquentes, la signature des individus représentant sans doute un exemple de la plus grande combinaison de lettres possible [traduction libre].

à la casse (majuscule ou minuscule) et au style des lettres (script ou cursif), stockées en mémoire à long terme, et les capacités de programmation et d’exécution motrices, la coordination des muscles agonistes et antagonistes permettant de contrôler la séquence, la taille des traits ou des lettres et leur organisation spatiale.